Akademik

SERVICE PUBLIC
SERVICE PUBLIC

Le service public aujourd’hui ne saurait être restreint à une simple notion juridique, quelque féconde que fût celle-ci dans les débats théoriques du droit administratif.

Omniprésent dans la vie des Français, qui sont si prompts à en décrier les carences, le service public est à la fois un acteur économique non négligeable, une réalité sociale importante et un instrument primordial des politiques mises en œuvre par les différents gouvernements.

Le monde du service public n’est plus un monde à part, coupé des contingences de la vie civile et étranger aux exigences de la vie économique. Bien au contraire, l’impératif économique et son corollaire, l’appréciation du coût des actions engagées, sont au cœur des réflexions contemporaines sur le service public.

L’image de ce dernier a profondément changé depuis les années 1970. L’usager disparaît au profit du client, que ce soit dans l’esprit de ceux qui bénéficient des prestations dispensées, dans les politiques mises en œuvre par les organismes qui gèrent les services ou dans l’image qu’ils entendent promouvoir de ceux-ci. D’ailleurs, le statut et les modes de fonctionnement des organismes eux-mêmes changent pour s’ouvrir à des conceptions plus proches de l’esprit d’entreprise, et les personnels prennent de la distance avec le sens de la mission de service public, ses valeurs et ses obligations, sauf à s’en souvenir opportunément lors de combats syndicaux, parfois si catégoriels.

La puissance publique elle-même s’interroge sur l’expansion passée des services publics, sur la diversité des tâches recouvertes par cette notion et sur le retour de certaines de ces activités à l’initiative privée.

Enfin, l’idée d’activités soumises à un régime de droit exorbitant, dont souvent le principe est le monopole, n’est guère en harmonie avec les idées qui prévalent à Bruxelles et préparent l’Europe de demain.

Dès lors, le service public, notion caractéristique du droit administratif français, présentée autrefois comme en étant la pierre angulaire, puis reléguée à un rôle subsidiaire en raison de la crise née de son développement, est aujourd’hui au centre des réflexions sur l’État moderne et la démocratie, sur l’économie dirigée et le marché, sur le citoyen et les solidarités collectives.

Évolution de la notion et de son utilisation jurisprudentielle

L’histoire politique et judiciaire de l’Ancien Régime, les principes philosophiques de séparation des pouvoirs ou la conception de l’État issue de la Révolution expliquent la force de l’idée selon laquelle le juge judiciaire ne saurait connaître des actes de l’administration, en tant que celle-ci constitue l’organe du pouvoir exécutif. Le principe posé par la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III interdit au juge judiciaire de troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs.

Deux idées fondamentales en découlent. D’abord, celle qu’un juge distinct du juge judiciaire, car né de l’administration elle-même, connaîtrait de ces contentieux. Ensuite, celle qu’un droit autre que le droit privé régirait la vie de l’administration.

À partir de là, l’histoire du XIXe siècle illustrera la création d’une juridiction spécifique, la juridiction administrative, dont l’essor ira de pair avec l’instauration de son indépendance vis-à-vis de l’administration active et la création prétorienne de règles spéciales établissant les droits et les obligations qui président à l’action administrative.

Ces règles, au-delà de leur objet de régir les rapports entre l’État et les citoyens, ont eu pour effet d’exprimer un ordre des valeurs entre l’autorité et la liberté, un équilibre entre le bien commun et les droits individuels ainsi que la hiérarchie des principes de philosophie politique qui ont animé la société française.

La chute du second Empire a facilité la double affirmation de l’indépendance du juge administratif (par l’évolution d’un système de justice retenue à un système de justice déléguée) et de l’autonomie du droit administratif. Mais, dans une pensée normalisée comme l’est un système de droit codifié, le principe d’une summa divisio entre deux domaines irréductibles l’un à l’autre, celui du droit privé et celui du droit public, soulevait l’obsédante question de la délimitation du domaine du droit administratif et, par là même, celle des critères distinctifs.

