PEULS
Disséminés à travers toute l’Afrique occidentale sahélo-soudanienne, les Peuls ont depuis longtemps attiré l’attention des voyageurs européens par leur aspect physique, souvent décrit de façon inexacte, leur culture pastorale et le rôle qu’ils ont joué au cours des deux derniers siècles dans l’histoire de l’Ouest africain. Il n’en fallait pas plus pour que naissent les hypothèses les plus extraordinaires sur leurs origines et que soient publiés sur les «coutumes» de ces mystérieux «hommes rouges» les récits les plus fantaisistes. Des travaux scientifiques appuyés sur une documentation plus rigoureuse ont maintenant remis bien des choses au point, sans diminuer pour autant l’intérêt réel que présente ce groupe humain.
Dénomination et répartition
Ayant emprunté (et déformé) le nom que leur donnent les Wolofs, les Français dénomment Peuls – jadis orthographié Peulhs – ceux qui s’appellent eux-mêmes Fulbe (singulier: Pullo), que les Anglo-Saxons, après les Haoussas, nomment Fulanis et à propos desquels les auteurs allemands parlent de Fulas et de Ful. À cela s’ajoutent les multiples appellations qu’en donnent les diverses communautés linguistiques africaines avec lesquelles ils se trouvent en contact. Celles-ci sont d’autant plus nombreuses que les Peuls se caractérisent par le fait qu’à de rares exceptions près ils partagent toujours leurs zones de peuplement avec d’autres ethnies, selon des modalités variables de cohabitation. Présents dans tous les États de l’Afrique de l’Ouest ainsi qu’au Tchad, en République centrafricaine et au Soudan, ils n’en constituent jamais le peuplement majoritaire, bien que le nord du Nigeria, la Guinée, le Sénégal, le nord du Cameroun et le Niger en comptent d’importantes communautés. Sur la carte, la répartition des Peuls apparaît axée sur une longue bande longitudinale ne dépassant pas, en général, le 16e degré de latitude nord d’une part et le 8e d’autre part, mais s’étendant d’ouest en est sur plusieurs milliers de kilomètres, au long desquels s’échelonnent en îlots d’importance très variable quelque six millions de Peuls au début des années 1980. Cette distribution rend compte du fait que les Peuls sont fondamentalement des éleveurs de zébus (Bos indicus ). Sensibles aux atteintes de la trypanosomose bovine, donc ne pouvant, d’une part, vivre en zone forestière ou à ses abords, ces animaux, d’autre part, ont besoin d’un abreuvement régulier et relativement abondant qui leur interdit de séjourner trop loin de points d’eau suffisants. Ces deux impératifs confinent donc ce bétail et ses possesseurs entre les régions désertiques du Nord et celles trop boisées du Sud.
Détermination ethnique
Si l’extension géographique des Peuls est conditionnée par les exigences de leurs troupeaux, on peut dire que ceux-ci constituent aussi un des éléments essentiels dans leur définition en tant que groupe humain. Il ne paraît en effet pas possible de dégager cette définition à partir de critères relevant de l’anthropologie physique. Certes, les Peuls se distinguent fréquemment de leur contexte humain par des traits somatiques particuliers, peut-être imputables à une influence génétique sémite. Mais le teint clair, les cheveux ondés, le front haut, les extrémités et les attaches fines, qui frappent les étrangers et constituent aux yeux mêmes des intéressés le canon de la beauté, sont souvent absents ou bien peu présents chez nombre d’entre eux. Au contraire, la variété des types physiques observables suggère une gamme complexe de métissages anciens et récents différenciant, non seulement les individus à l’intérieur d’une même communauté, mais aussi l’ensemble de celle-ci des autres. Impression confirmée par des recherches récentes, qui ont montré que les ressemblances génétiques mutuelles entre trois populations peules étaient moins grandes que celles qui unissent chacune d’elles à des groupes non peuls, voisins ou géographiquement éloignés.
En revanche, se retrouvent chez tous les Peuls des liens étroits entre la vie des hommes et celle du bétail, lesquels se manifestent à tous les niveaux du comportement et des activités sociales. De ce fait, un groupement accidentellement privé de son cheptel bovin et qui ne peut le reconstituer rapidement se fond très vite dans les populations non peules qui l’entourent, en perdant ses caractères déterminants. Un des plus notables de ceux-ci consiste en la reconnaissance d’un ensemble de valeurs considérées comme fondamentales et formant le pulaaku : discernement (hakkiilo ), résignation (munyal ), réserve (semteende ), qui dictent en toute circonstance l’attitude du Peul. Leur non-observance, toujours sanctionnée par l’opinion publique, voire par un «juge» choisi par tous, peut entraîner chez les nomades l’exclusion du groupe, véritable mort civile. Fréquemment enfin, les communautés peules contraintes de renoncer à l’élevage abandonnent aussi l’usage de leur langue pour adopter celle du milieu où elles viennent se fondre. Sous cet aspect et compte tenu du souci du bien-dire et de l’intérêt que les Peuls portent à leur langue, on peut avancer que celle-ci constitue aussi un trait déterminant, et cela bien que les événements historiques en aient amené la diffusion en dehors des Peuls eux-mêmes et que, passée en certaines régions au stade de langue véhiculaire, elle ne soit plus leur seul apanage.
