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ZHU XI
ZHU XI

Dans l’histoire de la pensée chinoise, Zhu Xi est le plus important des maîtres de l’orthodoxie après Confucius lui-même. On lui doit la restauration moderne du confucianisme, éclipsé à partir de l’époque des Six Dynasties par les développements de la philosophie bouddhique. À sa doctrine est attaché plus particulièrement le nom de philosophie de la raison (lixue ), où le mot «raison» doit s’entendre au sens chinois de «raison d’être objective» des choses, à la différence de la raison connaissante, comme faculté de l’esprit, analysée par la philosophie critique occidentale. Écrivain aussi élégant que fécond, il a laissé une œuvre considérable, touchant à tous les domaines de la création littéraire et de l’érudition de son temps. Et, même si son influence idéologique s’est éteinte avec le régime impérial, ses commentaires des textes antiques conservent partiellement, aujourd’hui encore, une certaine valeur scientifique.

Les origines du néo-confucianisme

Sous les Sui et les Tang, la pensée bouddhique, armée des concepts raffinés de la spéculation ontologique indienne, avait supplanté sans peine, en Chine, dans l’élaboration d’une vision du monde mieux systématisée, plus riche de perspectives métaphysiques, la pensée traditionnelle, freinée par l’agnosticisme dans son élan spéculatif, fixée par le pragmatisme sur les problèmes concrets du maintien de l’ordre social. À partir de la fin de la dynastie des Tang, cependant, certains confucianistes s’émancipent de l’autorité des grands scoliastes Han pour transposer la vieille doctrine politico-morale de Confucius, à l’instar du bouddhisme, en termes de philosophie de l’être et de religion de salut. Cette réforme prend corps peu à peu dans ce que la doxographie de l’époque appelle la philosophie de la Voie (Daoxue ) et que la sinologie moderne désigne sous le nom de néo-confucianisme . Elle redécouvre la pensée de Mencius pour en exploiter métaphysiquement le côté mystique, précisément celui qui jusque-là avait fait repousser l’œuvre de ce philosophe en marge d’une orthodoxie attachée au positivisme de Xunzi; elle reprend possession de la science d’origine divinatoire, longtemps abandonnée à l’école taoïste, pour s’en faire l’instrument rationnel d’une explication exhaustive de l’univers. Vaste entreprise de rénovation doctrinale largement inspirée par le bouddhisme et le taoïsme contre lesquels elle était dirigée, son élaboration sera l’œuvre, sous les Song, d’une pléiade de penseurs: Zhou Dunyi (1017-1073), Shao Yong (1011-1077), Zhang Zai (1020-1077), les frères Cheng Hao (1032-1085) et Cheng Yi (1033-1108), mais surtout Zhu Xi (1130-1200), dont la figure continuera de dominer de très haut les huit siècles suivants de l’histoire de la pensée chinoise.

Moins une carrière qu’une vie studieuse

Né à Youqi dans le Fujian, fils d’un fonctionnaire provincial bon lettré, fort bien éduqué après la mort de son père par trois amis de celui-ci eux-mêmes très cultivés, Zhu Xi, remarquablement intelligent, réussit dès dix-neuf ans au concours triennal. Il va dès lors poursuivre dans la fonction publique une carrière qu’il se refusera toujours à pousser au-delà des postes de second ordre auxquels il sera successivement affecté, déclinant plusieurs fois des invitations à prendre à la capitale de plus hautes responsabilités. Aussi bien, il se consacre plus à l’étude qu’aux affaires administratives, non sans se risquer néanmoins à adresser occasionnellement à l’empereur des pétitions relativement audacieuses, et même, dans l’une d’elles, en 1163, à prendre position pour la guerre de reconquête du nord du pays, contre la politique de compromis avec les envahisseurs barbares pratiquée par le Premier ministre Tang Situi. D’abord séduit par le bouddhisme, que prisaient fort ses premiers tuteurs, ce n’est qu’à vingt-quatre ans qu’il est initié au néo-confucianisme par Li Dong, un héritier indirect de l’enseignement de Cheng Yi. Par la suite, il va se consacrer entièrement à propager à son tour une doctrine qu’il contribuera plus qu’aucun de ses prédécesseurs à fortifier par la vigueur de sa réflexion et à nourrir de son immense érudition; ce qui lui vaudra, partout où il passera, de si nombreux disciples que le pouvoir finira par en prendre ombrage. Accusé de subversion, il est privé de tous ses titres et démis de sa charge en 1196. Il obtient cependant un décret de mise à la retraite régulière en raison de son grand âge en 1200, juste avant de mourir de la dysenterie. Mais son renom, qui continue de croître, fait bientôt plus qu’effacer la disgrâce de ses dernières années: en 1227, Zhu Xi est anobli à titre posthume, et, en 1241, sa tablette funéraire est introduite dans le temps de Confucius.

