CYCLOSTOMES
Dans l’embranchement des Vertébrés, la classe des Cyclostomes regroupe les formes les plus primitives: animaux sans mâchoire inférieure que l’on nomme encore Agnathes. On doit surtout donner à ce terme un sens phylétique et parler de stade agnathe, plutôt que de classe des Agnathes. Les recherches paléontologiques et anatomiques montrent en effet que les Vertébrés ont dû, au cours de leur phylogenèse, franchir l’étape agnathe avant d’arriver à l’étape gnathostome (présence des deux mâchoires). Cependant, les travaux fondamentaux du paléontologiste suédois E. Stensiö permettent de penser que les Cyclostomes fossiles, encore appelés Ostracodermes, ne sont pas directement à l’origine des Vertébrés à mâchoire complète, mais que cette origine doit être recherchée dans un autre groupe de Vertébrés, également agnathes, encore inconnu à ce jour.
Les Cyclostomes actuels sont représentés par un très petit nombre de formes réparties en deux groupes, les Myxines (marines) et les Lamproies (marines et dulçaquicoles), reconnaissables à leur corps allongé, plus ou moins cylindrique, avec une bouche en entonnoir qui forme ventouse, leur permettant de se fixer sur des poissons aux dépens desquels elles vivent, pour un temps, en parasites.
Un autre caractère fondamental des Cyclostomes est l’absence de membres pairs et la réduction du squelette entièrement cartilagineux, formé seulement d’un crâne et d’une corde dorsale.
Le nom de Cyclostome fut introduit par Duméril en 1806 pour regrouper les lamproies (Petromyzontida ou Hyperotreti) et les myxines (Myxinoidea ou Hyperoartii). Ce regroupement, reposant sur des ressemblances morphologiques dont beaucoup ne sont que des caractères généraux de Vertébrés primitifs, a été remis en question par S. Løvtrup (1977), en raison du grand nombre de caractères anatomiques, biochimiques et psysiologiques propres uniquement aux Lamproies et aux Gnathostomes (Vertébrés pourvus de mâchoires), et dont l’absence chez les Myxines avait jusqu’alors été expliquée par la «dégénérescence» de ces animaux. Ainsi, les Cyclostomes actuels ne constitueraient-ils pas un groupe naturel ou monophylétique.
En 1889, le paléontologue Cope regroupa les Cyclostomes actuels avec certains Vertébrés fossiles sous le nom d’«Agnathes» («sans mâchoires»), mais, là encore, ce terme ne désigne qu’un grade dans la phylogénie des Vertébrés, grade qui a précédé le clade des Gnathostomes.
1. Les lamproies
Anatomie de la lamproie
Les lamproies sont caractérisées par une large ventouse entourant la bouche, qui leur permet de se fixer sur les poissons qu’elles parasitent. À ce mode de vie est également lié leur appareil lingual complexe dont l’axe est constitué par une grosse tige cartilagineuse: le cartilage piston. Les lamproies ne possèdent pas de nageoires paires et il est encore difficile de dire s’il s’agit là d’un état primitif ou d’une régression. Contrairement aux myxines, les lamproies passent par un stade larvaire, la larve ammocète .
Région céphalique
Le squelette, très rudimentaire chez la jeune larve, ne se compose que de deux baguettes cartilagineuses, ou trabécules, flanquant la corde dorsale; deux capsules optiques viennent s’y souder; une plaque prénasale, dorsale, et une plaque labiale, ventrale, soutiennent la partie antérieure de la tête.
Le neurocrâne de l’adulte (fig. 1) reste cartilagineux; il est peu important: en particulier, il ne possède pas de région occipitale, ce que l’on interprète comme étant un «caractère régressé». Des plaques antérieures viennent constituer une armature à la région buccale. Ces plaques appartiennent au splanchnocrâne qui se prolonge caudalement par une série de travées cartilagineuses. Leur innervation permet d’établir les homologies avec les arcs viscéraux des Gnathostomes.
