enraciner [ ɑ̃rasine ] v. tr. <conjug. : 1>
1 ♦ Faire prendre racine à (un arbre, une plante). — S'ENRACINER v. pron. Prendre racine. « Les plantes marines s'enracinent sur les rochers » (Bernardin de Saint-Pierre).
2 ♦ Fig. Fixer profondément, solidement, dans l'esprit, le cœur. ⇒ ancrer, implanter; graver. « Chez les uns, la peste avait enraciné un scepticisme profond » (Camus). — Pronom. « Une erreur qui va s'enracinant » (Proust). — P. p. adj. Souvenirs enracinés dans la mémoire. « Ils croyaient cela tous, d'une croyance antique et enracinée » (Péguy). ⇒ tenace.
♢ Établir (qqn) de façon durable (dans un pays). — Pronom. « Né à Paris, d'un père Uzétien et d'une mère Normande, où voulez-vous que je m'enracine ? » (A. Gide). — P. p. adj. « Une ancienne famille du pays, solidement enracinée dans ce terroir » (Maurois).
⊗ CONTR. Déraciner, éradiquer, extirper.
● enraciner verbe transitif Faire prendre racine à une plante, à un arbre. Fixer durablement, établir quelqu'un, quelque part : Enraciner les travailleurs dans la région qu'ils habitent. Fixer profondément quelque chose chez quelqu'un, dans son esprit : Une idée que le temps a enracinée. ● enraciner (synonymes) verbe transitif Faire prendre racine à une plante, à un arbre.
Contraires :
- déraciner
- extirper
Fixer durablement, établir quelqu'un, quelque part
Synonymes :
Contraires :
- arracher
- déraciner
Fixer profondément quelque chose chez quelqu'un, dans son esprit
Synonymes :
- ancrer
enraciner
v.
rI./r v. tr.
d1./d Faire prendre racine à. Enraciner un arbre.
d2./d Fig. Implanter profondément (dans l'esprit, les moeurs, etc.). Enraciner un préjugé.
rII./r v. Pron.
d1./d Prendre racine. Plante qui s'enracine dans un mur.
d2./d Fig. S'enraciner dans sa culture.
⇒ENRACINER, verbe trans.
A.— [Le compl. désigne une plante] Faire prendre racine, fixer dans le sol par des racines. La joubarbe, la menthe, et ces fleurs parasites que la pluie enracine aux parois décrépites (LAMART., Jocelyn, 1836, p. 701). Elle [la plante verte] semble ne rien emprunter au milieu solide, au sol dans lequel elle est enracinée (PLANTEFOL, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 325).
— Emploi pronom. à sens passif. Prendre racine. Les cocotiers s'y [sur les grèves] enracinent par une multitude de filaments, qui font du sable une masse solide comme un rocher (BERN. DE ST-P., Harm. nature, 1814, p. 239). Pour pousser haut, le blé doit s'enraciner profond (PESQUIDOUX, Chez nous, 1921, p. 137).
♦ P. anal. :
• 1. Celui-ci [le poil] s'enracine fortement sur la papille, avec sa partie inférieure renflée, le bulbe pileux.
QUILLET Méd. 1965, p. 298.
— P. anal. Fixer, implanter solidement. Ces voûtes séculaires et ces forts piliers qui enracinent le tout (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 149) :
• 2. Gilliatt (...) tirait parti de toutes les fentes du granit, les élargissait au besoin, et y enfonçait d'abord des coins de bois dans lesquels il enracinait ensuite les clous de fer.
HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, p. 294.
♦ Emploi pronom. à sens passif. L'église s'élevait près de l'endroit où la langue de sable s'enracinait à la côte (GRACQ, Syrtes, 1951, p. 189).
— P. métaph. [Le compl. désigne une pers.] Immobiliser, retenir longtemps sur place (cf. clouer). Prendre la fuite (...) il [Gwynplaine] avait essayé et n'avait pu. Il était enraciné (...) Quand nous voulons rétrograder, la tentation cloue nos pieds au pavé (HUGO, Homme qui rit, t. 3, 1869, p. 90). Les badauds, enracinés par la curiosité et l'horreur, se pressaient plus nombreux encore à l'entrée de la rue Jean-Goujon (MORAND, Fin de s., 1957, p. 157).
♦ Emploi pronom. Il [ton père] s'enracine, hypnotisé par cette huile qui goutte encore, qui file, qui flambe à fleur de braise (H. BAZIN, Huile sur feu, 1954, p. 311).
B.— Au fig.
