THÉRAPEUTIQUE - Immunorégulation
L’immunologie est une science récente puisque les bases fondamentales de cette discipline n’ont réellement été appréhendées qu’au cours de ces trente dernières années. Songeons pour mesurer le chemin parcouru que la découverte de la dualité fonctionnelle des lymphocytes, les uns impliqués dans la réaction cellulaire d’hypersensibilité retardée (lymphocytes T, responsables du rejet de greffe), les autres destinés à se différencier en cellules productrices d’anticorps (lymphocytes B), remonte seulement aux années 1970 et qu’avec les années 1990 commence l’ère de la manipulation génétique du système immunitaire.
Deux raisons nous contraignent cependant à modérer cet enthousiasme. La première tient au fait que nous sommes toujours incapables d’expliquer certains dysfonctionnements du système immunitaire très courants (et affectant un nombre considérable de gens) comme l’allergie, avec déviation de la réponse anticorps vers la production des immunoglobulines IgE, ou l’auto-immunité, qui est le processus au cours duquel la réponse immunitaire se retourne contre les propres antigènes du «soi», entraînant de multiples pathologies: diabète, polyarthrite, thyroïdite, lupus, myasthénie, etc. La seconde raison tient au fait que les applications thérapeutiques rendues possibles par les grandes découvertes fondamentales de l’immunologie modernes sont seulement en cours de préparation ou d’évaluation. De sorte que, si nous comprenons relativement bien pourquoi et comment fonctionnent les interventions immunologiques classiques (vaccination, tolérance aux greffes), nous n’en sommes encore qu’au stade de mise au point des stratégies d’immunorégulation qui permettront d’intervenir dans la «balance immunitaire» (procédés pour stimuler les défenses antibactériennes et virales, ou méthodes visant à vacciner contre le cancer). C’est pourquoi leurs applications en pratique médicale courante restent attendues avec impatience.
D’importants progrès ont cependant été réalisés ces dernières années afin de modifier volontairement le fonctionnement du système immunitaire. D’une part, nous disposons de moyens efficaces pour contrôler négativement les fonctions immunes à l’aide d’agents immunosuppresseurs. Le second volet de l’immuno-intervention, en cours d’expérimentation, consiste à moduler la réponse immune en modifiant volontairement la balance des cytokines. Ces molécules, identifiées depuis une dizaine d’années seulement, sont les messagers chimiques de la communication intercellulaire. Elles jouent un rôle considérable dans le fonctionnement de tout le système immunitaire et au cours de l’inflammation. L’administration de cytokines ou d’anticytokines va permettre l’immunomodulation, c’est-à-dire la modulation de la réponse immunitaire dans un sens ou dans l’autre. Plusieurs applications thérapeutiques sont en cours d’évaluation, certaines sont déjà utilisées en milieu spécialisé.
1. Immunostimulation et immunosuppression
L’immunostimulation utilise diverses substances chimiques, notamment les adjuvants, en vue de renforcer l’immunisation naturelle ou artificielle (via la vaccination), mais l’emploi d’extraits bactériens, du B.C.G. ou de corynebactéries, est limité à des indications très restreintes.
L’immunosuppression doit être instituée en premier lieu lorsqu’il faut neutraliser les réactions de rejet pour permettre la prise d’une greffe d’organe ou de moelle osseuse (greffes d’un donneur allogénique, dont les antigènes tissulaires sont différents de ceux du receveur) et en second lieu quand il faut interrompre un processus pathologique auto-immunitaire. Pour le premier type d’indications, les protocoles thérapeutiques permettant de contrôler le rejet d’un greffon allogénique sont aujourd’hui parfaitement codifiés. Par contre, le second groupe d’indications est pour le moment en cours d’évaluation.
Les produits immunosuppresseurs se rattachent à quatre catégories de substances: les immunosuppresseurs non peptidiques (alkylants ou inhibiteurs de synthèse des bases nucléiques), les peptides cycliques d’origine bactérienne ou fongique, dont fait partie la cyclosporine A, les glucocorticoïdes et les anticorps dirigés contre les cellules immunitaires.
Immunosuppresseurs non peptidiques
Les inhibiteurs des bases nucléiques
Les cellules, pour fabriquer leurs acides nucléiques, leur ADN ou leurs ARN, doivent synthétiser des bases puriques et pyrimidiques. Deux voies métaboliques permettent cette synthèse: une voie principale, dite de novo , et une voie accessoire, dite de secours. Les lymphocytes utilisent presque exclusivement la voie de novo, de sorte que les drogues qui bloquent cette voie métabolique sont des inhibiteurs spécifiques de la division et de la différenciation lymphocytaire. Ces drogues affectent peu la division de la plupart des autres cellules de l’organisme qui sont capables d’utiliser la voie de synthèse «accessoire». Les inhibiteurs de la synthèse de novo des bases nucléiques sont donc des immunosuppresseurs relativement sélectifs s’ils sont administrés en même temps que la stimulation antigénique, par exemple lorsqu’un patient reçoit une greffe, puis pendant la période postgreffe pour prévenir les crises de rejet.