Plusieurs notions ont été utilisées, avec plus ou moins de bonheur. Mais celle que le Conseil d’État consacre dans sa décision Blanco, du 8 février 1873, est celle du service public. L’arrêt Blanco est essentiel en ce qu’il systématise l’évolution jurisprudentielle. Il confère à la notion de service public le double caractère de critère de la compétence du juge administratif et de fondement du droit administratif entendu comme un système propre dérogeant au droit privé. Le système voit sa logique et ses solutions justifiées par les besoins du service.

Le service public apparaissait dès lors comme l’essence de l’action de la puissance publique, en ce qu’il était l’exercice par la puissance publique de prérogatives visant à satisfaire des besoins d’intérêt général – étant entendu que les circonstances où l’administration agit dans les mêmes conditions qu’un simple particulier sont soumises au droit commun et au juge judiciaire (théorie de la gestion privée).

Analysée par Léon Duguit, puis par des hommes comme Gaston Jèze ou Roger Bonnard, la notion de service public donna naissance à une théorie générale du droit administratif, avec pour postulat que tout le droit administratif s’expliquait par la notion de service public, dont les caractères étaient d’être une activité ou une entreprise, assumée par une collectivité publique et tendant à satisfaire un besoin d’intérêt général. De ce fait, une unité existait entre le service public, la personne publique, le droit public et la compétence du juge administratif. L’idée de l’école du service public était très cohérente en ce qu’elle postulait que les particularités du service public nécessitaient l’application d’un régime de droit administratif, car lui seul répondait aux nécessités propres à l’accomplissement de ce service. Dès lors, les agents du service étaient soumis au droit de la fonction publique, les biens à celui de la domanialité publique, les actes au régime des actes administratifs et l’appréciation de la responsabilité aux règles propres de la responsabilité publique.

Cette cohérence conceptuelle justifiait l’extension du domaine des services publics. C’est ainsi que le critère du service public a été utilisé dans la jurisprudence du Conseil d’État relative aux actions des collectivités locales ou à leurs contrats (arrêts Terrier du 6 févr. 1903, Feutry du 29 févr. 1908, Thérond du 4 mars 1910).

Mais la réalité de l’action administrative ne coïncida pas exactement avec une conception aussi exclusive du critère du service public.

La société libérale et industrielle de la IIIe République a connu de profonds changements qui ont entraîné un développement de l’action de l’État, dont le mouvement s’est amplifié au XXe siècle.

En effet, les caractères de l’État n’ont plus tant été ceux d’un État législateur ou d’un État commandant que ceux d’un État qui veut procurer à la société des biens ou des services. Cette obligation d’agir pratiquement, selon l’expression du doyen Duguit, est à l’origine des mutations de la notion de service public, voire de sa remise en cause.

La doctrine a alors parlé de la crise du critère de service public.

Crise de l’utilité de la notion, d’abord, en raison de la concurrence d’autres critères distinctifs du droit administratif retenus par le Conseil d’État, comme le critère des clauses exorbitantes du droit commun en matière de contrat (Société des granites porphyroïdes des Vosges, 31 juill. 1912), ou le critère des prérogatives de puissance publique en matière d’établissements publics (décision du Tribunal des conflits, Association syndicale du canal de Gignac, 9 déc. 1899).

Crise, aussi, de la cohérence et de l’unité de la notion, en ce que l’élargissement du domaine de l’activité qualifiée de service public a fait apparaître l’existence de services publics gérés par des personnes de droit public mais échappant au cadre du droit administratif et a consacré l’existence de services publics gérés par des personnes de droit privé.

La notion de service public a été étendue, au-delà des fonctions régaliennes traditionnelles, à nombre d’activités nouvelles de l’État: l’hygiène et la santé, la culture et le sport, les transports, l’audiovisuel, etc.

