TAXINOMIE
La taxinomie vise à proposer un ordre à l’intérieur duquel se rangeront les êtres réels. La classification, d’ampleur plus générale, porte non seulement sur les organismes les plus divers mais aussi sur des objets artificiels et idéaux, les sciences et les techniques, les livres, les œuvres d’art. Le musée n’est cependant pas très éloigné du muséum d’histoire naturelle et de ses collections.
La taxinomie doit ou devrait intéresser, outre le minéralogiste, le botaniste et le zoologiste, tous les spécialistes de la structuration ou de la répartition. Il n’en est pas moins vrai qu’elle embrasse surtout les minéraux, les plantes et les animaux, c’est-à-dire les nombreuses productions naturelles. Elle soulève beaucoup de problèmes; d’abord un problème biologique ou, plus généralement, conformationnel: où commence la variété? où s’arrêtent les frontières des espèces? qu’y a-t-il d’essentiel dans le cristal ou l’arbre? On ne saurait tout retenir. Il faut trouver l’élément déterminant, auquel tout le reste se subordonne. Elle pose ensuite un problème méthodologique: sur quel critère ou signe convient-il de se guider, afin de découvrir les limites entre les familles et de fixer les appartenances? Les deux questions sont liées: si la première concerne chaque organisme, la seconde se soucie de l’organisation générale de tous. Question, en somme, au degré supérieur: il s’agit non plus seulement de la complexité de la pierre ou du vivant, mais de celle de tous leurs rapports.
Critères et difficultés de la classification
Comme l’a souligné l’un des maîtres des recherches taxinomiques, Augustin Pyramus de Candolle (Essai sur les propriétés médicales des plantes, comparées avec leurs formes extérieures et leur classification naturelle , 1804), la taxinomie n’a pas répondu à un seul intérêt théorique de mise en place ou de synopsis. Selon l’illustre botaniste, en effet, une identité de position, qu’imposent des caractères discriminatifs, doit entraîner et révéler des analogies profondes, donc, un éventuel isodynamisme (industriel, pharmaceutique). On apprendra alors à remplacer les semblables par les semblables: en cas de pénurie, les équivalents fourniront l’abondance, par le jeu des déductions que l’ordre naturel rend désormais possibles. Cette faculté de prévoir s’appliquera aussi au niveau 1 (l’organisme), de même qu’elle valait au niveau 2 (l’organisation générale de tous les êtres et la victoire des remplacements): pour citer encore Candolle, «on a reconnu qu’il est des organes qui exercent sur le reste de l’organisation une puissance telle que de la disposition d’une seule partie on peut déduire la forme de plusieurs autres parties de l’individu». Donc, cette taxinomie se met à effacer l’histoire naturelle descriptive ou monographique; elle la remplace par la science des «implications-exclusions» intra- et même interorganiques. C’est pourquoi l’essor de la taxinomie date surtout du XVIIIe siècle, après l’ère des accumulations ou des collections, quand le nombre des unités devint tel qu’il exigeait un ordre et qu’on ne pouvait plus se contenter d’un simple alignement ou d’un empilement. Les motifs économiques ne sont pas seuls à inspirer ce travail de méthode: la biologie lui devra ses plus vives lumières, parce qu’un vivant ne saurait se comprendre lui-même par lui-même, mais seulement à partir des comparaisons essentielles avec les autres, qui dévoileront indirectement son propre plan de construction, sa secrète architecture constitutive.
À une condition: que la classification en soit une, qu’elle recouvre l’«ordre naturel» des êtres, les véritables divisions. À cet égard, on n’a pas cessé d’opposer la «méthode naturelle» et le «système artificiel», qui ne propose qu’un rangement conventionnel, bientôt insoutenable, commode parfois mais sans valeur ontologique. Par exemple, si l’on distribue les végétaux en aromatiques, alimentaires, fourragers, médicinaux, c’est-à-dire selon les usages les plus communs, d’une part, rien n’empêche qu’une même plante figure dans tous les groupes, et, d’autre part, on aperçoit sans peine la fragilité de cette grille.
