ROMAN HISTORIQUE
ROMAN HISTORIQUE
Le roman a toujours puisé dans l’histoire de quoi nourrir ses fictions et leur donner les prestiges du vraisemblable. Mais, en tant que genre spécifiquement déterminé, le roman historique a pris son essor — comme la plupart des formes romanesques — au XIXe siècle, alors que la bourgeoisie prend le pouvoir. C’est au XVIIIe siècle que l’histoire commence à être traitée comme une science. La compréhension de l’histoire devient alors un moyen politique d’agir sur les réalités présentes, et, avec la Révolution, les hommes prennent conscience d’être les agents de l’histoire.
Ce que le roman historique va mettre en scène, ce sont les rapports de tel ou tel individu à une histoire où la mobilité sociale, les antagonismes de classes, de peuples, de religions créent, en abaissant ou en éliminant les uns, en portant au pouvoir les autres, des situations admirablement dramatiques. Le créateur du genre en tant que tel est Walter Scott, qui connut un énorme succès au début de l’époque romantique. Combinant une composition par tableaux avec des passages narratifs rapides, il met en scène le plus souvent des épisodes marquants de l’histoire du peuple écossais, se servant, comme héros narrateurs, de personnages témoins, point trop engagés et qui puissent, socialement parlant, servir de traits d’union entre les grands et les petits.
Au cours du XIXe siècle, presque tous les romanciers s’essayent au roman historique, sous des formes très diverses (cf. Balzac, Les Chouans ; Vigny, Cinq-Mars ; Mérimée, Chronique du règne de Charles IX ; Stendhal, Chroniques italiennes ; Hugo, Notre-Dame de Paris , L’Homme qui rit , Quatrevingt-Treize ; Flaubert, Salammbô et, en un sens, L’Éducation sentimentale ; Gautier, Le Roman de la momie ; Zola, La Conquête de Plassans , La Débâcle ; Anatole France, Les dieux ont soif ). Hors du domaine français, on ne citera que Guerre et Paix , qui est, à bien des égards, le modèle du genre.
La conception de l’histoire et le but assigné au roman historique sont évidemment très divers selon les auteurs. Le Hugo de L’Homme qui rit ou de Quatrevingt-Treize trouve dans le roman historique un lieu où faire s’interpénétrer faits, idéologies, symboles et mythes, et le cadre fictionnel lui paraît le plus adéquat pour faire jaillir la signification du phénomène révolutionnaire. Mais Vigny, dans Cinq-Mars , utilise l’histoire dans un sens tout autre: au moment où l’aristocratie française se voit déchue de ses pouvoirs, il marque sa nostalgie des valeurs féodales. D’autres encore, comme Dumas père ou Paul Féval, recherchent dans le récit à fond historique des données pittoresques et les possibilités d’évasion. Parallèlement, les grands historiens romantiques comme Michelet se servent, pour dire l’histoire, des procédés de dramatisation empruntés à la technique romanesque.
C’est au XIXe siècle, moment où les exigences d’analyse réaliste et les constructions utopiques ou mythifiantes coexistent et se fécondent les unes les autres, que le roman historique connaît son âge d’or. Les sciences sociales restent encore embryonnaires, et le roman, où les représentations idéologiques sont mises en scène et en images, est une voie d’accès à l’analyse historico-sociologique. Enfin, il s’agit d’un moment où l’on peut encore croire au pouvoir de l’individu sur l’histoire: ainsi le roman historique introduit des personnages représentatifs susceptibles d’incarner à la fois l’esprit d’une époque, d’une caste, d’une classe, d’un pays et qui ont, d’une façon ou d’une autre, du pouvoir sur le cours des choses.
Lorsque la lutte des classes en France s’intensifie, le roman historique change de statut. L’optimisme progressiste et l’idéalisme populiste vacillent. Quand Flaubert écrit Salammbô (1862), il est un des premiers romanciers à opposer des classes en tant que masses et que forces antagonistes. Le roman historique décrivant la rencontre d’individus symboliques et privilégiés avec l’histoire perd du terrain. Ceux qui s’y réfèrent développent des visions plus pessimistes (le peuple perd son aura; la violence apparaît plus nettement). En outre, le scientisme ambiant ne favorise guère le roman historique. On ressent les contradictions inhérentes au genre: s’il cède trop à l’imaginaire, il n’est plus crédible; s’il est centré sur l’explication des faits, il n’est plus roman. Enfin, on devient trop conscient de ce qu’a d’arbitraire une représentation des faits historiques fondée sur l’antagonisme d’individualités.
Au XXe siècle, les surgeons du roman historique poussent dans des directions très divergentes: soit ils narrent l’aventure d’individus isolés et écrasés par les convulsions de l’histoire (ainsi les romans inspirés par les guerres mondiales); soit ils offrent une méditation distanciée sur le cours même de l’histoire (M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien ; Aragon, La Semaine sainte ); soit ils font éclater la notion de personnage et toute vision unidimensionnelle de l’histoire (tels les romans de Dos Passos); soit, encore, ils utilisent, à l’instar de La Roue rouge (1983-1993) de Soljenitsyne, une écriture «polyphonique». Le roman historique postmoderne remet en question notre attitude face à l’histoire en tant que série d’événements objectivement décelables. Il le fait par la critique des sources, la prise en compte du paramètre de la contingence, etc. Par ailleurs, l’histoire en tant que récit où évoluent des personnages fictifs ou non devient, elle aussi, objet d’interrogations et cela par le biais de l’ironie, du collage, de la multiplication des points de vue, etc.
Encyclopédie Universelle. 2012.