L’aziathioprine (Imurel) est l’un des médicaments le plus ancien de cette catégorie. Il demeure le traitement de référence (en association avec les corticoïdes) pour prévenir le rejet au cours de la transplantation rénale. L’azathioprine appartient à la famille des thiopurines. Cette drogue est transformée par le foie en 6-mercaptopurine, qui est responsable du blocage de la synthèse des bases puriques guanine et hypoxanthine. Son activité inhibitrice s’exerce principalement sur les lymphocytes T auxiliaires (CD4+), les cytotoxiques (CD8+), et sur les lymphocytes «tueurs naturels» (Natural Killers , NK). Cette molécule est peu toxique sauf sur les cellules souches hématopoïétiques (cellules de la moelle osseuse donnant naissance aux différentes cellules du sang). Pour cette raison, une surveillance étroite de la numération sanguine et un ajustement précis de la dose sont indispensables.
Le méthotrexate (MTX) est aussi un inhibiteur de la synthèse de novo des purines. Il est très efficace à faible dose pour améliorer l’évolution de plusieurs pathologies auto-immunes inflammatoires chroniques comme la polyarthrite rhumatoïde, l’hépatite chronique. Mais à fortes doses le méthotrexate peut avoir des effets toxiques sur l’hématopoïèse, ainsi que sur les cellules hépatiques, et il peut provoquer une fibrose interstitielle pulmonaire.
Le Brequinar est un inhibiteur de la synthèse des bases pyrimidiques.
Les agents alkylants
Ces produits, aussi nommés «moutardes azotées», sont davantage des substances qui inhibent les divisions des cellules cancéreuses (antimitotiques anticancéreux) que des immunosuppresseurs. Ils se fixent sur l’ADN cellulaire de sorte qu’ils altèrent profondément la réplication des chromosomes et détruisent principalement les cellules qui se divisent rapidement. Les deux médicaments de cette catégorie les plus couramment utilisés sont le cyclophosphamide (Endoxan) et le chlorambucyl (Chloraminophène). Ces substances sont principalement utilisées en cancérologie pour inhiber la prolifération des cellules tumorales. Ces drogues ont aussi des effets inhibiteurs sur la réponse immune, essentiellement sur la production d’anticorps qui est inhibée de manière spectaculaire, accessoirement sur la prolifération des lymphocytes T auxiliaires (CD4+) ou cytotoxiques (CD8+). Leur administration comporte donc de nombreux risques: aplasie par destruction des cellules souches hématopoïétiques dans la moelle osseuse, chute des cheveux, stérilité, effets mutagènes, cystite, enfin risques d’apparitions de cancers secondaires tardifs. En fait, ces drogues ne font pas partie des protocoles de conditionnement utilisés en transplantation d’organe. Leur utilisation est réservée à certaines indications particulières ou situations graves: administration pendant un temps très court pour conditionner un receveur à une greffe de moelle osseuse, utilisation dans les pathologies auto-immunes graves et résistantes.
Immunosuppresseurs peptidiques cycliques d’origine bactérienne ou fongique
La découverte, en 1976, des effets immunosuppresseurs de la cyclosporine A par J. Borel, chercheur de la firme pharmaceutique bâloise Sandoz, a constitué un tournant extraordinaire dans la transplantation d’organe. Cette molécule est le représentant principal d’une famille de peptides cycliques d’origine fongique. Ses remarquables propriétés immunosuppressives furent découvertes, un peu par hasard, in vitro. Grâce à la cyclosporine A, le champ d’indication thérapeutique des greffes s’est considérablement étendu. Pour toute une série de greffes d’organe dont les résultats globaux étaient médiocres avant la cyclosporine A (cœur, poumon, foie), le pronostic a changé, et les résultats sont devenus raisonnablement fiables.
Les mécanismes d’action de ces peptides cycliques commencent à être élucidés. Ces substances extrêmement hydrophobes traversent passivement la membrane cellulaire et se lient dans le cytoplasme avec des récepteurs de la famille des immunophilines. Ce complexe inhibe une phosphatase, la calcineurine, qui contrôle les processus d’activation de la transcription de plusieurs gènes de cytokines responsables de la réponse immune cellulaire: interleukine-2 (IL-2), interleukine-4 (IL-4), interféron gamma (IFN 塚). Les effets de ces cytokines sur la réponse immunitaire sont détaillés plus loin. L’inhibition de la synthèse de ces cytokines par la cyclosporine A a pour effet de diminuer spécifiquement la multiplication et la différenciation des lymphocytes T activés par les antigènes du greffon. Du fait de cette spécificité d’action, la cyclosporine A n’a d’effet délétère ni sur l’hématopoïèse ni sur les divisions d’autres cellules de l’organisme.
La cyclosporine A, drogue immunosuppressive de grand intérêt, a malheureusement des effets toxiques. Particulièrement dangereuse est sa toxicité pour le rein, allant de la simple altération réversible de la filtration glomérulaire jusqu’à l’altération irréversible des artérioles rénales (surtout en cas d’insuffisance rénale préexistante). On comprend dans ces conditions que la cyclosporine A soit peu utilisée dans les premiers jours après les greffes de rein et que le transplanteur préfère attendre l’établissement d’une fonction rénale postgreffe satisfaisante avant de l’utiliser (pour contrecarrer d’éventuelles crises de rejet).