Parmi les nerfs crâniens, le cinquième, ou trijumeau, est très développé (fig. 1). La branche la plus postérieure (V 2-3) traverse une baguette cartilagineuse (située sous la capsule optique), qui correspondrait donc à l’arc mandibulaire des Gnathostomes. La branche antérieure traverse une baguette plus rostrale (V 1); les données fournies par la paléontologie permettent de considérer cette partie du splanchnocrâne comme un arc prémandibulaire qui existait déjà chez les formes fossiles [cf. OSTRACODERMES]. La présence, chez les Cyclostomes actuels, d’un vestige de l’arc prémandibulaire est un des caractères essentiels prouvant l’archaïsme de ces animaux. Enfin, l’existence du nerf facial (VII) permet de reconnaître un arc hyoïdien.
Chez la larve, ou ammocète, l’ouverture buccale, en forme de fer à cheval, est surmontée par une lèvre supérieure présentant une invagination sagittale qui est l’ébauche du sac hypophysaire (fig. 2). La partie dorsale de celui-ci est occupée par l’ébauche impaire et médiane de l’organe olfactif. Au cours de la métamorphose, le développement de la lèvre supérieure s’effectue en direction dorsale, puis caudale. Dans ces conditions, tout l’ensemble naso-hypophysaire est refoulé vers l’arrière. Chez l’adulte (fig. 2), un seul orifice médian donne accès au sac nasal impair (mais d’où partent deux nerfs olfactifs) et au canal hypophysaire, qui se termine en cul-de-sac entre les premières poches branchiales.
Le sac hypophysaire existant à l’état adulte chez les Cyclostomes correspond à la poche de Rathke des Gnathostomes, formation transitoire qui se différencie au cours de leur ontogenèse en adénohypophyse. C’est là un autre exemple d’un caractère archaïque.
En dehors des yeux, bien développés chez la lamproie (mais non chez la myxine), il existe chez la larve un œil pinéal; il persiste chez l’adulte et on a retrouvé son emplacement chez les fossiles.
La bouche prend peu à peu la forme arrondie qui la caractérise chez l’adulte, et une langue râpeuse, fonctionnant à la manière d’un piston, prend place dans l’entonnoir buccal au fond duquel bat librement une membrane (le velum), dont les mouvements assurent la circulation de l’eau. Des glandes salivaires envoient à la bouche une salive anticoagulante.
Région branchiale
Chez l’ammocète, c’est dans le pharynx, séparé de la région buccale par le velum, que s’ouvrent directement de chaque côté de l’animal les sept poches branchiales qui communiquent avec l’extérieur par un canal ectobranchial (fig. 3). À la métamorphose, les poches branchiales s’isolent du pharynx, ne communiquant plus avec lui de chaque côté que par un canal œsophago-branchial, dans lequel débouchent les poches. L’eau entre, puis ressort par les sept paires de fentes branchiales après avoir hématosé le sang. Celui-ci circule dans des sinus veineux placés dans les branchies qui tapissent les parois de chaque poche.
Le squelette branchial est constitué par un ensemble de baguettes cartilagineuses, la corbeille branchiale (fig. 1), à l’architecture très complexe. Le nerf glossopharyngien (IX) innerve l’homologue du premier arc branchial des Gnathostomes, les six autres étant innervés par des branches du pneumogastrique (X).
L’endostyle est une invagination du plancher pharyngien, placée dans le plan médian, et dont la portion postérieure s’enroule sur elle-même vers le haut. Sa paroi, très plissée, est revêtue de cellules glandulaires muqueuses et de cellules ciliées. C’est à partir de ces dernières que s’organise, à la métamorphose, la glande thyroïde de l’adulte. Les Cyclostomes sont les seuls Vertébrés qui possèdent un endostyle.
