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HYPNOTIQUES
HYPNOTIQUES

Sont hypnotiques toutes les substances capables d’induire ou de maintenir le sommeil. Leur structure chimique permet de les classer en trois groupes: celui des barbituriques, celui des benzodiazépines, et un troisième groupe hétérogène. Les hypnotiques ont tous une action dépressive sur le système nerveux central. Ils provoquent successivement, pour des doses croissantes, une sédation, le sommeil, puis une aréflexie, un coma et enfin la mort par arrêt respiratoire.

Tous les hypnotiques ont des propriétés anti-éveil, mais, parallèlement, ils modifient la structure normale du sommeil en bloquant à des degrés variables le sommeil paradoxal et le sommeil lent profond. Leur efficacité hypnotique disparaît à long terme. La survenue éventuelle de phénomènes importants de sevrage doit inciter à les réduire progressivement. Enfin, la prise d’hypnotiques retentit sur le vécu diurne avec souvent une somnolence résiduelle, une diminution des performances et parfois un rebond d’anxiété dans la journée.

1. Différentes familles d’hypnotiques

Les barbituriques

Les barbituriques sont des dérivés de substitution en 5 de l’acide barbiturique (ou malonylurée) qui résulte de la condensation de l’acide malonique et de l’urée. Ils existent sous forme lactame ou lactime (fig. 1). Le nom de barbiturique viendrait de la forme de ses cristaux «semblables à une lyre» ( 廓見福晴精礼﨟), ou plus prosaïquement du fait que Adolph von Baeyer, qui synthétisa en 1864 l’acide barbiturique, fêta sa découverte dans une taverne fréquentée par des officiers d’artillerie le jour de la Sainte-Barbe, patronne des artilleurs. Le premier hypnotique barbiturique, l’acide diéthylbarbiturique ou barbital, fut commercialisé en 1903 sous le nom de Véronal. Plus d’une dizaine de dérivés hypnotiques barbituriques sont commercialisés. Leur nom pharmacologique comporte toujours le suffixe «al» bien qu’il ne s’agisse pas d’aldéhydes. Le remplacement de l’urée par la thio-urée conduit à des substances utilisées comme anesthésiques généraux d’action brève (thiopental). Le phénobarbital est surtout utilisé comme antiépileptique, mais on l’emploie à faible dose, pour ses propriétés sédatives, dans près de deux cents spécialités pharmaceutiques (tabl. 1).

Les barbituriques se présentent sous la forme de poudres cristallines blanches, légèrement amères, insolubles dans l’eau mais solubles dans les solvants organiques. Ils se comportent comme des acides faibles. Ils sont absorbés en quantité variable dans l’estomac suivant la liposolubilité de leur forme non dissociée, surtout par la muqueuse jéjunale. La résorption par la muqueuse rectale est bonne (administration possible par suppositoires). Ils se fixent de façon variable sur les protéines plasmatiques, diffusent dans tous les liquides et tissus, traversent facilement le placenta, passent dans le lait et sont métabolisés dans le foie, surtout par oxydation des chaînes linéaires substituées en 5. Ils sont éliminés essentiellement par le rein: acides faibles, ils sont sécrétés activement par le tubule tandis que leur forme ionisée liposoluble est réabsorbée passivement. Ils diminuent l’excitabilité du système nerveux central à tous les niveaux, cortical, thalamique, hypothalamique, limbique, réticulaire mésencéphalique et bulbaire, médullaire. Ils renforceraient la teneur encéphalique et l’effet synaptique inhibiteur de l’acide 塚-aminobutyrique (GABA).

Les barbituriques restent encore utilisés comme hypnotiques bien qu’ils présentent de nombreux inconvénients . La dose toxique est notamment trop proche de la dose thérapeutique: de l’ordre de dix fois la dose hypnotique. Des troubles de conscience marqués peuvent suivre la prise d’une dose seulement deux ou trois fois supérieure à la posologie normale. Les barbituriques à action rapide sont les plus dangereux, car ils peuvent entraîner un arrêt respiratoire avant que l’intoxication n’ait été découverte. Autre inconvénient, l’effet hypnotique s’épuise rapidement, et la tendance à augmenter les doses réduit encore la marge de sécurité posologique. Le risque de toxicomanie est bien connu. Les barbituriques sont également de puissants inducteurs enzymatiques. Ils accélèrent le métabolisme hépatique de nombreux médicaments, ce qui conduit à une inactivation partielle de substances telles que les anticoagulants oraux, les contraceptifs oraux, les hypoglycémiants oraux, les corticostéroïdes, etc. Enfin, l’arrêt brutal d’un traitement au long cours peut entraîner un sévère syndrome de sevrage avec tremblements, agitation, fièvre, confusion, crises comitiales.

