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CODE NAPOLÉON
CODE NAPOLÉON

Le Code civil des Français, promulgué par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804), reçut d’une loi de 1807 le nom de Code Napoléon. Ce nom, que lui retirèrent les chartes de 1814 et 1830, lui fut rendu par un décret de 1852, «pour rendre hommage à la vérité historique». Tombé en désuétude dans la France républicaine, il est encore couramment employé à l’étranger.

Effectivement élaboré sous l’impulsion de Bonaparte, Premier consul, le Code Napoléon a bénéficié d’un immense rayonnement. Par les conceptions qui ont présidé à sa rédaction, il reste le type même du code moderne, bien que nombre de ses articles aient été changés et que d’autres aient vieilli. On comprend qu’à Sainte-Hélène Napoléon ait pu dire: «Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante batailles; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil.»

Histoire

La promulgation du Code de 1804 était une satisfaction donnée à un désir populaire ancien et profond.

Depuis des siècles, le peuple se défiait de la justice, des puissants qui la contrôlaient, et des hommes de loi. Il souhaitait que la loi fût écrite et qu’elle fût simple et claire, afin que chacun pût connaître son droit et la protection que lui assurait la loi. Dès 1453, Charles VII promettait au peuple français la rédaction des coutumes qui le régissaient. La tâche n’ayant pas été accomplie, la rédaction des coutumes était réclamée par le tiers état aux états généraux de 1484. Mais elle ne devait guère se réaliser qu’au XVIe siècle.

Les coutumes rédigées, le droit était plus sûr, mais aussi plus discutable. Il variait d’une région à l’autre, au hasard d’incidents historiques, et Voltaire remarquait que le voyageur changeait aussi souvent de lois que de chevaux. Alors apparut l’opportunité d’une codification qui unifiât le droit. Celle-ci est réclamée, à la requête du tiers état encore, par les états généraux de 1560, puis, à la requête des trois ordres en 1576, en 1614 et à différentes autres réunions.

En 1665, Louis XIV nomme une commission de codification et préside lui-même quelques-unes de ses sessions. Il doit reculer devant la jalousie des parlements. Du travail de la commission sortent pourtant les grandes ordonnances de Colbert. Au milieu du XVIIIe siècle, les grandes ordonnances du chancelier d’Aguesseau unifient le droit des donations, des successions et des substitutions.

Durant la Révolution, la codification reste un objectif constant des gouvernements successifs. Tour à tour, la Constituante en 1790, l’Assemblée législative, la Convention en 1793 et 1794, le Directoire en 1796 promettent un code aux Français, nomment parfois une commission de rédaction et, en tout cas, votent des lois qui peu à peu unifient le droit à l’échelon national.

En 1800 finalement, Bonaparte, Premier consul, désigne une commission de trois membres chargés de rédiger un projet de code. Lui-même viendra souvent participer à leurs travaux et, bien sûr, fera prévaloir ses vues dans les matières qui lui tiennent à cœur – l’adoption, par exemple, ou le devoir pour la femme d’obéir rigoureusement à son mari. Élaboré, le projet est soumis aux tribunaux pour observations. Puis l’autorité du Premier consul le fait passer à travers la lourde machine législative. Trente-six lois sont votées en 1803 et 1804, puis réunies en un seul code de 2 281 articles par la loi du 30 ventôse an XII. Enfin les Français ont un Code. Celui-ci remplace tout le droit antérieur dans les matières qu’il régit.

Idées directrices

Un des rédacteurs du Code, Portalis (1746-1807), a exprimé les conceptions qui ont présidé au travail de la Commission dans un document remarquable, le fameux Discours préliminaire. Ces conceptions touchent à la fois au fond et à la forme du Code.

Quant au fond, le Code s’appuie sur quatre idées essentielles, qui peuvent aujourd’hui paraître banales à des Français, mais qui étaient largement nouvelles et sont loin d’être partout admises: celle de l’unité du droit, un droit identique s’appliquant à l’ensemble du territoire et à tous ses citoyens (il en est autrement dans presque toutes les nations fédérales); celle de l’unité de la source juridique, la loi, émanant d’un législateur, c’est-à-dire d’un organe chargé d’exprimer la volonté populaire, et qui ne laisse au juge qu’une fonction secondaire (il en est autrement en Angleterre et dans tous les pays de tradition britannique, y compris les États-Unis: la common law n’est pas subordonnée à la loi); celle du caractère complet du droit, qui régit tous les rapports sociaux, fussent-ils familiaux (au milieu du XXe siècle, on se passionnera pour savoir si le Code doit affirmer et en quelle forme, que le mari est le chef de la famille); la séparation enfin du droit, de la morale et de la religion, d’une part, et de la politique, d’autre part (il existe en certains pays des droits essentiellement religieux, et les États socialistes affirmèrent le caractère politique du droit – affirmation qui n’est d’ailleurs nullement choquante si elle est exactement comprise).