Région troncale
La corde dorsale est un axe longitudinal en forme de tube dont le centre est occupé par des cellules très vacuolisées en état de turgescence permanent, et dont la périphérie est constituée de deux gaines conjonctivo-élastiques. Elle est surmontée par un ensemble de pièces cartilagineuses paires (cartilages supracordaux), disposées métamériquement, qui entourent la moelle épinière.
La moelle épinière (fig. 4) comporte une substance grise, entourée par la substance blanche comme chez les Gnathostomes, mais il n’y a qu’une seule paire de cornes sensitivo-motrices. Le système extra-pyramidal (motricité automatique, involontaire) est représenté par les fibres géantes de Müller, qui sont issues du rhombencéphale. La présence de ce système efférent chez les Vertébrés les plus primitifs est une preuve de son caractère archaïque.
En ce qui concerne l’appareil circulatoire, le cœur est, comme chez tous les poissons, constitué par un sinus, postérieur, qui collecte tout le sang veineux, un atrium et un ventricule qui envoie le sang dans l’aorte ventrale, puis dans les artères branchiales afférentes. Hématosé dans les sinus branchiaux, le sang repart vers les organes par les artères branchiales efférentes et l’aorte dorsale. Contrairement aux autres Vertébrés, il n’y a qu’un seul canal de Cuvier et pas de système veineux postrénal. (Il est curieux de remarquer que les Cyclostomes partagent cette dernière particularité avec les Mammifères.) Le cœur est innervé.
L’appareil excréteur conserve une anatomie relativement primitive. Chez la myxine, le pronéphros persiste chez l’adulte. Il est remplacé chez la lamproie adulte par un opisthonéphros dont la structure est segmentaire. Les deux canaux excréteurs latéraux débouchent par un seul pore génital dans le cloaque.
Quant à l’appareil génital, la liaison urogénitale qui existe chez tous les Gnathostomes mâles est absente chez les Cyclostomes. Il n’y a qu’une seule gonade médiane, à la fois mâle et femelle, même chez l’adulte, pendant toute la période de la vie qui précède l’époque de la reproduction. À ce moment, une partie de la gonade se différencie aux dépens de l’autre, et l’animal devient mâle ou femelle. Les produits génitaux sont émis dans la cavité générale et passent dans le canal excréteur grâce à deux pores qui le percent juste avant son débouché dans le cloaque.
2. Les myxines
Les myxines sont uniquement marines, prédatrices ou nécrophages. Elles vivent le plus souvent dans des terriers creusés dans la vase, leur tête seule dépassant de la surface du fond marin. Du fait de ce mode de vie, certaines espèces ont des yeux extrêmement régressés et l’on a attribué à une telle régression l’apparence primitive de ces animaux. Les squelette des myxines est très simple et se limite à quelques arcades cartilatineuses sur lesquelles s’attachent les muscles de la tête. Le crâne n’est que fibreux et le squelette axial ne comprend que la corde, les cartilages supracordaux faisant défaut. La muqueuse de la bouche porte des dents cornées en forme de peigne, et dont la ressemblance superficielle avec celles des lamproies fut à l’origine de la réunion des deux groupes au sein des Cyclostomes. Ces dents cornées servent à saisir la nourriture grâce à un mouvement d’introversion et d’extroversion de la muqueuse orale. Il s’agit là d’un mécanisme très simple, qui n’est guère comparable à celui de l’appareil lingual des lamproies.
Contrairement aux lamproies et à tous les Gnathostomes, les myxines ne possèdent pas d’innervation cardiaque, pas de vrais lymphocytes, pas de tubules excréteurs dans les reins, une très faible réponse immunitaire, un pancréas très primitif, disséminé le long de l’intestin, et aucune musculature associée aux rayons des nageoires impaires. On compte actuellement plus de vingt caractères présents chez tous les Vertébrés actuels (lamproies et Gnathostomes) et absents chez les myxines, comme chez les Protocordés. C’est pour cette raison que les phylogénéticiens tendent à considérer que les myxines se sont séparées des autres Vertébrés avant la séparation lamproies-Gnathostomes.
