OPÉRA - Les techniques d’écriture
L’écriture d’une partition musicale destinée à une représentation scénique doit tenir compte d’un nombre important d’exigences de nature différente qui vont de la considération des moyens matériels mis localement à la disposition du compositeur jusqu’à des options véritablement esthétiques dans l’emploi de techniques d’écriture. Celles-ci sont destinées à illustrer une certaine conception du drame toujours en évolution selon les générations des créateurs, sans négliger pour autant l’impact sociologique d’une œuvre telle que l’opéra, fondamentalement destinée à des groupes sociaux – de plus en plus diversifiés au fil des siècles – rassemblés par le désir de comprendre, d’entendre et de voir un spectacle lyrique.
1. Les contraintes
Si l’on tente d’évaluer les choix auxquels le compositeur d’opéra se voit confronté, du plus matériel au plus philosophique, force est de constater que de simples contraintes législatives peuvent orienter la réalisation technique d’une œuvre lyrique. Le privilège accordé à l’Académie royale de musique de Paris en 1669 pour exploiter et «protéger» le genre «opéra mis intégralement en musique» devait avoir pour conséquence le développement des recherches sur la déclamation chantée de la langue française, puisque le compositeur devait se priver de l’alternance parlé-chanté, système réservé au genre de l’opéra-comique. La nouvelle version de cette obligation, imposée par Napoléon Ier et abandonnée sous Napoléon III, qui classait les genres dramatiques et confinait chaque théâtre dans un genre précis, ne devait pas changer cette orientation. La situation était identique à Vienne à la fin du XVIIIe siècle, et Mozart, écrivant pour un théâtre autre que le Theater auf der Wieden, n’aurait peut-être pas pu exploiter ce mélange de textes parlés et chantés qui caractérise La Flûte enchantée (1791). Ainsi se trouve déjà posé le problème du genre et de la fonction de l’opéra considéré comme un ouvrage entièrement musiqué. De la comédie musicale faite pour séduire et divertir au drame lyrique destiné à moraliser ou à émouvoir, les procédés techniques utilisés ne seront pas identiques. Cette remarque vaut également lorsque l’on considère les conditions matérielles locales accordées à un créateur. Les premiers opéras écrits pour les théâtres vénitiens du XVIIe siècle, comme les opéras de Pier Francesco Cavalli, ne comportent que relativement peu de fragments musicaux pour chœurs. Sauf circonstances fortuites, les troupes permanentes de choristes n’existaient pas, alors que l’opéra de Paris entretenait un chœur permanent qui permit à Lully d’introduire dans ses tragédies lyriques la tradition d’une écriture chorale spectaculaire et raffinée, que Rameau et Gluck, au XVIIIe siècle, s’ingénièrent à développer. Au XIXe siècle, les orchestres des théâtres des villes moyennes italiennes, férues d’opéra, comportaient encore nombre d’amateurs, ce qui pourrait expliquer les limites du traitement orchestral dans les œuvres de Gaetano Donizetti, par exemple. En revanche, les grandes maisons d’opéras telles que la Scala de Milan ou l’Opéra de Paris, ou celles de Berlin, Dresde, Munich, Saint-Pétersbourg, Vienne permirent, grâce à un orchestre fourni, les progrès dans la richesse et la subtilité de l’écriture orchestrale, qualités que l’on peut aisément déceler dans les œuvres de Meyerbeer, Wagner, Verdi et jusqu’aux grands ouvrages de Richard Strauss (La Femme sans ombre , achevé en 1917) ou, plus récemment, de Messiaen (Saint François d’Assise , 1983), qui put utiliser un ensemble vocal et instrumental d’une importance sans doute jamais atteinte jusque-là dans une salle d’opéra (cf. ORCHESTRE, tabl.).
