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APULÉE
APULÉE

Écrivain et philosophe néo-platonicien du IIe siècle, Apulée est surtout connu comme l’auteur d’un roman d’aventures à tendances philosophiques intitulé L’Âne d’or ou Métamorphoses .

Le personnage

Sur sa vie, nous sommes assez bien documentés. Augustin, dans la Cité de Dieu , l’appelle le «philosophe platonicien de Madaure». Mais c’est Apulée lui-même qui nous renseigne de la façon la plus substantielle dans ses discours et notamment dans une Apologia où il se défend contre une accusation de magie (il aurait ensorcelé une riche veuve pour parvenir à l’épouser). Lors du procès, en 158, Apulée a un peu plus de trente ans. Né à Madaure, il se dit «demi-Numide et demi-Gétule»; il appartient donc à cette Afrique qu’illustreront quelques dizaines d’années plus tard des écrivains chrétiens comme Tertullien ou Minucius Felix.

Son père lui a laissé une fortune dont il s’est servi pour voyager, s’instruire, aider ses amis, si bien qu’on l’accuse d’être pauvre. Vivant à Carthage, visitant Athènes, Samos, Rome, etc., il a une curiosité insatiable de pays et de connaissances. Qu’il ait étudié l’éloquence, Les Florides et l’Apologia en portent brillamment témoignage; qu’il soit devenu «philosophe platonicien», il le répète mille fois dans l’Apologia , avec une conviction passionnée, sans compter que deux au moins de ses traités (De Platone et eius dogmate ; De deo Socratis ) le confirment catégoriquement. Ajoutons qu’il a écrit des vers, qu’il a étudié les sciences naturelles, qu’il s’est fait initier à un grand nombre de cultes à mystères (Liber, Esculape, Isis...). Enfin, lors d’un voyage, malade, il s’arrête à Oea (Tripoli), où l’un de ses anciens condisciples lui fait rencontrer sa mère Pudentilla; il épouse celle-ci; d’où le procès. Qu’advint-il ensuite? Sans doute vécut-il à Carthage, où il se sent chez lui. En tout cas, le personnage a de l’envergure et de l’originalité.

L’«Apologia»

L’Apologia n’est pas seulement une source biographique. Elle nous donne une idée du talent d’Apulée. Pour répondre à ses adversaires, celui-ci emploie un curieux système de défense semi-indirecte. Insistant d’abord sur des griefs accessoires, il joue de l’ironie: «Être beau et savoir parler! graves accusations que je voudrais bien mériter!» Mais surtout, il se justifie en profondeur au lieu de limiter le débat. La seconde partie du discours, directement consacrée à l’accusation de magie, en constitue le moment essentiel.

Apulée définit la magie comme un «art agréable aux dieux immortels» et, si c’est autre chose, se félicite d’être accusé parmi tant d’autres philosophes incompris; puis il passe en revue une série de faits litigieux (achat de poissons, chute d’un enfant, examen d’une femme épileptique, possession d’un talisman ou d’une statuette de Mercure). Et lorsqu’on en arrive à l’épisode du mariage, celui-ci, replacé dans l’ensemble d’une vie, a pris de minces proportions. Tout tourne autour d’une lettre de Pudentilla que les adversaires ont tronquée pour en faire une preuve à charge. La véhémence ironique d’Apulée, l’entrain pittoresque de ses récits familiers, l’organisation concertée mais pleine d’élan du discours font qu’on le suit aisément. On retient quelques formules ironiques ou incisives: «Un enfant est tombé; un enfant a vu; est-ce aussi un enfant qui a fait les incantations?» ou bien: «Hunc denique qui laruam putat, ipse est laruans

On retient surtout quelques morceaux de bravoure; l’affaire du miroir (on l’accusait d’en porter toujours un) présentée en une longue série de questions oratoires sans qu’on sache jamais si ledit miroir a existé ou non; celle des poissons où l’abondance des hypothèses fantaisistes et pittoresques sur les motifs d’un achat de poissons fait attendre longuement la vérité: Apulée fait des recherches scientifiques sur les poissons. Il reste qu’à la question de savoir si ce maître d’éloquence, si ce philosophe enthousiaste a pour le moins flirté avec la magie, on est tout à fait tenté de répondre oui.