Le genre Myxine , commun sur les côtes d’Europe, ne possède qu’un seul orifice branchial commun de chaque côté. Chez d’autres genres (Eptatretus , Paramyxine ) les orifices branchiaux restent séparés et nombreux. Sur le côté gauche uniquement, les myxines possèdent un orifice par lequel le tube digestif s’ouvre vers l’extérieur, et dont la fonction est inconnue.
3. Quelques aspects de la biologie des Cyclostomes
Des caractères biologiques assez différents opposent les deux ordres que l’on distingue chez les Cyclostomes: Pétromyzontidés et Myxinidés.
Les Pétromyzontidés, ou lamproies, présentent deux types:
– les lamproies parasitaires (exemple: Petromyzon marinus , la grande lamproie), qui vivent dans la mer, se nourrissent de la chair d’autres poissons pendant plusieurs années, puis remontent le cours d’un fleuve, où elles viennent se reproduire après avoir cessé toute prise de nourriture;
– les lamproies dégénérées (exemple: Lampetra planeri ) par suite d’une oblitération œsophagienne, qui vivent uniquement sur les réserves emmagasinées au cours de la vie larvaire; après quelques mois, l’animal se reproduit et meurt.
Les sexes sont séparés. De l’œuf sort une larve, l’ammocète, qui passe les premières années de sa vie enfouie dans le sable des rivières où elle se nourrit de micro-organismes (microphagie). La larve subit ensuite une véritable métamorphose dont les facteurs sont mal connus, mais on sait que l’hormone thyroïdienne n’y joue aucun rôle. Il n’y a pas de migration et la lamproie de Planer ne vit qu’en eau douce (Europe).
Les Myxinidés, ou myxines, de mœurs très carnassières, pénètrent à l’intérieur d’un poisson par les ouïes et rongent complètement les tissus de l’hôte, grâce à une langue armée de nombreuses et fortes «dents» cornées. Dans cet ordre, Myxina vit en Méditerranée et dans l’Atlantique nord; Eptatretus dans l’Atlantique et le Pacifique.
Les sexes sont séparés, mais l’appareil génital possède une partie mâle et une partie femelle; l’une des deux, seule, est fonctionnelle. Pendant une grande partie de leur existence, les myxines sont sexuellement indéterminées. Les jeunes ne présentent pas de métamorphose au cours de leur développement.
4. Phylogénie
On connaît les lamproies fossiles dès le Carbonifère (Hardistiella , Mayomyzon ) et il est probale que Jamoytius , du Silurien moyen, soit très proche de ce groupe. On considère actuellement [cf. OSTRACODERMES] que les lamproies s’enracinent dans le groupe fossile des Anaspides (Silurien-Dévonien)et que leur sont également apparentés les Ostéostracés (Silurien-Dévonien). Ces trois groupes partagent un orifice naso-hypophysaire dorsal, considéré comme une spécialisation. Toutefois, la présence, chez les Ostéostracés, de cinq caractères partagés uniquement avec les Gnathostomes jette un doute sur ce regroupement avec les lamproies (fig. 3).
Deux myxines fossiles sont connues à l’état d’empreinte dans le Carbonifère des États-Unis d’Amérique (environ – 300 milions d’années): Myxikinela , découverte en 1991, ne diffère des myxines actuelles que par une position des poches branchiales plus proches du crâne; Gilpichthys possédait des dents cornées très développées. Cependant, si l’on en croit la position phylogénétique attribuée maintenant aux myxines, il faut admettre que ce groupe s’est séparé des autres Vertébrés au moins au Cambrien (fig. 2).
cyclostomes
n. m. pl. ZOOL Seule sous-classe d'agnathes ayant des représentants vivants (ex.: les lamproies).
— Sing. Un cyclostome.
Encyclopédie Universelle. 2012.