La diversité des situations et des moyens mis en œuvre pour répondre aux besoins collectifs qui s’exprimaient a justifié la création de services publics dont la caractéristique était de fonctionner dans les mêmes conditions qu’une entreprise privée (service des monnaies et des médailles, service d’enlèvement des ordures ménagères, activités de gestion et d’équipement des forêts, parcs de stationnement dans les aéroports, etc.). Le Conseil d’État en a tiré la conséquence que ces activités devaient être soumises non aux règles du droit administratif, mais à celles du droit privé (Société commerciale de l’Ouest africain, 22 janv. 1921). De l’existence de tels services publics industriels et commerciaux est né un contentieux qui peut paraître byzantin, reposant sur la qualification de la mission exercée pour en déterminer le caractère public ou privé et définir ainsi les règles de droit applicables et les juridictions compétentes.

Si la jurisprudence y a gagné en subtilité, la notion de service public y a perdu en unité et souffre d’éclatement. La distinction de l’objet des actes selon qu’ils touchent à l’organisation ou au fonctionnement du service, l’appréciation de la situation des personnels, la qualification des activités intéressées constituent autant de causes d’applications alternatives de règles de droit public ou de droit privé, et par là autant de sources de confusion, d’autant qu’un même organisme peut, selon les activités correspondant à son objet, exercer une activité de service public administratif et une activité de service public industriel et commercial.

Par ailleurs, la diversification des activités a engendré une dissociation de l’aspect matériel du service public, celui d’une activité satisfaisant un besoin d’intérêt public, et de son aspect organique, celui de la prise en charge de l’activité par une personne publique.

Ainsi se sont multipliées les hypothèses d’activités de service public gérées par des personnes de droit privé. Le Conseil d’État en avait admis le principe lorsqu’il eut à connaître des sociétés de secours, de prévoyance et de prêts mutuels agricoles (Société des établissements Vézia, 20 déc. 1935). Il l’appliqua aux premières caisses d’assurances sociales (Caisse primaire aide et protection, 13 mai 1938), puis aux comités d’organisation de la production industrielle (Monpeurt, 31 juill. 1942) et aux ordres professionnels (Bouguen, 2 avr. 1943). L’idée que des personnes de droit privé puissent être chargées de l’exécution de services publics, et bénéficient pour ce faire de prérogatives de puissance publique et de la capacité d’édicter des actes administratifs a participé à (et conclu) l’éclatement de la notion de service public.

Tant et si bien que Bernard Chenot a pu prétendre que le service public n’était plus qu’un mot, exprimant par là que la notion avait perdu sa valeur explicative du droit administratif.

Néanmoins, après de tels ébranlements, elle s’est trouvée remise à l’honneur, tant par la doctrine que par le juge – qui ne l’avait jamais abandonnée. Les arrêts du Conseil d’État, époux Bertin et ministre de l’Agriculture contre consorts Grimouard, rendus le 20 avril 1956, illustrent l’effort d’unification et de simplification de la jurisprudence, qui définit le service public comme une mission d’intérêt général exercée par un organe disposant pour ce faire de prérogatives spéciales. Elle utilise le critère du service public pour définir des notions aussi essentielles que celles d’agent public, de contrat administratif, de domaine public ou de travail public.

Par ailleurs, la période de l’après-Seconde Guerre mondiale devait consacrer le développement des services publics d’intervention économique et des services publics de discipline professionnelle. Ces services ont pour caractères leur structure corporatiste, l’exercice de prérogatives de droit public et leur régime juridique, puisque la personne gérant le service est un organisme privé alors que l’exercice de l’activité ressortit au droit public.

Ainsi, si le service public n’est plus la «pierre angulaire» du droit administratif, selon le mot de Jèze, il n’en reste pas moins une activité essentielle de la puissance publique et une notion primordiale du droit administratif, qui en exprime l’originalité.

Le service public compris comme notion juridique ou comme mode d’action de l’administration est une réalité française spécifique. Sa conception évolue au gré des mutations que connaît l’activité administrative en raison des besoins collectifs et des aspirations des citoyens. L’évolution, aujourd’hui, dépend tant des mentalités nationales que d’impératifs européens, parfois très éloignés du concept de service public.