Non moins intéressantes sont les conceptions que les rédacteurs se faisaient d’un Code quant à sa forme.

Ils se trouvaient, en premier lieu, devant l’idée traditionnelle que le droit doit être si clair que chacun puisse le connaître. On avait même, à cette fin, durant la Révolution, cherché à réaliser un code en 100 articles; on avait élaboré des projets de 695, puis de 297 articles. Si les rédacteurs n’avaient plus ces illusions, ils ont voulu pourtant un droit aussi accessible que possible à tous, et ils y ont réussi. Naguère encore, le paysan français connaissait le droit de la terre, et nombre de foyers possédaient le Code: celui-ci était bien «le Code civil des Français».

Un code, pour les rédacteurs, doit être complet dans le domaine qu’il couvre. C’est ce que réalisent le Code de 1804 et les quatre autres codes de la législation napoléonienne: le Code de procédure civile de 1806, le Code de commerce de 1807, le Code d’instruction criminelle de 1808 et le Code pénal de 1810.

Un code doit poser des principes relativement généraux et confier aux tribunaux le soin d’en dégager les prolongements pratiques. «L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit; d’établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est aux magistrats et aux juristes, pénétrés de l’esprit général des lois, qu’il revient d’en diriger l’application [...]. La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au droit commun; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une application sage et raisonnée aux hypothèses prévues.» C’est peut-être cette conception, mise en œuvre avec beaucoup de bonheur par les rédacteurs du Code civil, qui a fait de celui-ci le modèle qu’il reste à certains égards. Cette «ramification» des principes dans la jurisprudence, on l’observe matériellement dans l’édition annuelle du Code civil par la librairie Dalloz: sous chaque article, des sommaires de jurisprudence en précisent la portée.

C’est aussi cette technique de codification en principes généraux qui a permis – autre trait remarquable – que les dispositions du Code forment un ensemble se prêtant aux modes classiques du raisonnement logique, notamment à la déduction ou à l’induction en vue d’autres déductions.

Les rédacteurs du Code ont compris à quel point les lois doivent s’accorder aux mœurs («Les codes des peuples se font avec le temps. Mais, à proprement parler, on ne les fait pas»), sans oublier pourtant qu’elles influent sur elles (c’est ce qui explique, sans d’ailleurs le justifier, le sort sévère fait aux enfants naturels).

Cependant, s’il est vrai que «les lois doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites», les rédacteurs du Code n’en avaient pas moins à prendre des décisions importantes. En effet, l’histoire du peuple français venait d’être singulièrement bouleversée et l’on se trouvait devant deux traditions à bien des égards contradictoires: la plus ancienne, celle de l’Ancien Régime, avait trouvé son expression dans les ouvrages très clairs de Pothier (1699-1772), eux-mêmes inspirés de l’œuvre admirable de Domat (1625-1696); la plus récente n’était autre que le droit de la Révolution, plus ou moins consolidé dans celui du Consulat. L’enthousiasme révolutionnaire, à vrai dire, s’était bien tempéré à l’épreuve des difficultés. Les rédacteurs se trouvaient ainsi protégés de tout parti pris. Ils surent très sagement prendre à l’une et à l’autre tradition ce qui dans chacune semblait devoir convenir aux Français. La famille est restaurée sous l’autorité absolue du mari, mais le mariage définitivement sécularisé. Le divorce, introduit par la Révolution, est conservé, mais étroitement limité afin que «le plus sacré des contrats» ne devienne pas «le jouet des caprices». La propriété est définitivement libérée de tout féodalisme. Les successions et libéralités sont régies sur le fondement de l’égalité des enfants, en tenant compte des affections présumées du défunt et de sa volonté expresse, mais en limitant fortement l’efficacité de celle-ci dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de la famille. C’est peut-être seulement en matière de transfert de propriété et de constitution d’hypothèque qu’on peut trouver une décision véritablement malheureuse: alors qu’une loi de 1798 avait organisé fort utilement la publicité de ces opérations, le Code néglige d’en reprendre les dispositions, sans doute sous la pression des propriétaires fonciers. La lacune ne sera comblée que par une loi de 1855.