Les benzodiazépines

Les benzodiazépines sont les hypnotiques de loin les plus utilisés actuellement. Elles forment une classe de substances psychotropes ayant en commun des propriétés anxiolytiques, hypnotiques, anticonvulsivantes et myorelaxantes. Elles sont amnésiantes et orexigènes chez l’animal. Certaines sont utilisées préférentiellement comme hypnotiques, c’est-à-dire administrées juste avant le coucher (nitrazépam, flunitrazépam, triazolam, estazolam, témazépam, etc.), d’autres sont utilisées comme anxiolytiques avec une administration diurne (chlordiazépoxide, diazépam, clobazam, clorazépate, etc.) mais retentissent bien évidemment sur la qualité du sommeil nocturne, la diminution de l’anxiété favorisant le sommeil. Après administration orale, le flunitrazépam et le chlordiazépoxide passent à 100 p. 100 dans la circulation générale, les autres benzodiazépines dans la proportion de 50 à 90 p. 100, sauf le clorazépate et le prazépam qui ne se retrouvent pas dans la circulation générale. La concentration plasmatique maximale est atteinte en une à deux heures. La fixation protéique est variable, entre 60 et 90 p. 100. Les benzodiazépines diffusent très bien dans l’organisme. Elles sont métabolisées à 90 p. 100 par le foie par hydroxylation, réduction ou déméthylation. Les métabolites sont glycuro-conjugués puis éliminés dans les urines. Le N-déméthyl-diazépam et l’oxazépam sont deux métabolites actifs, plaque tournante du métabolisme d’un grand nombre de benzodiazépines. Outre la demi-vie propre du produit, il faut connaître également la demi-vie d’élimination des métabolites actifs. Le clorazépate et le prazépam n’agissent que par leur métabolite actif. L’élimination se fait par le rein. La demi-vie des benzodiazépines augmente linéairement avec l’âge entre vingt et quatre-vingts ans surtout du fait de l’insuffisance rénale «physiologique» du sujet âgé.

Les mécanismes d’action des benzodiazépines restent encore imparfaitement connus. Il existe des récepteurs aux benzodiazépines à différents niveaux de l’encéphale humain, ce qui impliquerait peut-être l’existence de substances benzodiazépine-like endogènes qui s’y lieraient spécifiquement. On pense que les benzodiazépines facilitent la transmission GABAergique en régulant l’affinité du récepteur GABAergique pour son ligand physiologique, le GABA. Cette action potentialisatrice de la transmission GABAergique peut expliquer l’activité myorelaxante et anticonvulsivante des benzodiazépines. Leurs effets anxiolytique et hypnotique seraient liés en outre à une action sur les monoamines cérébrales (surtout la sérotonine) et sur le système cholinergique.

Les benzodiazépines offrent un certain nombre d’avantages par rapport aux barbituriques. Ainsi, la marge de sécurité entre doses thérapeutique et toxique est très grande. La dose mortelle chez l’animal est mille fois plus élevée que la dose active. Leur pouvoir inducteur enzymatique est négligeable. Elles traitent l’anxiété sous-jacente à la plupart des insomnies. Le risque de dépendance est faible, voire exceptionnel. Enfin, elles ne sont cependant pas dénuées d’inconvénients: notamment une efficacité au long cours incertaine et des phénomènes de sevrage.

Les autres substances

Ces substances regroupent des anxiolytiques (méprobamate), des neuroleptiques phénothiaziniques utilisés à faible dose comme hypnotiques en raison de leurs propriétés sédatives (chlorpromazine, lévomépromazine, thioridazine), des antihistaminiques phénothiaziniques (prométhazine, alimémazine), des associations anxiolytique (benzodiazépine ou non) et antihistaminique phénothiazinique avec ou sans neuroleptique, etc. L’alcool éthylique est souvent utilisé seul, en automédication, dans un but hypnotique. Il est à proscrire en association avec une substance hypnotique, car la potentialisation ainsi induite peut entraîner des effets toxiques.

