IFÉ
Ifé est une ville du Nigeria, située à environ deux cents kilomètres au nord-est de Lagos, et à la même distance, au nord-ouest, de la cité de Bénin ; des découvertes archéologiques ont mis en lumière le passé culturel étonnant de cette cité. Pour les Yorouba, Ifé était à la fois le centre du monde, où la première terre s’était formée sur les eaux, et la capitale religieuse où siégeait l’oni , roi divin qui n’apparaissait en public que deux fois l’an, la face voilée de perles.
En 1910, l’ethnologue allemand Leo Frobenius découvrait à Ifé sept têtes en terre cuite d’un style inconnu jusqu’alors en Afrique noire. La perfection et le réalisme idéalisé de ces œuvres lui rappelèrent l’art classique de la Grèce antique et lui parurent confirmer l’hypothèse faisant du Bénin la région où brilla la civilisation de l’Atlantide, royaume de Poséidon coupé de la Méditerranée par un cataclysme géologique.
Les «bronzes»
En 1938, treize têtes en métal, du même style que les sept têtes en terre cuite, sont exhumées dans le voisinage du palais de l’oni. Cette fois, les historiens d’art sont alertés. L’idée de l’origine méditerranéenne de l’ancien Ifé, lancée par Frobenius, est reprise par ceux qui ne peuvent admettre que le continent noir ait pu produire des œuvres d’un style «classique» si différent des genres de représentation humaine caractéristiques des arts de l’Afrique noire. Ces effigies sont rassemblées au musée d’Ifé, spécialement construit pour les abriter.
Depuis lors, les découvertes n’ont pas cessé. Ce sont presque toujours des têtes, grandeur nature ou légèrement plus petites. La matière est un alliage de cuivre et de zinc, donc du laiton plutôt que du bronze. Elles sont coulées à cire perdue avec une habileté technique remarquable (le métal n’a que quelques millimètres d’épaisseur). La source des métaux n’est pas connue. Les têtes plus petites que nature portent une couronne coulée avec l’ensemble, tandis que les plus grandes ont, à la place de la couronne, des perforations probablement destinées à fixer une couronne faite séparément. Des perforations autour de la bouche sont également fréquentes: on y attachait sans doute des perles destinées à la cacher. Ces caractéristiques incitent à penser qu’il s’agit là de têtes d’oni. Suivant Frank Willett elles ont pu être fixées à des corps en bois, sculptés pour la cérémonie des secondes funérailles. À Owo, à une cinquantaine de kilomètres d’Ifé, une reine mère défunte a été honorée, en 1944, d’une telle cérémonie; mais là, la tête était en bois sculpté, et le corps grossièrement taillé était recouvert de vêtements. La représentation réaliste a donc une fonction rituelle dans la région.
Les stries faciales qui marquent certaines statues sont probablement des scarifications tribales. On en retrouve de semblables aujourd’hui encore chez les Tera, dans le Nigeria du Nord-Est. Une seule de ces pièces de «bronze» est un masque. Il évoque un roi mythique: Obalufon II. Selon les traditions yorouba, il aurait été le troisième oni d’Ifé, successeur d’Oduduwa, créateur du monde. Obalufon II est considéré comme l’introducteur à Ifé de l’art de la fonte des métaux.
En 1957, deux statuettes d’un type nouveau étaient découvertes: l’une représente un oni debout, et l’autre, très semblable à la première, un roi et une reine. Les têtes, à les voir séparément, sont réalistes; mises en relation avec le corps, elles ne le sont plus, car elles représentent un quart de la hauteur totale, proportion fréquente dans la statuaire africaine.
À Tada, village nupe sur le Niger, une grande figure assise en «bronze», plus parfaite encore que les œuvres mentionnées jusqu’à présent, sert toujours au culte. D’après ses habitants actuels, c’est l’effigie du fondateur de Tada qui aurait vécu au XVIe siècle.
