⇒ABHORRÉ, ÉE, part. passé et adj.
[En parlant de pers. ou de choses] :
• 1. Les voilà donc enfin, ces ministres audacieux, décriés par leur ineptie, avilis par leurs déprédations, abhorrés par leurs excès, et proscrits par l'indignation publique!
MARAT, Les Pamphlets, Offrande à la patrie, fév. 1789, p. 2.
• 2. ... une même ruine dévore et l'animé et l'inanimé ensevelis dans un même oubli; et dans un monde renouvelé, il ne subsiste nulle trace de ce qui fut abhorré ou divinisé dans un monde effacé.
E. DE SÉNANCOUR, Rêveries, 1799, p. 22.
• 3. O vierge de Lesbos! Que ton île abhorrée
S'engloutisse dans l'onde à jamais ignorée,
Avant que ton navire ait pu toucher ses bords!
A. DE VIGNY, Poèmes antiques et modernes, Symétha, 1837, p. 131.
• 4. Malheureux que vous êtes! Comme vous devez souffrir! Et si votre mère savait cela, elle ne serait pas plus près de la mort, si abhorrée par les coupables, que je ne le suis maintenant.
LAUTRÉAMONT, Les Chants de Maldoror, 1869, p. 129.
• 5. Il n'y a que lui pour dire qu'il ne faut jamais se rendre (...). Eh bien, cet unique est abhorré, maudit, renié, conspué ... inaperçu. Ceux qui devraient combattre avec lui, sous lui et pour lesquels il meurt chaque jour, non contents de l'abandonner à l'ennemi, dressent contre lui des chiens féroces.
L. BLOY, Journal, Avant-propos, 1900, p. 219.
• 6. Ô fureur! Sentir que sous cette pelote une bête se cache et rit de moi, que je ne puis rien, rien, rien! (...) Bientôt, la bête abhorrée se déroula, pointa un museau porcin, ouvrit deux yeux luisants de rat, se hissa debout cramponnée de deux pattes griffues de taupe : « Qu'il est joli! s'écria-t-elle, un vrai petit cochon noir! »
COLETTE, Sept dialogues de bêtes, 1905, p. 109.
• 7. J'aimais les jeux abhorrés des mères et que les surveillants interdisent tôt ou tard, pour le désordre qui s'y mêle, les jeux sans règle ni frein, les jeux violents, forcenés, pleins d'horreur.
A. FRANCE, Le Petit Pierre, 1918, p. 251.
Rem. 1. Dans l'ex. 4, la présence de l'adv. d'intens. si précédant le part. indique clairement, comme les ex. 8, 12 et 13 ci-après, que ce dernier est devenu adj. 2. L'ex. 6, dans lequel l'adj. qualifie un n. d'anim., est unique dans la docum. 3. Aucun groupe associatif, en dehors de ceux du type mentionné sous abhorrer, rem. 1, ne s'impose par sa fréquence. Les qq. assoc. déjà données par les dict. (LAV. 1828; Ac. 1835; Ac. 1878) se retrouvent dans la docum. : homme abhorré (G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, 1882, p. 791); race abhorrée (L. GOZLAN, Le Notaire de Chantilly, 1836, p. 199).
Stylistique — 3 ex. de la docum. présentent une antéposition de l'adj.
8. La difficulté était de trouver des gens discrets et incapables par l'honneur de fournir des articles, même anonymes, à cet abhorré National.
STENDHAL, Lucien Leuwen, t. 2, 1836, p. 416.
9. C'était clair, net, avoué : leur ouaille, leur mouton avait été repincé par son ogresse, et, grâce aux routines de cette damnée, qui pouvait se vanter d'avoir bien choisi l'heure, il perdrait la partie engagée, on aurait la douleur de le voir rouler sous l'abhorré forban.
L. CLADEL, Ompdrailles, 1879, p. 266.
10. ... des milliers de débarquements et de rembarquements, de rivières remontées, de forts réduits au silence, de passages forcés à la couleuvrine, d'arraisonnements à coups de canon, de victoires et de défaites navales, depuis l'Armada coulée avec ses instruments de torture, sous l'abhorré pavillon du pape, depuis les combats où ...
P. MORAND, Londres, 1933, p. 324.
Rem. Ce type de constr., de caractère affectif, confirme que le part. passé est devenu adj. (cf. ex. 5).
— Un adj. substantivé, inconnu des dict., apparaît dans l'ex. suivant :
11. J'ai senti rarement une oppression aussi forte, une aussi pesante présence de l'abhorré.
L. BLOY, Journal, 1899, p. 341.
— Dans l'oppos. abhorré/adoré, il y a, outre l'oppos. sém., exploitation de la sonorité du mot (cf. abhorrer) :
12. Chacun se bouche les yeux plutôt que de renoncer à une erreur adorée ou abhorrée; la peur, comme on sait, donne le même genre d'aveuglement que le désir.
ALAIN, Propos, 1930, p. 940.
HIST. — Cf. abhorrer.
STAT. — Fréq. abs. litt. :75.
Encyclopédie Universelle. 2012.