2. Le sommeil après prise d’hypnotique

La sensation de mauvais sommeil va de pair avec une diminution du sommeil total, une augmentation du délai d’endormissement, du nombre et de la durée des éveils intercurrents, un sommeil lent profond (stades 3 et 4) plus court. Le sommeil paradoxal est en général préservé, dans sa rythmicité et dans sa durée. Les hypnotiques ont tous, au moins à court terme, un effet anti-éveil: c’est-à-dire qu’ils raccourcissent le délai d’endormissement, augmentent la durée du sommeil, réduisent le nombre et la durée des éveils. Par contre, ils ont des effets objectivement indésirables sur la répartition des différents stades du sommeil (études polygraphiques) qui font du sommeil hypnotique un sommeil non physiologique (fig. 2).

Le sommeil paradoxal

La durée du sommeil paradoxal (S.P.) est diminuée de façon plus ou moins importante par à peu près tous les hypnotiques. Il existe une compensation de ce déficit en S.P. dès que l’on arrête le médicament en cause. Ainsi, après une prise unique d’un hypnotique qui déprime d’autant plus le S.P. que la dose est plus forte, on observe la première ou la deuxième nuit après l’arrêt de cet hypnotique une augmentation du S.P. au-dessus du niveau de base; c’est l’effet rebond. Après administration prolongée d’un hypnotique déprimant le S.P., celui-ci revient progressivement à la normale, mais le rebond se produira au sevrage qui, pour cette raison, peut être mal supporté: l’augmentation du S.P. s’accompagne d’une augmentation de rêves désagréables voire terrifiants. Le rebond de S.P. peut être masqué. C’est le cas lors de l’utilisation d’hypnotique à demi-vie très courte, produisant un blocage du S.P. pendant les premières heures de la nuit puis une augmentation en rebond en fin de nuit. Cela aboutit, si l’on ne considère que le pourcentage total de S.P., à croire à tort que l’hypnotique n’a pas d’effet dépresseur sur le S.P. Les hypnotiques ont souvent une action dissociée sur les composantes toniques et phasiques du S.P. Certains, s’ils n’agissent pas significativement sur la durée totale du S.P. (aspect tonique), diminuent fortement le nombre de mouvements oculaires rapides du S.P. (aspect phasique).

Le sommeil lent profond

Le pentobarbital et un certain nombre de benzodiazépines (diazépam, etc.) diminuent le sommeil lent profond (stade 4). La diminution n’est généralement nette qu’au bout de deux ou trois nuits après médicament. Elle peut aboutir chez certains individus à une suppression totale du stade 4. Elle persiste pendant toute la durée d’administration du médicament sans qu’apparaisse de tolérance. À l’arrêt du traitement, la remontée du stade 4 au niveau antérieur se fait lentement, en plusieurs nuits, sans jamais de rebond compensateur.

Le stade 2

Le stade 2 est le seul stade de sommeil augmenté par les hynotiques. C’est lui qui remplace le S.P. et le stade 4 bloqués par le médicament. C’est lui qui constitue la durée de sommeil supplémentaire obtenue par les hypnotiques. On ne connaît pas la répercussion à long terme sur l’organisme de la désorganisation du sommeil provoquée par les hypnotiques.

3. L’efficacité hypnotique à long terme et les phénomènes de sevrage

L’efficacité hypnotique à long terme a rarement été étudiée objectivement, du fait de la lourdeur des protocoles expérimentaux avec enregistrements polygraphiques. La plupart des hypnotiques perdent rapidement leur efficacité: le pentobarbital et le triazolam en dix à quinze jours, le flunitrazépam en vingt à trente jours. En l’absence d’enregistrement, par le simple recueil de l’estimation subjective du sommeil par le patient lui-même, on a montré que le nitrazépam continuait à améliorer la qualité du sommeil après vingt-quatre semaines de prise mais ne réduisait plus la latence d’endormissement.

