aboucher [ abuʃe ] v. tr. <conjug. : 1>
1 ♦ (XVIIe) Vx ou littér. Mettre en rapport, provoquer une entrevue. « Il m'a aussi abouché avec M. d'Espagne » (Racine). Pronom. S'aboucher avec qqn.
2 ♦ Mettre l'ouverture de (un conduit) contre celle d'un autre afin qu'ils communiquent. — Chir. Aboucher deux vaisseaux. ⇒ anastomoser.
● aboucher verbe transitif (de bouche) Joindre bout à bout des choses : Aboucher deux tuyaux. Mettre des gens en rapport : Il l'a abouché avec un trafiquant de drogue. ● aboucher (difficultés) verbe transitif (de bouche) Construction 1. Aboucher (+ noms de personnes). Plusieurs constructions sont possibles : aboucher une personne et une autre, à une autre, avec une autre. Remarque La construction directe (aboucher deux personnes ; il les a abouchés) est aujourd'hui littéraire et vieillie. 2. Aboucher (+ noms de choses). Plusieurs constructions sont possibles : aboucher un conduit à un autre, avec un autre ; aboucher deux conduits. 3. S'aboucher v. pr. Après la forme pronominale du verbe, avec et à sont également corrects : s'aboucher avec qqn, à qqn.
aboucher
v.
rI./r v. tr. Appliquer (un tube à un autre) par l'extrémité.
rII./r v. Pron.
d1./d (Souvent péjor.) Entrer en relation avec (qqn), en général pour affaires. Il s'est abouché avec un grossiste.
d2./d S'appliquer par une extrémité à (tubes). La descente d'eau s'abouche au collecteur.
⇒ABOUCHER, verbe trans.
I.— Forme active. [Le suj. ou l'agent est toujours un animé ou une part. d'animé par nature ou par personnification (cf. ex. 4)]
A.— Aboucher qqn ou qqc.
1. [Le compl. d'obj. dir. est un animé ou une entité qui concerne un animé] Mettre en rapport, en communication verbale, étroite, directe, comme bouche contre bouche :
• 1. ... prenez tout de suite rendez-vous avec lui; je m'en vais vous aboucher sur-le-champ.
P. MÉRIMÉE, Chronique du temps de Charles IX, 1829, p. 92.
• 2. Il ne s'agissait plus que de trouver un trait d'union convenable pour aboucher ces deux fantaisies qui venaient de se réveiller si vivaces.
Tout en marchant, Musette regardait Marcel, et Marcel regardait Musette.
H. MURGER, Scènes de la vie de Bohème, 1851, p. 177.
2. [Le compl. d'obj. dir. est un inanimé] Mettre en communication étroite, comme bouche contre bouche :
• 3. Le jeune homme s'écarta brusquement de cette grotte à clochards pour regagner les lumières, dépassant le grand magasin citrons-primeurs, pour gagner le carrefour qui abouche la rue des halles, la rue du Pont-Neuf et la rue Berger.
L. ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, p. 320.
Rem. Abouche dans l'ex. 3 fonctionne comme l'anton. de débouche, le 1er va du plus large au plus étroit, le 2e du plus étroit au plus large.
— MÉDECINE :
• 4. On abouche les lèvres vésicales et cutanées de l'incision...
HUDELO ds (F. Widal, P.-J. Teissier, G.-H. Roger, Nouveau traité de médecine, 1920-24, fasc. 1, p. 526).
3. Dial. — [L'obj. désigne une pers.] Coucher bouche contre terre :
• 5. Quand vous retirez de l'eau un noyé, ne l'abouchez pas.
J. HUMBERT, Nouveau glossaire genevois, 1852, p. 3.
— [L'obj. désigne un vase] :
• 6. V. a. Mettre sur la bouche, mettre sur l'ouverture, mettre à bouchon, tourner en sens contraire. Aboucher un pot, aboucher une seille pour l'égoutter.
J. HUMBERT, Nouveau glossaire genevois, 1852, p. 3.
B.— Aboucher qqn ou qqc. avec. [Le compl. est un animé ou une partie d'animé] Mettre en rapport, en communication verbale étroite avec :
• 7. Gavard, à partir de ce jour, fut persuadé qu'il faisait partie d'une société secrète et qu'il conspirait. Le cercle ne s'étendit pas, mais Logre promit de l'aboucher avec d'autres réunions qu'il connaissait.
É. ZOLA, Le Ventre de Paris, 1873, p. 746.