1. Fixer quelqu'un dans un lieu.
— Emploi pronom. réfl. Se fixer dans un lieu; s'attacher à un lieu particulier. Chez les nations germaniques, l'homme s'attache à son champ, s'y enracine, et aime à tirer son nom de sa terre (MICHELET, Introd. Hist. univ., 1831, p. 437). On repartit joyeusement, le mois écoulé, et ce fut cependant (...) un nouvel arrachement. L'homme s'enracine vite (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 355) :
• 3. Il s'agit de résider, de s'enraciner et de devenir un maître, un chef de sol. C'est toute une vocation. On a celle du sol comme celle de la mer ou du désert...
PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1928, p. 260.
♦ P. ext. S'introduire et s'établir solidement dans un milieu social. Anna de Brancovan (...) avait dansé aux bals de sa mère avec les jeunes lions de ce « gratin » français où elle entendait bien s' « enraciner » (BLANCHE, Modèles, 1928, p. 58).
2. Fixer, durablement et profondément (un principe, un sentiment, une manière de penser, de se comporter) dans le cœur, l'esprit de quelqu'un. Enraciner une habitude, une opinion; enraciner qqc. dans la conscience, dans le caractère, chez qqn. Ce qui a fait la force du catholicisme, ce qui l'a si profondément enraciné dans les mœurs, c'est précisément l'éclat avec lequel il apparaît dans les circonstances graves de la vie (BALZAC, Méd. camp., 1833, p. 77). La peste avait enraciné un scepticisme profond dont ils ne pouvaient pas se débarrasser (CAMUS, Peste, 1947, p. 1439) :
• 4. Si fortes que soient les passions du garçon de vingt ans, elles ne sont pas encore enracinées, elles ne sont pas encore trop encombrantes et le laissent libre. Ce n'est qu'avec le temps qu'elles s'enracinent et tout les nourrit...
GREEN, Journal, 1955-58, p. 336.
— Emploi pronom. à sens passif. C'est la plus dangereuse conviction qui puisse s'enraciner dans le cerveau d'un homme d'état, que de croire la guerre inévitable! (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 131). Cf. aussi supra ex. 4.
Rem. On rencontre une constr. différente où le compl. d'obj. désigne une pers. et le compl. second. une attitude de l'esprit. Faire que quelqu'un tienne fortement à quelque chose. La discussion ne fait, dit-on, le plus souvent qu'enraciner les gens dans leur avis (TOCQUEVILLE, Corresp. [avec Gobineau], 1853, p. 205). Ce récit ne pouvait qu'enraciner Mr Fogg et ses compagnons dans leur généreuse résolution (VERNE, Tour monde, 1873, p. 63).
3. Donner des racines, rattacher (quelqu'un ou quelque chose) à un principe, une origine, un fait qui lui donne une assise, une réalité. Nous voulons donner à nos jeunes gens une formation qui, en même temps qu'elle les enracine, les prépare à des contacts avec le reste de l'univers (BARRÈS, Cahiers, t. 14, 1922-23, p. 81). Il avait besoin de ce corps qui enracinait son aventure dans la réalité par les fortes secousses de la chair (LACRETELLE, Hts ponts, t. 4, 1935, p. 28).
— Emploi pronom. Se rattacher à quelque chose, prendre sa source dans quelque chose. Profond besoin [pour les Juifs] de s'enraciner, à défaut de passé national dans un passé de rites et de coutumes (SARTRE, Réflex. quest. juive, 1946, p. 84) :
• 5. ... les grandes passions qui vont, pendant bien des lustres, faire virer la roue du monde, s'enracinent, de toutes parts, dans le siècle finissant. Toutes les idées qui vont, pendant bien des années, alimenter, exalter, puis décevoir des millions d'esprits avides, toutes ces idées commencent de couler comme des sources à travers l'été suffocant de l'année 95.
DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 52.
Prononc. et Orth. :[], (j')enracine []. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1176 part. passé fig. [mals] anracinez (CH. DE TROYES, Cligès, éd. A. Micha, 643); 1213 au propre « prendre racine » (Fet des Romains, éd. L. F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, 595, 20); 1269-78 « faire prendre racine » (J. DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 11127 : enraciner les entes). Dér. de racine; préf. en-; dés. -er. Fréq. abs. littér. :123.
enraciner [ɑ̃ʀasine] v. tr.
ÉTYM. V. 1175; aussi intr. « prendre racine », v. 1175; de en-, racine, et suff. verbal.
❖
1 (V. 1265). Fixer au sol par les racines; faire prendre racine à (un arbre, une plante). || Enraciner un arbre.