Le FK506 (Tacrolimus) est aussi un peptide cyclique d’origine fongique. À l’intérieur des lymphocytes, il forme également un complexe avec une immunophiline. Ce complexe inhibe la phosphatase calcineurine qui bloque l’activation transcriptionnelle des gènes de cytokines. Le FK506 possède donc des propriétés assez voisines de celles de la cyclosporine A.
La Rapamycine appartient à la même famille que les deux substances précédentes et possède aussi des propriétés immunosuppressives. Cependant, les mécanismes précis de ses effets sont différents et encore mal expliqués. Comme les substances précédentes, la rapamycine se lie à une immunophiline cytoplasmique, mais le complexe formé n’a pas d’effets sur la calcineurine et n’inhibe pas la transcription des gènes de cytokines. On pense que les effets immunosuppresseurs de la rapamycine résultent d’effets inhibiteurs sur les signaux cytoplasmiques déclenchés par la liaison de plusieurs cytokines à leur récepteur membranaire.
Glucocorticoïdes
Les corticoïdes sont des hormones stéroïdes (structure chimique dérivée du cholestérol) synthétisées par les glandes corticosurrénales. Leur synthèse physiologique est déclenchée par la synthèse «en cascade» de «facteurs peptidiques inducteurs de sécrétions», hypothalamiques et hypophysaires, dont la production est provoquée par le stress. Les glucocorticoïdes de synthèse, prednisone et méthylprednisone , possèdent toute une série d’effets qui les rendent extrêmement efficaces pour inhiber la réponse immunitaire, partiellement par leurs actions sur les cytokines de l’immunité mais, pour une grande partie aussi, en raison de leurs effets inhibiteurs de l’inflammation. Ces effets anti-inflammatoires sont particulièrement remarquables: inhibition de la sécrétion des prostaglandines, des leucotriènes et inhibition de l’activité de la phospholipase A2 (PLA2) via la synthèse de lipocortine, inhibition de la sécrétion des cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6 et plus modestement le TNF) et stimulation des inhibiteurs de ces cytokines (antagoniste du récepteur IL-1, récepteurs solubles du TNF, récepteurs «leurres» de l’IL-1), inhibition de nombreuses protéases (substances impliquées dans les destructions tissulaires observées au cours de l’inflammation tels les collagénases, les élastases, l’activateur du trypsinogène), inhibition de la production de monoxyde d’azote NO (gaz produit à partir de la L-arginine au cours de l’inflammation, responsable aussi de la destruction de nombreuses cellules). À côté de ces multiples effets anti-inflammatoires, les glucocorticoïdes sont aussi immunosuppresseurs par leurs effets inhibiteurs directs sur la production de cytokines impliquées dans la réponse immune, spécialement de l’IL-2 et de l’IFN 塚. Ils entraînent principalement une dépression de la réponse cellulaire d’hypersensibilité retardée et ont des effets modestes sur la production d’anticorps. Enfin, les corticoïdes provoquent transitoirement (pendant environ 6 heures) des modifications considérables du trafic cellulaire: les polynucléaires sont libérés des tissus et entraînés dans le torrent circulatoire; les lymphocytes, au contraire, subissent une redistribution vers le milieu extravasculaire qui entraîne une lymphopénie.
L’ensemble de ces effets conjugués confèrent aux corticoïdes une grande efficacité pour contrôler les réactions de rejet après greffe. L’association d’azathioprine et de corticoïde a été pendant longtemps le traitement de référence en transplantation d’organe. Les glucocorticoïdes cependant provoquent de nombreux effets secondaires: infiltration et gonflement du visage et du cou associés à des troubles trophiques de la peau donnant aux patients un faciès dit «cushingoïde»; déminéralisation osseuse entraînant douleurs voire fractures, hypertension artérielle, diabète, cataracte, troubles psychiques, hémorragie digestive sont autant de risques qui limitent leur utilisation et imposent une surveillance rigoureuse.
Anticorps dirigés contre les cellules immunitaires
La compréhension des mécanismes du rejet des greffes et notamment du rôle respectif des deux sous-catégories de lymphocytes T (lymphocytes T auxiliaires CD4+ qui reconnaissent les disparités antigéniques entre l’hôte receveur et le greffon, lymphocytes tueurs CD8+ qui détruisent les cellules étrangères par contact direct) a permis de mettre au point des stratégies thérapeutiques fondées sur l’administration d’anticorps capables d’inactiver certains des lymphocytes responsables du rejet ou d’interférer dans les processus d’activation de ces cellules.
Les globulines antilymphocytaires sont des anticorps fabriqués par immunisation de lapins ou de chevaux avec des lymphocytes ou des thymocytes humains. Les animaux injectés avec ces lymphocytes humains produisent toute une gamme d’anticorps de classes et de spécificités variées (anticorps polyclonaux) qui sont capables de neutraliser avec une grande efficacité les fonctions des lymphocytes T humains lorsqu’ils sont injectés aux patients greffés. Les globulines antilymphocytaires sont utilisées avec efficacité depuis plus de vingt ans en transplantation pour prévenir ou guérir les crises de rejet dans les greffes d’organe ou dans les formes graves de réaction du greffon contre l’hôte après greffe de moelle osseuse. Ce traitement ne peut cependant être que de courte durée car l’organisme du receveur risque rapidement (une dizaine de jours) de s’immuniser à son tour contre ces globulines animales (synthèse d’anticorps anti-anticorps), neutralisant l’efficacité thérapeutique et pouvant provoquer fièvre, douleurs articulaires ou complications rénales, imposant la cessation du traitement.