Les «Métamorphoses»

Il s’agit encore de magie dans son œuvre romanesque. Lucius, le héros des Métamorphoses – roman qu’Apulée dénomme «causerie milésienne» – se trouve changé en âne grâce aux artifices magiques que son amie Photis a empruntés à la magicienne Pamphilé dont elle est la servante. Certes le «charme» comportait un antidote; il suffisait de manger des roses pour redevenir homme. Mais Lucius est malencontreusement enlevé par des brigands qui tiennent l’âne à l’écart des roses; il est ainsi mêlé, en acteur ou en auditeur, à mille et une aventures dont Apulée lui fait raconter les péripéties avec une verve pittoresque et variée. À la fin des onze livres du récit, une initiation aux mystères de la déesse Isis permet à Lucius de reprendre sa forme humaine.

Les sources de ce roman – original, même s’il relève comme le roman grec contemporain ou postérieur autant de l’épopée que de la comédie – font l’objet d’une controverse. Il nous reste une page de Photius sur un certain Lucius de Patrae dont l’Âne aurait été transcrit par Lucien. Cet Âne de Lucius de Patrae étant probablement un abrégé, la critique est amenée à supposer l’existence d’un modèle grec commun à celui-ci et à Apulée. Que notre auteur ajoute ou non à sa source, qu’il évite ou non les contradictions, son récit est mené avec entrain. Tandis que Lucius s’adapte péniblement à sa vie d’animal, et passe des mains des brigands dans celles d’un jardinier, d’un soldat, d’un pâtissier, etc., les histoires les plus diverses s’organisent en un ensemble véhément et bigarré.

Après le récit de la transformation et de l’enlèvement du héros, le roman comporte, au fil d’un long voyage, des histoires de brigands (vol chez Chryseros à Thèbes, chez Démocharès à Platée), des contes galants comme l’épisode de la femme du meunier, et des cas de crimes monstrueux comme celui de la belle-mère empoisonneuse. Tout cela est mis en valeur par un art de conteur disert et habile, par la fantaisie bien adaptée du ton, et par une langue pittoresque et poétique dans laquelle les archaïsmes s’insèrent harmonieusement.

Au milieu de cette abondance élégante et mouvementée, quelques épisodes – propres au récit d’Apulée, ou fortement transformés par lui – méritent un intérêt plus approfondi. Apulée a sans doute ajouté à son modèle la fable des amours d’Éros et de Psyché (Métamorphoses , IV, 28 - VI, 24). On y trouve des éléments de conte populaire et mythologique: c’est une vieille qui parle; la jeune Psyché est exposée à un monstre en punition de sa beauté exceptionnelle. Mais Éros intervient, tombe amoureux et emmène Psyché dans un palais enchanté où il la comble de bonheur sans que toutefois elle ait le droit de voir de ses yeux son fabuleux époux. Quand elle obtient une entrevue avec ses sœurs jalouses, celles-ci la poussent à tuer le monstre; armée d’un poignard et d’une lampe, Psyché se penche sur Éros; de stupeur, elle laisse tomber une goutte d’huile bouillante sur l’épaule du dieu. Celui-ci la chasse. Pour retrouver Éros, Psyché doit subir une série d’épreuves dictées par Vénus, parmi lesquelles une descente aux Enfers; et finalement elle épouse Éros, de qui elle a une fille du nom de Volupté. Est-ce un simple conte? Les noms, Amour et Âme, sont symboliques. Sans passer en revue toutes les hypothèses, retenons qu’il s’agit sans doute d’une «odyssée» platonicienne de l’âme.

Apulée
(Lucius Apuleius) (v. 125 - v. 180) philosophe et écrivain latin, né dans une ville de Numidie (correspondant auj. à la ville algérienne de Mdawruch) et mort à Carthage. Il est l'auteur de l'âne d'or.

Encyclopédie Universelle. 2012.