BONY (J.)
Jean BONY 1909-1995
Historien français de l’art et de l’architecture du Moyen Âge. Pour le public cultivé, Jean Bony restera l’auteur de la synthèse magistrale sur l’Architecture gothique en France aux XIIe et XIIIe siècles , qu’il écrivit en anglais et que publia l’université de Berkeley en 1983.
Jean Bony est né à Paris. Après avoir suivi les cours de Henri Focillon, il continue une carrière à l’étranger, d’abord en Grande-Bretagne, où il enseigne à l’université de Cambridge, puis aux États-Unis, à Berkeley, où il occupe de 1962 à 1990 la chaire d’histoire de l’art et d’architecture du Moyen Âge. Par formation et par goût, il commence à étudier les techniques de construction dans les églises d’Angleterre et de Normandie de la fin du roman et du début du gothique. À la fin des années 1930, il donne ainsi au Bulletin monumental une série d’articles sur les élévations à quatre étages, le mur épais, l’origine des voûtes d’hémicycle. Dans cette approche des structures de l’architecture médiévale, il traduit l’enseignement de Henri Focillon sur la “vie des formes”. En 1943, il fait paraître un bref essai sur la spiritualité que le regard peut découvrir en contemplant les cathédrales Notre-Dame de Paris et Saint-Étienne de Bourges. À travers l’œuvre écrite de Focillon, il prend connaissance, comme les autres historiens d’art de sa génération, des concepts qu’ont élaborés en Allemagne un Jacob Burckhardt au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et un Heinrich Wölfflin dans les vingt premières années du XXe (sur ces courants très importants aussi pour la France jusqu’aux années 1950, voir H. Dilly, Deutsche Kunsthistoriker. 1933-1945 , Munich, 1988, et Altmeister moderner Kunstgeschichte , Berlin, 1990).
Comme Burckhardt, Jean Bony réserve à l’œil de l’observateur la première place dans l’approche formelle: c’est en regardant le bâtiment qu’il doit pouvoir mettre au jour le langage spécifique de l’architecture qui se développe en chacune de ses parties. Comme Wölfflin, il met en valeur l’idée que des formes de vision et des formes d’exposition peuvent être particulières à une époque et se retrouver dans le champ d’activité des artistes. Dans ses Principes fondamentaux de l’histoire de l’art (parus à Munich en 1915, traduits en français en 1966), Wölfflin montrait qu’il s’agissait en effet d’une gamme de possibilités créatives qui existaient indépendamment de tout contenu et qui formaient une configuration précise dans l’espace et dans le temps. Jean Bony fait sienne cette affirmation, et y revient dans son ouvrage sur l’architecture gothique en France, paru en 1983, quand il souligne le rôle majeur qu’il faut reconnaître à des moments de création distincts les uns des autres, à des séquences chronologiques autonomes: suivant ce constat, l’historien ne parlera pas d’un style gothique mais de plusieurs styles gothiques qui s’épanouissent de manière concomitante.
Après 1950, Jean Bony enrichit son raisonnement d’un autre concept, qu’il emprunte à l’œuvre de Ernst H. Gombrich, qui exercera sur lui une forte influence: c’est le concept de logique des situations, que Bony transpose en utilisant le terme de “milieu” et l’expression de “centre artistique”. Il complète ainsi sa première approche formelle par la prise en compte, cette fois, des techniques de construction en rapport avec le renouvellement des modes et du goût au sein d’un milieu restreint. Il s’intéresse à ces différents milieux comme à autant de cas de polarisation dans l’espace à un moment donné. Il explicite par là la notion nouvelle de centre artistique, notion qui, après lui, sera reprise et approfondie. Recourant aux cartes pour mieux exposer ses démonstrations, il clarifie les influences françaises sur les débuts du gothique anglais, et surtout, afin de corriger ce qu’aurait d’arbitraire l’emploi du mot influence, il examine précisément la formation des pôles artistiques et les phénomènes d’interaction qui se produisent entre eux. Son étude, célèbre entre toutes, demeure celle qui est consacrée aux résistances au “milieu chartrain” qui apparaissent, vers 1220, sur les chantiers ouverts en Bourgogne, dans le bassin du lac Léman et le long de la vallée du Rhône (l’article date de 1957-1958). À partir du modèle d’analyse ainsi construit, Jean Bony élargit ses interrogations à l’émergence de ce qu’on nomme le gothique: attentif aux pôles de création qu’il repère dans l’espace et qu’il inscrit sur une carte, il s’efforce de comprendre les relations très fines qui s’établissent entre les formes et de présenter les foyers de création dans toute leur singularité. Il écrit en 1980 un texte qui aura un retentissement considérable, Genèse du gothique: accident ou nécessité? , dont il reprend les conclusions dans le livre sur l’Architecture gothique en France . Laissant au hasard le rôle principal, il fait du milieu parisien des années 1130 l’avant-garde du style gothique en Europe, tout en marquant son dépassement dès 1270-1280 par d’autres milieux créateurs, au sein de configurations changeantes.
Jean Bony a su ouvrir l’histoire de l’architecture à l’histoire de l’art: en humaniste, en savant reconnu dans le monde entier, il y a brillamment réussi.
Encyclopédie Universelle. 2012.