Origine et histoire
L’origine du noyau humain autour duquel s’est formée l’«ethnie» peule est vraisemblablement à chercher chez les «pasteurs à bovidés» du Sahara préhistorique, dont l’aspect et le genre de vie, tels qu’ils apparaissent dans les peintures rupestres du Tassili, évoquent étonnamment ceux des Peuls nomades d’aujourd’hui. Une longue période sépare les premières mentions des Peuls dans l’histoire de ces «proto-Peuls» (qui ont pu aussi être à l’origine de certains pasteurs de l’Est africain), puisque ces fresques remonteraient aux VIe-IIe millénaires avant notre ère et que les Peuls apparaissent aux XIVe-XVe siècles dans les Chroniques de Kano et dans Makrizi. Malgré l’absence de documents, il semble que leur «ethnie» se soit constituée au cours du haut Moyen Âge, dans la vallée du Sénégal et les régions adjacentes de l’Est et du Nord-Est, par apports berbères et surtout noirs à cette souche originelle. C’est en tout cas de ces derniers que provient, dans ses structures essentielles, la langue peule, qui appartient incontestablement au même ensemble que le wolof et le serer-sin, actuellement parlés dans la République du Sénégal.
À partir du XVe siècle, les sources, plus nombreuses, indiquent une extension des Peuls vers le sud et surtout vers l’est, dans des conditions au reste mal connues mais certainement liées à la fois aux vicissitudes politiques internes et externes et à la quête de pâturages. Dès le XVIIe siècle, ces migrations amenèrent les Peuls à occuper une bonne partie de leur habitat actuel, mais sans y exercer en général la prééminence politique. Les deux siècles suivants au contraire virent se constituer à leur profit plusieurs États importants, en Guinée (XVIIIe s.), au Mali et surtout au Nigeria-Cameroun (XIXe s.); États qui, vaincus et soumis par la conquête européenne, n’en devaient pas moins subsister à des degrés divers pendant la période coloniale et parfois au-delà.
L’islam, qui était présent dans certaines communautés peules dès le XIVe siècle au moins, constitua le moteur de ces transferts de forces entre les Peuls et leurs voisins, transferts qui résultèrent de «guerres saintes» menées à l’appel de personnages religieux, Karamoko Alfa en Guinée, Ousmân Foduye (Osman dan Fodio) au Nigeria, Sêkou Ahmadou et El Hadj Omar au Mali, contre les suzerains musulmans déclarés «infidèles» ou des chefs et des populations non peuls (voire parfois peuls) demeurés animistes. Il en résulta à la fois une extension de l’islam et de nouveaux établissements peuls, notamment en Guinée, dans la partie moyenne du Nigeria et au Cameroun. Parallèlement, l’accession au contrôle de terres considérables et à la domination sur un grand nombre de non-Peuls assujettis ou capturés lors de razzias accéléra le métissage et la sédentarisation des vainqueurs qui, sans cesser d’être éleveurs, abandonnèrent la vie nomade, pratiquée aujourd’hui par une minorité, et se livrèrent aussi, par l’intermédiaire de leurs captifs, aux activités agricoles.
Structures sociales
Les structures sociales offrent des variantes à travers les diverses communautés. Toutes, néanmoins, se caractérisent par la patrilinéarité. L’endogamie, essentielle chez les nomades pour conserver le plus de bétail, donc de force et de prestige possibles, subit chez les sédentaires des entorses institutionnalisées apportées par l’islam ou la nécessité de s’adapter aux cultures voisines. Il est enfin à noter que le système des quatre «clans» fondamentaux, très vivant chez les Peuls de l’Ouest, ne joue qu’un rôle restreint chez leurs congénères orientaux et semble constituer un cas typique d’acculturation.
Institutions politiques
Foncièrement individualistes et toujours prêts à fuir devant toute contrainte, les Peuls n’ont longtemps connu en fait d’autorité politique que celle qu’exerçait de façon très lâche le chef d’un fragment de lignage sur les siens et sur quelques familles isolées. L’islam amena ensuite, notamment au Sénégal et en Guinée, la constitution d’États, dans lesquels le pouvoir était constamment disputé entre plusieurs familles de lettrés guerriers. Les théocraties autoritaires de Sêkou Ahmadou et d’El Hadj firent preuve d’une cohésion et d’une efficacité plus grandes, mais ce furent les États nés de la «guerre sainte» d’Ousmân Foduye qui, en héritant des structures très élaborées des royaumes haoussas, purent disposer de l’organisation la plus complexe et la plus stable.