Définition du service public

L’évolution du concept de service public a permis différentes acceptions. Jean Rivero distingue le service public au sens concret et organique, qui est un ensemble d’agents et de moyens qu’une personne publique affecte à une même tâche, et le service au sens matériel, conçu comme une activité d’intérêt général que l’administration entend assumer. Il s’agit aussi d’activités dont le caractère est le régime du service public, le critère résidant alors dans les procédés dérogatoires au droit commun qui caractérisent le régime juridique de l’activité.

Aujourd’hui, la jurisprudence du Conseil d’État définit le service public comme une activité d’intérêt général pour laquelle des prérogatives de puissance publique sont mises en œuvre et qui est exercée sous le contrôle de l’administration.

Le premier critère est finaliste. L’activité répond à l’intérêt général, c’est-à-dire à un besoin social non satisfait par l’économie de marché auquel il est indispensable de pourvoir.

L’appréciation de ce besoin appartient à l’autorité publique. L’État, par l’intervention du Parlement ou de l’autorité réglementaire, dispose d’un très large pouvoir dont la mise en œuvre peut refléter l’idée qu’il existe des services par nature inhérents à la fonction étatique ou dont la nécessité découlerait de principes et règles à valeur constitutionnelle. De cette appréciation découlent les facultés reconnues au pouvoir exécutif de supprimer le service, d’en établir les règles d’organisation et les conditions de fonctionnement, que la totalité du service soit prise en charge (maintien de l’ordre, monopoles) ou que l’administration laisse l’activité privée s’exercer librement à côté du service public (enseignement, émissions radiophoniques, action sanitaire et sociale).

Les collectivités locales, dans leurs domaines de compétence et dans la limite du respect de la liberté du commerce et de l’industrie, ne disposent pas d’un pouvoir aussi étendu, notamment en matière économique, puisque le juge contrôle le lien entre le service et les attributions légales de la collectivité ou apprécie, en raison des circonstances particulières de temps et de lieu, si l’intérêt public justifie l’intervention (cf. l’arrêt du Conseil d’État, chambre syndicale du commerce de détail de Nevers, 30 mai 1930).

Le deuxième critère est beaucoup plus évolutif. Il s’agit de l’exercice de prérogatives de puissance publique, c’est-à-dire de la reconnaissance de pouvoirs qui ne sauraient être licites entre personnes de droit privé, tels que le pouvoir de prendre des décisions unilatérales, le droit de percevoir des cotisations, l’exercice d’un pouvoir disciplinaire, etc.

Le troisième critère est celui de l’intervention de l’administration, qui exerce le contrôle administratif ou budgétaire de l’activité dont elle assume la responsabilité devant l’opinion.

L’activité répondant aux critères du service public peut être aujourd’hui purement administrative ou bien industrielle et commerciale.

L’objet du service, ses modes de financement et les modalités de son organisation et de son fonctionnement distinguent le service industriel et commercial des services publics administratifs, en ce qu’il présente les mêmes caractères que ceux d’une entreprise privée.

Le juge administratif contrôle la qualification donnée aux activités, ce qui lui permet, non sans complexité, de distinguer la qualification des organes qui assurent le service de la qualification des missions assurées.

Mais la notion de service public industriel et commercial étant purement fonctionnelle, celle-ci a pour effet de caractériser les activités et de déterminer le droit applicable.

Le régime juridique des services publics

On ne saurait plus, aujourd’hui, assimiler le régime juridique des services publics au seul droit administratif.

Les services publics administratifs connaissent un régime de droit administratif qui couvre l’organisation et le fonctionnement des services, le statut du personnel, les règles de décisions, les procédures contractuelles, le statut des biens ou l’appréciation des responsabilités.

Ce régime se caractérise aussi par la notion d’usager. L’usager est le bénéficiaire des prestations du service. Il est placé dans une situation légale et réglementaire et bénéficie de droits opposables à l’administration, les droits au fonctionnement du service, qui lui ouvrent vocation à saisir le juge administratif, si besoin est.