Les anticorps monoclonaux anti-CD3 , OKT3 (Ortoclone), représentent une version moderne, pas nécessairement plus efficace, du traitement précédent. Les lymphocytes T matures, auxiliaires et cytotoxiques, ceux qui interviennent dans le rejet de greffe, expriment un complexe moléculaire membranaire CD3 associé à leur récepteur d’antigène. Il est possible de neutraliser la fonction de ces lymphocytes au moyen d’anticorps monoclonaux anti-CD3. Quelques mots tout d’abord pour expliquer ce que sont et comment sont produits les anticorps monoclonaux, par exemple l’anti-CD3: on commence par immuniser une souris contre les structures CD3 par injections répétées de lymphocytes humains portant ces structures CD3 à leurs surfaces. Ensuite, les cellules de la rate de cette souris sont isolées in vitro et fusionnées avec les cellules d’une lignée tumorale myélomateuse qui prolifèrent continuellement in vitro. On obtient toute une série de cellules hybrides (hybridome, résultant de la fusion des lymphocytes isolés de la souris immunisée avec les cellules du myélome) douée des propriétés des deux partenaires de fusion: prolifération permanente in vitro et sécrétion continue d’un anticorps. Enfin, on identifie et isole un clone cellulaire (toutes les cellules filles descendant d’une cellule unique) qui sécrète un anticorps anti-CD3 de bonne qualité dit «anticorps monoclonal». Cet anticorps monoclonal anti-CD3 peut être utilisé en thérapeutique. Comme avec les globulines antilymphocytaires, il s’agit de neutraliser les lymphocytes T du receveur pour prévenir le rejet. Les effets du traitement par les anticorps monoclonaux anti-CD3 reposent sur les principes suivants: les anticorps monoclonaux fabriqués chez la souris contre ce CD3 sont capables, injectés à fortes doses, de se fixer sur les lymphocytes T matures entraînant une très puissante mais brève activation de ces lymphocytes (avec fièvre, diarrhée, troubles circulatoires), suivie d’une profonde dépression de leur nombre et de leur fonction qui expliquent l’effet immunosuppresseur. Comme dans le cas précédent, après une dizaine de jours, le receveur risque de s’immuniser contre les globulines de souris qui provoquent la neutralisation de l’effet thérapeutique et, éventuellement, des effets secondaires.
D’autres anticorps monoclonaux dirigés contre des structures membranaires exprimés par telles ou telles cellules immunes et interférant avec leurs fonctions ont été également utilisés dans certaines situations particulières. Des anticorps dirigés contre les molécules d’adhésion LFA1 (CD11a) ont permis des greffes de moelle allogénique chez des nourrissons souffrant de déficit immunitaire. Des anticorps anti-CD4 , dirigés contre l’antigène CD4 exprimé à la surface des lymphocytes T auxiliaires, ont été utilisés dans des affections auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde.
En fait, l’ensemble des traitements par anticorps provenant d’espèces différentes de l’homme se heurte inévitablement à la difficulté mentionnée plus haut: le receveur humain risque très vite de s’immuniser contre les immunoglobulines étrangères qui lui sont injectées avec formation d’immuns complexes circulants. Les conséquences sont doubles: il y a, d’une part, neutralisation des anticorps et donc interruption de leur activité thérapeutique, d’autre part, les immuns complexes circulants peuvent entraîner les effets néfastes généraux et rénaux mentionnés. De grands efforts de recherche sont consacrés à la mise au point d’anticorps possédant toutes ces propriétés immunosuppressives remarquables mais dépourvus des inconvénients limitant leur utilisation. On assiste au développement de stratégies, qui visent à modifier les anticorps monoclonaux (essentiellement d’origine murine), doués de propriétés thérapeutiques, de manière qu’ils ne soient pas reconnus comme étrangers par l’organisme du receveur. Deux approches différentes sont suivies, toutes deux reposant sur des techniques sophistiquées de biologie moléculaire. Dans l’une, des anticorps «chimériques» (molécules hybrides souris-hommes) sont fabriqués: les segments de l’immunoglobuline murine qui portent les sites spécifiques de reconnaissance de l’antigène (régions dites variables) sont joints à des segments terminaux d’immunoglobuline (portion Fc) d’origine humaine. Dans l’autre technique, encore plus raffinée, des anticorps «humanisés» sont fabriqués: seules sont conservées les régions hypervariables de l’anticorps de souris original (ces régions hypervariables sont responsables de la spécificité antigénique). Elles sont insérées dans une immunoglobuline humaine de structure générale la plus proche possible de l’anticorps murin de départ, en remplacement exact des régions hypervariables de l’immunoglobuline humaine. Les produits finaux sont des anticorps (anticorps chimériques ou anticorps humanisés ) ayant conservé leur spécificité (et leur efficacité thérapeutique), mais ayant perdu leur «murinité» et leur capacité à immuniser l’organisme du receveur humain (immunogénicité). Ces élégantes techniques d’ingénierie moléculaire permettront certainement une meilleure tolérance des traitements par anticorps. Toutefois, plusieurs arguments théoriques font penser que ces anticorps, même s’ils sont tolérés de manière prolongée, ne seront jamais totalement confondus avec le «soi» par l’organisme receveur. Ces anticorps modifiés n’en sont encore, pour la plupart, qu’à l’expérimentation de laboratoire. Quelques essais cliniques sont en cours, qui devraient rapidement nous permettre de conclure sur la validité d’un tel concept thérapeutique.
