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HOLBERG (L.)
HOLBERG (L.)

«Je reconnais que je dois tout à la littérature française» (Fateor me libris Gallicis monia debere ), écrivait, avec une aimable exagération, le Danois Ludvig Holberg. Il est certain pourtant que celui qui devait donner un caractère nouveau à la littérature du Danemark et de la Norvège rivalisa avec des modèles français, dans divers genres, et qu’il suivit avec intérêt et sens critique le développement de la philosophie et du théâtre en France.

Son registre créateur est d’ailleurs étendu. L’Introduction au droit naturel et au droit des gens témoigne d’une conception qui sert autant d’introduction aux idées du XVIIIe siècle dans le Nord qu’à sa propre pensée. Philosophe dans le sens plénier où l’entendait son époque, il jugeait celle-ci d’un œil critique et souhaitait améliorer l’état de la société par ses écrits et par ses actes. Ce qui ne l’empêchait pas, au théâtre, de donner dans le comique.

Professeur de littérature latine, puis d’histoire, il était doué à la fois pour la vulgarisation et la création, mais sa valeur personnelle ne lui voilait pas celle d’autrui comme le prouve son œuvre dernière consacrée à L’Esprit des lois de Montesquieu.

Les débuts scientifiques

De 1380 à 1814, les deux royaumes de Danemark et de Norvège étaient réunis sous l’autorité du roi danois. Holberg, qui naquit à Bergen en Norvège mais fit ses études et exerça sa profession au Danemark, est le plus grand nom littéraire de la double monarchie. Licencié en théologie de l’université de Copenhague en 1704, il éprouva bientôt le besoin de se rendre à l’étranger et il séjourna en Hollande (1704-1705) et en Angleterre (1706-1708). C’est à Oxford que s’éveilla sa vocation d’écrivain; il voulut, comme l’Allemand Samuel Pufendorf, composer un manuel à l’intention du nouveau public bourgeois, une Introduction à l’histoire des principaux pays européens, poursuivie jusqu’à nos jours . L’ouvrage parut en 1711. Ce jeune et dynamique savant fut remarqué à Copenhague et obtint une bourse de voyage qui lui permit de résider, de 1714 à 1716, à Paris et à Rome. De ces voyages, il laissa de vivantes impressions dans les mémoires qu’il écrivit, en latin, sous forme de lettres à un noble personnage (imaginaire), Epistolae ad virum perillustrem (1728, 1737 et 1743). Dans le dernier volume, il brosse un portrait de la nation française et de ses relations avec elle.

Après une traversée de l’Italie, Holberg achève à Paris un nouveau manuel qui parut après son retour au pays: Introduction au droit naturel et au droit des gens (1716). Le système du droit naturel, créé par le Hollandais Grotius (1583-1645) et diffusé par les Allemands Pufendorf et Thomasius, servit à Holberg d’introduction à une philosophie moderne rationaliste; il lui fournit l’intelligence globale des rapports entre la raison et les passions, entre l’individu et la société, entre les lois que dicte la nature et la législation des différents États.

La veine comique

En 1717, Holberg obtint une chaire de propédeutique en philosophie à l’université de Copenhague, mais il opta en 1720 pour une chaire de littérature latine. Il venait alors tout juste de faire ses débuts comme poète avec une parodie de Virgile. Une rivalité avec un historien danois, Andreas Hojer, l’avait incité à la satire dans le goût de Juvénal et de Boileau; il se mit à écrire des alexandrins mordants. Puis, au vu d’une estampe illustrant Le Lutrin de Boileau (les clercs de la Sainte-Chapelle qui se jettent des livres à la tête), il eut l’idée de parodier les soutenances de thèses à l’université de Copenhague, mais il inséra l’épisode brillant qu’il conçut dans un plan plus vaste, la traversée du Cattégat par un marchand danois, lequel est une caricature du plus Aeneas faisant voile depuis Troie pour fonder Rome. Dans ce long poème qui porte le nom du marchand, Peder Paars (1719-1720), Holberg faisait preuve d’un vrai talent de création et de présentation de situations comiques.

