PLACODERMES
Depuis le milieu du XIXe siècle, le terme de Placodermes a été utilisé pour désigner tout un ensemble, parfois mal défini, de poissons fossiles de l’ère primaire, dont le seul point commun était la présence d’une cuirasse osseuse recouvrant la partie antérieure du corps. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, des fouilles systématiquement entreprises, en particulier au nord de l’Écosse, dans les Vieux Grès rouges du Dévonien, ont mis en évidence un grand nombre de spécimens. Les études qui suivent ces découvertes permirent à Romer (1933) de proposer une première classification cohérente de la classe des Placodermes. Puis les travaux de Watson (1937), Obrucheva (1962), Westoll (1963) et surtout du paléontologiste suédois E. A. Stensiö (depuis 1925) ont continué l’inventaire de ce groupe relativement isolé.
Leurs plus anciens représentants sont connus dès le Silurien inférieur en Chine. C’est au Dévonien qu’ils se diversifient puis disparaissent, sauf les Pyctodontidés qui atteignent le Tournaisien, dans le Carbonifère inférieur.
L’aspect général du corps les rapprocherait des raies et requins. Pour cette raison parmi d’autres, Stensiö (1963) considère les Placodermes comme une sous-classe de la classe des Élasmobranchiomorphes [cf. CHONDRICHTHYENS].
Morphologie et anatomie
Le trait morphologique essentiel des Placodermes est l’existence d’une zone d’articulation entre le bouclier céphalique et le bouclier thoracique (fig. 1). Ce dernier se prolonge latéralement, constituant l’armure qui recouvre le membre pair antérieur (nageoire pectorale). Toute la partie postérieure du corps était nue ou écailleuse. Le membre pair postérieur (nageoire pelvienne) existait dans l’ordre des Arthrodires (par exemple Coccosteus ), mais était absent chez les Antiarches (Bothriolepis ).
La position phylétique et systématique des Acanthodiens [cf. ACANTHODIENS] reste encore incertaine. À titre comparatif, le tableau ci-dessus présente les deux classifications assez différentes de E. A. Stensiö (1963) et A. S. Romer (1966).
Comme presque tous les crânes de Vertébrés, celui des Placodermes se compose d’un endocrâne, interne, et d’un dermocrâne, externe, qui forme le bouclier céphalique. Ce dernier est constitué par une massive portion dorsale et une mandibule ventrale. Toute la cavité buccale est bordée de «dents» qui ne sont en réalité que des expansions osseuses. Les Placodermes, et en particulier les grands Arthrodires comme Dinichthys , devaient être de redoutables prédateurs. Leurs mâchoires s’ouvraient largement pour capturer les proies et l’ouverture était encore facilitée par l’existence de l’articulation cranio-thoracique. Celle-ci est composée d’une portion endosquelettique, commune à tous les Placodermes, permettant la rotation partielle du crâne sur la colonne vertébrale, et d’une portion exosquelettique faisant charnière entre le dermocrâne et le bouclier thoracique. Cette charnière n’existe que chez les Placodermes évolués et sa structure varie avec chaque ordre.
Pour le paléontologue anglais R. S. Miles (1966), ce développement du bouclier céphalique aurait, entre autres conséquences, réduit la région hyoïdienne, en particulier chez les Arthrodires.
L’examen approfondi de l’anatomie du membre antérieur des Arthrodires et des Antiarches a permis à Stensiö (1958) de formuler une théorie sur l’origine des nageoires paires (fig 2). Cette théorie s’insère fort bien parmi les conceptions actuelles de l’origine du membre ichthyen [cf. MEMBRES]. Cependant, il fait remarquer que les trois types de nageoire existent, dans des familles différentes, aussi bien au début qu’à la fin du Dévonien, et que, dans ces conditions, on ne peut se fonder sur l’âge géologique pour tirer des conclusions concernant l’origine des nageoires paires.
Phylogénie et affinités
La question des affinités des Placodermes a fait l’objet de plusieurs hypothèses, dont celle de Watson (1937), qui plaçait ces derniers, avec les Acanthodiens, dans les Aphétohyoïdiens, groupe prétendument caractérisé par une fente branchiale fonctionnelle entre les arcs mandibulaire et hyoïdien. Cette hypothèse, maintenant abandonnée, a été longtemps remplacée par celle de Stensiö (1969) selon laquelle les Placodermes, étroitement apparentés aux Chondrichthyens, pourraient même être les ancêtres de ces derniers. Stensiö allait jusqu’à supposer l’existence d’un polyphylétisme des Chondrichthyens à partir des Placodermes, les raies ayant pour ancêtres les Rhénanides (Dévonien) et les Holocéphales ayant pour ancêtres les Ptyctodontes (Dévonien). Cette idée est maintenant abandonnée et la monophylie des Chondrichthyens est bien démontrée. Toutefois, l’idée d’une étroite parenté entre Placodermes et Chondrichthyens persiste (Goujet, 1982), bien qu’elle ne soit justifiée que par le partage d’un seul caractère, unique à ces deux groupes: l’existence d’un «pédoncule oculaire» unissant le globe oculaire au neurocrâne. Une autre hypothèse (Schaeffer, 1975) suggère d’opposer aux Placodermes tous les autres Gnathostomes. Les Placodermes auraient alors divergé très tôt dans l’histoire de ce groupe et seraient, à certains égards, les plus primitifs de tous les Gnathostomes. Enfin, Forey (1980) pense au contraire que les Placodermes doivent être séparés des Chondrichthyens et rattachés aux Ostéichthyens, avec lesquels ils partagent plusieurs spécialisations comme un squelette dermique constitué de grandes plaques osseuses et un parasphénoïde dans le plafond buccal. Il est probable que cette hypothèse gagnera du crédit au cours des prochaines années. De toute façon, il est désormais clair que les Placodermes constituent un groupe monophylétique et qu’il n’existe aucune relation d’ancêtre à descendant entre ces derniers et un quelconque autre groupe de Gnathostomes.
Nos connaissances sur l’anatomie détaillée des Placodermes ont beaucoup progressé depuis 1970, grâce, d’une part, à l’étude des spécimens du Dévonien inférieur du Spitzberg (Goujet, 1984) et, d’autre part, à l’exploitation du superbe matériel du Dévonien supérieur d’Australie (gisement de Gogo).
Enfin, la découverte dans le Dévonien inférieur de Chine d’un groupe d’Antiarches très primitifs, les Yunnanolépiformes (Zhang, 1980), a permis de rattacher ce groupe de Placodermes très spécialisés à certains Palaeacanthaspides. Ces derniers constituent un groupe-souche de Placodermes primitifs d’où sont vraisemblablement issus tous les principaux autres groupes: Arthrodires, Antiarches, Phyllolépides, Ptyctodontes, Rhénanides et Pétalichthyides.
placodermes
n. m. pl. PALEONT Sous-classe de poissons fossiles à la tête recouverte de plaques osseuses.
— Sing. Un placoderme.
Encyclopédie Universelle. 2012.