PROBOSCIDIENS
C’est à leur appendice nasal, développé en trompe ou proboscis , que les Proboscidiens doivent leur nom. Avec une hauteur maximale au garrot de 3,90 m et un poids excédant rarement 6 tonnes, les éléphants sont bien les plus gros animaux terrestres actuels. Mais l’actuelle Baleine bleue (Balaenoptera musculus ) arrive à peser jusqu’à 135 tonnes et, parmi les animaux terrestres, les reptiles de l’ère secondaire, comme les Brontosaures, pouvaient atteindre six fois le poids d’un éléphant. La longévité a souvent été surestimée; en fait, elle ne dépasse sûrement pas 120 ans et elle est généralement de 80 à 85 ans pour les animaux élevés en captivité. Quoique les éléphants, africains ou asiatiques, aient été domestiqués depuis l’Antiquité, ils ont bien failli disparaître de la liste des espèces actuelles, et cela en raison d’un autre attribut singulier: leurs longues défenses, dont l’ivoire excita la convoitise des chasseurs. Cet ivoire, en effet, fut utilisé dès la préhistoire pour la confection de nombreux objets d’art. De nouvelles études sur la phylogénie des Mammifères ont démontré le bien-fondé de la classification de McKenna (1975): les Proboscidiens forment avec les Siréniens et les Desmostyliens (un ordre d’animaux éteints à la fin du Miocène) le groupe monophylétique des Tethytheria.
Les éléphants actuels
Anatomie
La peau des éléphants a une surface verruqueuse due à l’hypertrophie des papilles dermiques. Cette structure particulière du tégument a parfois été interprétée comme constituant un facteur d’amélioration de l’homéothermie par l’accroissement de la surface vascularisée qu’elle entraîne.
Les poils, relativement abondants chez le nouveau-né, sont très clairsemés chez l’adulte où ils ne sont rassemblés en une touffe qu’à l’extrémité de la queue. Cette réduction de la pilosité, variable avec l’espèce considérée, semble un phénomène récent: le mammouth (Elephas primigenius ), contemporain de l’homme préhistorique, était pourvu d’une épaisse toison.
Le tégument est aussi remarquable par sa pauvreté en glandes, non seulement sébacées et normalement annexées aux poils, mais aussi tubulaires du type sudoripare. La seule glande tubulaire connue est la glande temporale située entre l’œil et le méat auditif; sa sécrétion permanente fait douter du rôle qu’elle jouerait selon certains auteurs dans l’attraction intersexuelle. L’unique paire de mamelles, en position pectorale, sécrète un lait très riche en lipides, contenant cinq fois plus de beurre que celui de la vache.
Les ongles, qui forment une muraille plate à la surface dorsale des dernières phalanges, sont la dernière production tégumentaire à signaler. Au nombre de quatre ou cinq à la patte antérieure, de trois ou quatre à la patte postérieure, ils constituent chez les espèces actuelles un des caractères retenus en systématique.
Le squelette axial n’appelle pas de commentaire spécial; le squelette des membres est du type mésaxonien, le doigt III se trouvant en position axiale. L’extrémité pentadactyle a un appui au sol de type digiti-plantigrade, un épais coussinet élastique sous-cutané relevant partiellement les doigts qui comportent deux phalanges aux doigts I et V et trois aux autres doigts. Des rudiments osseux situés en avant du premier rayon à la main (fig. 1) et au pied ont été interprétés comme représentant un préhallux et un prépollex. L’allongement remarquable de l’humérus et du fémur dégage nettement du corps le coude et le genou. L’allure des éléphants au pas et au trot est l’amble, le galop n’existe jamais, ce qui n’empêche pas ces lourds animaux d’atteindre, quand ils chargent, des vitesses de 40 km/h.
Le crâne, de très grande dimension, a sa densité considérablement réduite par un réseau complexe de sinus parcourant la diploë et en relation avec la cavité nasale. Cette pneumatisation n’atteint une telle importance chez aucun autre Mammifère, et c’est d’elle que le crâne des Proboscidiens tire sa plus grande originalité. La cavité cérébrale est vaste, d’une capacité moyenne de 6 000 centimètres cubes chez l’adulte. La mandibule est remarquablement courte et haute, sa brièveté est en relation avec la présence d’une unique molaire fonctionnelle par hémimâchoire.