2. Immunomodulation
Cette approche thérapeutique consiste à modifier la balance des cytokines. Les cytokines sont les messagers chimiques de la communication intercellulaire. Elles jouent un rôle considérable dans le fonctionnement de tout le système immunitaire et au cours de l’inflammation. Les cytokines sont des protéines glycosylées composées d’une centaine d’acides aminés, sécrétées par une grande variété de cellules productrices, généralement après stimulation par un signal activateur comme la pénétration d’un agent infectieux ou la confrontation avec des antigènes d’histocompatibilité étrangers en cas de greffe allogénique. Les cytokines exercent leurs actions (induction de la prolifération des lymphocytes ou augmentation de leur potentiel cytotoxique, par exemple) en se liant avec une forte affinité à leurs récepteurs spécifiques exprimés à la surface des cellules répondantes. L’interaction ligand-récepteur à la surface extérieure de la membrane cytoplasmique induit (transduit) une cascade d’événements biochimiques intracellulaires qui comportent l’activation d’enzymes comme des phosphorylases ou des phosphatases, aboutissant à l’activation de facteurs de transcription de l’ADN et à l’activation de plusieurs gènes qui contrôlent la division ou la différenciation cellulaire.
Les cytokines constituent une famille d’une trentaine de membres qui portent des noms divers qu’il serait fastidieux d’énumérer dans cette mise au point. On retiendra seulement que, par commodité, on a l’habitude de regrouper les cytokines selon leurs domaines d’activités: l’hématopoïèse, la réaction inflammatoire, la réponse immunitaire.
Cytokines de la réponse immunitaire
Le développement de la réponse immunitaire est très directement sous la dépendance de plusieurs cytokines. La preuve en est donnée a contrario par l’absence totale de défenses immunes chez les nourrissons de sexe masculin congénitalement déficients en une sous-unité réceptrice partagée par les interleukines IL-2, IL-4, IL-7, IL-9 et IL-15; c’est le syndrome de déficience immune combinée sévère, liée au chromosome X (X-SCID) dû à un défaut du gène de la sous-unité R IL-2 塚. En effet, les lymphocytes T auxiliaires (CD4+), qui sécrètent ces cytokines et quelques autres, jouent le rôle de véritable chef d’orchestre de l’immunité. Ce sont ces lymphocytes T auxiliaires (T helpers ) qui sécrètent en premier lieu les cytokines interleukine-2 (IL-2) et interferon 塚 (IFN 塚): ces deux cytokines, conjointement avec l’interleukine-12 (IL-12) produite par les macrophages, permettent le développement de la réponse cellulaire d’hypersensibilité retardée (responsable du rejet de greffe). Les lymphocytes T auxiliaires sécrètent en second lieu les cytokines IL-4, IL-6, IL-10 et IL-13 qui sont responsables de la prolifération et de la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes sécréteurs d’anticorps. En réalité, les lymphocytes T auxiliaires ne sont pas tous capables de fabriquer simultanément toutes ces cytokines. Ils sont divisés en deux groupes fonctionnels: les lymphocytes T auxiliaires de type 1 (T helper 1: Th1), produisant les cytokines qui permettent le développement de la réponse immune cellulaire et qui possèdent de plus des effets activateurs des macrophages (donc pro-inflammatoires) et les lymphocytes T auxiliaires de type 2 (T helper 2: Th2), produisant les cytokines de la réponse anticorps et ayant des effets inhibiteurs sur la production des cytokines macrophagiques (et donc anti-inflammatoires). C’est cette dichotomie fonctionnelle des lymphocytes T auxiliaires qui permet l’immunomodulation, grâce à deux propriétés de leur système de régulation: en premier lieu, il est possible (au moins chez l’animal) d’orienter délibérément la réponse immunitaire soit vers une réponse Th1 (en administrant l’IL-12), soit vers une réponse Th2 (en administrant l’IL-4); en second lieu, les deux types de lymphocytes T auxiliaires sont mutuellement antagonistes: les Th1 inhibent le développement des Th2 (par exemple, l’interféron 塚 inhibe l’action de l’IL-4), et réciproquement les Th2 inhibent les Th1 (l’effet le plus puissant est celui de l’IL-10 qui inhibe la sécrétion de l’IFN 塚 et la prolifération des Th1). Ces effets contrastés des Th1 et des Th2 sont souvent comparés aux deux plateaux d’une balance sur lesquels il serait possible d’intervenir pour moduler la réponse immunitaire: favoriser le développement des Th1 permettrait d’obtenir une meilleure immunité cellulaire (immunostimulation recherchée pour stimuler le rejet des cellules tumorales) ou d’inhiber la réponse anticorps (notamment la production d’IgE responsable de l’allergie). À l’inverse, favoriser le développement des Th2 pourrait être utile pour inhiber la réponse Th1 (immunomodulation, qui est intéressante pour traiter les affections auto-immunes et leur corollaire habituel, l’inflammation chronique).