À Copenhague, le 23 septembre 1722, un nouveau théâtre avait débuté avec L’Avare de Molière; le 25 septembre, pour la deuxième représentation, on joua une comédie danoise originale, Le Fondeur d’étain politique de Holberg. Celui-ci, en effet, avait été encouragé à écrire des comédies par des personnages influents qui connaissaient Peder Paars . Et, de 1722 à la fermeture du théâtre, en 1728, il écrivit vingt-cinq comédies qu’il publia sous le titre Le Théâtre danois . Ce dernier titre rappelle Le Théâtre italien qui avait inspiré Holberg autant que Plaute et Molière. Le théâtre de Holberg allie la couleur locale, un fumet de Copenhague et de la province danoise, à une puissante imagination comique, un souffle de farce effrenée. Le fondement de ses comédies est la farce sublime. Copenhague vit et respire dans La Ruelle de l’accouchée , Mascarade , Le Voyage à la source , Jacob von Tyboe , La Versatile , L’Affairé sans affaires , Le Paysan laissé en gage . Avec Jean de France , Holberg créa un type gallomane copenhagois: la pièce fut adaptée notamment en Allemagne et en Russie. On retrouve la petite ville de province dans La Veillée de Noël , Sorcellerie ou Fausse Alerte , le village de campagne dans Jeppe du Mont et Erasmus Montanus . Dans Henrik et Pernille , Holberg anticipe sur le thème de Marivaux dans Le Jeu de l’amour et du hasard . Il y a une grande veine comique dans Ulysse d’Ithaque où Holberg parodie les héros d’Homère.

Ces comédies sont écrites dans un état d’intense ferveur poétique. En 1725-1726, Holberg se rendit en France dans l’intention d’en faire représenter quelques-unes; il échoua, mais il put écrire Les Invisibles , c’est-à-dire les masqués, sur des impressions de théâtre rapportées de Paris.

Histoire et «philosophie»

En 1730, Holberg abandonna sa chaire de professeur de littérature pour une chaire d’histoire. Il avait, en 1729, publié une Description du Danemark et de la Norvège ; parurent ensuite: Histoire du royaume de Danemark (3 volumes, 1732-1735), Histoire de l’Église (1738), Histoire des Juifs (1742). Comme Voltaire, mais avant lui, Holberg mit au point une façon d’écrire l’histoire où la culture, les institutions, la paix ne se tiennent pas dans l’ombre des guerres.

Comme Voltaire encore, Holberg s’entendait aux questions d’argent. Il acheta peu à peu deux domaines, et du fait qu’il était resté sans héritiers – il ne s’était pas marié – il céda de son vivant ses biens à Sorø, un nouvel établissement d’enseignement supérieur pour les disciplines modernes, les sciences politiques, l’économie, l’histoire contemporaine.

Comme Montesquieu et Voltaire, il combattit l’intolérance religieuse, particulièrement dans son roman, Le Voyage souterrain de Niels Klim (1741), écrit en latin pour que sa diffusion, en Europe soit assurée; le livre fut rapidement traduit en allemand, hollandais, français, anglais et, à la fin du XVIIIe siècle, en russe et en hongrois. Dans des essais, Pensées morales (1744, tranduction française 1748) et Épîtres (1748-1754), Holberg discute toutes les questions de l’époque, sans négliger la critique des notions religieuses qui avait été suscitée par le Dictionnaire de Pierre Bayle. Quand le théâtre danois rouvrit, en 1747, Holberg écrivit quelques comédies philosophiques pour la nouvelle scène, comme Plutus ou le Procès entre Pauvreté et Richesse . Mais ses efforts pour prendre part au dialogue européen sont plus intéressants, et son interlocuteur principal fut Montesquieu. Contre les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734), Holberg écrivit directement en français Conjectures sur les causes de la grandeur des Romains (1752). Il y fait valoir que la cause première de l’extraordinaire ascension de Rome fut de caractère spirituel: une indomptable ardeur, un esprit d’enthousiasme. Comme toute l’Europe, il admirait L’Esprit des lois ; il en rend compte minutieusement dans ses épîtres danoises. Mais il se trouve obligé de défendre l’absolutisme qui, au Danemark, était nouveau et utile. En tant qu’historien érudit, il est en mesure de présenter des objections importantes aux exemples historiques de Montesquieu, dans un petit écrit en français, Remarques sur quelques positions qui se trouvent dans l’Esprit des lois . Cet ouvrage parut le 1er octobre 1753, quatre mois avant la mort de Holberg et seize mois avant celle de Montesquieu.

Encyclopédie Universelle. 2012.