Les choix techniques que le compositeur d’opéra devra décider proviennent aussi de la nature du livret, tiré de sources populaires, légendaires, mythologiques ou historiques, et de sa construction, centrée sur une action intérieure autorisant une relative unité du style d’écriture pendant tout le drame, ou, au contraire, éclatée en épisodes contrastés destinés à retracer les avatars d’une intrigue mélodramatique modifiant les actes et les sentiments des personnages mis en scène, offrant au musicien des situations «expressives» si variées que les moyens musicaux employés pour les traduire devront être drastiquement différenciés. Enfin, le compositeur doit examiner la répartition du poème entre le narratif et l’expressif, engendrant ainsi des structures musicales diverses. Il lui faut aussi se plier à ce que l’on croit être, temporairement, les pouvoirs expressifs de la musique, et ne pas craindre d’envisager l’œuvre lyrique comme une possible «œuvre d’art total» puisqu’elle combine les arts poétiques, vocaux, instrumentaux, chorégraphiques et décoratifs. C’est dire la variété des médiums musicaux que le compositeur peut sélectionner et doit structurer pour assurer la coexistence d’un texte littéraire et d’une partition musicale afin d’atteindre l’homogénéité et l’efficacité maximales qui caractérisent l’œuvre d’opéra réussie.
2. L’histoire
L’histoire a retenu comme période de naissance de l’opéra la fin du XVIe siècle, lorsqu’une conjonction heureuse a fait se rencontrer les traditions des spectacles établis avec les discussions nouvelles sur la déclamation de textes poétiques, rythmée et accentuée à l’imitation des Anciens. Que l’on étudie les intermèdes italiens, tels ceux de La Pellegrina (1589), ou les ballets dansés à la cour de France, comme le Ballet comique de la reine (1581), on y retrouve la juxtaposition d’ensembles choraux d’écriture polyphonique harmonique ou contrapuntique, d’ensembles instrumentaux avec luths, violons et hautbois, de fragments poétiques non chantés («les vers galants») ou chantés par des solistes s’accompagnant au luth ou au théorbe, par exemple. Et les fervents de la Camerata Fiorentina qui, dans les années 1590, discutaient autour du comte de Vernio sur les pouvoirs expressifs du récit ne faisaient que compléter la panoplie des ressources avec lesquelles allaient désormais jouer les compositeurs d’opéras, constituant ainsi le vocabulaire de base de l’œuvre lyrique: récitatif, airs, chœurs et symphonies. L’engouement aidant, le «récit» devint l’élément de prédilection pour la recherche de l’expression lyrique, et les premiers opéras, basés sur la fable d’Orphée, tels les Euridice de Jacopo Peri et de Giulio Caccini, tous deux de 1600, sont constitués essentiellement de «récits» confiés à un personnage soliste accompagné d’instruments réalisant des harmonies, souvent recherchées, capables de traduire l’«émotion» dégagée par le mot ou par le sens du texte, étant convenu que son intelligibilité devait rester entière. Les surprenantes modulations harmoniques qui soutiennent le célèbre récit de la messagère décrivant la mort d’Eurydice, piquée par un serpent, restent les modèles du pouvoir émotionnel du récit, malgré la menace de monotonie si ce débit poético-musical permanent n’était entrecoupé d’épisodes contrastés. En ce sens, l’œuvre dramatique de Monteverdi, de l’Orfeo de 1607 au Couronnement de Poppée de 1642, pose les bases de ce que seront les composants techniques du drame lyrique en Europe pendant trois siècles. La partition de l’Orfeo contient une fanfare qui annonce l’œuvre; un motif de ritournelle introductive qui réapparaîtra régulièrement au cours de l’ouvrage; des scènes vocales de structure strophique avec refrain instrumental; des récits accompagnés, avec modulations hardies pour créer une tension dramatique et lyrique sur les mots signifiants; des airs ornés pour solistes, colorés par des timbres instrumentaux diversifiés; des chœurs à l’écriture verticale (utilisant l’accord comme matériau) ou en imitation (reproduisant successivement une petite cellule mélodique et rythmique); des symphonies instrumentales ayant fonction descriptive, expressive ou de liaison entre les épisodes dramatiques; autant d’éléments qui deviendront aussitôt les prototypes de structuration d’une œuvre lyrique.