Le système artificiel, donc arbitraire, compte non seulement sur une seule partie, mais, de plus, sur une secondaire ou une inconstante, ce qui explique la fausseté de ses démarcations. La méthode s’appuiera à la fois sur des éléments constants et, si possible, sur des rapports, numériques ou topographiques, entre plusieurs éléments, bref, sur l’essentiel et l’immuable.
On doit toutefois nuancer cette opposition classique par le fait qu’Adanson l’a reniée, en ce sens qu’il a voulu tirer l’une de l’autre: il comptabilise, en quelque sorte, tous les organes, petits ou grands, importants ou anodins. Il réalise soixante-cinq systèmes artificiels; et un second calcul devrait permettre d’en extraire le véritable rangement: on réunirait les plantes liées les unes aux autres dans le plus grand nombre de ces tables. Mais c’est là un travail impossible à mener; de plus, est-il juste d’inventorier l’insignifiant? Peut-il entrer dans l’appréciation des affinités? C’est pourquoi, en dépit de cette tentative, il faut conserver l’antinomie entre la distribution arbitraire et la distribution réelle, celle qui s’insinue dans les lignes de la nature même.
Cette juste et laborieuse division suppose qu’aucun minéral, végétal ou animal, ne puisse se loger en même temps dans plusieurs classes, qu’aucune de celles-ci ne soit vide et, enfin, que tous les individus puissent y trouver place. Ces trois conditions vont de soi, mais la principale difficulté vient de ce que cette table générale doit aussi pouvoir accueillir le nouveau. Il faut laisser des vides où il puisse s’installer, sinon il remettrait en cause l’ensemble de la répartition. Est-il possible de prévoir à l’avance des lieux théoriques capables de recevoir l’inconnu (le principe d’hospitalité)? Peut-on échafauder une grille à la fois très serrée et lacunaire qui devra enfermer des êtres semblables et différents? La taxinomie s’insurge, en effet, contre l’entièrement nouveau ou contre l’identique, parce que le rangement n’est possible qu’avec des individus aussi bien analogues qu’opposés, les uns et les autres en diverses proportions.
Trois autres périls menacent toute taxinomie, en général. Le premier est le polymorphisme, qui concerne aussi bien les vivants que les pierres, susceptibles d’enregistrer de nombreuses altérations. Or, on n’a pas le droit d’isoler, ou de fractionner, les formes multiples, faussement divergentes, d’une même réalité. Le protée guette, nargue le classificateur; il imposera, dans ces conditions, le recours à des instruments d’analyse, capables de dépister les pseudo-écarts. La minéralogie, effectivement, a été particulièrement troublée par cette multiplicité, où des mêmes éléments forment des complexes différents, de même que par l’isomorphisme, où des unités composantes interchangeables n’altèrent pas l’architecture caractéristique, l’édifice cristallin; d’où, en l’occurrence, le danger des classifications qui reposent sur une seule analyse chimique des constituants.
Le deuxième péril tient à ce que, tôt ou tard, il faut se servir de critères de reconnaissance, afin de pouvoir rapidement situer l’individu. Mais ces repères matériels doivent à la fois être présents dans tous les végétaux, par exemple, et aussi y varier, afin d’autoriser des découpages. On s’arrête au mouvant et à l’invariable, à une adhérence qualitative et à des échelonnages, à des oscillations quantitatives; de plus, à ce qui est facile à voir et, parallèlement, profondément lié aux structures, à la fois extérieur et intérieur. On mesure par là les nombreuses obligations, difficilement conciliables, auxquelles est astreint l’index localisateur. On peut même discuter la question de savoir s’il y en a de valable pour toutes les espèces. Garde-t-il le même sens lorsqu’on passe d’une division à l’autre? Bien que toujours perceptible, est-ce que son pouvoir recteur ou discriminateur ne se modifie pas avec les divers ensembles dans lesquels il est inséré?
