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URBIN
URBIN

S’intégrant magnifiquement dans le cercle harmonieux des collines des Marches qui descendent de la région de Montefeltro à la mer Adriatique, la petite ville d’Urbin tire sa renommée de l’art né entre ses murs pendant la Renaissance. C’est alors qu’elle se peupla d’architectes, de peintres, de sculpteurs, d’hommes de lettres et de poètes, venus des contrées les plus diverses, non seulement d’Italie, mais aussi de l’étranger. L’atmosphère qui régnait à Urbin permit à ces hommes de créer une ambiance culturelle homogène. Celle-ci fit naître, au cours des dernières décennies du XVe siècle, une forme de civilisation qui, tout en adhérant parfaitement aux idéaux de la Renaissance italienne, eut des expressions tout à fait particulières. Aussi est-ce à Urbin, et pas ailleurs, que se trouvèrent réunies les conditions qui favorisèrent la naissance et la formation d’artistes comme Bramante et Raphaël. Mais la plus grande gloire d’Urbin réside dans les structures du palais construit pour être le siège de la cour ducale; dans le domaine de l’architecture, c’est l’un des témoignages majeurs du pouvoir créateur des hommes. La ville s’identifie avec ce chef-d’œuvre incomparable et forme avec lui un tout d’une parfaite unité.

De l’Antiquité à la Renaissance

Ce que l’on sait des origines d’Urbin est fragmentaire et incertain. Mais des auteurs de l’Antiquité dignes de foi, comme Varron et Pline l’Ancien, affirment que ces origines sont très lointaines. Quelques vestiges de très vieilles murailles, existant entre la cathédrale et le palais de l’archevêché, prouvent que, dès les temps les plus reculés, la ville eut un rôle militaire considérable, certainement dû à sa position hautement stratégique. Au IIIe siècle avant J.-C., elle passa sous la domination de Rome et devint plus tard municipium ; son importance se développa graduellement, ainsi que l’attestent de nombreux restes archéologiques: cippes, épitaphes, nécropoles, fondations d’édifices et, plus encore, les vestiges d’un théâtre – datant peut-être de l’époque d’Auguste – mis au jour aux alentours du palais ducal. Les renseignements assez rares, remontant au Moyen Âge, se bornent à rappeler le siège et la capitulation d’Urbin lorsque Théodoric, qui défendait la forteresse, dut se rendre, vaincu par l’armée de Justinien. Puis la ville fut conquise par les Longobards; elle revint ensuite sous la domination de Byzance et passa finalement à la papauté. Mais il est impossible d’imaginer quel était l’aspect de la cité au cours de cette longue période. Les rues forment encore un réseau: dans la partie la plus centrale de l’agglomération, elles sont clairement disposées selon les deux orientations du cardo et du decumanus. Une œuvre architecturale très importante fut réalisée au XIe siècle, lorsque la vieille cathédrale, qui s’élevait à proximité du croisement de ces deux rues, cessa d’être le siège de l’évêché. Cette église était dédiée à saint Serge. Le nom de son titulaire permet de supposer qu’elle remontait au Ve-VIe siècle, c’est-à-dire à la première période de la domination de Byzance. Le nouveau siège fut situé au sommet de la colline sur laquelle, pendant la domination romaine, avait été construit le théâtre et où, plus tard, sur les murs d’une forteresse antique, avait été édifiée l’église de Santa Maria della Rocca. Il ne reste rien des structures – certainement romanes – de la nouvelle cathédrale, entièrement rénovée pendant et après la Renaissance. Au cours du XIIIe et du XIVe siècle, de nombreux édifices de style gothique constellèrent l’agglomération. Entre-temps, celle-ci s’était étendue dans toutes les directions, comme le prouvent les restes des murailles qui remontent à cette époque et qui surgissent encore, çà et là, parmi les maisons. À cette même période appartiennent les églises Sant’Agostino, San Domenico et San Francesco, ainsi que maints vestiges d’architecture gothique, présents partout. À la fin du XIVe siècle, sur le haut de la colline opposée à celle où avait été transférée la cathédrale, fut édifiée la forteresse dite de l’Albornoz, tandis que, sur son flanc, la confrérie de San Giovanni construisait son oratoire. En 1416, Lorenzo et Jacopo Salimbeni da Sanseverino décorèrent l’intérieur de ce monument de fresques qui comptent parmi les plus vivantes et les plus intéressantes du gothique flamboyant. Depuis quelques siècles, la famille des Montefeltro – qui a tant d’importance pour l’histoire d’Urbin – consolidait peu à peu son pouvoir. Selon certaines sources, en 1155, Frédéric Barberousse avait nommé vicaire impérial de la ville Antonio de Montefeltro et, en 1181, il en avait confié le commandement militaire à Montefeltrano. Mais la dynastie des comtes d’Urbin débuta vers 1225, avec le fils de Montefeltrano, Buonconte, dont l’investiture fut décidée par Frédéric II de Souabe. Comme le pouvoir des Montefeltro était d’origine gibeline, leurs rapports avec l’Église connurent des vicissitudes, parfois orageuses, jusqu’à ce que le comte Antonio eût réussi à obtenir du pape Boniface IX, en 1390, la reconnaissance de toutes ses possessions. Quelques décennies plus tard, sa brillante action politique fut poursuivie par Frédéric, qui devint seigneur de la ville en 1444, et fut nommé duc d’Urbin par le pape Sixte IV, tout en conservant le titre (d’origine impériale) de comte de Montefeltro. Il porta sa famille au faîte de la gloire, et donna à Urbin le rôle de capitale de ses domaines, transformant radicalement la ville selon les courants culturels de la Renaissance.