— MÉDECINE :
• 8. Ortègue aussi, je l'aurais opéré. Je vous l'ai dit souvent, et j'avais raison. Je lui aurais abouché sa vésicule biliaire avec une anse intestinale.
P. BOURGET, Le Sens de la mort, 1915, p. 295.
C.— Aboucher qqn ou qqc. à. Mettre en communication, faire adhérer étroitement.
— Par la bouche :
• 9. Les enfants en travers sur elle étaient couchés,
Leurs visages charmants à son corps abouchés :
On eût dit, à la fin d'une longue journée,
Aux cris de ses enfants la mère retournée,
En leur donnant le sein surprise de sommeil,
Et dormant avec eux seule et nue au soleil!
A. DE LAMARTINE, La Chute d'un ange, 1838, p. 1077.
— Au fig. :
• 10. Et dans une suprême exhalation, l'esprit d'adoption abouche au père toute l'humanité et toute la création. Nos noms, en tant que chrétiens, sont désormais inclus dans le sien. Sois ressouvenant, seigneur, dit le psaume LXXXVIII, 51, de cet opprobre que j'ai contenu dans mon sein, que j'ai comme absorbé en moi, de peuples innombrables.
P. CLAUDEL, Un poète regarde la croix, 1938, p. 168.
II.— Forme pronom.
A.— S'aboucher avec qqn ou qqc. Se mettre ou être en rapport, en communication étroite avec.
1. MÉD. [Le suj. et le compl. désignent des inanimés ou des parties d'animés] :
• 11. ... pour peu que les circonstances favorisent leur coalition [des viscères] réciproque, bientôt les nerfs et les vaisseaux des derniers s'étendent et s'abouchent avec des nerfs et des vaisseaux correspondants, dont l'œil peut suivre la formation accidentelle dans cette espèce d'enduit organisé dont ils sont recouverts.
P. CABANIS, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 327.
2. Stylistiquement neutre et plus gén. [Le suj. et le compl. désignent des animés] Entrer en communication verbale, notamment pour traiter une affaire :
• 12. On manquait de tissus là-bas, tout était confisqué pour l'armée. Et des débrouillards, profitant de ce qu'ils faisaient la guerre en France occupée, s'abouchaient avec certains trafiquants et expédiaient tout ce qu'ils trouvaient pour le compte des grands magasins allemands.
A. VAN DER MEERSCH, L'Invasion 14, 1935, p. 149.
• 13. Il s'aboucha avec un fabricant local, qui accepta de sous-traiter pour les dix-sept mille paires, en laissant à Haverkamp un bénéfice de 1 fr. 75 par paire.
J. ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, Verdun, 1938, p. 168.
Rem. Il est dans la nature même du verbe de s'entourer d'un cont. péj. Cette prédisposition est évidente dans les ex. 12, 13, 15.
B.— S'aboucher à qqc. [Le suj. et le compl. sont des inanimés] Être en communication étroite avec qqc. par son orifice :
• 14. Je suis monté jusque-là, plus haut, jusqu'au point où la conduite s'abouche au lac, à 15 mètres au-dessous. Il y a là un val délicieux, comme une conque.
J. DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, t. 1, 1925, p. 189.
C.— Emploi absolu, rare. S'aboucher. Se mettre en communication avec des gens :
• 15. Il est le visiteur oblique et louche
Qui, de ferme en ferme, s'abouche,
Quand la détresse et la ruine Ronflent en tempêtes sur les chaumines.
É. VERHAEREN, Les Campagnes hallucinées, 1893, p. 24.
— Emplois techn. [Le suj. est un animé ou une part. d'animé] Être en contact étroit.
♦ ANATOMIE :
• 16. Enfin, les parties complètement organisées, mises en contact, sans qu'un épiderme épais, ou des humeurs aqueuses empêchent leur réunion, se collent, comme les arbres dans la greffe en approche : leurs nerfs et leurs vaisseaux respectifs s'abouchant et s'allongeant de l'une à l'autre, y pénètrent par une vive impulsion; de sorte qu'elles ne forment plus qu'une seule partie, vivent d'une vie commune; ...
P. CABANIS, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 2, 1808, p. 327.
♦ ZOOLOGIE :
• 17. ... les deux individus s'accolent de manière que les deux coquilles s'abouchent étroitement ...
E. PERRIER, Traité de zoologie, t. 2, 1893, p. 420.
— Dial. [Le suj. est un animé] Se reposer, la bouche sur le lit ou la litière :
• 18. V. pron. Se dit des personnes et de certains animaux. Un tel ne dort jamais sur le dos : il s'abouche. Quand vous retirez de l'eau un noyé, ne l'abouchez pas. En parlant d'un cheval, s'aboucher signifie : Tomber sur les genoux.