Une troisième et ultime interrogation se pose, qui porte sur les nombreux intermédiaires: la foule des mixtes ou des mélanges, celle des combinaisons. Ne parviennent-ils pas, au fur et à mesure qu’on les appréhende mieux, à briser les cadres partitifs? Si oui, la taxinomie rentrerait dans cet arbitraire qu’elle a toujours cru et voulu éviter.
Le domaine de la biologie végétale
Malgré ces interdits, la taxinomie n’a pas cessé d’avancer et de se constituer, et d’abord en biologie végétale, où elle s’est brillamment illustrée.
Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) pense que la corolle peut tenir lieu de critère; de là ces noms qu’il reprend ou invente, les Composées, les Labiées, les Rosacées, les Personnées, les Papilionacées, etc. Ils traduisent la forme des pétales ou leur nombre (cruciforme, parce que quatre, opposés). Tournefort recourt à ce moyen floral parce qu’il le dote de pouvoir imaginaire. Pour lui, la fleur y élabore les sucs et les subtilise.
Linné entend le dépasser, dans la mesure où il propose le «système sexuel», plus intérieur au végétal, c’est-à-dire la proportion et la situation des étamines fécondantes par rapport au pistil. L’appareil générateur lui semble plus révélateur et plus essentiel que l’appareil nutritif; d’où ces vingt-quatre sous-ensembles: monandrie, diandrie, triandrie, etc. La Philosophie botanique de Linné s’en explique: «Il se trouve plus de parties dans la fructification que dans tout le reste de la plante, on en tire donc un grand nombre de notes.» Mais, sans compter de très nombreuses objections, on sait que, par exemple, le nombre des étamines fluctue. Antoine Laurent de Jussieu le soulignera: «Une étamine avortée ou surnuméraire embarrasse les sectateurs du système sexuel» («Examen de la famille des renoncules», in Mémoires de l’Académie des sciences , 1773).
Aussi l’illustre Jussieu choisit non plus les enveloppes florales ou les appareils reproducteurs, mais d’abord le développement de l’embryon, afin d’assurer les premiers cloisonnements; d’autre part, à l’intérieur de ceux-ci, il s’appuie sur les associations entre cette semence et les pièces florales. Il retient non plus un ou plusieurs facteurs, mais des relations, relativement stables, entre eux, et que matérialisent les points d’attache: «Le nombre, la proportion des étamines peuvent varier, ainsi que la forme, la substance et le nombre des tiges du pistil [...]. Ces deux parties donnent séparément beaucoup de caractères, mais celui qui résulte de leur considération respective est le seul uniforme dans les familles connues, le seul par conséquent qui puisse être admis: ce caractère est la situation des étamines par rapport au pistil, ou autrement, l’insertion des étamines [...]. M. Linaeus, qui, dans son système, considère les étamines sous tous les points, paraît faire moins de cas de leur attache et ne l’emploie que pour caractériser trois de ces classes» («Exposition d’un nouvel ordre des plantes», in Mémoires de l’Académie des sciences , 1774). Bref, Jussieu réussit à s’approcher de l’ordre naturel parce qu’il a transformé radicalement la notion de signe et renouvelé sur trois points les méthodes de la diagnose: il s’oriente d’abord vers ce qui, à travers le mouvement, demeure fixe; il avantage justement l’embryon – résumé premier, naturel, offert de la plante –; il compte ensuite sur les rapports entre ce centre séminal et sa circonférence relativement oscillante. Ainsi, à l’intérieur des dicotylédones, il distinguera les végétaux dont les étamines sont insérées au-dessus, autour ou au-dessous du pistil, les épi-gynes, les péri-gynes et les hypo-gynes.
L’ordre de Trianon, celui que Jussieu préconise, avec ses seize divisions, ne clôt pas cependant la quête taxinomique, aux prises avec des plantes de plus en plus nombreuses et, par rapport à ce classement, ou bien aberrantes ou non assimilables.
