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TITO
TITO

Président de la république socialiste fédérative de Yougoslavie et président de la Ligue des communistes de Yougoslavie, Tito a été l’un des grands chefs d’État de la seconde moitié du XXe siècle, donnant à la Yougoslavie une place internationale.

Membre du Parti communiste yougoslave en 1920, il en deviendra le secrétaire de facto en 1936 et en fera un parti discipliné et actif. Il a été l’artisan de la lutte contre l’occupant pendant la Seconde Guerre mondiale et, par là, de la révolution yougoslave. Personnalité déterminante du P.C.Y. et de la Yougoslavie depuis 1945, il a su résister à Staline en 1948 et il a affirmé une voie indépendante vers le socialisme avec l’autogestion sur le plan intérieur, l’indépendance et le non-alignement sur le plan extérieur.

La jeunesse et l’expérience de la révolution bolchevique

Très mouvementée, la vie de Tito comprend plusieurs périodes et comporte encore des points obscurs, sa biographie officielle n’en a précisés certains que récemment. Josip Broz est né le 7 mai 1892 d’un père croate et d’une mère slovène à Kumrovec, village situé au nord-ouest de Zagreb, dans la partie hongroise de l’Empire austro-hongrois; son anniversaire officiel dans la Yougoslavie socialiste sera le 25 mai, jour de la Jeunesse. Son enfance au village l’a sûrement marqué. Il a connu la vie difficile d’une famille paysanne nombreuse (sept seulement de ses quinze frères et sœurs ont survécu) encore que sa famille fût assez bien lotie par rapport aux autres villageois et qu’il vécût des moments heureux surtout auprès de ses grands-parents maternels. Il entendit les récits des luttes paysannes d’autrefois contre les seigneurs étrangers, notamment celle de Matija Gubec, chef d’un soulèvement au XVIe siècle dans les régions croates et slovènes soumises à l’Autriche – Gubec que l’on a évoqué parfois à son propos, ainsi dans un discours officiel lors de sa mort. Tito fréquenta l’école primaire, mais il dut quitter le village à quinze ans et, manquant d’argent pour émigrer outre-mer comme son père l’aurait voulu, il s’engagea comme serveur dans un restaurant à Sisak, ville au sud de Zagreb, puis il fit son apprentissage de serrurier chez un Tchèque jusqu’en 1910. Il trouva ensuite un emploi à Zagreb, où il s’inscrivit au Syndicat des métallurgistes, devenant de ce fait automatiquement membre du Parti social-démocrate. Il travaille ensuite dans diverses villes d’Autriche-Hongrie et d’Allemagne. À l’automne de 1913, il doit faire son service militaire dans l’armée austro-hongroise et devient sous-officier. Il est à Zagreb en 1914 quand éclate la guerre dans laquelle les Yougoslaves d’Autriche-Hongrie se trouvent tragiquement engagés contre les Serbes et les Monténégrins. Sans doute pour ménager les susceptibilités serbes, ce n’est qu’en 1977 que Tito reconnaîtra officiellement avoir combattu directement contre les Serbes jusqu’à la fin de 1914. Épisode contesté, il aurait été emprisonné à Novi Sad pour avoir annoncé qu’il se livrerait aux Russes une fois sur leur front, mais il aurait été libéré après avoir nié avoir tenu de tels propos. Envoyé au début de 1915 sur le front russe dans les Carpates, il se bat et est blessé à deux reprises; la seconde fois, en mai 1915, il est fait prisonnier et restera longtemps entre la vie et la mort.

Il se trouve bientôt mêlé à la révolution russe, mais, selon ses propres déclarations, sa participation y sera modeste. Toutefois, ces événements vont le marquer; il est en contact avec des bolcheviks et lit la littérature révolutionnaire. Tout d’abord, il refuse de s’engager dans le corps des volontaires serbes luttant contre l’Autriche-Hongrie. Il est alors interné dans des camps de prisonniers en Sibérie. Lors de la révolution de février 1917, il reste prisonnier, mais ses liens avec des bolcheviks l’obligent à s’enfuir à Petrograd où il participe aux manifestations de juillet 1917 contre Kerenski. Il tente de quitter la Russie par la Finlande mais sans succès et est renvoyé en Sibérie; il s’échappe et arrive à Omsk quand la révolution bolchevique éclate. Il entre dans la Garde rouge internationale, mais son unité, chargée de la sécurité de la ville, ne participe pas aux combats. Quand les blancs reprennent le contrôle de la région, Tito se cache dans un village kirghize. Dans Omsk libéré par l’Armée rouge en novembre 1919, il prend contact avec des représentants de l’organisation communiste yougoslave en Russie et, comme il l’a déclaré lui-même lors d’une interview à la fin de 1977, il aurait même été admis au Parti communiste. Au printemps de 1920, il regagne par le nord de l’Europe l’État yougoslave nouvellement créé.