Vie religieuse et intellectuelle
À l’exception des groupes demeurés nomades, qui se donnent d’ailleurs aujourd’hui tous comme musulmans, l’islam a profondément marqué les Peuls, même si, dans les faits, leur religion admet parfois des pratiques d’une orthodoxie discutable, phénomène qui se retrouve au demeurant dans les autres communautés musulmanes du monde. Malgré la concurrence de l’enseignement de type européen, l’enseignement coranique traditionnel est encore largement suivi par les enfants et les adolescents, ainsi que par une proportion plus faible de filles. Si les connaissances de bien des maîtres sont modestes, certains lettrés possèdent cependant une culture islamique étendue, qui les fait tenir en grande estime.
La nécessité ressentie lors des «guerres saintes» d’exalter la foi et de dénoncer les hérésies et les reniements engendra une abondante littérature religieuse en peul, écrite à l’aide de caractères arabes. Des pièces poétiques d’inspiration plus libre naquirent de ce courant. Œuvres de lettrés, littérature religieuse et profane savante subsistent à côté d’une abondante littérature orale comportant en particulier des cycles épiques d’une grande richesse, que conservent et développent au gré de leur talent des bardes professionnels.
Culture matérielle
À l’exception des techniques relatives à l’élevage, largement développées chez eux (citons comme exemple un procédé indigène de vaccination contre la peste bovine), la culture matérielle des Peuls est essentiellement constituée d’emprunts aux populations parmi lesquelles ils vivent ou ont vécu. Chez les Peuls sédentaires, l’exercice de ces techniques est en outre fréquemment le fait d’artisans non peuls ou formant, à l’intérieur de la communauté peule, des sous-groupes endogames. Ainsi au Sénégal, cinq «castes» réputées d’origine étrangère se partagent les divers métiers du fer, du bois, du cuir, du tissage et de la poterie. Quant aux nomades, ils vivent en fait en symbiose avec les sédentaires non peuls ou les nomades maures ou touaregs, dont ils dépendent entièrement pour la plupart des vêtements ou des instruments qui leur sont nécessaires. C’est-à-dire que, même dans les communautés peules sédentaires, les influences étrangères se manifestent largement: l’habitat des Peuls ne leur est jamais propre; ils adoptent les procédés de construction et les usages de leurs voisins ou de leurs anciens sujets: Soussous en Guinée, Mboums, Gizgas, Battas ou Dourous au Cameroun, etc. Mais cette perméabilité aux influences extérieures, qui rappelle celle dont les Arabes ont fait preuve aux premiers siècles de l’islam, ne va pourtant pas sans une adaptation aux exigences et aux habitudes des Peuls et confère à leurs demeures, à leurs vêtures, voire à leurs objets usuels, un caractère particulier. Cela à l’image des Peuls eux-mêmes qui, à travers les errances et les fortunes de l’histoire, ont préservé jusqu’à présent leur forte originalité.
ensemble de populations de l'Afrique de l'O., depuis la Mauritanie et le Sénégal jusqu'au Tchad, au Soudan et en Centrafrique. On en dénombre env. 1 800 000 au Sénégal (Peuls Toucouleurs), près de 3 millions en Guinée, 1 200 000 au Mali, 900 000 au Burkina Faso, près de 900 000 au Niger, plus de 10 millions au Nigeria, 1 200 000 au Cameroun. Autres pays: Mauritanie, 100 000; Gambie, 185 000; Guinée-Bissau, 250 000; Sierra Leone, 170 000; Tchad, 30 000. Leur langue, aux nombreux dialectes, est une langue nigéro-congolaise du groupe ouest-atlantique; elle est utilisée comme langue véhiculaire dans le N. du Cameroun, au Niger et au Mali, comme langue nationale (poular) au Sénégal. Suivant les régions, la langue peule est nommée fulfuldé (ou foulfouldé), fulani (dans les régions anglophones), poular (ou pular, pulaar), etc. Descendants probables des pasteurs du Sahara préhistorique, les Peul apparurent dans la vallée du Sénégal au Xe s. et connurent une grande période d'extension entre le XVe et le XVIIe s. Ils se convertirent à l'islam au XVIIIe s. et fondèrent plusieurs royaumes théocratiques (V. Fouta-Djalon, Sokoto, Macina, ainsi que Toucouleurs). Auj., la sédentarisation des Peul s'accélère.
Encyclopédie Universelle. 2012.