1 La joubarbe, la menthe, et ces fleurs parasites
Que la pluie enracine aux parois décrépites.
Lamartine, Jocelyn, 6e époque, Lettre à sa sœur.
♦ Par anal. || Piliers qui enracinent un édifice au sol.
♦ (1870). Par métaphore. || Enraciner (qqn) dans un pays, le fixer dans son lieu d'origine.
2 (…) peut-être pourrait-on mesurer la valeur d'un homme au degré de dépaysement (physique ou intellectuel) qu'il est capable de maîtriser (…) Quant aux faibles : enracinez ! enracinez !
Gide, Prétextes, À propos des Déracinés.
2 (V. 1175). Fig. Fixer profondément (dans l'esprit, le cœur) par des attaches morales. || Enraciner de bons principes dans l'esprit d'un enfant. ⇒ Ancrer, implanter. || Préjugés que le temps a enracinés.
3 (…) ces tendres sentiments
Que l'amour enracine au cœur des vrais amants (…)
Corneille, la Toison d'or, III, 3.
4 Chez les uns, la peste avait enraciné un scepticisme profond dont ils ne pouvaient pas se débarrasser. L'espoir n'avait plus de prise sur eux.
Camus, la Peste, p. 292.
——————
s'enraciner v. pron.
ÉTYM. (Fin XIIIe).
1 Prendre racine. || Arbuste qui s'enracine dans le creux d'un rocher. || Chêne qui s'enracine profondément, solidement. — Par analogie :
5 Les murs ont par endroits des trous où s'enracine
Un poing de fer portant un cierge de résine.
Hugo, la Légende des siècles, XXI, V.
2 Fig. (En parlant des personnes). ⇒ Établir (s'), incruster (s'), installer (s'), prendre (racine). || Visiteur importun qui s'enracine.
6 Né à Paris, d'un père Uzétien et d'une mère Normande, où voulez-vous, Monsieur Barrès, que je m'enracine ? J'ai donc pris le parti de voyager.
Gide, Prétextes, À propos des Déracinés.
7 Maud posa sa mallette sur le sol, elle essaya, pendant une seconde, de s'enraciner dans la cabine, de faire semblant d'y être depuis deux jours.
Sartre, le Sursis, p. 101.
♦ (En parlant des choses morales). ⇒ Ancrer (s'), consolider (se), implanter (s'). || Mauvaises habitudes qui s'enracinent peu à peu. || Erreur qui va s'enracinant dans les esprits (→ Dissiper, cit. 9). || La maladie s'est enracinée. || Laisser s'enraciner les abus, et, ellipt., laisser enraciner les abus.
8 La tristesse, l'ennui, les regrets, le désespoir, sont des douleurs peu durables qui ne s'enracinent jamais dans l'âme; et l'expérience dément toujours ce sentiment d'amertume qui nous fait regarder nos peines comme éternelles.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, III, Lettre XXII.
9 Ça ne fait que croître et s'enraciner, sans même qu'on le sache !
Martin du Gard, les Thibault, t. VI, p. 157.
——————
enraciné, ée p. p. adj.
1 Fixé par des racines. || Plantes enracinées dans le sable.
2 Fig. Fixé profondément, de manière durable.
10 Plus j'ai de raisons de partir de ce monde, plus je m'y trouve enracinée.
Mme de Maintenon, Lettre au duc de Noailles, 18 mars 1712.
11 Paysans, petits artisans, ces gens des villages étaient encore fortement enracinés dans l'humus originel (…)
G. Duhamel, Inventaire de l'abîme, VI, p. 80.
12 Là vivait depuis des siècles une bonne et ancienne famille du pays, les Proust, solidement enracinée dans ce terroir.
A. Maurois, À la recherche de Marcel Proust, p. 8.
♦ Homme enraciné dans ses habitudes, ses vices. || Préjugés, sentiments profondément enracinés. ⇒ Tenace, vivace (→ Coutume, cit. 3; créance, cit. 8).
13 Il faut que l'orgueil soit enraciné bien avant dans vos cœurs.
14 Les préjugés de race et de secte, ennemis directs de l'esprit de l'Évangile, y étaient trop enracinés.
Renan, Vie de Jésus, XXI, Œ., t. IV, p. 300.
15 Si j'étais plus jeune, les plis seraient moins marqués, les habitudes moins enracinées (…)
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XVIII, p. 225.
❖
CONTR. Arracher, déraciner, extirper.
DÉR. Enracinement.
Encyclopédie Universelle. 2012.