3. Les composants
L’ouverture
D’abord simple fanfare annonciatrice du début de la pièce, confiée aux instruments à vent, l’ouverture deviendra un morceau orchestral élaboré, indépendant puis progressivement relié au contenu même de l’opéra. Deux modèles furent adoptés par les compositeurs: celui de la «sinfonia» en trois mouvements (allegro-andante-allegro), prélude quelque peu léger mais brillant qui introduisait l’opéra baroque italien, et celui de l’«ouverture à la française» de structure ternaire (introduction lente en valeurs pointées, fragment vif en écriture fuguée et retour de l’élément initial), qui ouvrait majestueusement le prologue de la tragédie lyrique française. Tous les auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles, de Pier Francesco Cavalli et Alessandro Scarlatti à Haendel, de Lully et André Campra à Rameau, respectèrent cette double tradition. Peu à peu, une corrélation s’établit entre cette pièce instrumentale et le drame lui-même, Rameau étant l’un des premiers à pressentir cette liaison nécessaire. On adopta le système de la citation reprise dans l’ouvrage même (Rameau, dans Platée , en 1745; Mozart, dans Don Giovanni , en 1787) ou l’usage d’une rhétorique d’éléments contrastés proche de la dialectique de la sonate classique (Rameau, dans Zoroastre , en 1749, l’ouverture «peignant» l’opposition entre les principes du bien et du mal; Mozart, dans Les Noces de Figaro , en 1786) dans le but de préparer l’auditeur au caractère du drame ainsi annoncé. L’ouverture d’Iphigénie en Aulide (1774), de Gluck, illustre parfaitement cette fonction. D’autres compositeurs se contentèrent d’aligner les thèmes jugés essentiels de la partition, comme le fit Grétry, par exemple. Ce procédé l’emporta au début du XIXe siècle, mais, parfois, le soin avec lequel ces citations furent insérées dans un ensemble cohérent, travaillé et brillamment orchestré fit que l’ouverture, bien que liée à l’opéra même, redevint une pièce autonome (Leonore III pour le Fidelio de Beethoven; le Freischütz de Weber; Le Carnaval romain pour le Benvenuto Cellini de Berlioz; Tannhäuser de Wagner; La Traviata de Verdi). Les compositeurs adoptèrent aussi le prélude introduisant aussitôt le drame (Verdi dans Falstaff ; Debussy dans Pelléas et Mélisande ), ou n’hésitèrent pas à présenter directement la pièce (Verdi dans Otello ; Alban Berg dans Wozzeck ), procédé qui semble le plus communément utilisé à l’époque contemporaine.
Le récitatif
L’écriture du récitatif est sans doute le travail le plus délicat pour un compositeur d’opéra, car elle résulte d’une série d’options liées à la conception même du drame et de son rôle vis-à-vis de la musique. Selon le rapport que le compositeur entend privilégier entre les éléments du drame, entre le parlé, le récité, le déclamé et l’expression mélodique, entre l’intelligibilité maintenue et la distorsion acceptée du texte, il s’ensuit un certain type d’écriture du récitatif. De plus, l’esthétique même du drame influe sur la fonction attribuée au récitatif. L’esthétique de la tragédie classique française, qui préfère raconter un événement plutôt que le montrer, incite le compositeur à adopter un système de débit lyrique non mesuré, adapté aux exigences de la langue. Les partitions de Lully et de Rameau sont parsemées de ces «récits» aux changements de mesure fréquents pour respecter le rythme et l’accentuation de la langue française, accompagnés par la basse continue exécutée par un clavecin et un petit ensemble instrumental. Lorsque ce récit s’organise temporairement en fragments mesurés, avec des carrures plus nettes, on se trouve en présence du «récit mesuré» ou de l’«air mesuré», selon l’expression mélodique plus ou moins marquée confiée à la ligne vocale. En revanche, l’esthétique du théâtre italien, fondée sur une séparation tranchée entre l’action, le commentaire, la réflexion et l’expression du sentiment personnel, conduit à une séparation aussi tranchée entre le recitativo secco (débit rapide du texte parlé accompagné au clavecin) chargé de déblayer le texte littéraire et l’aria , considéré comme le moment de l’explosion lyrique, l’expression mélodique se situant alors aux antipodes du parlé rapide. C’est opter pour la musique absorbant le drame.