Importants avec les barbituriques, les phénomènes de sevrage existent également avec les benzodiazépines. Des cas graves ont été signalés au sevrage de l’oxazépam et du lorazépam avec convulsions ou myoclonies, insomnies ou cauchemars terrifiants, avec une apparition retardée au troisième voire au sixième jour du sevrage. Sans atteindre une telle intensité, le sevrage de certaines benzodiazépines hypnotiques entraîne un sommeil encore plus mauvais qu’avant le traitement: la veille intra-sommeil est très augmentée en durée. C’est ce qu’on appelle le rebond d’insomnie . Le triazolam, le flunitrazépam, le nitrazépam, le témazépam peuvent entraîner ce rebond d’insomnie. Le flunitrazépam donne un rebond d’insomnie même à des doses inefficaces sur le plan hypnotique (1 mg) et bien sûr aux doses efficaces (2 mg). Le rebond d’insomnie est maximal la troisième nuit de sevrage avec cette benzodiazépine. Après sevrage de nitrazépam pris pendant vingt-quatre semaines, les nuits restent subjectivement plus mauvaises que les nuits de contrôle pendant deux à trois semaines. Le rebond d’insomnie est lié à la demi-vie de la benzodiazépine (tabl. 2). Les benzodiazépines à demi-vie courte ou intermédiaire sont toutes génératrices de ce rebond d’insomnie. Les benzodiazépines à longue demi-vie (face=F0019 礪 30 heures) telles que le flurazépam ou le quazépam n’entraînent pas de rebond d’insomnie.

Pour expliquer ce phénomène, on peut faire l’hypothèse suivante: le sevrage abrupt en benzodiazépines à courte ou moyenne durée d’action entraîne un rebond d’insomnie, à cause d’un retard dans la production et le remplacement des benzodiazépines exogènes par des composés endogènes ayant une action benzodiazépinique (benzodiazépine-like). Quand on effectue le sevrage en benzodiazépines de longue durée d’action, l’effet sur les récepteurs à benzodiazépines est moins abrupt car les substances endogènes (benzodiazépine-like) peuvent être partiellement restaurées avant que les métabolites actifs exogènes soient complètement éliminés.

4. Vigilance et anxiété diurnes après prise vespérale d’hypnotique

Les hypnotiques à demi-vie très courte sont pratiquement éliminés le lendemain matin après la prise, si bien qu’il n’y a pas de baisse de la vigilance dans la journée. Au contraire, les hypnotiques à demi-vie plus longue laissent persister des effets résiduels à type de somnolence diurne et de diminution des performances (augmentation du temps de réaction, baisse de l’attention, de la mémoire, de la vitesse d’accomplissement d’une tâche, etc.). Ces effets résiduels peuvent être dangereux chez les conducteurs de véhicule, les travailleurs sur machine... Malheureusement, la puissance hypnotique va de pair avec le degré de diminution des performances diurnes (tandis que la demi-vie du produit est corrélée à la durée de la diminution des performances). Mais il faut savoir que la plupart des études montrant une diminution des performances diurnes après prise d’hypnotique ont été faites sur des sujets volontaires bon dormeurs et non chez des insomniaques. Aussi est-il difficile de prévoir le niveau de performances d’un insomniaque après prise d’hypnotique: l’amélioration de la qualité du sommeil peut en soi améliorer la performance et ainsi contrecarrer la diminution de performance par effet résiduel.

Un autre effet indésirable diurne a été mis en évidence. Il semble que certaines benzodiazépines à demi-vie courte entraînent un rebond d’anxiété dans la journée suivant la prise nocturne du produit. Par exemple, le triazolam (0,5 mg) augmente l’anxiété (évaluée le soir) d’autant plus que l’administration se prolonge. Les éventuelles modifications de l’humeur dans la journée suivant la prise d’hypnotique sont mal connues. Certains notent une humeur plus dépressive.

Au total, la connaissance des effets indésirables des hypnotiques sur l’organisation du sommeil et sur le vécu diurne, de l’inefficacité à long terme de ces médicaments, doit inciter à ne les prescrire en continu que pour un court laps de temps. L’insomniaque chronique aura tout intérêt à recourir aux thérapeutiques non médicamenteuses du mauvais sommeil.

Encyclopédie Universelle. 2012.