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PIERRE (saint)
PIERRE (saint)

Au cours de l’histoire de l’Église, on a de plus en plus considéré Pierre comme le premier pape. Mais l’on ne sait que peu de choses sur le personnage historique de Simon Barjona. Sa théologie reste à peu près inconnue, puisqu’on ne peut pas assurer quelles traditions remontent réellement jusqu’à lui. Pour l’Église romaine, la signification théologique de Pierre repose principalement sur la prééminence de ce dernier dans l’histoire du salut. Pour rester l’Église apostolique, la communauté chrétienne doit se référer constamment à ses origines historiques.

Le problème historique

Ce n’est qu’en procédant avec la plus grande prudence que l’on peut tenter d’évaluer le rôle joué par Simon Barjona avant Pâques. D’après les Évangiles, Jésus lui-même aurait donné à ce pêcheur galiléen – qui apparaît partout comme le porte-parole des disciples – le nom de «Pierre» (c’est-à-dire «Rocher», en araméen Képha, en grec Petros).

On se trouve sur un terrain un peu plus sûr lorsqu’on aborde la question du rôle de Simon dans l’Église primitive. On peut admettre que Pierre assuma la direction de la communauté pendant les premières années. Mais il dut bientôt céder sa place à Jacques, le frère de Jésus, à la suite de quoi il exerça une activité missionnaire à l’extérieur de Jérusalem.

Au début du livre des Actes des Apôtres, l’auteur décrit assez clairement comment Pierre dirigeait la communauté mère de Jérusalem. Toutefois, le détail du récit de Luc n’est pas historique. En revanche, Paul rapporte – dans son Épître aux Galates (I, 18), qui date du milieu des années cinquante et dont l’authenticité n’est pas mise en doute – qu’il s’était rendu, trois ans après sa conversion, à la Cité de Dieu pour une quinzaine de jours afin d’y faire la connaissance de «Céphas». Il en ressort que Simon était probablement, aux yeux de Paul, l’homme le plus important de l’Église, et cela même si Paul ne lui a pas reconnu une primauté particulière.

Au cours des années quarante, Simon semble avoir quitté le centre de l’Église. Peut-être y fut-il contraint par la fraction judéo-chrétienne de stricte obédience qui s’était groupée autour de Jacques et qui estimait que Pierre était trop favorable à la liberté devant la loi et à l’évangélisation des gentils et qu’il se rapprochait un peu trop de la position de Paul. Dans son récit concernant la réunion des Apôtres dans la Ville sainte, Paul cite un ancien procès-verbal conciliaire, selon lequel le Ressuscité aurait confié à Pierre (peut-être lorsqu’il apparut pour la première fois à celui-ci; cf. I Cor., XV, 5) «l’Évangile pour les circoncis» (Gal., II, 7). Dans la seconde moitié des années cinquante, Paul atteste indirectement une activité missionnaire de Pierre: «N’avons-nous pas le droit de mener avec nous une sœur qui soit notre femme, comme font les autres Apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas?» (I Cor., IX, 5). On peut supposer qu’au cours de ses voyages Simon s’est également rendu en Galatie et à Corinthe, où il y avait un parti de Céphas (I Cor., I, 12).

Après avoir dirigé l’Église d’abord avec les Douze, Pierre semble mener la barque pendant un certain temps comme membre du collège des «colonnes» (Gal., II, 9), triumvirat auquel appartiennent également Jacques, le «frère du Seigneur», et Jean, fils de Zébédée, et qui agit avec les Apôtres et les anciens. À l’époque où Paul le réprimande à Antioche (Gal., II, 11 sqq.), Pierre, qui vit maintenant dans la «crainte» de Jacques, semble avoir perdu son autorité. Selon les Actes (XXI, 17-26), Paul, lors de son dernier passage dans la capitale juive, trouve Jacques comme seul responsable – avec les anciens – de la communauté chrétienne. Dans les Actes, Simon disparaît de la scène à partir de XV, 7. Aussi la fin de la vie de Pierre reste-t-elle pour l’historien dans l’obscurité. Toujours est-il qu’on peut supposer, d’après les sources et les dernières découvertes archéologiques, que Pierre a bel et bien subi le martyre à Rome sous l’empereur Néron.