Urbin, ville de la Renaissance

Le palais ducal

Les anciens biographes rapportent que Frédéric de Montefeltro aurait été un homme expert non seulement en armes et en politique, mais aussi en architecture, au point de pouvoir diriger lui-même l’exécution du plan et la construction de sa résidence. Il est sûr que sa culture, dans le domaine artistique, devait être très grande; de son côté, son épouse, Battista Sforza, avait de telles connaissances humanistes qu’elle eut une influence considérable sur le mécénat que son mari exerçait avec largesse en faveur des artistes. Ils furent bientôt très nombreux à Urbin, et l’on compta parmi eux les plus grands maîtres du temps, tels que Leon Battista Alberti, Luciano Laurana, Francesco di Giorgio, Piero della Francesca, Paolo Uccello, Ercole De’Roberti, Sandro Botticelli, Pérugin, Luca Signorelli, Melozzo da Forli, Ambrogio Barocci, Juste de Gand. Peu après 1455, Frédéric fit entreprendre la construction de sa demeure sur le haut de la colline. C’est déjà là que s’élevait la cathédrale romane et, non loin de celle-ci, la maison du comte Antonio, datant du XIVe siècle. Pendant de nombreuses années, ce chantier fut un extraordinaire creuset que fréquentaient architectes, ingénieurs, sculpteurs, graveurs, peintres, charpentiers, marqueteurs, copistes, enlumineurs, doreurs. Au milieu de cette société d’artistes et d’artisans, on relevait la présence d’hommes de lettres, dont certains résidaient de façon stable à Urbin, comme Vespasiano da Bisticci, tandis que d’autres, tels Marsile Ficin et, un peu plus tard, Bembo et Castiglione, n’y venaient qu’en qualité d’hôtes de passage. En établissant les plans de son palais, Frédéric fut constamment guidé par l’idée de créer un ensemble grandiose, qui, inséré entre la demeure du comte Antonio et la cathédrale, unifierait ces édifices en un tout architectonique. Il se proposait d’exprimer ainsi symboliquement, dans la résidence de la cour, l’unification de deux pouvoirs (le pouvoir gibelin et le pouvoir guelfe) que sa politique poursuivait. Son idée ambitieuse ne fut pas totalement réalisée: à sa mort, en 1482, les travaux furent interrompus avant que le nouvel édifice eût rejoint le palais du comte Antonio. Mais, simultanément, la cathédrale avait été elle aussi complètement reconstruite, de façon à former un seul corps avec la demeure ducale. C’est Francesco di Giorgio qui contribua principalement à donner une unité stylistique à un ensemble architectural si varié et si vaste. Il succéda, dans la construction du palais, à Luciano Laurana, qui avait lui-même continué un autre maître resté anonyme. On a cru pouvoir identifier ce dernier avec Maso di Bartolomeo qui, près de l’emplacement destiné au palais ducal, avait élevé le portail Renaissance de l’église San Domenico. Dans la lunette de ce portail trouva place une splendide majolique de Luca della Robbia.