La dentition, qui répond à la formule générale I 2/0, C 0/0, Pm 3-4/4, M 3/3, possède deux caractères spécifiques: la croissance continue des deux incisives supérieures qui constituent les défenses, et le mode de remplacement des dents jugales. Les défenses, formées de dentine (ou ivoire), ne sont recouvertes de cément qu’à leur base, le reste étant totalement nu, dépourvu d’émail chez l’adulte. Les dimensions de ces défenses chez de vieux mâles peuvent être considérables, mais il semble qu’une longueur de 3,48 m et un poids de 117 kilos représentent des records absolus. La structure et surtout le mode de remplacement des dents jugales sont très particuliers. Le germe dentaire de chaque dent fournit des lames successives qui se soudent tardivement, donnant une surface triturante parcourue de crêtes parallèles recouvertes d’émail et soudées par du cément. Le dessin de ces crêtes, bien différent dans les deux genres actuels Elephas et Loxodonta (fig. 2), appartient au type tœchodonte; il indique la prédominance des mouvements antéro-postérieurs de la mastication. Les trois prémolaires et les trois molaires se succèdent en haut et en bas dans chaque hémimâchoire d’arrière en avant, une seule dent étant fonctionnelle à la fois. La séquence normale de cette succession est la suivante: Pm2 à 3 mois, Pm3 à 3 ans, Pm4 à 5 ans, M1 à 10 ans, M2 à 20 ans, M3 à 30 ans, la première prémolaire apparaissant chez le fœtus.
La trompe est l’organe le plus original de l’éléphant; elle prolonge les cavités nasales vers l’avant. Totalement dépourvue de squelette cartilagineux, une simple cloison fibreuse en sépare les deux conduits respiratoires. Son extrémité possède un petit appendice digitiforme sur son bord supérieur, cependant que la partie inférieure en est continue chez l’éléphant d’Afrique et bilobée chez l’éléphant d’Asie. Ces structures font de cet organe, par ailleurs richement pourvu de cellules sensorielles à son extrémité, un organe préhensile d’une grande sensibilité tactile. L’éléphant se sert de la trompe pour s’abreuver, aspirant l’eau par celle-ci et la rejetant ensuite dans la bouche.
La présence d’une trompe donne aux contours de la bouche une allure très particulière; elle n’est nettement limitée par une vraie lèvre qu’à la mâchoire inférieure. L’estomac est simple, pourvu de plis transversaux dans sa partie cardiaque (cette disposition demeurant d’interprétation incertaine). L’intestin grêle a une longueur de 9 à 11 mètres, le gros intestin de 5 à 7 mètres. Le cæcum, à proximité duquel une valvule iléo-cæcale décrit un volumineux bourrelet circonvolutionné, est relativement long.
L’alimentation, strictement végétarienne, se compose d’herbe, de feuilles, de racines, de fruits, d’écorces et de jeunes branches. Les quantités ingérées peuvent être considérables, des rations de 200 à 300 kilos de fourrage par jour chez un éléphant d’Afrique étant courantes.
L’appareil génital du mâle est surtout remarquable par la situation intra-abdominale permanente des testicules. Le pénis, dépourvu de toute ossification, est plié en S au repos dans un repli de la peau de l’abdomen. La femelle possède un utérus de type bicorne. La maturité sexuelle semble atteinte à l’âge de 14 ans en moyenne chez les deux sexes. L’accouplement s’effectue en toute période de l’année. La durée de la gestation est de 22 mois pour les espèces africaines, et des chiffres allant de 17 à 23 mois ont été publiés concernant l’éléphant d’Asie. Le jeune, toujours unique, pèse à la naissance 100 kilos et mesure un peu moins de 1 mètre.