J. HUMBERT, Nouveau glossaire genevois, 1852, p. 3.
Stylistique — Le statut du verbe aboucher s'est modifié au cours de la période. Cour. au XIXe s., (H. Murger l'emploie en 1851 dans Scènes de la vie de Bohème, ex. 2; A. de Lamartine en 1838 dans La Chute d'un ange, ex. 9), il n'est utilisé actuellement que dans un cont. ou bien très litt. (chez L. Aragon, ex. 3; P. Claudel, ex. 10), ou techn. (ex. 4, 8, 11, anat.). Dans les ex. qui ne sont ni litt., ni techn. aboucher est péj. (ex. 7, 12, 13, 14).
Prononc. — 1. Forme phon. :[], j'abouche []. Enq. ://. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abouchement, aboucheur, abouchon. Cf. boucher.
Étymol. — 1. a) D'animés, XIIIe s. [date ms. 1 ds éd. Koenig.] « se prosterner bouche contre terre » (G. DE COINCY, Mir. N. D., B. N. 818, f° 43c ds GDF. : A mie nuit i est allez A aorer s'est abochez); b) apr. 1225 « se rencontrer, entrer en contact (pour le combat) » (Tristan menestrel, extr. de la Continuat. de Perceval par Gerbert ds Romania XXXV, 827 ds T.-L. : Abouchiés sont d'anbes deus pars); ca 1587 réfl. « venir en conférence » [d'apr. LITTRÉ] (LANOUE, Discours polit. et milit., 557 ds LITTRÉ : Que trente chevaux legers de part et d'autre, six heures devant que s'aboucher descouvriroient la campagne); 2e moitié XVIe-début XVIIe s. « adresser la parole à qqn » (E. PASQUIER, Œuvres, éd. 1723, Recherches, V, 8 ds HUG. : un bon religieux nommé Colombain ... le vint aboucher et lui remontra rudement ...); XVIIe s. « mettre en relation (2 pers.) » (RACINE, Lettres, 62 ds DG :il m'a aussi abouché avec M. d'Espagne); 2. a) d'un inanimé, fin XIVe s. « déboucher, aboutir par l'ouverture », intrans. (FROISSART, Chron., XI, 218, éd. Kervyn ds GDF. : Ne savés vous point ou elle [soubsterrine] abouche ne ou elle wide?); 1616-1620 « reposer sur la bouche » (D'AUBIGNÉ, Hist., I, 157 ds LITTRÉ : Les canons abouchés en terre); b) d'un animé 1544 « arriver, aboutir à » intrans. (M. SCÈVE, Délie, éd. Parturier, 28 ds HUG. : ... ce grand pape abouchant à Marseille).
HIST. — L'étymon lat. pris au propre (bouche, partie du corps hum.) ou au fig. (bouche, « ouverture quelconque ») se retrouve dans tous les sens du verbe. Le préf. a- < ad lat. suggère, en plus, une idée de mouvement accompagnée d'une idée de jonction (rapprocher de façon à joindre). D'où les accept. citées inf. I et II. Un grand nombre d'accept. ne survivent pas au-delà du XVIe s. Dès lors on ne trouve plus que 2 grands sens : « faire communiquer de bouche à bouche » (de bouche, « ouverture ») concernant les inanimés et « mettre en relation 2 personnes », verbe trans. ou « s'entretenir avec qqn » verbe pronom. (de bouche, « partie du corps hum. ») concernant les animés. Ce dernier sens prend dans la lang. contemp. une valeur péj. (cf. sém.).
I.— Disparitions av. 1789. — A.— « Approcher la bouche, abaisser le visage, se pencher en avant, tomber », réfl., 1re attest. XIIIe s. (cf. étymol. 1 a), subsiste jusqu'au début du XVIIe s. : Des cerfs... longuement pourchassés et malmenés ... s'abouchans a une claire et fraische fontaine tirent a eux la fraischeur de ses belles eaux. ST FRANÇOIS DE SALES, Amour de Dieu, [1616], V, 1 (Hug.) B.— « Se rencontrer pour le combat », réfl., 1 attest. isolée XIIIe s., cf. étymol. 1 b. C.— « Presser avec la bouche », 1 attest. isolée, XVIIe s. : ... Bien que vous n'ayez, comme vostre germaine, Abouché mon tetin, je vous ay toutes fois Pendue a mon colet et mille et mille fois. SCHELANDRE, Tyr et Sidon, [1608], 2e journ., I, 3 (Gdf.) D.— Aboucher qqn « adresser la parole à, avoir des pourparlers avec qqn », 1re attest. XVIe s. (cf. étymol. 1, c) ne subsiste que jusqu'au XVIIIe s. : On ne peut aboucher cet homme-là, tant il a d'affaires. Trév. 1752. E.— « Déboucher, aboutir », 1 attest. isolée fin XIVe s., cf. étymol. 2 a. Repris au XXe s. par souci de style (cf. ex. 5). F.— « Arriver », 1 attest. isolée XVIe s., cf. étymol. 2 b.