Candolle mérite une place à part. Il a d’abord analysé avec force l’importance et la variété des métamorphoses qui agitent les fleurs et les feuilles, qui dénaturent sans repos l’ensemble végétal. On aura de la peine à s’emparer de «points fixes». Mais Candolle devait cependant énoncer des règles particulièrement ingénieuses qui facilitaient l’appréhension ou la lecture d’un certain invariant sous-jacent aux incessantes transformations non structurales. On distingue d’abord dans la plante une partie reproductive, vouée à l’espèce, et une partie individuelle, végétative. Ces deux systèmes doivent s’éclairer l’un par l’autre, toujours se recouper. Ce qui secoue l’un doit nécessairement disloquer l’autre, et inversement; il en découle un moyen d’éprouver la nature des changements: sont-ils accessoires, ponctuels ou structurels? Ce principe de la concordance intersegmentaire ne joue pas moins à l’intérieur de chacun des cantons; de là, encore, émane une méthode pour vérifier l’essentiel: si tel organe se déplace ou s’altère, il doit entraîner des modifications de tous les articles semblables ou voisins.
Deux règles, celle du parallélisme et celle de la répercussion, fondent une botanique de correspondances et de réciproques vérifications, à travers lesquelles se détache le véritable diagramme de la plante. L’intérêt de cette conception vient non seulement de ce qu’elle analyse les avortements, les dégénérescences, les adhérences et les changements les plus divers – et par là écarte les anciens critères d’aspect, de position, d’existence, de nombre («il faut, pour établir une bonne classification, ramener [...] toutes les plantes irrégulières à leurs types primitifs et réguliers, quoique ces types soient souvent rares à rencontrer, quelquefois même idéaux», Théorie élémentaire de la botanique ) –, mais surtout l’intérêt de cette conception réside en ce qu’elle dégage les plans primitifs et leurs lois de symétrie. On apprend donc à redresser la plante souvent défigurée et à lui assigner alors la place qui correspond à sa vérité.
Finalement, Jussieu restait encore le prisonnier des apparences, alors qu’elles bougent ou disparaissent. La structure candollienne n’équivaut plus à un invariant empirique ou positionnel, mais à un abstrait, à un centre idéal, déjà, à une formule au lieu d’une forme.
Autre tempête sur la systématique, dont on suit les progrès: les instruments autorisent des examens plus attentifs; ils conduisent, au milieu du XIXe siècle, à la différenciation des Thallophytes, des plantes sans racines, ni tiges, ni feuilles, que Jussieu rejetait dans les Acotylédones et que Candolle définissait simplement comme des cryptogames cellulaires – un sous-ensemble négatif et un peu mis à l’écart. Ces inférieurs ne correspondent pas, en effet, aux modèles connus, et, avec eux, les signes usuels ne fonctionnent plus.
En 1851, Wilhelm Hofmeister (1824-1877) découvrit la loi de l’alternance des cycles, l’existence (de longueur inégale, plus ou moins perceptible, avec des modalités diverses) de deux périodes, l’une sexuée (gamétophyte) et l’autre asexuée (sporophyte). Cela conduit à une possible récupération et au triomphe inespéré de l’unité d’un plan dans le règne végétal jusqu’alors scindé. Et, de même, on parvient à comprendre mieux et les cloisons catégorielles qui séparent les Bryophytes et les Ptéridophytes, et les différences que le cycle porte et qui distinguent effectivement les mousses des fougères.
Victoire décisive, qui améliore subitement le tableau général. Jusqu’alors, le botaniste avait seulement assisté à des disparitions d’organes ou de caractères, contre lesquels Candolle l’avait prémuni. Avec ces plantes ou ces embranchements, il faut subir l’éclipse totale: le «degré zéro», qui entrave la théorie de l’ordre et du classement consécutif. Mais les découvertes d’Hofmeister parviennent à maintenir et à enrichir le spectre. Il n’en est pas moins vrai que la taxinomie connaîtra de plus en plus de déboires ou de difficultés, dans cette région basale qu’occupent les micro-organismes ou même les virus, tous de mieux en mieux connus et de moins en moins conformes aux définitions préalables.