L’encéphale de l’éléphant est très volumineux; son poids atteint quatre fois celui de l’homme, mais comme le poids corporel est quarante-six fois plus important, l’indice de céphalisation défavorise les Proboscidiens. Ce développement encéphalique est dû, en bonne part, à l’importance des «aires de projection» de la trompe sur l’écorce cérébrale. En effet, la sensibilité tactile de la trompe est comparable à celle de la main humaine. Les éléphants sont des Mammifères nettement macrosmatiques et la finesse de leur odorat supplée largement la relative médiocrité de leur vue.
Éthologie
Les éléphants sont des animaux essentiellement sociaux; seuls les vieux sont parfois solitaires. Les troupes, en Afrique du moins, composées de dix à vingt individus conduits par une vieille femelle, comprennent généralement un mâle dominant, un ou deux mâles immatures, quelques femelles et des jeunes des deux sexes. Parfois, notamment en période de sécheresse, des troupes beaucoup plus nombreuses peuvent se constituer par agrégation de ces groupes élémentaires. Les cas d’entraide ont maintes fois été signalés, allant de la simple aspersion de l’un par l’autre au cours du bain jusqu’à l’aide apportée à un individu en détresse. Une grande variété de sons peuvent être émis, constituant un moyen d’intercommunication assez élaboré. Généralement tolérants à l’égard de l’homme, les éléphants peuvent devenir très redoutables en cas de blessure. Certains individus, et parfois des troupeaux entiers, peuvent d’ailleurs charger sans le moindre prétexte apparent.
Systématique
L’ordre des Proboscidea comporte un seul sous-ordre actuel, celui des Elephantoidea , composé de l’unique famille des Elephantidae . On peut aisément distinguer deux sous-familles: celle des Loxodontinae , à laquelle appartiennent les formes africaines, et celle des Elephantinae , comprenant l’unique espèce asiatique.
Le genre Loxodonta est facile à caractériser par la structure loxodonte des dents jugales (fig. 2), par la forme brachycéphale du crâne, par la grande dimension des pavillons auditifs, enfin par la structure de l’extrémité de la trompe. On admet généralement que ce genre comporte deux sous-espèces: l’éléphant de brousse (Loxodonta africana africana ) et l’éléphant de forêt (Loxodonta africana cyclotis ). Le premier, de plus haute taille (de 2,85 m à 3,90 m au garrot), se distingue nettement du second par la forme des oreilles dont le lobe inférieur est pointu, cependant que chez L. a. cyclotis , ce lobe est court et arrondi. Généralement, il y a cinq ongles aux pattes antérieures et quatre aux pattes postérieures chez L. a. cyclotis , tandis que chez L. a. africana , on n’en compte respectivement que quatre et trois.
L’aire géographique de Loxodonta africana cyclotis englobe la totalité de la grande forêt tropicale, de la Mauritanie au nord de l’Angola, alors qu’on rencontre L. a. africana dans toutes les régions de brousse et de savane au sud du Sahara.
L’existence d’une troisième espèce (ou sous-espèce) appelée souvent éléphant pygmée (L. pumilio ) demeure controversée et n’est généralement plus admise par les spécialistes.
La sous-famille des Elephantinae se compose de l’espèce unique Elephas indicus , facile à distinguer du genre précédent par la dimension réduite des oreilles, le dessin de la surface triturante des dents jugales, et la forme du crâne qui possède deux bosses latérales et une dépression frontale; la trompe est dépourvue d’appendice digitiforme terminal; enfin, les pattes de devant comportent généralement cinq ongles, celles de derrière n’en présentant que quatre. Cette espèce occupe une vaste aire géographique en Asie méridionale, allant de l’Himalaya à la péninsule malaise, et s’étendant également au Sri Lanka, à Sumatra et à Bornéo.
Aperçu phylogénétique
Avec les Desmostyliens (un ordre de Mammifères amphibies de la taille d’un hippopotame qui s’éteignirent à la fin du Miocène), les Proboscidiens et les Siréniens constituent le groupe des Tethytheria.
À la base du cladogramme des Proboscidiens, les genres Moeritherium , de l’Éocène-Oligocène, Barytherium , de l’Éocène, et Numidotherium , de l’Éocène inférieur, entrent en tétrachotomie avec les autres représentants du groupe.
