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TRAPPISTES
TRAPPISTES

TRAPPISTES

Nom donné, jusqu’à la fin du XIXe siècle, aux cisterciens réformés par l’abbé de Rancé, au XVIIe siècle, et installés en France, dans plusieurs abbayes, à la suite de la Révolution, par dom de Lestrange. En 1140, des moines de l’abbaye du Breuil-Benoît de la congrégation de Savigny avaient fondé un nouveau monastère entre Mortagne et Laigle (Orne). Ils l’appelèrent la Maison-Dieu, mais bientôt le nom populaire de Trappe prévalut, les trappes étant dans le parler du Perche les marches qu’il fallait descendre pour aller pêcher le poisson des étangs... En 1147, la congrégation de Savigny tout entière entra dans l’ordre de Cîteaux en s’affiliant à Clairvaux.

L’abbaye de la Trappe eut une histoire semblable à celle de la plupart des abbayes cisterciennes. En 1528, le roi imposa à ses moines un abbé commendataire. Cette dignité fut attribuée en 1628 à Victor Le Bouthillier, qui la céda en 1630 à son neveu François Le Bouthillier. À la mort de celui-ci, elle revint à son frère Armand Jean Le Bouthillier de Rancé (1626-1700). Ordonné prêtre en 1651, Rancé mena une vie assez libre jusqu’en 1660. Converti, il passa deux ans dans la retraite en son château de Véretz, fit un an de noviciat à l’abbaye de Perseigne et, en 1663, obtint du roi de devenir abbé régulier de la Trappe. Il entreprit alors avec fougue de rétablir l’observance dans le monastère dont il était l’abbé commendataire depuis trente ans environ. Il y avait un demi-siècle qu’un mouvement de réforme de l’ordre cistercien tentait de ramener celui-ci aux observances des débuts; Rancé s’y rallia avec violence et travailla à l’imposer à tous les cisterciens, mais il se heurta à une farouche résistance de la part de la majorité des abbayes et fut désavoué par le pape lui-même.

En fait, Rancé, qui s’était formé seul à la vie ascétique, avait un idéal beaucoup plus proche de celui des pères du Désert que de celui de Cîteaux. Ne pouvant faire adopter ses vues par les cisterciens, même réformés, il gouverna la Trappe à sa façon, instituant dans son monastère une vie très austère qui impressionna beaucoup ses contemporains. Il s’acquit une réputation moins louable, mais de grande amplitude, en attaquant notamment les cisterciens mitigés, les jésuites, les bénédictins de Saint-Maur, les chartreux, par des allégations qui eurent une longue carrière, portant préjudice à des religieux qui n’avaient d’autre tort que de ne pas suivre l’avis du réformateur. La communauté de la Trappe, composée d’une petite centaine de moines, resta fervente et exemplaire durant tout le XVIIIe siècle, mais sans essaimer.

La Révolution ayant supprimé tous les monastères de France, vingt-quatre moines de la Trappe se réfugièrent en 1791, dans l’ancienne chartreuse de la Valsainte en Suisse, sous la direction de dom Augustin de Lestrange. Homme énergique qui renchérissait sur les austérités de Rancé, Lestrange réussit à maintenir la cohésion de sa communauté. Pour fuir les armées françaises victorieuses, il la conduisit jusqu’en Russie. En 1802, il revint à la Valsainte et envoya même des moines desservir l’hospice du Mont-Genèvre. Lorsque Pie VII excommunia Napoléon en 1809, Lestrange prit sans compromission le parti du pape et dut fuir en Amérique.

Il rentra en 1815 et racheta les bâtiments de la Trappe, reconstituant ainsi en France un premier monastère cistercien; il en rétablit plusieurs autres par la suite, auxquels on donna le nom de «trappes». Le romantisme aidant, l’austérité de Lestrange fit naître et prospérer une série de légendes sur «la sombre Trappe», où les moines sont obsédés par l’idée de la mort, creusent chaque jour leur tombe, sont tous des scélérats qui ont tué père et mère, s’établissent en des lieux malsains pour mourir plus vite, etc. Ces conceptions morbides, qui ne déplaisaient pas à Lestrange, furent mal acceptées par certains moines et provoquèrent des scissions: des congrégations indépendantes se formèrent autour des abbayes de Sept-Fons en France et de Westmalle en Belgique.

Les bouleversements révolutionnaires et la suppression des monastères français, qui avaient depuis le XIIe siècle une place privilégiée dans ses structures, conduisaient l’ordre cistercien à un émiettement. En 1892, Léon XIII approuva la fusion des trois congrégations issues de la Trappe et créa ainsi l’ordre des Cisterciens réformés ou de la stricte observance, entièrement séparé juridiquement du saint ordre de Cîteaux, qui groupe toutes les autres congrégations cisterciennes. Le nom de trappistes, maintenu dans le langage courant, disparut de la terminologie officielle. En 1898, les cisterciens de la stricte observance restaurèrent l’abbaye de Cîteaux; leur abbé général prit le titre d’abbé de Cîteaux et non de la Trappe. Ce changement est significatif: sans renier Rancé ni Lestrange, les cisterciens d’aujourd’hui préfèrent se réclamer, plutôt que des idées de ces réformateurs, de l’authentique tradition des pères de Cîteaux du XIIe siècle.

Encyclopédie Universelle. 2012.