Sur quoi reposent les «analogies-différences» logiques, ce jeu du «même» et de l’«autre» que la taxinomie essaie de débrouiller? Ce problème de fondement va désorienter la systématique.
Taxinomie et perspective phylogénétique
Vers la fin du XIXe siècle, le transformisme interprète ces affinités éventuelles comme la preuve de parenté ou de dérivation. Et la classification naturelle en devient de plus en plus phylogénétique.
Un large déplacement s’opère, au cours duquel on substitue au quadrillage des échelles de succession ou même d’apparition et de telle sorte que, désormais, le taxinomiste prête attention aux êtres disparus-primitifs, témoins de cette évolution. Par parenthèse, une découverte assez surprenante y attendait les disciples d’Adolf Engler (1844-1930), l’un des plus grands théoriciens de la classification d’inspiration généalogique: ne plaçait-il pas, par exemple, l’apétalie avant la dialypétalie? Mais la simplicité ne peut pas valoir comme indice de la primitivité ou de l’ancestralité. Il n’est pas exclu, en effet, que la fleur fut d’abord polycarpique et multipétalée (théorie cycadoïdienne), comme tendent à le suggérer les plus anciens documents du Crétacé inférieur (les Bennettites). Parallèlement, les Monocotylédones dériveraient aussi des Dicotylédones et non l’inverse, comme l’aurait souhaité une théorie additive de l’évolution, avec passage régulier de un à deux. Il est vrai que certains paléobotanistes se contentent d’admettre des lignes touffues et ramifiées, à partir d’un complexe unique, mais c’est encore une façon de réfuter la conception d’une marche rectiligne ou progressive. Et ces remarques montrent assez les pièges d’une phylogénie trop comprise comme transition du simple au composé, alors que les formes spiralées, abondantes et non connées, peuvent traduire une situation antérieure.
Ainsi le terrain taxinomique s’est sensiblement modifié: il s’agit, non plus de faire le compte des étamines ou l’examen de fleurs dans le jardin ou l’herbier, mais de se livrer à des recherches difficiles dans les mines ou les couches de houille, là où demeurent les vestiges-empreintes des végétaux disparus. Le champ entier de la systématique en sort révolutionné: à des divisions on substitue des lignées et des circuits. À la limite, on y perçoit moins des êtres que des mouvements et surtout moins des cloisons que des filiations.
Pour beaucoup de raisons, les recherches ne peuvent avancer que lentement: non seulement de nombreux chaînons manquent, mais il faut interpréter des restes singulièrement dénaturés; surtout, la logique tend trop, comme on l’a vu, à empêcher la chronologie et à l’infléchir. On doit apprendre à briser son carcan pour découvrir enfin les chemins de la vie et les aléas de la morphologie.
Curieusement, l’histoire de la classification des roches ou celle des animaux conduirait aux mêmes conclusions: l’une et l’autre semblent parcourir le même itinéraire théorique. Les savants se sont peu à peu détachés des «caractères extérieurs» pour accéder à des structures de moins en moins factuelles. Même démarche, mêmes écarts, mêmes prouesses. Il est vrai qu’au XVIIIe siècle, le siècle où commence à fleurir la taxinomie, les mêmes naturalistes – Linné, Daubenton, Lamarck, entre autres – s’emploient à disposer et à ranger indistinctement minéraux, herbes et bêtes.
Toutefois, d’une part, la minéralogie définit un champ privilégié: on s’y intéresse à un matériau neutre et analysable que l’on peut scinder et examiner plus facilement.
D’autre part, la zoologie, elle, a pu s’aider d’une «discipline-dimension» que les plantes ne favorisent pas autant: l’embryologie, l’examen des stades que parcourt le fœtus, surtout si l’ontogénie récapitule la phylogénie. Plus que la graine, l’embryon enroulerait le passé et pourrait servir moins à séparer les genres qu’à déceler les larges successions.