L’interleukine-2 (IL-2) est l’une des cytokines les plus anciennement caractérisée (identifiée en 1976, puis clonée en 1983). Elle est produite principalement par les lymphocytes Th1 sous forme d’une protéine glycosylée de 133 acides aminés. L’IL-2 est en fait la seule cytokine dont l’action soit exclusivement lymphocytaire. En effet, seuls les lymphocytes expriment le récepteur de l’IL-2. Au repos, cependant, les lymphocytes T auxiliaires CD4+, les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ et les lymphocytes B n’expriment presque pas de récepteur IL-2. Par contre, dès qu’ils reconnaissent un antigène (en cas d’infection ou de greffe), ces trois catégories de lymphocytes sont activés et acquièrent un récepteur de très forte affinité pour l’IL-2. Les lymphocytes ayant fixé l’IL-2 entrent alors en division et se multiplient. Cette multiplication concerne les seuls lymphocytes qui ont reconnu l’antigène. L’expansion clonale de ces seuls lymphocytes explique la spécificité de la réponse immune. À la différence des précédents, les lymphocytes tueurs naturels (natural killers , NK) expriment constitutivement le récepteur IL-2 et sont, en quelques heures seulement, activés en lymphocytes «supertueurs» que l’on désigne sous le nom de LAK (lymphokine activated killers ). L’IL-2 agit sur ses cellules cibles en se fixant sur un récepteur composé de trois sous-unités réceptrices ( 見, 廓 et 塚). Les sous-unités 廓 et 塚 sont modifiées par le contact avec leur ligand IL-2, qui transmet (transduit) le message d’activation et de division au noyau via des seconds messagers cytoplasmiques. La sous-unité 塚 du récepteur de l’IL-2 est partagée par toute une série de cytokines lymphocytaires (IL-2, IL-4, IL-7, IL-9 et IL-15). C’est pourquoi l’anomalie du gène de cette chaîne 塚 (gène qui est localisé sur le chromosome X) est la cause d’un grave déficit immunitaire (déficit immunitaire combiné sévère, SCID lié à l’X). La drogue immunosuppressive cyclosporine A agit en inhibant la synthèse d’IL-2 par les lymphocytes activés (inhibition de la calcineurine, molécule qui est impliquée dans l’activation transcriptionnelle du gène de l’IL-2). La cyclosporine A, en revanche, n’a pas d’effets sur la réponse proliférative à l’IL-2 des lymphocytes qui expriment le récepteur de l’IL-2.
Les interférons (IFN) sont ainsi baptisés parce que ces substances furent initialement identifiées en raison de leur activité antivirale. En réalité, ces protéines, composées d’un peu moins de 200 acides aminés, sont de véritables cytokines, en ce sens que leurs fonctions dans la communication intercellulaire sont essentielles. Pour simplifier, indiquons que les IFN 見 et 廓, qui sont produits par les cellules hématopoïétiques pour le premier et par les fibroblastes pour le second, constituent les IFN de type I. Ils se fixent sur le même récepteur sur leurs cellules cibles et possèdent donc la même activité biologique. Ils augmentent l’expression des molécules d’histocompatibilité de classe I et possèdent, comme l’IL-2, la propriété de stimuler les lymphocytes NK en LAK. L’IFN 塚 est une cytokine authentiquement lymphocytaire. Parmi les lymphocytes T auxiliaires, seuls les lymphocytes Th1 sécrètent l’IFN 塚. C’est précisément la sécrétion de cet IFN 塚 qui distingue les Th1 des Th2. D’autres cellules comme les lymphocytes T cytotoxiques CD8+ ou les NK sécrètent l’IFN 塚, notamment en présence d’IL-2 et d’IL-12. L’IFN 塚 peut se fixer à au moins deux types de récepteurs encore imparfaitement caractérisés. Cette cytokine induit l’expression des molécules d’histocompatibilité (principalement de classe II) et stimule la cytotoxicité antitumorale des macrophages (stimulation de la production du monoxyde d’azote NO).
L’interleukine-12 (IL-12) est la seule cytokine ayant une structure hétérodimérique. Elle est produite par les monocytes-macrophages activés. Son action essentielle est son activité synergique puissante avec l’IL-2 pour induire la sécrétion d’IFN 塚 par les lymphocytes NK. Elle possède aussi la propriété très remarquable de diriger la réponse immune vers une réponse Th1.
L’IL-2, l’IFN 塚 et, par extension sémantique, l’IL-12 sont les trois principales cytokines typiquement Th1 qui stimulent le développement de la réponse immune dite cellulaire. C’est ce type de réponse immune qui est à l’œuvre en cas de rejet de greffe et qui protège l’organisme dans la lutte contre de nombreux virus. Ces cytokines provoquent en outre la sécrétion d’autres cytokines, dites pro-inflammatoires. Ainsi s’explique le cortège de réponses dites non spécifiques, qui accompagnent régulièrement un conflit immun authentiquement spécifique.