L’option inverse devait amener la création du recitativo accompagnato (déclamation chantée accompagnée par les instruments), chargé de cerner au plus près la vérité dramatique d’une scène et de traduire l’état psychologique des personnages. Dans une lettre à Johann Adolf Hasse, en 1749, Métastase expliquait les avantages d’un tel système, que les compositeurs italiens ou influencés par l’art italien adoptèrent de plus en plus pendant tout le XVIIIe siècle, rééquilibrant ainsi la balance entre le drame et la musique. Gluck, désireux de rétablir la suprématie du drame, développe cette manière d’utiliser le récitatif dès 1762 (Orphée ), confiant à l’orchestre un pouvoir d’expression dramatique et psychologique de plus en plus grand. Les musiciens de l’époque classique (Mozart en 1781 dans Idoménée ) et romantique (Beethoven: récitatif de Florestan et Leonore dans Fidelio , en 1814, ou le grand récitatif du final de la IX e Symphonie , en 1824; Berlioz, en 1863, dans les scènes de la mort de Didon à l’acte II des Troyens ) devaient porter à son apogée le pouvoir dramatique et lyrique du récitatif accompagné par un orchestre, et parfois quasiment confondu avec l’air puisqu’il ne lui servait plus nécessairement d’introduction. On peut estimer que la fusion parfaite de tous ces éléments se réalisa dans l’œuvre de Wagner. L’insertion de monologues, rejoignant ainsi la tradition de la tragédie lyrique, favorisait l’emploi de la «mélodie continue», parfaitement adaptée à la déclamation accentuée d’un texte littéraire.
Aussi les compositeurs de chaque nation purent-ils utiliser les ressources du récitatif appliquées aux caractéristiques de leur langue respective; Moussorgski dans Boris Godounov (1872), Manuel de Falla dans Les Tréteaux de maître Pierre (1923), exemples où la conception théâtrale du drame est totalement opposée. Dans cette veine «nationaliste», Debussy devait créer dans Pelléas et Mélisande (1902) un système de déclamation continue adapté au mouvement de la phrase littéraire et au rythme des mots, étant entendu que la faible accentuation de la langue française permet de jouer sur la valeur des durées et sur la place de l’accent. Une telle théorie influencera presque tous les compositeurs français du XXe siècle, de Darius Milhaud (Le Pauvre Matelot , 1926), et Francis Poulenc (La Voix humaine , 1958) – deux textes de Cocteau – jusqu’à Olivier Messiaen (Saint François d’Assise , 1983). Dans toutes ces œuvres, toutefois, le récit est entièrement noté (hauteur des sons) et mesuré. Abandonner ces deux paramètres, c’est transformer le récit et le situer entre le déclamé et le chanté mesuré ou non (Sprechgesang , Sprechstimme ), à mi-chemin entre le récitatif et l’air, procédé qu’utiliseront, dans une perspective expressionniste, Berg dans Wozzeck (1922) et surtout Schönberg (Erwartung , 1909, et Die Glückliche Hand , 1913).
Sans doute le renouveau contemporain des études linguistiques a-t-il focalisé l’intérêt sur l’utilisation des ressources sémantiques de chaque idiome national, ressuscitant ainsi dans l’œuvre lyrique les fonctions du récit telles qu’elles avaient été définies à la fin du XVIe siècle par la Camerata Fiorentina cherchant à créer le stile rappresentativo .
L’air
Il se distingua progressivement du récitatif. La régularité d’une métrique imposée et une expression mélodique de plus en plus large le privèrent de toute possibilité de souligner la valeur expressive du texte littéraire (par sa répétition et son élongation) pour le confiner avec éclat dans la seule expression lyrique musicale. Dès les opéras de Monteverdi et de Cavalli, la structure et la fonction de l’air se précisèrent: ritournelle d’orchestre annonçant le premier thème vocal (dont le caractère est censé traduire une situation psychologique sommairement suggérée par le texte), puis seconde partie bâtie sur une idée différente bien que reliée à la première (littérairement et psychologiquement, le rôle des modulations y devenant alors prépondérant), et retour (da capo ) de la première partie ornée par le chanteur, parfois à profusion.
Très vite, cet aria da capo devait donner lieu à une typologie des caractères exprimés, d’où leur attribution à des situations dramatiques précises, sans que cela donnât lieu à une modification de structure: aria di bravura (avec prouesses vocales); aria di furore ; aria di portamenta (avec tenue et ports de voix); aria di agilita ; aria di mezzo carattere (avec orchestre assez fourni) en contraste avec l’aria cantabile ; aria parlante (pour les émotions violentes), etc. Cette structure fermée et le fait que la reprise renvoyait à la première partie de l’aria, provoquant ainsi une sorte d’annulation dramatique, firent que l’on s’ingénia au XVIIIe siècle à élargir cette structure en introduisant dans l’aria diverses interventions de recitativo accompagnato et en assouplissant la ligne mélodique pour lui donner le caractère d’un arioso afin de mieux traduire la diversité des actions décrites et la subtilité des sentiments exprimés.