Ce qui renouvelle ainsi la classification en marque aussi le déclin. La taxinomie en tant que telle s’efface: la perspective historique la remplace. En outre, l’esprit expérimental ne cessera de s’affirmer; il écartera de plus en plus les travaux d’ordination ou de mise en place des naturalistes, qui collectent et rangent. Il fabriquera des êtres nouveaux; il maîtrisera les différences.
C’est ainsi qu’en médecine, Claude Bernard a écrit des remarques cinglantes à l’encontre des nosographes et de tous les amateurs de «caractères distinctifs»: «La médecine d’observation, en tant que science naturelle, admet une science des maladies, une science des êtres, des entités morbides, comme science distincte. Par conséquent, elle admet des nosologistes, qui classent ces êtres [...]. Broussais lui-même dit qu’il faut rattacher les maladies à des lésions anatomiques; il est anatomo-pathologiste. De même, la zoologie admet des classifications, que la physiologie tend à détruire. Pour le physiologiste expérimentateur, il n’y a pas d’espèce comme entité à classer» (Principes de médecine expérimentale ).
Si la taxinomie a encore perdu du terrain, c’est qu’elle n’est plus aujourd’hui la science, mais l’une de ses conséquences. Les grandes découvertes se répercutent encore en nouvelles manières d’appréhender, de regrouper ou de séparer les espèces. Surgissent sans cesse d’autres linéations. Mais la taxinomie n’est plus la recherche, elle est seulement son miroir.
En revanche, elle devrait attirer tous ceux qui rêvent d’un «ordre naturel» adéquat, de mieux en mieux élaboré, capable de mettre de la lumière dans une multitude, bref, les spécialistes de l’abréviation, de l’économie et du rangement.
taxinomie [ taksinɔmi ] n. f.
• 1842; de taxi- et -nomie
1 ♦ Didact. Étude théorique des bases, lois, règles, principes d'une classification. — Math. Domaine des mathématiques appliquées consacré à la classification des données. — Biol. Taxinomie numérique : école de systématique qui classe les taxons sur leurs similitudes globales.
● taxinomie ou taxonomie nom féminin Science des lois de la classification. Classification, suite d'éléments formant des listes qui concernent un domaine, une science.
taxinomie ou taxonomie
n. f. Didac.
d1./d Science de la nomenclature des êtres vivants.
|| Cette nomenclature elle-même.
d2./d Par ext. Science de la classification.
⇒TAXINOMIE, TAXONOMIE, subst. fém.
A. — Science des lois et des principes de la classification des organismes vivants; p. ext., science de la classification. Synon. systématique. Taxinomie traditionnelle. Avant le développement de la génétique (...) la classification était livrée à l'arbitraire du systématicien (...) l'étude des chromosomes est aujourd'hui susceptible d'apporter, en certains cas, des indications précieuses à la taxinomie (CUÉNOT, J. ROSTAND, Introd. génét., 1936, p. 73). En biologie, l'étude de la classification a été fort poussée. La classification des organismes vivants a été nommée « taxinomie ». Le but est essentiellement de placer les objets dans des cases reflétant la place qu'ils occupent dans l'arbre de l'évolution (JOLLEY, Trait. inform., 1968, p. 103).
B. — Classification d'éléments; suite d'éléments formant des listes qui concernent un domaine, une science. Taxinomie bactériologique, botanique, chimique, zoologique. La taxonomie (...) classe les Animaux et les Plantes en différentes catégories (...). Elle range tous les êtres vivants suivant les caractères qu'ils ont en commun, des plus généraux (règne) aux plus particuliers (espèce) (Biol. t. 2 1970). Ces classes logiques, dont la constitution est étudiée par la taxinomie (anglais taxonomy), se manifestent bien dans le domaine des classifications hiérarchisées et systématiques des sciences naturelles (nomenclatures), mais aussi dans le domaine des hiérarchies d'objets spontanément observés et dénommés à l'intérieur d'une culture (folk taxonomies : taxinomies populaires) (A. REY, La Terminol., 1979, p. 35).
