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LECTINES
LECTINES

Les lectines sont des protéines ou des glycoprotéines capables d’interagir spécifiquement avec des saccharides pour former des liaisons non covalentes et de provoquer l’agglutination des cellules animales. Ces substances ont été successivement baptisées agglutinines, hémagglutinines, phytohémagglutinines et finalement lectines, du verbe latin legere = choisir, lorsqu’il fut découvert qu’elles avaient la capacité de distinguer les divers groupes sanguins humains. Pour un certain nombre d’auteurs, la notion de lectine n’est plus basée sur le pouvoir agglutinant, mais seulement sur la reconnaissance spécifique par la protéine d’un motif saccharidique porté par la membrane d’une cellule (sanguine ou non). La liaison entre une lectine et son polysaccharide spécifique est comparable à une réaction anticorps-antigène [cf. RÉCEPTEURS MEMBRANAIRES].

La première agglutinine connue, la ricine , fut extraite en 1888 par Stillmark des graines de ricin (Ricinus communis , Euphorbiacée). Peu après fut isolée l’abrine des graines d’Abrus precatorius (Papilionacée). Il a été ensuite montré que les substances isolées étaient en fait un mélange de deux lectines, l’une agglutinante et peu toxique, l’autre non agglutinante et très toxique. C’est à cette dernière qu’est réservé maintenant le nom de ricine. La première agglutinine à être purifiée fut la concanavaline A (con A) tirée des graines du pois sabre (Canavalia ensiformis , Papilionacée).

1. Distribution et localisation

Les lectines se rencontrent communément dans les graines surtout de Légumineuses où elles peuvent représenter une part importante de leurs protéines (par exemple 30 p. 100 des protéines totales chez Canavalia ensiformis ), ce qui fait penser qu’elles peuvent avoir un rôle de réserve. Elles se forment au cours de la maturation de la graine (vingt-sept jours après l’anthèse chez Dolichos biflorus ) pour atteindre leur maximum dans la graine mûre. Elles disparaissent progressivement au cours de la germination en même temps que sont mobilisées les réserves.

Des lectines ont été détectées dans des tubercules et bulbes (tissus de réserves) mais aussi dans des tiges, feuilles et racines, alors en faibles quantités, et dans des organes jeunes, où leur présence est généralement limitée aux premiers stades du développement de la plantule. Elles ont été trouvées dans les laticifères d’Euphorbiacées, dans le phloème de plusieurs espèces; elles pourraient avoir un rôle dans le transport de la sève tout en la protégeant des invasions de bactéries et de champignons parasites.

En dehors des plantes supérieures, des lectines existent chez des champignons, des lichens, des bactéries, des animaux inférieurs (escargot, par exemple), et même chez des vertébrés (anguille, poulet, rat). Une si large répartition ne peut être fortuite et laisse présager qu’elles ont des rôles importants dans la physiologie des organismes.

Les phytohémagglutinines sont localisées aussi bien dans le cytoplasme que dans les structures membranaires de la cellule: réticulum endoplasmique, appareil de Golgi, plasmalemme et surface des corps protéiques; elles sont présentes aussi dans la matrice de corps protéiques et également dans les parois cellulaires; elles interviendraient dans les processus d’extension de celles-ci. La visualisation des lectines est possible à l’aide d’anticorps dirigés contre les lectines préalablement isolées et injectées à des lapins; ces anticorps sont rendus visibles en microscopie, par couplage avec la fluorescéine ou avec un marqueur comme la ferritine ou les isotopes.

2. Structure et propriétés

Elles sont composées d’une ou plusieurs sous-unités associées par des forces non covalentes en une molécule polymère.

La mieux connue, la con A, est un tétramère dans lequel des ions métalliques interviennent dans l’assemblage des sous-unités et dans la configuration du site de liaison, configuration d’une grande importance pour son activité (cf. fig. 1).