Les services industriels et commerciaux combinent des éléments de droit privé, en raison du caractère commercial de l’activité, et des règles de droit public, justifiées par l’idée du service public. Les règles de droit privé sont prédominantes, sous réserve de règles de droit administratif intervenant pour l’exercice de prérogatives de puissance publique, pour quelques types de dommages de travaux publics, quelques contrats et quelques litiges relatifs au personnel.

Quoi qu’il en soit de cette diversité, le régime juridique connaît encore une unité grâce aux principes fondamentaux qui régissent tous les services publics, en ce qu’ils répondent à un besoin d’intérêt général.

Il y a d’abord des principes relatifs au service. La continuité du service est le premier d’entre eux, car la satisfaction d’un besoin collectif impose que l’activité fonctionne de manière ininterrompue. Ce principe a valeur constitutionnelle, selon la décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979 (cf. note Paillet, in Dalloz , 1980, p. 101, et chronique L. Hamon, p. 333). Il en découle des règles spécifiques du droit administratif relatives aux activités (l’expédition des affaires courantes), aux contrats (l’imprévision), à l’exercice du droit de grève, à l’exercice des voies de recours (caractère non suspensif des recours) ou aux droits des usagers (droit d’exiger le fonctionnement du service tant que celui-ci n’a pas été supprimé).

Le second principe de cette catégorie est celui de l’adaptation du service à l’évolution des besoins d’intérêt général, car il n’y a de service véritable que si le besoin est en permanence satisfait. Dès lors, il ne saurait exister de droit acquis au maintien du service en l’état et l’administration dispose d’un droit de modification unilatérale qui s’impose au personnel, aux cocontractants et aux usagers. L’expérience des services publics en milieu rural ou celle des administrations de mission illustrent la mise en œuvre de ce principe.

Il y a aussi des principes qui tiennent au caractère public du service. Le premier est l’égalité des administrés devant le service public. Il interdit toute discrimination tant du point de vue des droits que de celui des charges et s’applique aux services administratifs comme aux services industriels et commerciaux, sous réserve des différences de situations des utilisateurs ou des nécessités d’intérêt général. Il en découle notamment des règles d’aménagement pratique d’accès au service.

Le deuxième principe est la neutralité, qui garantit l’universalité du service et la prééminence de l’intérêt général sur tout intérêt particulier. Il prohibe toute action de corruption, de concussion ou de trafic d’influence. Il fonde le principe de laïcité de l’enseignement public.

Le troisième principe est la gratuité du service. Il peut être consacré par une disposition constitutionnelle ou législative, ou découler du fait qu’il s’agit d’une prestation à laquelle tous les usagers ont droit parce que le service a été créé à cette fin. La gratuité, qui a pour corollaire le financement du service par la collectivité, n’exclut pas l’exigence de redevances en cas d’utilisations spécifiques du service.

Les modes de gestion du service public

La diversification des modes de gestion traditionnels et la création de modes de gestion nouveaux caractérisent le droit positif. Aux institutions classiques de la régie, de la concession ou de l’établissement public se sont ajoutées de nouvelles structures de droit privé, des organismes associant des capitaux publics et des capitaux privés, comme les sociétés d’économie mixte, et de nouvelles combinaisons des structures classiques afin d’adapter celles-ci à l’évolution des activités et des besoins, et de répondre à des exigences d’efficacité du service.

La régie est le mode d’exploitation direct du service par l’autorité administrative, puisque les services en régie n’ont ni personnalité morale ni autonomie financière. Ils sont placés sous la dépendance directe de la collectivité dont ils relèvent qui utilise, pour l’accomplissement de la mission, son propre patrimoine et ses agents. La régie est dite simple quand le régisseur perçoit une rémunération détachée de toute considération relative au bon fonctionnement du service, et intéressée quand il perçoit une prime en fonction des résultats d’exploitation.

La régie a été pendant longtemps la modalité privilégiée d’action de l’État et des collectivités locales, car elle rendait plus facile l’exercice des pouvoirs de contrôle et recouvrait souvent des situations de monopole ne justifiant pas de règles plus souples de gestion ou de comptabilité. Une relative inadaptation de cette institution à la vie économique actuelle explique qu’elle souffre d’une certaine désaffection.