Même après le déclin de l’influence de Simon, et peut-être précisément à la suite de ce déclin, un parti du Rocher pourrait (avec le concours de Pierre lui-même?) avoir cherché à maintenir la primauté de l’apôtre Pierre pour l’Église universelle. Par ailleurs, cette primauté semble avoir été contestée dès le début. Avant la «glorification» du prince des Apôtres, qui se développera en particulier avec les évangélistes, Günter Klein croit pouvoir discerner, en étudiant la tradition synoptique, une phase antérieure au cours de laquelle la prééminence initiale de Pierre aurait été «nivelée». Paul semble polémiquer ici et là contre une prétention d’exclusivité de Céphas. L’Évangile de Jean place le disciple favori à côté de Pierre, dont il reconnaît pourtant la position privilégiée. Walter Grundmann décèle, en Asie Mineure notamment, un mouvement d’opposition à la primauté de Pierre. Selon l’Épître aux Éphésiens (II, 20), l’Église est «édifiée sur le fondement des Apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire» (cf. Apoc., XXI, 14). Il est possible que de telles tendances antipétriniennes aient incité les cercles favorables à Pierre, dans la seconde moitié du Ier siècle, à se prévaloir plus fermement encore de cet apôtre, afin de légitimer leur tradition. Telle pourrait être également la raison pour laquelle fut repris le fameux logion de Matthieu, XVI, 17 sqq.: «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église.» Selon Erich Dinkler, les disciples de Pierre, s’appuyant sur cette parole, auraient cherché, après la mort de Jacques en 62, à faire valoir les anciens droits de leur parti à la suprématie.

Le problème théologique

Selon les Évangiles, Jésus adresse cinq paroles à Simon Barjona: «Désormais tu seras pêcheur d’hommes» (Luc, V, 10); «Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux» (Matth., XVI, 19 a); «Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux» (Matth., XVI, 19 b); «Affermis tes frères» (Luc, XXII, 32); «Pais mes agneaux» (Jean, XXI, 15 sqq.).

Tous les mandats confiés par Jésus à Simon ne sont pas essentiellement liés à la personne de Simon. Ils doivent être remplis aujourd’hui encore, bien que le Nouveau Testament ne parle jamais de successeurs. Reste à savoir dans quelle mesure les fonctions particulières de Pierre changent de signification lorsqu’elles ne sont plus exercées par le prince des Apôtres lui-même, mais par un ou plusieurs autres apôtres, voire des non-apôtres. Un problème est posé par l’interprétation du terme de «Rocher» en Matthieu, XVI, 18. Presque tous les exégètes non catholiques interprètent ce texte en s’inspirant de passages comme Éphésiens, II, 20 et Apocalypse, XXI, 14, selon lesquels l’Église est édifiée sur le fondement des Apôtres. L’office du Rocher serait donc une fonction unique, réservée aux seuls Apôtres. Plusieurs commentateurs appartenant à l’Église romaine comprennent toutefois le verset Matthieu, XVI, 18 à la lumière du verset 19, qui le suit et qui l’explicite. Si cette interprétation était avérée, l’office du Rocher ne se limiterait pas nécessairement aux Apôtres. Comme on ne voit pas clairement de quelles fonctions précises Simon est revêtu en tant qu’apôtre, il faut admettre à titre hypothétique qu’il y a succession pour toutes les composantes de l’office de Pierre. Mais alors se pose la question suivante: qui succède à Barjona?

En premier lieu, ce sont tous les chrétiens qui sont chargés de l’office de Pierre. Les évangélistes surtout insistent – chacun à sa propre manière – sur la signification exemplaire de Pierre comme premier croyant et prototype de tous les chrétiens à toutes les époques. Mais, en outre, c’est l’Église dans sa totalité qui reçoit la mission de pêcher, d’ouvrir et de fermer, de lier et de délier, d’affermir et de paître. Cependant, il ne fait pas de doute que le Nouveau Testament connaît aussi un ministère de Pierre plus restreint et plus spécifique, réservé à un seul groupe.

Dans le dialogue œcuménique qui se déroule actuellement entre les Églises chrétiennes, la question décisive est celle de savoir s’il existe un ministère qui appartienne exclusivement à un successeur de Pierre sous un mode individuel? À la lumière du Nouveau Testament, la limitation du ministère de Pierre à une seule personne représente une possibilité parmi d’autres. Du point de vue sociologique, il faudrait accorder la préférence à celle des organisations et des structures qui garantirait le mieux la soumission de l’autorité ecclésiastique à la critique et au contrôle de l’«Évangile», de cet Évangile auquel Paul et Pierre étaient eux-mêmes soumis (Gal., II, 14). Dans la perspective protestante, le fait que l’Église primitive ait été dirigée pendant un certain temps par un seul homme ne saurait plus avoir pour l’époque actuelle qu’une portée typique ou exemplaire. Ainsi Oscar Cullmann parle-t-il du rôle de Pierre aux débuts de l’Église comme d’un «modèle» pour le temps présent.

Sous quelque forme qu’il se concrétise, le ministère de Pierre doit s’accomplir dans l’annonce du témoignage apostolique. Tous les détenteurs de ce ministère après Simon doivent se référer à l’apôtre-rocher, car aujourd’hui il peut certes y avoir un Pierre, mais pas de Simon.

Encyclopédie Universelle. 2012.