L’activité dans le P.C.Y. et dans le Komintern

À son retour, il apprend que sa mère est morte en 1918 à Kumrovec. Il s’installe à Zagreb et, en octobre 1920, il entre au Parti communiste yougoslave qui vient d’être créé. Il participe à la campagne du parti pour les élections, à des grèves, mais jusqu’en 1924 son activité semble avoir été limitée; le parti est d’ailleurs interdit à la fin de 1920. Licencié au début de 1921, il trouve un emploi dans un moulin de Slavonie où il reste jusqu’en 1924 quand il en est chassé par le nouveau propriétaire. En effet, en 1923, il a été contacté par un organisateur du parti et a repris ses activités. À partir de 1925, il va s’affirmer comme fonctionnaire politique du parti. Il organise la vie du parti et la vie syndicale dans divers lieux où il est embauché, ce qui lui vaut d’être souvent licencié (chantiers navals de Kraljevica, entreprise de wagons de Smederevska Palanka, usine de machines de Zagreb). Revenu à Zagreb en 1928, il devient secrétaire de l’Union des métallurgistes de Zagreb, puis de Croatie, mais est emprisonné à Ogulin pour son activité antérieure. Laissé en liberté provisoire, il s’enfuit à Zagreb où il devient membre du comité local du parti. Lors de la VIIIe conférence de ce comité (févr. 1928), Tito prend parti contre les fractions de gauche et de droite qui divisent le parti et une lettre est envoyée au Komintern lui demandant de l’aide pour les réduire. Sous l’inculpation d’avoir préparé des attentats, il est arrêté en août 1928; au procès qui a lieu en novembre, il affirme avec force ses convictions communistes et ne reconnaît pas la légitimité de la loi ni la compétence du tribunal, mais il nie avoir participé à un complot. Il est condamné à cinq ans de travaux forcés.

Il passe ces années dans la prison de Lepoglava puis dans celle de Maribor. Il peut cependant y exercer son métier de mécanicien; surtout, il rencontre d’autres communistes yougoslaves avec lesquels il organise des cours de marxisme. À Lepoglava notamment, il améliore sa formation théorique au contact de Moše Pijade, juif de Belgrade, intellectuel et artiste avec lequel il se lie d’amitié. À sa sortie de prison, il est assigné à résidence à Kumrovec, mais il passe rapidement dans la clandestinité et renoue avec le Parti communiste (il est membre de la direction régionale de Croatie). Il est alors chargé d’établir le contact avec le comité central qui, ayant fui la répression, se trouve à Vienne, y compris le secrétaire général Milan Gorki が. Tito y est alors coopté dans le Politburo et reçoit pour tâche d’organiser la conférence du parti en Slovénie prévue pour septembre 1934. Après l’assassinat du roi Alexandre, la situation est tendue en Yougoslavie et Tito se rend à nouveau à Vienne, d’où il ne reviendra que pour assister à la IVe conférence du P.C.Y. en décembre 1934, qui marque le début d’un renouveau dans le parti après la désorganisation entraînée par la terreur antérieure. C’est à cette époque qu’il prend le surnom de Tito, prénom existant en Croatie.