La concession est un mode de gestion du service public par une personne privée – particulier, société ou société d’économie mixte – que la collectivité concédante a chargée de faire fonctionner le service à ses frais et risques et en se rémunérant au moyen de redevances perçues sur les usagers.

À la lumière d’une jurisprudence du Conseil d’État, il semblerait que la perception de la redevance ne soit plus le critère absolu de la concession. Selon Jean-Claude Venezia et Yves Gaudemet, le véritable critère de la concession serait que le concessionnaire tire sa rémunération, sous une forme ou sous une autre, de l’exploitation du service.

La concession a pour caractéristique de concilier l’intérêt général du service avec l’exercice de l’activité par un particulier dont l’exigence est celle de son intérêt personnel. Elle a été utilisée dans des domaines économiques divers et importants (distribution du gaz et de l’électricité, autoroutes, sources thermales, etc.).

Des règles spécifiques régissent le libre choix du concessionnaire par l’autorité concédante, sous réserve des règles de mise en concurrence posées par la loi du 29 janvier 1993.

Les rapports entre l’autorité concédante et le concessionnaire sont régis par la convention de concession et par le cahier des charges qui établit les règles d’organisation et de fonctionnement du service ainsi que les droits et obligations des cocontractants. Le concessionnaire a l’obligation primordiale d’assurer le fonctionnement du service et d’exécuter personnellement la concession sous le contrôle de l’administration, qui dispose d’un pouvoir de modification unilatérale. En contrepartie, il bénéficie d’un droit à rémunération, d’avantages contractuels et d’un droit à l’équilibre financier du contrat.

Les établissements publics, qui sont des personnes morales de droit public disposant de l’autonomie financière et ayant pour objet la gestion d’un service public, les entreprises publiques, les sociétés d’économie mixte ou les ordres professionnels constituent d’autres modes de gestion des services publics.

Le développement de ces organismes intermédiaires traduit une certaine carence de l’administration traditionnelle et présente des moyens d’associer le secteur privé à l’élaboration et au financement d’une politique. Il répond au souci d’une plus grande souplesse d’action et à celui de neutralité, et permet d’échapper à la rigidité de certaines règles financières et comptables.

Mais de tels organismes présentent des risques. Ils participent à l’altération de la notion de service public en favorisant la dilution des responsabilités ou la dispersion des actions. Ils participent à l’accroissement des coûts fixes des services et permettent des détournements des règles de la fonction publique par les mécanismes de détachement, de recrutement et les avantages financiers qu’ils autorisent. En bref, ils participent au phénomène du démembrement de l’administration.

Un renouveau du service public

Les services publics sont confrontés aux mutations de la société contemporaine. Les transformations économiques et sociales de la société civile; l’évolution des mentalités, qui illustre les aspirations à une démocratie plus directe ou plus proche; la médiatisation des rapports sociaux; les mises en œuvre de politiques de décentralisation, de déconcentration et de rationalisation des services à la lumière d’exigences d’efficacité ou de rentabilité; en fait, la remise en cause de l’idée traditionnelle de l’État, jugée trop bureaucratique et autoritaire, la prise de conscience des limites de l’action de l’État-providence ainsi que le renouveau des thèses libérales sont autant d’éléments d’une nouvelle adaptation des services publics.

Par ailleurs, l’Europe, avec ses administrations, son pouvoir normatif et la jurisprudence de ses juridictions joue un rôle non négligeable dans l’évolution du contexte qui préside à l’exécution des missions de service public.

L’extrême diversité des activités et des structures et l’évolution de l’environnement expliquent l’effort de renouveau du service public. Dès lors, c’est à la fois l’activité elle-même, ses structures, son fonctionnement et l’esprit dans lequel elle est exercée qui doivent évoluer.

La diversité des activités de service public et des moyens mis en œuvre, leur coût collectif ainsi que la variabilité de leurs résultats conduisent à s’interroger sur l’utilité de l’extension du champ d’activité des services publics. Et l’on en revient à l’idée que l’action publique n’est légitime que lorsque le marché est défaillant, par nature ou en raison de circonstances spéciales – ce qui, par ailleurs, justifie la décision politique de transférer certaines activités à l’économie de marché et à l’initiative privée.

