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BRUTALISME
BRUTALISME

BRUTALISME

Né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le mot «brutalisme» connut une grande vogue parmi les architectes, sans qu’on sût jamais précisément ce qu’il recouvrait. C’est en Angleterre qu’il apparut, dès le début des années cinquante, sous la forme du «new brutalism». Un certain nombre de jeunes architectes s’emparèrent de ce qualificatif teinté de violence et en firent leur drapeau. Par la suite, plutôt qu’une école ou qu’un mouvement, le mot continua de désigner une génération de «jeunes hommes en colère» et un climat polémique, masquant des sensibilités assez diverses et parfois contradictoires.

Alors régnait en Angleterre une vive bataille de styles à dimension politique, particulièrement au sein de la section d’architecture du London County Council. Les architectes de l’avant-guerre, souvent communisants, tentaient de susciter un équivalent local du réalisme socialiste; leur doctrine, qu’on a pu qualifier d’anglo-jdanovienne, marqua profondément la conception des premières villes nouvelles britanniques: elle prônait le recours à la tradition, à la brique et au toit à deux pentes, et le déploiement d’un paysagisme pittoresque susceptible de mettre en valeur le «génie du lieu».

Les architectes proches de la trentaine voyaient dans les positions de leurs aînés une attitude de démission et de compromis: les grands principes de l’architecture moderne leur paraissaient trahis au profit d’une sorte de provincialisme anglais. C’est donc d’un refus que naît le brutalisme. L’origine même du mot qui le désigne (et qui fut sans doute essentiel à son succès, tant il est frappant) est contestée. Il semble qu’aient concouru à son invention un sarcasme de l’architecte suédois Erik Gunnar Asplund, un jeu de mot sur les noms des principaux animateurs du mouvement, Peter Smithson, dit Brutus, et sa femme Alison, et la fameuse formule de Le Corbusier imaginant pour la Cité radieuse de Marseille le béton «brut».

Cette réalisation marque en effet un tournant dans l’esthétique architecturale de l’après-guerre: pour la première fois, le béton n’y est pas employé comme un matériau précis, lisse, bien enduit, mais est au contraire travaillé en pleine pâte, laissé rugueux et portant les traces des planches de coffrage; il s’en dégage une plasticité massive et grandiose. L’autre modèle des jeunes new brutalists est l’Institut de technologie de l’Illinois que Mies van der Rohe achève à Chicago en 1947. Avec ses briques, sa façade froide et précise, sa charpente métallique parfaitement assemblée, il offre une tout autre image qui, elle, séduit par son intransigeance. La première construction brutaliste, l’école secondaire de Hunstanton due aux architectes anglais Alison et Peter Smithson (1949-1954), en est très proche: verre et brique claire, ossature métallique en cadres soudés, espaces nets sans aucun enduit ni peinture; les tubes électriques et les tuyaux sont laissés apparents.

L’esthétique du mouvement hésitera sans cesse entre une tendance rigoriste, froidement abstraite et même austère, préférant la «vérité» et la «sincérité des structures» à la joliesse, et une tendance plus sensualiste, poursuivant un plaisir presque tactile dans la rudesse des matières et faisant son modèle des célèbres maisons Jaoul construites en 1956 par Le Corbusier à Neuilly, maisons qui mêlaient, à l’intérieur et à l’extérieur, des briques assez frustes à des éléments de chaînage, des poutres et des voûtains en gros béton armé. James Stirling s’en inspira clairement dans sa réalisation de Langham House, toutefois plus tempérée (1958).

Ces architectes ne cessèrent d’affirmer un souci éthique plus qu’esthétique. Au rationalisme abstrait et idéal de l’avant-guerre, ils préféraient un nouveau fonctionnalisme qui non seulement acceptait les situations réelles, mais encore jouait de leurs contradictions. Ils rêvaient un monde de flux et de transformations où ils auraient eu leur part. Sur de nombreux points, ils affectaient des attitudes radicales. En 1966 parut à Londres un ouvrage de l’historien de l’architecture Reyner Bauham sur le brutalisme (trad. franç., 1970, Le Brutalisme en architecture ), faisant de celui-ci le théoricien malgré lui de la génération des brutalistes.

Dans le projet de Golden Lane (1952) ou l’ensemble de Robin Hood (1966), les Smithson conçurent des coursives qui leur paraissaient devoir remplir les diverses fonctions psychosociologiques de la rue, lieu des échanges et des contacts. Dans leur projet pour Berlin-Hauptstadt (1958), puis dans celui de Koweit (1969), ils proposèrent des réseaux de circulation piétonne libérés du sol traditionnel et multipliant passerelles et escalators. Le problème de la circulation est une des marques essentielles de l’urbanisme brutaliste tel que le concurent des architectes comme Van Eyck, Candilis, les Smithson ou Bakema. Ils constituèrent l’équipe «Team ten», chargée par ses aînés de préparer le Xe C.I.A.M. (Congrès international de l’architecture moderne) de 1956, congrès qui témoignera de l’éclatement du mouvement moderne. Rejetant les «catégories trop schématiques de la charte d’Athènes: approvisionnement en soleil, lumière, air et espace vert», ils élaborèrent un modèle nouveau, la «grappe» ou «cluster», agrégat complexe se développant sur un jeu de trames, de mailles et de réseaux (comme à Toulouse-Le Mirail de Candilis, 1961) et prenant parfois exemple sur certains tissus urbains du monde méditerranéen.

Par des polémiques constantes, des articles nombreux, notamment dans la revue Architectural Design , les brutalistes eurent une profonde influence sur les architectes des années 1960. Ils tentèrent, non sans confusion, de rétablir l’architecture dans la pureté doctrinale que lui avaient conférée les avant-gardes du mouvement moderne.

brutalisme nom masculin (anglais brutalism) Tendance architecturale contemporaine qui privilégie l'emploi de matériaux bruts (parmi lesquels le béton), la non-dissimulation de l'infrastructure technique (tuyauteries…), la liberté des plans. (Ses promoteurs ont été, dans les années 1950, les Britanniques Peter et Alison Smithson.)

brutalisme [bʀytalism] n. m.
ÉTYM. 1879; de brutal.
1 Rare. Caractère de ce qui est brutal. Brutalité.
2 Didact. Attitude ou école littéraire prônant un réalisme très cru. Brutaliste.
0 (…) l'ensemble est d'un érotisme inouï, un fondu et on enchaîne, un brutalisme bouleversant, des latences étonnantes, une poésie énorme.
M. Aymé, Travelingue, p 81.
REM. C'est un personnage de snob ridicule qui parle.
3 (V. 1965; angl. brutalism, P. et A. Smithson; de brutal, de même orig. que le franç. brutal). Arts. Mouvement et style d'architecture strictement fonctionnaliste, qui recherche l'effet esthétique par l'emploi délibéré, explicite, des matériaux et procédés les plus efficaces techniquement.

Encyclopédie Universelle. 2012.