La phytohémagglutinine de Phaseolus vulgaris (PHA) est formée de la combinaison d’une sous-unité E érythroagglutinante et d’une sous-unité L leucoagglutinante. La première est synthétisée au début de la maturation de la graine, la seconde l’est en fin de maturation. Cinq isolectines existent: E4, E3L, E2L2, EL3, L4 (fig. 2 et 3). Elles sont agglutinantes ou mitogènes selon que E ou L prédomine.

Les lectines ont été classées selon leurs propriétés en agglutinantes, mitogéniques, toxiques, à rôle d’enzymes (chez Vigna radiata , une lectine purifiée possède une activité 見-galactosidase) et en 廓-lectines. Ces dernières, formées d’une simple chaîne polypeptidique, semblent très répandues dans le règne végétal.

Les propriétés des lectines sont les suivantes:

1. Liaison avec les sucres (fig. 4). Elle est spécifique et propre à chaque lectine de sorte que la connaissance du sucre spécifique conditionne la mise en évidence de l’activité lectine. La détermination du sucre spécifique est déduite à partir de l’interférence avec la liaison de dérivés sucres appelés «haptènes» par analogie avec le terme immunologique. Cette spécificité fut d’abord étudiée sur les érythrocytes, et l’on a trouvé des lectines spécifiques des groupes sanguins, A, B, O, H, M et N.

2. Agglutination des cellules. C’est la manifestation la plus visible de l’interaction des lectines avec les cellules. Pour qu’elle se produise, les lectines doivent posséder au moins deux sites de reconnaissance et de liaison avec les saccharides de surface des cellules animales ou autres (bactéries, virus, mycoplasmes, champignons...), les lectines monovalentes à un seul site de reconnaissance ne provoquent pas l’agglutination.

L’intérêt a été stimulé quand on s’est aperçu que les lectines agglutinent plus facilement les cellules malignes que les mêmes cellules normales. Des différences préférentielles ont été remarquées également entre cellules embryonnaires et cellules adultes, entre cellules en mitose et cellules en interphase.

3. Stimulation lymphocytique. Une des propriétés les plus étonnantes des lectines réside dans leur pouvoir de transformer les petits lymphocytes du sang en cellules blastiques (lymphoblastes munis d’un noyau volumineux entrant rapidement en mitose). Cette transformation lymphoblastique résulte du pouvoir mitogène des lectines mais, en général, il ne s’exerce que sur les lymphocytes T (fabriqués par le thymus).

4. Stimulation de cellules végétales. L’action mitogène a été constatée dans d’autres conditions; par exemple, dans le contrôle des divisions cellulaires au début de la germination (exaltation de la croissance des racines d’oignon sous l’action de la PHA du haricot). La concanavaline A et les PHA stimulent également la germination in vitro des grains de pollen en réduisant la période de latence qui précède l’émergence du tube pollinique.

Les PHA auraient un rôle dans l’orientation des microtubules qui participent à la formation du fuseau mitotique.

5. Toxicité des lectines. Plusieurs lectines (con A, agglutinine du germe de blé, PHA du haricot, lectine du robinier...) sont toxiques pour les cellules animales. Leur toxicité est beaucoup plus faible que celle de la ricine, de l’abrine et de la modeccine isolée récemment des racines d’Adenia digitata (Passifloracée); ces trois lectines sont mortelles à faible dose. Leur toxine est généralement sélective et agit plus fortement sur les cellules tumorales. Des expériences sur l’utilisation thérapeutique de la ricine sur des cancéreux ont donné des résultats encourageants surtout depuis que l’on sait coupler la sous-unité toxique de la ricine avec des anticorps spécifiques de cellules tumorales.

Les lectines ont été rendues responsables de la toxicité de diverses graines servant dans l’alimentation (haricots, soja, fève...). Mais, par trempage et cuisson des graines, ces effets néfastes sont supprimés.