Avec la construction du palais ducal, la physionomie d’Urbin changea radicalement. La cour devint le lieu de réunion des hommes politiques les plus représentatifs du temps. Les personnes appartenant à leur suite, souvent fort nombreuses, donnèrent de l’animation à la ville, dont la célébrité s’étendit rapidement au monde entier. Grâce à ces relations, Frédéric de Montefeltro dirigea habilement sa politique et acquit une place prestigieuse parmi les souverains de son époque, au point de recevoir solennellement des hommages – que beaucoup lui enviaient – du pape, du roi d’Angleterre, du chah de Perse, du roi de Naples et de presque toutes les familles régnantes d’Italie. Créant autour de lui un halo de gloire, le charme exercé par la beauté architecturale du palais ducal contribua à accroître la renommée et la puissance du duc d’Urbin. En même temps, la masse gigantesque de la demeure ducale donna à la ville une nouvelle dimension et changea radicalement son aspect. L’agglomération se trouva subordonnée dans ses proportions à cet ensemble imposant qui la dominait, et au pied duquel les petites maisons et même les églises semblaient minuscules: ainsi apparaissent-elles aujourd’hui, tout en formant un ensemble harmonieux très original. La civilisation de la Renaissance se manifesta, dans le palais, par des réalisations typiquement humanistes: la bibliothèque richement dotée de manuscrits grecs et latins, le studiolo (petit cabinet de travail de Frédéric), deux temples dédiés, l’un aux divinités païennes, l’autre aux figures du christianisme. En même temps, le rapport de réciprocité organique existant entre l’architecture du palais et le paysage donne à l’édifice des accents modernes qui préfigurent une vision avant-gardiste de l’architecture.

Les monuments d’Urbin

Tandis que la construction du palais était en cours, l’art de la Renaissance put s’exprimer aussi dans d’autres monuments. On mentionnera en particulier le palais Passionei et l’ancien hôpital della Misericordia (qui se rattachent encore à l’esprit de Luciano Laurana), l’ancien couvent de Santa Chiara, le petit palais Lucciarini et le couvent de San Bernardino, certainement élevés d’après des projets de Francesco di Giorgio. C’est à lui que l’on doit aussi attribuer l’église de San Bernardino, qui s’inspira probablement d’un projet de Bramante.

Au début du XVIe siècle, la ville fut entourée de murs imposants, munis d’élégantes tours en forme de cœur, d’après un projet de l’architecte d’Urbin, Battista Comandino, spécialiste d’ouvrages militaires. Ces fortifications donnèrent à Urbin, une physionomie sévère, mais elles renforcèrent son unité car elles s’harmonisaient étroitement avec les structures architecturales du palais ducal. Les ateliers locaux de majoliques, que fréquentaient des artisans d’une grande habileté comme Niccolò Pellipario et Mastro Giorgio, valurent en outre à la ville une renommée particulière. C’était l’époque où l’on voyait à la cour Bembo, le cardinal Bibbiena, Castiglione, Titien et Raphaël. Ce dernier modernisa et agrandit sa maison natale et vint y habiter. Dans la seconde moitié du siècle, Federico Barocci ouvrit un atelier de peinture. Cet artiste, qui exerça son activité à Urbin jusqu’à sa mort, en 1612, eut beaucoup d’influence sur l’art des XVIIe et XVIIIe siècles.

De la Renaissance à l’époque contemporaine

Le dernier duc étant mort en 1631 sans héritier, le patrimoine d’Urbin se trouva gravement amoindri. La bibliothèque du palais fut transportée au Vatican, le studiolo de Frédéric et le temple païen furent dépouillés de leurs peintures, le mobilier des appartements ainsi que les nombreuses œuvres d’art qui s’y trouvaient furent envoyés à Florence. La ville tomba rapidement en décadence. Elle connut, cependant, une nouvelle période de prospérité sous le pontificat de Clément XI (1700-1721), originaire d’Urbin. La résidence de la famille dont descendait ce pape – le palais Albani – fut agrandie et superbement décorée; nombre d’édifices publics et privés furent rénovés; le centre de la ville fut réaménagé avec la construction du collège des Scolopi, conçu par l’architecte Alessandro Specchi; près du palais ducal fut érigé l’obélisque égyptien provenant du temple d’Isis à Rome. C’est au cours de ces années que la ville prit son aspect définitif. Elle n’a pas été défigurée. Un centre habité a été construit depuis 1950, mais au-delà de la colline qui domine la forteresse de l’Albornoz. Ainsi, le centre historique d’Urbin a été presque complètement sauvé; il est devenu le siège d’instituts culturels qui jouissent d’un grand prestige: l’université, fréquentée par des milliers d’étudiants, l’Institut d’art pour l’illustration et la décoration de livres, l’un des centres d’activité les plus cotés existant en Italie dans le domaine de l’imprimerie.

Urbin est une ville dont le palais et les édifices attirent nombreux les amateurs de l’architecture de la Renaissance. Le palais ducal possède une remarquable collection de peintures, célèbre surtout par les œuvres de Piero della Francesca, de Melozzo da Forli, de Signorelli, de Raphaël et de Titien.

Encyclopédie Universelle. 2012.