La philosophie de la raison

La science divinatoire avait abouti très tôt, en Chine, à la formalisation de tous les phénomènes, physiques ou moraux, naturels ou historiques, selon les figures canoniques exposées dans le Livre des mutations (Yi jing ), à savoir les soixante-quatre hexagrammes engendrés par toutes les combinaisons possibles deux à deux des huit trigrammes, eux-mêmes formés de la triple composition des symboles des deux caractères ultimes de l’existence dans le monde: le masculin (yang ) et le féminin (yin ), assimilés respectivement à l’impair et au pair. La conception métaphysique de l’être qui répond à cette théorie est celle d’une unité antérieure au pair et à l’impair, donc transcendant l’un phénoménal, et à laquelle est donné le nom de principe suprême (taiji ). C’est à élever à un niveau inégalé de systématisation la cosmologie édifiée sur ces bases que s’employèrent surtout Zhou Dunyi, Shao Yong et Zhang Zai. Simultanément, les recherches des frères Cheng approfondissaient surtout la réflexion sur les rapports concevables entre d’une part la raison d’être (li ) de tous les existants de l’univers, c’est-à-dire le sens de la détermination intrinsèque de leurs particularités distinctives, de leur génération, de leur évolution, de leur disparition, et d’autre part la matière dans laquelle ils prennent forme, ramenée en dernière analyse à un proto-élément universel appelé éther (qi ). L’idée maîtresse de Zhu Xi fut d’identifier le principe suprême (taiji ), tel qu’il était présenté dans l’enseignement de Zhou Dunyi, et la raison des choses (li ), telle que la concevaient les frères Cheng. Sa philosophie de la raison revient ainsi en définitive à affirmer que l’être a un sens, au lieu de se réduire à une illusion creuse ainsi que le prétendaient les bouddhistes; sens interprété d’autre part en termes de valeur morale selon les catégories éthiques du confucianisme ancien, celui-ci se trouvant du même coup restauré sur des assises ontologiques nouvelles. La raison (li ), qui est indivisible et que chaque être possède tout entière, est en effet le bien. Le mal résulte seulement de ce que l’éther (qi ), qui forme matériellement tous les êtres en se diversifiant selon le yin et le yang , le mouvement et le repos, par agitation et déconcentration ou immobilisation et solidification, se trouble lui-même plus ou moins au cours de ce processus. La conscience (xin , littéralement le cœur ), qui n’est autre que la raison d’être (li ) de chaque être individualisé en tant que raison unie à une forme (xing ) matérielle, et qui habite aussi bien les êtres incapables de connaissance, formés surtout d’éléments yin , que les êtres capables de connaissance (les hommes), formés surtout d’éléments yang , se trouve par suite sujette à des obscurcissements, causes des penchants et des désirs irrationnels de l’égoïsme. La Voie consiste à faire briller en soi la lumière de la raison (li ) par une double discipline: ascèse des passions, non pas négative comme dans le bouddhisme, mais tendue par le respect (jing ), des valeurs morales, et ascèse de la connaissance, sur laquelle Zhu Xi insiste particulièrement, par l’étude assidue de la raison de toutes choses. Cette double discipline développe la sincérité (cheng ), à laquelle, comme dans le taoïsme, est ramenée la sagesse, et qui n’est autre que l’accord des comportements avec le sens de l’être universel. Un tel accord procure la sérénité, c’est-à-dire le bonheur, jusque dans la mort. Celle-ci se réduit à la dispersion dans l’éther des éléments constitutifs de la forme matérielle et à l’extinction corrélative de la conscience , la raison d’être du disparu se retrouvant intégralement dans le principe suprême ontologique. Quant aux rites du culte ancestral, ils servent seulement à rendre sensible la participation des descendants vivants au même éther que les ancêtres défunts.

Si cette doctrine a donné au confucianisme le prestige d’une philosophie architecturée d’une manière aussi imposante que le bouddhisme, ce n’est pourtant pas par l’ampleur du dessin de son système que Zhu Xi devait influencer le plus les développements ultérieurs de l’orthodoxie. Les lettrés chinois ont durant des siècles respecté en lui surtout le commentateur des textes canoniques le plus érudit de l’époque Song et confondu la recherche de la raison des choses, sur laquelle il mettait l’accent, avec la quête d’un savoir exclusivement traditionnel et livresque, à quoi s’est rapidement rétrécie la curiosité qu’il avait montrée lui-même dans toutes les formes de la culture de son temps. D’autre part, dans le néo-confucianisme, l’idéal de sincérité , à l’opposé de ce qu’il représentait dans le taoïsme de spontanéité non conformiste, a bientôt pris la signification d’un intégrisme de la vertu qui infecta la mentalité des zélateurs de la nouvelle orthodoxie d’un rigorisme moralisateur pire que chez ceux de l’ancienne, et d’autant plus odieux que de la haute spéculation ontologique il retombait à un niveau primaire.

Encyclopédie Universelle. 2012.