Expansion

Si brillante qu’ait été l’œuvre des rédacteurs du Code – brillante aussi par le style, presque toujours clair et concis, au point que Stendhal en lisait quelques articles tous les jours –, il faut avouer que l’expansion de celui-ci débuta sous le double signe des drapeaux tricolores et des aigles impériales déferlant à travers l’Europe. Le bénéfice du Code fut accordé aux territoires occupés par la France, cependant que l’Empereur pressait ses frères, ses consuls, ses généraux, ses ambassadeurs même, de le faire adopter dans les pays où ils se trouvaient. L’Empereur rêvait de faire du Code un code de l’Europe entière. En fait, le Code fut introduit en Belgique, au Luxembourg, dans nombre d’États allemands, aux Pays-Bas, en Italie, en Pologne. Il serait injuste de ne voir dans son adoption que l’effet des pressions du pouvoir: le Code jouissait légitimement d’un prestige considérable, parfois lié à celui de la Révolution française, et des juristes locaux n’hésitaient pas à le réclamer. Au-delà des mers, dans la Louisiane, désormais partie des États-Unis et que gouvernait principalement le droit espagnol, le législateur ne s’était-il pas inspiré essentiellement du projet de Code français lorsque lui-même avait élaboré le Code de 1808?

Effectivement, la chute de l’Empereur n’arrête pas l’expansion du Code. Si celui-ci est abrogé dans certains États italiens et divers cantons suisses, il inspire un projet grec de 1821 – qui d’ailleurs n’aboutit pas. Il forme le fond du Code néerlandais de 1838. Puis il regagne du terrain dans les États italiens et sert de modèle au Code de l’Italie unifiée de 1865. La Roumanie en 1868 en adopte la traduction. S’en inspirent également le Portugal en 1867 et l’Espagne en 1889.

On a dit son influence en Louisiane. Au Québec, lors de la codification de 1866, il ne supplante pas la Coutume de Paris. Mais la République dominicaine l’adopte en 1825, sans même le traduire en espagnol avant 1884. Le Code bolivien de 1831 le copie dans une large mesure et le Code chilien de 1865 s’en inspire fortement. Or, le Code chilien est lui-même le modèle de plusieurs autres. Le Code argentin de 1869, notamment, puise à la source chilienne et parfois, directement, à la source française.

Au Japon, l’influence du Code à la fin du XIXe siècle n’est qu’éphémère. Mais les codes civils égyptiens mixte et indigène de 1875 et 1883 le reproduisent largement et, par là, étendent son influence dans tout le Moyen-Orient.

Valeur actuelle

Il ne faut pas cacher, pourtant, que le Code Napoléon a trouvé un rival dans le Bürgerliches Gesetzbuch: le Code civil allemand de 1896.

De toute manière, il a vieilli, régissant aujourd’hui une société profondément différente de celle de 1804. On a dû en remplacer bien des parties. Dans le domaine de la famille, par exemple, il a fallu notamment abroger l’incapacité de la femme mariée, accroître dans les successions les droits du conjoint (sacrifié dans le Code au souci de «conserver les biens dans les familles»), reconnaître les droits de l’enfant naturel, adapter la réglementation du divorce à l’évolution des mœurs, développer l’adoption, etc.

Le problème de la révision du Code civil a été souvent discuté. En 1945, le gouvernement français avait nommé à cet effet une commission dont les travaux ont pu inspirer diverses lois. Quinze ans plus tard, un garde des Sceaux entreprenait de rénover le Code, matière par matière. Le travail se poursuit.

Ces efforts ont «rajeuni» le Code, mais n’ont eu qu’un effet partiel. Sans doute ne pouvait-il en être autrement. Il est probablement devenu impossible de codifier le droit comme au début du XIXe siècle: de réunir un ensemble de règles juridiques stables dans un nombre limité de codes couvrant chacun un domaine de relations sociales.

Le droit de propriété, par exemple, reste dans sa définition ce qu’il était en 1804. Mais que sont aujourd’hui les droits du propriétaire? Nul ne peut le dire, en ce qui concerne du moins le propriétaire immobilier. Ses droits et ses devoirs sont l’objet d’un ensemble très complexe de règles essentiellement variables et fort différentes selon qu’il possède une terre rurale ou un terrain urbain (encore celui-ci peut-il appartenir à diverses «zones»), un appartement qu’il occupe ou qu’il loue (à quel usage?), un domaine qu’il exploite ou qu’il a donné à ferme (dans quelle région?). La propriété immobilière à elle seule exigerait un code qui englobe le droit de la construction et celui de l’urbanisme, le statut des baux ruraux et celui des locations à usage commercial ou à usage d’habitation. Mais ce code serait beaucoup plus volumineux que le Code civil et ses règles se modifieraient sans cesse, sous la pression des besoins sociaux et des efforts accomplis pour y répondre. Le droit traverse une crise. Celle-ci est d’autant plus profonde qu’elle ne fait que refléter le désarroi de notre civilisation.

Encyclopédie Universelle. 2012.