L’interleukine-4 (IL-4), produite par les lymphocytes Th2, par les leucocytes basophiles et les mastocytes, fut initialement décrite comme un facteur de prolifération des lymphocytes B, mais elle possède un large spectre d’activités biologiques. Quatre fonctions essentielles sont dépendantes de l’IL-4. Tout d’abord, cette cytokine induit la commutation isotypique des lymphocytes B. Ces cellules synthétisent initialement des immunoglobulines qui comportent des chaînes lourdes 猪. En présence d’IL-4, les lymphocytes B «commutent» et utilisent des chaînes lourdes 塚 et 﨎. L’IL-4 est donc essentielle pour la production d’immunoglobulines de type E (celles qui jouent un grand rôle dans l’allergie). En deuxième lieu, l’IL-4 inhibe la synthèse des cytokines de l’inflammation (IL-1, TNF, IL-6 et cytokines chimiotactiques) et stimule leurs inhibiteurs physiologiques (IL-ra, inhibiteurs du TNF) par les macrophages. L’IL-4 est donc une cytokine qui a des effets anti-inflammatoires. En troisième lieu, cette cytokine inhibe la production d’IFN 塚 par les lymphocytes NK stimulés. Enfin, l’IL-4 est un facteur de prolifération de certains lymphocytes T; en effet, l’IL-4 est capable de diriger la réponse immune cellulaire vers une réponse de type Th2.
L’interleukine 13 (IL-13), qui est produite par les lymphocytes T activés, partage de nombreuses activités avec l’IL-4, notamment les effets sur la synthèse d’immunoglobulines de type E et les effets anti-inflammatoires sur les macrophages. L’IL-13, cependant, n’a pas d’effets directs sur les lymphocytes T CD4 ou T CD8 et n’a pas d’effets inhibiteurs sur la production d’IL-12 par les macrophages et d’IFN 塚 par les lymphocytes NK. Ainsi, l’IL-13 se présente comme une cytokine ayant des effets à la fois Th1 et Th2. De nombreux travaux sont en cours pour analyser le rôle et l’importance de cette cytokine.
L’interleukine 10 (IL-10) tient une place tout à fait particulière dans ce chapitre sur l’immunorégulation. En effet, initialement reconnue comme une cytokine produite par les lymphocytes T auxiliaires Th2, capable d’inhiber la sécrétion d’IFN 塚 par les Th1, il s’est rapidement avéré que l’IL-10 possède de nombreuses propriétés. D’une part, l’origine principale de l’IL-10 est bien davantage les monocytes. En second lieu, l’IL-10 intervient dans la différenciation des lymphocytes B en stimulant leur différentiation en plasmocytes sécréteurs d’immunoglobuline. Surtout, l’IL-10 inhibe puissamment la prolifération des lymphocytes Th1 par des mécanismes divers qui impliquent, par exemple, l’inhibition de la fonction présentatrice d’antigène des cellules accessoires (diminution de l’expression des antigènes d’histocompatibilité de classe II) et l’inhibition de la production d’IL-12 par les macrophages. Enfin, l’IL-10 est certainement, parmi les cytokines Th2, celle qui a les plus puissants effets anti-inflammatoires (diminution de la production par les macrophages des cytokines pro-inflammatoires IL-1, TNF, IL-6 et cytokines chimiotactiques, et stimulation des inhibiteurs de l’IL-1 et du TNF). L’ensemble de ces propriétés font de l’IL-10 une cytokine très intéressante pour moduler négativement la réponse immune cellulaire et l’inflammation, avec des applications thérapeutiques potentielles, par exemple pour inhiber les lymphocytes auto-agressifs au cours des pathologies auto-immunes. Des essais cliniques pour évaluer ces effets chez l’homme vont prochainement être entrepris.
En définitive, même si le concept de lymphocytes T auxiliaires Th1 et Th2 est probablement trop simpliste, il n’en demeure pas moins que les cytokines qu’ils sécrètent (ou qui concourent à leurs effets) ont des actions complémentaires et redondantes qui identifient des groupes fonctionnels: cytokines stimulant ou inhibant la réaction d’hypersensibilité retardée, cytokines ayant des effets pro- ou anti-inflammatoires. Dès lors, il devient possible de tirer partie de ces effets synergiques ou antagonistes pour moduler la réponse immune comme le montrent les deux exemples suivants.
