DORIENS
Selon la légende, les Doriens seraient arrivés dans le Péloponnèse, leur centre de peuplement le plus important dans le monde grec, en alliés des descendants d’Héraclès qui recouvraient ainsi l’héritage du héros sur les Atrides, successeurs d’Eurysthée qui l’en avait dépouillé. La documentation archéologique contemporaine ne se concilie pas avec ces données traditionnelles. En réalité, les Doriens se distinguent des autres rameaux du peuple hellénique par leur langue et par leur implantation géographique. Ils ont occupé dans l’histoire et la civilisation grecques une place très importante jusqu’à la fin du Ve siècle avant J.-C., après quoi il ne paraît plus possible de leur attribuer un rôle collectif.
Géographie et ethnographie
À l’époque historique, les Doriens sont établis dans tout le Péloponnèse, à l’exception de l’Arcadie, au centre de la presqu’île, dans les Cyclades méridionales (Mélos et Théra principalement), en Crète, en Asie Mineure dans l’Hexapole de Carie, avec pour principales cités Cnide, Cos et Halicarnasse, enfin à Rhodes et dans les îles adjacentes. La colonisation archaïque les a, en outre, amenés en Sicile (Syracuse, Géla, Agrigente entre autres), en Italie (Tarente), dans les îles Ioniennes (Corcyre) et sur la côte orientale de l’Adriatique, en Afrique (Cyrène), à Byzance et sur quelques points des rivages du Pont-Euxin. La métropole dorienne la plus active fut Corinthe.
Dans l’Antiquité, les Doriens fondaient leur originalité sur leur histoire légendaire. Aux yeux des historiens modernes, ils se distinguent des autres Grecs surtout par leur dialecte qui comporte de nombreuses variantes, chaque cité ou presque ayant son parler propre. Il est moins évolué que les autres dialectes et plus proche de ses origines indo-européennes. Il est difficile de découvrir d’autres traits propres à individualiser les Doriens. Beaucoup de cités doriennes avaient conservé la division du corps civique en trois tribus: Hylleis, Dymanes et Pamphyloi; mais certaines en avaient ajouté une quatrième tandis que d’autres les avaient tout à fait abandonnées. En matière religieuse, les Doriens vouaient un culte particulier à Apollon. Cependant cette divinité ne leur est pas spéciale et semble avoir été adorée déjà à l’époque mycénienne. Enfin, il n’est pas possible de leur attribuer des institutions, des mœurs ou des dispositions spirituelles originales. Certaines coutumes remarquables de Sparte ou de la Crète étaient ignorées d’autres cités apparentées. Et il n’est pas prouvé que les Doriens aient tous eu un sens civique et une valeur militaire supérieurs à ceux des autres Grecs.
L’invasion dorienne: légende et archéologie
L’installation des Doriens en Grèce proprement dite résulte d’une invasion, comme suffit à le prouver la carte dialectologique de l’époque historique. La parenté étroite entre les idiomes en usage en Arcadie, à Chypre et en certains points de la côte méridionale de l’Asie Mineure ne peut s’expliquer que par l’existence d’une continuité linguistique rompue par l’irruption, dans l’aire qu’elle recouvrait, des peuples qui s’exprimaient en dorien. Le langage ainsi géographiquement morcelé étant plus proche qu’aucun autre de celui dont se servaient les rédacteurs des tablettes gravées en écriture linéaire B employée à l’époque mycénienne, il y a lieu de penser que la migration dorienne est postérieure à la ruine de la civilisation correspondante.
L’événement avait laissé dans la mémoire collective du peuple grec de nombreuses traces évoquant la légende du «Retour des Héraclides». Ces cinquante fils d’Héraclès, frustrés de l’héritage paternel, le Péloponnèse, par le roi de Mycènes, Eurysthée, avaient dû se réfugier en Thessalie où ils firent alliance avec les Doriens du roi Aigimios, descendant du héros Doros, fils d’Hellen, qui adopta leur aîné Hyllos. Trompés par des oracles ambigus, ils ne purent reprendre le Péloponnèse, où les Atrides avaient succédé à Eurysthée, qu’à la troisième génération. Ils vainquirent et tuèrent le petit-fils d’Agamemnon, Tisamenos, conquirent la presqu’île à l’exception de l’Arcadie, abandonnèrent l’Élide aux Étoliens et partagèrent le reste entre les descendants d’Hyllos. Les générations suivantes achevèrent la mainmise sur le pays et allèrent coloniser les Cyclades méridionales, le Dodécanèse et l’Hexapole d’Asie.