À nouveau à Vienne, membre du Politburo, Tito est affecté à la section des Balkans du Komintern dont il devient un fonctionnaire salarié jusqu’en 1937 sous le nom de Walter. C’est alors un nouveau contact avec la patrie du socialisme, des rencontres avec des communistes étrangers. Tito fait en U.R.S.S. un premier séjour, du début de 1935 à la fin de 1936, qui sera suivi de plusieurs autres. Outre son travail pour le Komintern sous la direction de Wilhelm Pieck, il enseigne à l’École léniniste internationale et à l’Université communiste des minorités nationales d’Occident. Il assiste au VIIe congrès du Komintern (fin juillet-août 1935), où il voit Staline sans le rencontrer personnellement. Il va aussi en Oural. Il aurait pris alors conscience des problèmes du socialisme soviétique, mais les aurait jugés passagers sans en discerner les causes et n’en fait pas mention en Yougoslavie dans l’intérêt du mouvement communiste. Pour renforcer le P.C.Y. toujours divisé, en août 1936, le Komintern nomme Tito secrétaire organisationnel, Gorki が restant secrétaire général. À l’automne, Tito quitte Moscou avec pour tâche de réorganiser le parti en Yougoslavie, d’y créer une direction interne et de recruter des volontaires pour l’Espagne. Tito a-t-il été en Espagne? La question reste posée; il fait en tout cas plusieurs séjours à Paris, où est transféré de Vienne le comité central; il réside au quartier Latin, apprend le français en lisant L’Humanité , visite le mur des Fédérés. Mais en U.R.S.S. les purges atteignent les communistes étrangers; en juin 1937, Gorki が est rappelé à Moscou et bientôt liquidé. Tito prend de fait la direction du parti en août 1937, avec le soutien des communistes yougoslaves. L’influence de son principal rival, le Monténégrin Petko Mileti が, est combattue avec succès parmi les nombreux communistes de la prison de Mitrovica par Pijade qui s’y trouvait, ainsi d’ailleurs que Mileti が. Tito envoie de nombreux rapports au Komintern et réclame des solutions aux problèmes du P.C.Y. En janvier 1938, le Komintern lui confie la responsabilité de l’activité du parti et, en mars 1938, Tito crée une direction provisoire du parti en Yougoslavie même, ce qu’il avait toujours jugé nécessaire. Celle-ci, qui deviendra le comité central en mars 1939, comprend les principaux dirigeants du futur État socialiste (E. Kardelj, M. Djilas, A. Rankovi が notamment). La question du P.C.Y. va être finalement résolue pendant le séjour que Tito fait à Moscou au cours du second semestre de 1938, durant lequel il traduit en serbo-croate l’histoire du parti bolchevique de Staline. Grâce à l’appui du dirigeant bulgare Georgi Dimitrov, le Komintern renonce à dissoudre le P.C.Y. et, après avoir réussi à se défendre devant une commission d’enquête de l’accusation de trotskisme lancée par ses adversaires, Tito est officiellement nommé secrétaire général au début de 1939. On s’est souvent demandé comment Tito avait pu échapper aux purges; son sens aigu du danger l’a sans doute aidé: en octobre 1937, il n’a pas répondu à une convocation du Komintern et, durant son premier séjour, il s’est peu mêlé aux discussions entre étrangers, préférant travailler seul. Quant à son attitude envers les communistes yougoslaves liquidés – autre point controversé –, il n’aurait été interrogé sur eux qu’après leur arrestation. Au début de 1940, il revient en Yougoslavie par la Turquie. La Ve conférence du P.C.Y. en octobre 1940 à Zagreb témoigne des résultats de son travail en faveur de l’unité du parti, de sa capacité d’action, de l’indépendance financière vis-à-vis du Komintern qu’il a affirmée après la suppression de l’aide au P.C.Y. en 1937.

Le chef des Partisans et le chef de l’État yougoslave

Le 6 avril 1941, quand l’Allemagne attaque la Yougoslavie, Tito se trouve à Zagreb. Sous sa direction, le P.C.Y. envisage un soulèvement, mais ne le déclenche qu’après l’invasion de l’U.R.S.S. par l’Allemagne en juin 1941. Tito devient le chef de l’état-major des unités de Partisans (juill. 1941) et va créer une véritable armée de libération (1942); il sera maréchal en 1943. Passé à Belgrade en mai 1941, il prend le maquis en septembre et participe aux combats de la résistance jusqu’à la fin – il sera blessé à la bataille de la Sutjeska en 1943. Mais le P.C.Y. affirme aussi la représentativité politique du mouvement des Partisans contre le gouvernement en exil à Londres et réussira à la faire reconnaître par les Alliés – Tito est le président du comité exécutif (créé en novembre 1943) du Conseil antifasciste de libération nationale. En août 1944, il rencontre Churchill à Naples et, en septembre, Staline à Moscou pour la première fois. Les qualités de stratège militaire de Tito ont été discutées (erreurs tactiques selon Djilas par exemple), mais il a saisi l’importance qu’il y avait à prendre le maquis et à s’implanter dans les villages, il a su organiser le combat des Partisans et acquérir leur loyauté par ses qualités de dirigeant. Il a compris la possibilité de tranformer la lutte de libération contre l’occupant en révolution, sans faire référence au socialisme mais en prenant position contre le pouvoir ancien, pour la justice sociale, et en affirmant le pouvoir du P.C.Y. pendant la guerre même, dans une semi-guerre civile, contre son principal opposant, les Tchetniks serbes du Dra face="EU Caron" ゼa Mihajlovi が, représentant du gouvernement royal, et autre force de résistance. Autre facteur important, Tito a proclamé le maintien de l’État yougoslave, alors démembré, et a fait appel à toutes les nationalités dans l’égalité et la fraternité.