Les Déinothériidés, avec deux genres, Prodeinotherium et Deinotherium , du Miocène au Pléistocène inférieur, avec leurs défenses inférieures fortement recourbées, constituent le groupe frère des Éléphantiformes, bien que les synapomorphies qui les lient à ces derniers puissent varier en fonction de la place attribuée à Moeritherium , Barytherium et Numidotherium à la base du cladogramme. Quant aux Éléphantiformes, les genres les moins dérivés sont Palaeomastodon et Phiomia , tous les deux de l’Oligocène du Fayoum. L’un des nœuds suivants sépare les Mammutidés des Éléphantiformes plus dérivés. Parmi les Mammutidés sont regroupés différents genres, dont Zygolophodon , du Miocène moyen au Pliocène supérieur d’Europe, Miomastodon , du Miocène moyen des États-Unis et du Pliocène inférieur d’Europe, et Pliomastodon , du Pliocène des États-Unis. D’un nœud suivant sortent les Amébélodontidés dont l’un des traits les plus remarquables est l’allongement très important de la symphyse mandibulaire qui, prolongée par deux défenses aplaties, ressemble à une pelle. Au nœud suivant se séparent les mastodontes gomphothères trilophodontes avec, entre autres, les genres Gomphotherium du Miocène moyen d’Europe, Cuvieronius du Pléistocène de la zone andine, Haplomastodon de l’Amérique du Sud tropicale, Stegomastodon du Plio-Pléistocène des États-Unis et du Pléistocène du Pampéen de l’est de l’Amérique du Sud, Notiomastodon du Pléistocène de la région de Buenos Aires et Rhynchotherium du Miocène supérieur et du Pliocène d’Amérique du Nord et centrale, du Pliocène moyen d’Asie et du Miocène inférieur d’Afrique. Le groupe souche des mastodontes gomphotères tétralophodontes comprend les genres Tetralophodon du Miocène supérieur d’Asie, du Pliocène inférieur d’Eurasie et du Plio-Pléistocène d’Amérique du Nord, et Anancus du Plio-Pléistocène d’Eurasie. Les Stégodontidés comprennent les genres Stegolophodon du Miocène supérieur et du Pliocène inférieur de l’Inde et du Pléistocène inférieur de Birmanie, et Stegodon du Plio-Pléistocène de Birmanie, d’Inde, de Chine, des Philippines, du Japon et des îles de la Sonde. Issus, comme les Stégodontidés, des gomphothères tétralophodontes, les Éléphantidés comprennent différents genres qui sont, entre autres, Stegotetrabelodon , Stegodibelodon , Primelephas , Loxodonta , Elephas et Mammuthus . Ce dernier, dont on a retrouvé des spécimens de l’espèce M. primigenius conservés dans le permafrost sibérien, est éteint et constitue avec Elephas (l’éléphant d’Asie actuel) le groupe frère de Loxodonta (l’éléphant d’Afrique actuel).
proboscidiens [ prɔbɔsidjɛ̃ ] n. m. pl.
• 1817; de proboscide « trompe (d'éléphant) » 1544; lat. proboscis, idis, gr. proboskis
♦ Zool. Ordre de mammifères ongulés de très grande taille, qui possèdent une trompe utilisée pour la préhension. Les proboscidiens sont représentés aujourd'hui par les éléphants. — Sing. Le dinothérium, proboscidien fossile.
proboscidiens
n. m. pl. ZOOL Ordre de mammifères ongulés à trompe, comprenant les éléphants.
— Sing. Un proboscidien.
proboscidiens [pʀɔbɔsidjɛ̃] n. m. pl.
ÉTYM. 1822, Blainville; de proboscide.
❖
♦ Sous-ordre de mammifères ongulés de très grande taille, qui possèdent une trompe utilisée pour la préhension. || Les proboscidiens ne sont représentés aujourd'hui que par les éléphants. || Autrefois les proboscidiens étaient classés parmi les pachydermes. — Au sing. || Le dinothérium est un proboscidien fossile.
REM. Le mot a été utilisé comme adjectif : « qui possède un appendice (ou proboscis) » (1842) et au fig. (plais.) « qui évoque la trompe de l'éléphant » (un « masque proboscidien », A. Daudet).
Encyclopédie Universelle. 2012.