II.— Hist. des sens et accept. attestés apr. 1789. — A.— « Faire communiquer de bouche à bouche », attesté ds GDF. sans ex. Ce sens est repris au XVIIIe s., dans le vocab. techn. : 1. Méd., 1re attest. 1680, sous la forme pronom., subsiste (cf. ex. 5, 8, 11 et 17) : Le mot se dit en terme d'anatomie, et il veut dire se rencontrer, et s'unir. [Les rameaux de la grande artere s'abouchent avec ceux de la veine cave]. RICH. 1680. 2. Arts et métiers, 1re attest. 1690, subsiste (cf. sém.) : aboucher, se dit aussi dans les Arts, des Tuyaux qui entrent l'un dans l'autre, qui se touchent, qui se communiquent. FUR. 1690. B.— « S'entretenir, conférer avec », 1re attest. XVIe s. (cf. étymol. 1 c), subsiste, mais devient péj. au XXe s. (cf. cém.). C.— « Mettre en relation 2 personnes », 1re attest. XVIIe s., cf. étymol. 2 c in fine, mais semble peu empl. car, dit FUR. 1690 ,,on le dit plus volontiers avec le pronom personnel`` (cf. sup. II B). Il a disparu au XXe s. D.— Régionalismes (accept. disparues de la lang. cour. mais ayant gardé leur vitalité dans des vocab. région.). 1. « reposer sur la bouche », attesté au XVIIe s. (cf. étymol. 2 a in fine). 2. « se reposer sur la bouche », cf. ex. 17. 3. « se cambrer sous le poids de l'âge ou de la peur », cf. VERR.-ON. 1908.
STAT. — Fréq. abs. litt. :87.
BBG. — BARB.-CARD. 1963. — CHESN. 1857. — JOSSIER 1881. — NYSTEN 1814-20.
aboucher [abuʃe] v. tr.
ÉTYM. XIIIe, « tomber en avant (sur la bouche) »; de à, et bouche.
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1 (XVIIe). Mettre en rapport, provoquer une entrevue. ⇒ Rapprocher, réunir. || Aboucher une personne et une autre, deux personnes. — Aboucher une personne avec une autre, à une autre; avec un groupe.
1 Je voulais en secret vous aboucher tous deux.
Molière, l'Étourdi, IV, 1.
2 Et l'on doit aujourd'hui l'aboucher avec vous.
Molière, l'Avare, II, 1.
2.1 Gavard, à partir de ce jour, fut persuadé qu'il faisait partie d'une société secrète et qu'il conspirait. Le cercle ne s'étendit pas, mais Logre promit de l'aboucher avec d'autres réunions qu'il connaissait.
Zola, le Ventre de Paris, t. I, p. 223.
2 Mettre l'ouverture (d'un conduit) contre celle d'un autre afin qu'ils communiquent. || Aboucher des tuyaux, un tuyau et un autre, avec un autre. — Anat. || Aboucher deux vaisseaux. ⇒ Anastomoser. — Par ext., littér. et rare. Mettre en communication (des rues). || Le carrefour qui abouche ces trois rues.
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s'aboucher v. pron.
♦ (Réfl.). || S'aboucher à, avec qqn : entrer en pourparlers, en relation avec lui. ⇒ Négocier. — (Réciproque) :
3 Il ne s'agit que de faire qu'ils s'abouchent et qu'ils se parlent.
La Bruyère, les Caractères, VIII, 86.
4 Pichegru, d'ici à trois jours, s'aboucherait avec Moreau, et il fallait espérer qu'étant tous deux gens de guerre, ils parleraient peu et nous laisseraient vite agir.
Sainte-Beuve, Volupté, XIV.
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DÉR. Abouchement.
Encyclopédie Universelle. 2012.