Même si un grand nombre de compositeurs d’opéra, au XIXe siècle, sont restés fidèles à la forme traditionnelle de l’aria (Vincenzo Bellini, Gaetano Donizetti, Charles Gounod), cette nouvelle structure complexe, souple et «ouverte» prédominera, que ce soit chez Wagner ou Debussy (le système de la mélodie continue ou de la déclamation continue balayant la structure tripartite évidente de l’aria pour l’agrandir aux dimensions d’une scène de longueur variable) ou chez Verdi et Puccini. Certains musiciens du XXe siècle, dans des œuvres d’inspiration néo-classique, comme Stravinski dans Mavra (1922) ou The Rake’s Progress (1951), retournèrent à la structure fermée de l’air en signe de pastiche d’un style ancien, ou comme dans le cas de Berg à titre de référence au passé pour affirmer un langage résolument moderne (Lulu , 1935).
Les ensembles
L’écriture d’ensembles vocaux ou instrumentaux est essentiellement liée à la nature du livret d’opéra choisi et à la valeur expressive que ces ensembles peuvent apporter à la réalisation du drame. Soucieux de maintenir la compréhension du texte, les auteurs des premiers opéras, au XVIIe siècle, n’écrivirent que peu d’ensembles, le principal étant le duo, souvent écrit à la tierce. En revanche, l’opposition entre solistes et chœurs sera exploitée largement dans les tragédies lyriques françaises des XVIIe et XVIIIe siècles (écriture verticale homophone à quatre ou cinq voix), avec des effets harmoniques, chromatiques et enharmoniques comme dans le trio des Parques, dans Hippolyte et Aricie , de Rameau (1733). Il en sera de même dans l’écriture de l’ensemble orchestral, par exemple lors des symphonies descriptives (sommeil, tempête), les théories sur l’imitation justifiant de telles interventions dans la «peinture» du drame. Ce pouvoir expressif de la musique sera repris, transmué dans les fragments-poèmes symphoniques insérés dans les opéras du XIXe siècle (scène de la gorge aux loups dans le Freischütz , de Weber, en 1821; chasse royale et orage dans Les Troyens , de Berlioz, en 1863; les murmures de la forêt dans Siegfried , de Wagner, en 1869). La finesse de plus en plus grande des connotations psychologiques offertes par les situations dramatiques et les sentiments des personnages permet la réalisation d’ensembles originaux, telle les trois danses superposées (symbolisant les classes sociales) dans la scène du bal du Don Giovanni de Mozart (1787) ou l’ensemble à douze voix (scène chez Alice Ford, acte II) dans Falstaff , de Verdi (1893): chaque personnage ayant été «typé» musicalement au cours des scènes précédentes, la lisibilité de l’ensemble reste entière. L’opéra romantique, fondé sur une trame historique, offrait des situations complexes qui se prêtaient à l’écriture d’ensembles vocaux (solistes et chœurs) et instrumentaux impressionnants (scène de la conjuration des poignards dans Les Huguenots , de Meyerbeer, 1836; ou scène de l’autodafé dans Don Carlos , de Verdi, 1867), sans oublier le goût de l’époque pour des conclusions d’actes brillantes destinées à susciter l’enthousiasme du spectateur.
Peut-être est-ce le XIXe siècle qui a su le mieux manipuler toutes les techniques d’écriture dramatique possibles, semées par Monteverdi et magnifiées par Wagner et Verdi. Le XXe siècle, croyant rejeter une forme d’art épuisée et cherchant à modifier la notion de spectacle n’a, une fois de plus, guère employé d’autres moyens techniques pour structurer une œuvre dramatique et lyrique que ceux hérités des discussions florentines lorsque s’ouvrait le XVIIe siècle. Des œuvres modernes aussi dissemblables sur le plan esthétique que L’Amour des trois oranges , de Prokofiev (1921), Lulu , de Berg (1935), et La Mort à Venise , de Britten (1973) en témoignent.
Encyclopédie Universelle. 2012.