Quelle que soit sa diversité, cependant, l’activité des services publics doit s’adapter aux mutations de la société, qu’illustrent la crise de l’intérêt général, l’utilisation de nouvelles technologies, les conséquences des politiques de décentralisation et une nouvelle conception du rapport entre le service et les usagers.

L’évolution des rapports à l’autorité et à l’argent ainsi que la force des aspirations individualistes ont alimenté une désaffection du citoyen pour la chose publique, une crise de l’État et une critique de la conception classique de l’intérêt général. La prééminence de ce dernier est remise en question et, par là même, la légitimité des missions de service public.

La banalisation dans la société civile de l’utilisation des techniques informatiques, par les moyens nouveaux qu’elles créent et les possibilités qu’elles offrent, opère un bouleversement des appréciations portées sur l’accès au service, la rapidité des interventions, les modes de prise de décision, et l’efficacité des missions.

La décentralisation, qui a eu pour effet un important transfert de compétences de l’autorité centrale aux autorités locales, soulève le problème de la cohérence de la répartition des compétences et des modes de financement entre l’État et les collectivités locales. Ces dernières bénéficient de l’avantage d’être plus proches des usagers, de permettre des actions plus rapides et plus souples et de favoriser l’initiative locale et l’individualisation des prestations. Mais le développement des services publics des collectivités locales est allé de pair avec l’apparition d’intérêts locaux concurrents, l’opacité des procédures de choix, l’imprécision des objectifs poursuivis, la concurrence avec des services de l’État, l’absence de coordination entre les différents services, voire le développement de l’arbitraire et de la corruption au niveau local ou l’atteinte à l’égalité devant les services.

La déconcentration, dont l’objet est de déléguer à des autorités locales le pouvoir de décision, a entraîné d’autres confusions, en raison de l’empirisme de certaines décisions, du cloisonnement des administrations de l’État et de la pesanteur des habitudes administratives. C’est pourquoi l’État a entrepris une double action de coordination des services, pour donner plus de cohérence à ses actions, et de transparence et de simplification de ses structures, afin d’accroître l’efficacité des services publics.

Enfin, l’aspiration est forte d’un nouveau rapport entre le service public, les usagers et les personnels. Non plus un rapport d’autorité, mais plutôt un rapport d’interaction. La revendication est vive d’un rôle plus actif des usagers et des personnels. Un tel rôle tendrait à reconnaître une association sinon un partage du pouvoir d’initiative ou d’orientation, ainsi que la communication d’une information claire, complète et fiable sur les objectifs poursuivis et sur la gestion des moyens humains, techniques et financiers mis en œuvre.

De telles mutations impliquent une évolution de l’attitude des personnels dans leurs rapports à l’autorité, au service et aux usagers. Il est une morale républicaine, consubstantielle de l’idée de l’État, que reflète le statut de la fonction publique. Il est une idée des agents sur le sens de l’action des services publics, et sur les valeurs qu’elle exprimait. De l’une comme de l’autre résultent des habitudes et des comportements. Les objectifs de transparence, de décentralisation, de productivité ou d’accueil des usagers ont mis à mal bien des habitudes bureaucratiques, sans redonner aux agents un sens cohérent du service public. D’autant que le doute ressenti quant à leur fonction ou à leur position sociale n’était pas sans liens avec la crise de l’État et la critique de son fonctionnement et de ses valeurs.

L’enjeu du renouveau des services publics dépend de la capacité de l’État à résoudre ces multiples difficultés, à redonner à son action une cohérence et une intelligibilité, et à définir le sens du service public, préservant la notion de tout dévoiement et de toute obsolescence.

Service public activité d'intérêt général, assurée par un organisme public ou privé soumis aux règles qui sortent du droit commun ; organisme assurant une activité de ce genre.

Encyclopédie Universelle. 2012.