3. Deux applications de l’immunothérapie
Cancers
La destruction des cellules tumorales par les propres systèmes de défense de l’hôte et le développement de lymphocytes mémoires capables de prévenir les rechutes et les métastases sont les objectifs que veulent réaliser les stratégies immunitaires de lutte anticancéreuse. L’IL-2 qui stimule la prolifération des lymphocytes T immuns (CD4+ et CD8+) ainsi que des lymphocytes tueurs naturels (NK) a prouvé son efficacité antitumorale dans plusieurs modèles de tumeurs murines. C’est le groupe de S. Rosenberg à Washington, aux États-Unis, qui le premier administra de très fortes doses d’IL-2 à des patients souffrant de cancers. Les résultats furent à la fois encourageants et décevants. Encourageants, parce que quelques patients qui présentaient de volumineuses tumeurs radiorésistantes et chimiorésistantes furent effectivement mis en rémission dans des cas de cancers du rein (adénocarcinome rénal) et dans des cas de cancers de la peau (mélanosarcome). Décevants parce que la fréquence des bons résultats était faible (rémissions complètes chez 10 à 20 p. 100 des patients seulement) et parce que l’administration de ces fortes doses d’IL-2 entraînait de graves effets secondaires. Une autre approche dite adoptive [cf. CYTOKINES], fondée sur l’isolement in vitro de cellules immunes directement obtenues de la tumeur (tumor infiltrating lymphocytes , TIL), stimulées et multipliées in vitro avec de l’IL-2 et, enfin, réinjectées in vivo aux patients, a donné des résultats intéressants dans le cas de tumeurs du rein. La recherche se poursuit avec l’IL-2, et plusieurs rapports récents indiquent que l’administration d’IL-2 directement au site tumoral pendant quelques jours (par des méthodes de thérapie génique, par exemple) donne des résultats prometteurs (au moins chez l’animal). Dans ces expériences, la cytokine semble attirer localement et stimuler des cellules effectrices capables de s’attaquer aux cellules tumorales. En outre, les cellules immunitaires acquièrent une mémoire antitumorale de longue durée. L’acquisition de cette mémoire immunologique réalise une véritable «vaccination antitumorale», particulièrement utile pour prévenir les rechutes et les métastases. Les différences des résultats obtenus avec l’IL-2, médiocres lorsque la cytokine est administrée par voie systémique, bien meilleurs si l’administration de l’IL-2 est locale, peuvent résulter de l’extrême brièveté de la demi-vie de cette protéine in vivo (quelques minutes).
Polyarthrite rhumatoïde
La polyarthrite rhumatoïde est une maladie rhumatologique inflammatoire fréquente qui affecte préférentiellement les femmes entre trente et quarante ans. Les manifestations inflammatoires et douloureuses sont polyarticulaires et touchent surtout les petites articulations (doigts des mains). L’évolution se fait par poussées qui évoluent progressivement vers les destructions du cartilage articulaire et des altérations de l’os adjacent, provoquant de graves handicaps fonctionnels. Les causes exactes de cette pathologie sont inconnues, mais il s’agit probablement d’une maladie auto-immunitaire au cours de laquelle les lymphocytes T du patient réagissent de manière anormale à ses propres constituants articulaires (notamment au collagène du cartilage). La production de «facteur rhumatoïde» (auto-anticorps) atteste également du désordre immunologique. L’une des caractéristiques essentielles de cette pathologie auto-immune est l’existence d’une inflammation chronique locale et générale, exacerbée au cours des poussées. Le traitement de ces malades fait appel aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et aux corticoïdes ainsi qu’à des traitements au long court (dits de fond) comme les sels d’or ou le méthotrexate avec des résultats médiocres à long terme: contrôle difficile des poussées, évolution inéluctable vers de graves handicaps.
Plusieurs stratégies «immunorégulatrices» ont été tentées pour traiter les patients atteints de polyarthrite: l’injection d’anticorps antilymphocytes T auxiliaires (monoclonaux anti-CD4) n’a pas permis d’obtenir de résultats fiables; l’administration orale de collagène de poulet visant à obtenir une sorte de tolérisation ou de désensibilisation des lymphocytes des patients vis-à-vis du cartilage articulaire est en cours d’étude. L’injection d’anticorps monoclonaux dirigés contre les molécules d’adhésion entre cellules du système immunitaire, en cours d’évaluation clinique, donne des résultats encourageants. L’injection d’anticorps monoclonaux murins anti-TNF (sous forme d’anticorps chimériques, pour réduire la réaction des receveurs contre les immunoglobulines de souris, cf. supra ) vient d’être essayée par le groupe de Maini et Feldman à Londres chez plusieurs patients atteints de formes graves de polyarthrite. Les résultats sont très positifs, au moins sur le court terme. Quelques injections d’anti-TNF ont permis d’obtenir de spectaculaires réductions des atteintes articulaires et une diminution simultanée des manifestations biologiques de l’inflammation. Il est exclu que cette stratégie puisse constituer un traitement de fond de la maladie, mais deux conséquences importantes découlent de ces résultats positifs: d’abord, ce traitement avec les anti-TNF constitue un outil précieux en cas de poussées de la maladie; ensuite, les conséquences pathologiques d’un conflit immunitaire qui évolue à bas bruit peuvent surtout être dues à l’enchaînement pervers des cascades de cytokines qui aboutissent à l’inflammation.
Mais une autre voie thérapeutique consisterait justement à modifier la balance des cytokines: favoriser une réponse des lymphocytes Th2 chez ces patients conduirait à une inhibition de la réponse des lymphocytes Th1 et à une inhibition de la production des cytokines de l’inflammation par les macrophages. L’administration d’IL-4, d’IL-13 ou d’IL-10 pourra ainsi confirmer la validité et l’efficacité de l’immunomodulation.
Encyclopédie Universelle. 2012.