Devenu, le 7 mars 1945, le chef du nouveau gouvernement de la Yougoslavie libérée, il détient ensuite jusqu’à sa mort les plus hautes fonctions dans l’État (Premier ministre puis président de la République à partir de 1953) et dans le parti (secrétaire général puis président de la Ligue des communistes), fonctions que respectivement la Constitution de 1974 et le statut du parti de 1978 lui reconnaissent officiellement à vie pour sa contribution à la révolution yougoslave. Son action après 1945 est indissociable de l’histoire de la Yougoslavie socialiste. Malgré son attachement au marxisme-léninisme, à l’U.R.S.S. et à Staline, Tito a refusé de s’incliner en 1948 devant Staline et le Kominform qui critiquaient les orientations données par les dirigeants du P.C.Y. au régime yougoslave, grâce au soutien des autres dirigeants, fidèles compagnons d’avant guerre et grâce à son prestige de chef des Partisans; il a créé ainsi la première brèche dans le monolithisme du mouvement communiste. Il a affirmé le droit de l’État socialiste à la souveraineté et à une voie indépendante dans l’édification du socialisme. Pour la Yougoslavie, il a développé l’autogestion, théorisée par le dirigeant d’origine slovène Edvard Kardelj. Si la lutte contre les opposants a été très dure dans l’immédiat après-guerre, y compris contre les partisans de l’U.R.S.S. en 1948, Tito a su laisser se développer, par la suite, un mode de vie qui convenait à la population, mêlant traditions de la société paysanne, caractéristiques de la «société de consommation», influences culturelles occidentales. Il avait pour une grande partie de la population un rôle «charismatique»; lors de sa mort, nombre de Yougoslaves ont pu ressentir un peu la perte d’un père. Sur le plan politique, il était l’arbitre entre les intérêts divergents des républiques et nationalités. En politique étrangère, il a affirmé l’indépendance de la Yougoslavie et a été un des artisans du Mouvement des non-alignés avec Nehru et Nasser, notamment. Jusqu’à un âge avancé, il est resté très actif, faisant encore de nombreux voyages pour consolider le mouvement non aligné. Il est mort le 4 mai 1980, à la suite d’une longue agonie, et est enterré près de Belgrade dans un mausolée très simple. Certes, après sa mort, nombre de problèmes sont apparus non résolus (persistance des dissensions entre nationalités, difficultés économiques); cependant l’État yougoslave a survécu dix ans à sa disparition.

Tito a été marié trois fois: en 1920 avec Pélagie Belusnova, une Russe qui retourna dans son pays en 1928 (un seul de leur quatre enfants survécut), en 1940 avec Herta Has dont il eut un fils, en 1952 avec Jovanka Budisavljevi が, une Serbe de Lika, ancienne Partisane dont il se sépara officieusement en 1977 – elle aurait comploté avec des officiers. Chose rare pour un dirigeant communiste, Tito avait accepté à la fin des années 1960 un reportage photographique sur ses activités privées.

Tito
(Josip Broz, dit) (1892 - 1980) maréchal et homme politique yougoslave. Fils d'un forgeron, soldat austro-hongrois passé dans l'armée Rouge (1917-1923), cofondateur du parti communiste yougoslave, de nombr. fois incarcéré (notam. de 1928 à 1934), secrétaire général du Parti en 1937, il organisa la lutte armée contre l'occupant nazi (1941-1945). Après la proclamation de la république, il devint chef du gouvernement (1945-1953), puis président de la République (élu à vie en 1974). En 1948, Tito refusa de suivre les directives de l'U.R.S.S. et voulut fonder le socialisme sur l'autogestion. Lors de la déstalinisation (à partir de 1956), ses rapports avec l'U.R.S.S. s'améliorèrent. Il soutint Dubcek en 1968. Son prestige dans le tiers monde (il fut l'un des champions du non-alignement) a été considérable.

Encyclopédie Universelle. 2012.