Les terres cuites
Les sculptures en terre cuite, beaucoup plus nombreuses que les figures en métal, représentent des êtres humains et des animaux, presque grandeur nature. Il n’en subsiste que des fragments, dont la tête d’un certain Lajuwa qui, selon les traditions, usurpa le pouvoir royal. La pâte est semblable à celle de la poterie domestique, mélangée de quartz et de mica. Les pièces sont montées au colombin et les détails sculptés sur l’argile encore souple; dans les grandes sculptures, une armature de fer supporte la terre cuite. L’assemblage avant la cuisson et le contrôle du feu en plein air devaient réclamer une extrême habileté de la part des artisans.
Des pavements en céramique ont été mis au jour. Ils sont semblables à d’autres découverts au Bénin, au Togo et même au Tchad. Ce qui peut être un indice du rayonnement culturel de l’ancien Ifé.
Outre les métaux et l’argile, les artisans d’Ifé travaillaient la pierre et fabriquaient des perles de verre (de nombreux creusets ont été retrouvés). Dans la pierre furent taillés des statues, des colonnes (une colonne de quatre mètres est encore debout à Ifé et il en existe, de même dimension, brisées), des tabourets fort curieux en forme de bobine et pourvus d’une énorme poignée en surplomb.
Origine africaine de l’art Ifé
Le réalisme idéalisé de la représentation humaine dont on a cherché l’origine en Grèce, à Carthage, en Inde, au Portugal trouve son explication la plus probable dans la nécessité de glorifier les rois locaux. Il n’existait pas, à Ifé, d’esthétique comparable à celle de la Renaissance en Europe où la représentation artistique se fondait sur les récents progrès de la connaissance anatomique; on ne cherchait manifestement pas à reproduire les proportions corporelles. La sérénité harmonieuse des visages ne visait sans doute qu’à matérialiser la croyance à l’éternelle jeunesse de l’oni et de ses proches. D’ailleurs certaines têtes d’Ifé sont d’un style différent, fort proche des figurations «conceptuelles» d’Afrique noire.
Le moulage à cire perdue était une technique connue dans l’Égypte antique et dans le royaume couchitique de Méroé. Il se peut qu’elle soit parvenue de là à l’ancien Ifé; il se peut aussi qu’elle y ait été indépendamment inventée. Le modelage se pratiquait au Nigeria dès le premier millénaire avant notre ère comme le prouve la découverte, en 1943, près du centre minier de Jos, de la civilisation de Nok. Une vingtaine de sites, datés du Xe au IIIe siècle avant J.-C., ont livré des sculptures en céramique dont le réalisme annonce celui d’Ifé. En outre, certains détails des corps nok sont identiques à ceux d’Ifé. Enfin, le travail du fer était connu à Nok dès la fin du IIIe siècle avant J.-C.: armes de fer et pierres taillées y étaient conjointement utilisées.
Les «bronzes» d’Ifé datent vraisemblablement du début du second millénaire de notre ère. Des terres cuites mises au jour en 1963 ont pu être datées à partir du charbon de bois auquel elles étaient associées. La date obtenue est 1060 avec une approximation de cent ans dans les deux sens. Cet art est donc nettement antérieur à l’arrivée des Portugais dans le royaume du Bénin.
La dynastie du Bénin a été fondée, au XIIIe siècle sans doute, par un prince d’Ifé. Trois siècles plus tard, la prospérité de ce royaume, conséquence du commerce des esclaves avec les Portugais, éclipsa le rayonnement d’Ifé.
Ife
v. de l'ouest du Nigeria (état d'Oyo); 215 000 hab. Ville anc., peut-être fondée au XIe s. et dont les activités relig. remontent au XIIIe s.
— Gisements d'or.
— Une riche série de portraits en pierre, en terre cuite ou en bronze constitue, pour l'essentiel, l'art de la culture d'Ife (XIIIe-XIV<sup>e</sup> s.), qui est celle du peuple yorouba. Le rayonnement d'Ife (notamment la technique et l'art du bronze) dépassa les limites du territoire yorouba.
Encyclopédie Universelle. 2012.