Sur la foi des éléments linguistiques, on a longtemps pensé que cette légende reflétait assez fidèlement la réalité historique. L’analyse des vestiges archéologiques tend à donner une interprétation différente. La ruine de la civilisation mycénienne est due à une invasion dévastatrice qui, au tournant des XIIIe et XIIe siècles, ravagea la Grèce, de la Thessalie au sud du Péloponnèse, et laissa certaines provinces, comme la Laconie et la Messénie, à peu près dépeuplées. Mais, dans les régions moins touchées, la civilisation, bien qu’appauvrie, se poursuivit selon la tradition mycénienne. On voit là l’indice que les envahisseurs n’ont fait que parcourir le pays sans s’y établir ni renouveler le peuplement. En revanche, à partir du premier quart du XIe siècle, des transformations dans le style de la production céramique, dans les coutumes funéraires et la diffusion des armes et outils de fer seraient révélatrices de l’apparition d’un nouveau peuple. Dès lors, ou bien les Héraclides sont responsables de la catastrophe de 1200, et alors ils ne se sont pas établis dans la presqu’île, ou bien ils sont les porteurs des coutumes nouvelles qui apparaissent après la fin du XIIe siècle, mais leur arrivée, pacifique, n’a ni la forme conquérante que lui prête la légende, ni rapport chronologique avec les Atrides et la guerre de Troie.
Les Doriens dans l’histoire
Aux temps historiques, la place tenue par les Doriens dans l’évolution du monde grec, si l’on excepte leur participation à la colonisation, ne peut être évaluée qu’à partir du milieu du VIe siècle où il devient vraiment possible de parler d’une vie internationale. Ils jouent alors un rôle de premier plan grâce à la puissance de Sparte, maîtresse de la Laconie et de la Messénie, qui groupe autour d’elle une confédération des principales cités doriennes du nord-est du Péloponnèse, à l’exception d’Argos, son ennemie irréductible. Sparte tente d’exercer la prééminence en mer Égée, non sans connaître des échecs. Au moment où la menace d’invasion de Xerxès devient évidente, elle reçoit des Grecs coalisés le commandement en chef sur terre et sur mer (481). Grâce à la valeur de ses armées, ses généraux remportent les victoires finales de Platées et de Mycale (479). Mais l’essentiel du bénéfice des guerres médiques va à Athènes qui y a d’ailleurs joué un rôle capital. L’empire maritime que cette dernière édifie éclipse Sparte et sa ligue, dont elle paraît même menacer le domaine. Deux longs conflits (461-446 et 431-404) en résulteront et prendront en partie le caractère d’une lutte de défense des Doriens contre leur ennemi athénien. Mais le second affrontement, la guerre du Péloponnèse, apparaîtra davantage comme le choc de deux impérialismes. Après la victoire, Sparte impose à tous sa domination étouffante et ne se réfère plus à aucune solidarité ethnique. Il ne paraît dès lors plus possible de parler d’un rôle collectif des Doriens dans l’histoire.
Leur place dans la civilisation n’est pas moins notable, à l’époque archaïque surtout. Sparte a été un des foyers les plus brillants de la poésie lyrique chorale, non sans subir quelques influences ioniennes et orientales. Elle a fabriqué une céramique de qualité mais, dans ce domaine, elle est éclipsée par Corinthe dont la production domine le marché durant tout le VIIe siècle. La sculpture dédalique , qui a inspiré les grandes écoles péloponnésiennes d’Argos et de Sicyone, est née en Crète. Enfin, le premier temple d’ordre dorique est l’Héraïon d’Olympie qui date du dernier quart du VIe siècle.
Doriens
peuple de la Grèce anc. Refoulant les Achéens, ils envahirent au XIIe s. av. J.-C. le Péloponnèse, dont ils occupèrent la plus grande partie. Ils fondèrent, par leurs migrations, la Doride, en Asie Mineure, et des colonies en Afrique, en Sicile et en Italie du Sud.
Encyclopédie Universelle. 2012.