— LING. DISTRIBUTIONNELLE. Classification d'éléments, de suites d'éléments formant des listes qui permettront, par leurs règles de combinaison, de rendre compte des phrases d'une langue (d'apr. Ling. 1972).
Rem. L'Académie des Sciences déconseille l'anglicisme taxonomie qui est cependant la forme la plus fréq. utilisée par les biologistes. En ling., seule la forme taxinomie est employée.
REM. Taxinomiste, taxonomiste, subst. Spécialiste en taxinomie. La botanique de terrain (...) a donné naissance à une autre discipline (...) qui attire à elle les meilleurs des taxonomistes, la biosystématique (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 772).
Prononc.:[], [--]. Étymol. et Hist. a)1813 taxonomie « théorie des classifications appliquée au règne végétal » (DE CANDOLLE, Théorie Élém. de la bot., p. 19); b) 1868 taxinomie « id. » (DUPINEY DE VOREPIERRE, Dict. fr. illustré et encyclop. univ., s.v. taxonomie: Taxonomie et mieux taxinomie). Formé de tax(i, o)- et de -nomie. Les formes taxonomie, taxonomique correspondent à l'angl. taxonomy (1828 ds Webster's), taxonomic (1852 ds NED). Pour la discussion autour de la formation de taxinomie et de taxonomie, v. en partic. les articles de J.-L. FISCHER et R. REY, De l'origine et de l'usage de taxinomie-taxonomie ds Doc. Hist. Voc. sc., 1983 n° 5, pp. 97-113 et de M. TRAVERS, Sur quelques questions de terminologie sc. ds Banque mots, 1981 n° 21, pp. 7-11).
DÉR. Taxinomique, taxonomique, adj. Qui se rapporte à la taxinomie, aux lois de la classification; qui repose sur des classifications. Groupe, série, unité, variable taxinomique; analyse, conception, démarche, modèle, procédure taxinomique. La disposition des glandes vitellogènes est un caractère taxonomique (Zool., t. 1, 1963, p. 595 [Encyclop. de la Pléiade]). Le saussurisme a été « complété » (voire contesté) par une nouvelle linguistique, principalement représentée par Chomsky (...), linguistique moins taxinomique, car elle ne vise plus tant au classement et à l'analyse des signes qu'aux règles de production de la parole (R. BARTHES ds Les Lettres fr., 2 mars 1967, p. 12, col. 2). L'empl. de l'anglicisme taxonomique est déconseillé par l'Académie des Sciences; en ling. l'adj. taxinomique prévaut. — [], [--]. — 1res attest. a) 1832 taxonomique (RAYMOND), 1836 taxonomique (A. COMTE, Philos. posit., 42e leçon, p. 427 ds Doc. Hist. Vocab. sc. 1983 n° 5, p. 105), b) 1872 taxinomique (LITTRÉ); de taxo(taxi)nomie, suff. -ique.
taxinomie [taksinɔmi] n. f.
ÉTYM. 1842; de taxi-, et -nomie; la forme taxonomie, pourtant antérieure (1813, De Candolle, au sens 2), correspond à l'angl. taxonomy.
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1 Didact. Science des lois de la classification des formes vivantes. ⇒ Systématique. — Par ext. Science des lois de la classification.
2 Classification d'éléments. || Taxinomie botanique, zoologique, chimique. ⇒ Terminologie. — (Sous la forme anglaise, taxonomie) :
0 La classification, ou taxonomie, revient donc à rassembler, selon des niveaux successifs, les vivants qui ont de plus en plus de caractères communs. Ce faisant, on passe des niveaux classificatoires supérieurs (embranchements, classes) aux niveaux classificatoires inférieurs (ordres, familles, espèces).
Jacques Ruffié, De la biologie à la culture, p. 18 (1976).
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DÉR. Taxinomique, taxinomiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.