3. Utilisation

Les lectines constituent des outils de travail remarquables dans l’étude de plusieurs problèmes biologiques, et leurs utilisations se multiplient. C’est ainsi qu’elles sont fréquemment employées en immunologie, sérologie, cancérologie, biologie cellulaire, etc.

En hématologie, elles sont couramment utilisées pour caractériser les groupes sanguins, séparer les leucocytes et les érythrocytes, agglutiner les cellules sanguines afin de séparer le plasma, déceler et isoler les macromolécules contenant des résidus saccharidiques, et, parmi ces macromolécules, déterminer les antigènes des groupes sanguins.

En immunologie, par leur interaction avec les saccharides, elles servent de modèle pour les anticorps spécifiques des hydrates de carbone. Elles offrent l’avantage d’être disponibles purifiées en quantité notable. L’autre avantage tient à ce que les sites de liaison sont homogènes et non interactifs contrairement à ceux des anticorps immuns. Les lectines mitogènes sont employées pour déceler les allergies médicamenteuses, pour reconnaître les déficiences immunologiques congénitales ou acquises, pour détecter les sensibilisations dues aux maladies infectieuses, pour juger des effets de diverses manipulations immunosuppressives et immunothérapiques. Elles servent dans le diagnostic de maladies génétiques liées à des anomalies chromosomiques ainsi que dans celui d’états de polyagglutination qui accompagne certaines infections bactériennes et virales.

En biologie cellulaire, elles présentent un grand intérêt: étudier la nature et les structures des membranes possédant des résidus saccharidiques.

Dans la recherche sur le cancer, les phytohémagglutinines permettent de révéler les différences de propriétés des surfaces des cellules tumorales et normales grâce à la visualisation des changements de distribution des sites récepteurs. Dans la thérapeutique du cancer, en couplant, par exemple, avec la lectine du ricin (plus précisément sa sous-unité toxique) des anticorps dirigés contre les antigènes de surface des cellules cancéreuses, on dispose d’une arme hautement et spécifiquement toxique envers les cellules tumorales.

Dans un domaine tout différent, les lectines sont utilisées dans la lutte contre les nématodes du sol, vers parasites qui commettent d’importants dégâts dans les cultures. Des champignons carnivores produisent des organes de capture qui piègent spécifiquement les anguillules. La spécificité est chimique et relève de lectines qui sont identifiées par les sucres qu’exsudent les nématodes.

4. Rôles dans les plantes

Des ambiguïtés planent quant aux rôles des lectines dans les végétaux qui les élaborent. Les fonctions proposées sont nombreuses et controversées mais rattachées à leur aptitude à se lier spécifiquement à des sucres. Il est difficile d’imaginer que ce caractère soit fortuit. Outre un rôle possible de réserve, elles pourraient intervenir dans les fonctions suivantes:

– contrôle des divisions cellulaires au début de la germination;

– défense contre les bactéries et champignons pathogènes; par exemple, les lectines des embryons de blé empêcheraient la synthèse de la chitine des hyphes de Fusarium solani ainsi que leur croissance; cependant, sur l’ensemble du problème, des preuves définitives manquent;

– protection contre les insectes prédateurs des semences; l’addition de PHA limiterait la pullulation des bruches en tuant leurs larves; mais les opinions émises à ce sujet sont contradictoires;

– établissement des relations hôte-symbiote, en particulier dans la symbiose Légumineuses-Bactéries fixatrices de l’azote atmosphérique; chaque espèce de plante possède une affinité précise pour une espèce définie de Rhizobium ; de nombreux résultats militent en faveur de ce rôle, mais les conclusions des auteurs sont néanmoins divergentes;

– identification des pollens par les stigmates récepteurs; des indices divers laissent présumer que les interactions lectine-récepteur saccharidique interviennent dans le langage de reconnaissance pollen-stigmate, notamment dans le rejet des auto-pollens; cependant, aucun mécanisme précis de l’intervention des lectines n’a encore été établi.

Encyclopédie Universelle. 2012.