BRETÉCHER (C.)
BRETÉCHER CLAIRE (1940- )
Née à Nantes, Claire Bretécher suit pendant un an les cours de l’École des beaux-arts, enseigne le dessin, puis propose ses services au groupe Bayard-Presse. Elle travaille pour L’Os à moëlle , journal fondé par Pierre Dac, pour lequel elle crée le personnage du Facteur Rhésus (1963-1964); pour Record , avec la série Baratine et Molgaga (1968); pour Tintin et Spirou , avec ses Gnangnans , Robin des foies et Les Naufragés . Elle crée Cellulite (1969) et Salade de saison (1971) pour Pilote . Ces premières bandes sont influencées par le style des cartoonists américains Parker et Hart.
En 1972, elle fonde, en collaboration avec Gotlib et Mandryka, le mensuel de bandes dessinées L’Écho des savanes . L’année suivante, elle donne Le Bolot occidental au magazine écologique Le Sauvage .
C’est au Nouvel Observateur où Jean Daniel, directeur du journal, l’invite à tenir une sorte de chronique en images, que Claire Bretécher donne sa mesure. Il lui est demandé de faire ressortir les manies, les stéréotypes qui, depuis 1968, ont cours chez les intellectuels — intellectuels qui constituent la majeure partie des lecteurs de l’hebdomadaire. La série Les Frustrés va connaître un succès considérable et faire l’objet de nombreuses traductions.
1968 avait été l’année d’une parole toute-puissante capable, en particulier, de remettre en cause la vie quotidienne, laquelle s’est pourtant réinstallée avec ses impératifs qui parurent d’autant plus lourds que l’impossible avait semblé sur le point de se réaliser. La parole était donc condamnée à vivre dans la nostalgie de son pouvoir perdu, d’où le décalage entre les professions de foi et les comportements. Le moment était mûr pour que Claire Bretécher cueille le fruit de cette contradiction afin d’en souligner le caractère pathétique et dérisoire.
L’entreprise avait connu un précédent: depuis 1956, le dessinateur new-yorkais Jules Feiffer fournissait à The Village Voice des séquences de textes et de dessins qui, rassemblées, tendaient à constituer un inventaire des «postures» mentales des intellectuels américains, d’ailleurs lecteurs assidus de ce journal.
Cette prise de conscience de la dualité du comportement humain, Claire Bretécher devait ensuite la développer à travers un personnage dont l’arrivée en 1979 dans le domaine de la bande dessinée était surprenante: sainte Thérèse d’Ávila, sainte partagée (et non crucifiée) entre une vie extatique où la lévitation est monnaie courante et une activité d’administratrice de couvents au cours de laquelle elle fait preuve d’un sens des affaires exceptionnel. Elle entretient avec Dieu un rapport d’égal à égal qui tourne souvent à la scène de ménage, en particulier quand elle lui reproche des extases qui l’arrachent brusquement à la vie quotidienne. L’auteur d’une telle bande pouvait craindre la réaction de croyants touchés dans leurs convictions. Or il n’en fut rien. Le message n’avait, en effet, aucun caractère blasphématoire. Il mettait en relief, de façon plaisante, une dualité toujours présente au cœur de notre civilisation: celle qui consiste, d’une part, à encourager le mépris des «biens de ce monde» et, d’autre part, à multiplier ces biens et à les transformer en valeurs marchandes. Sainte Thérèse vue par Claire Bretécher obéit à ces deux types de comportements entre lesquels l’homme moyen louvoie avec le sentiment de son indignité. Le talent de l’artiste tient, pour une bonne part, à sa capacité exceptionnelle de faire ressortir le décalage entre le discours humain de caractère utopique et une réalité non maîtrisée dans laquelle l’individu fait figure de victime consentante. L’échec des frustrés tient au fait qu’ils ne peuvent être ni tout à fait dans leur idéologie ni complètement dans leur vie professionnelle: ils ratent l’une et l’autre. Sainte Thérèse est alternativement et entièrement dans chacun des termes de la dualité.
Après ces réussites, Claire Bretécher a créé Le Docteur Ventouse, bobologue (vol. I, 1985, vol. II, 1986) pour s’attaquer à un nouveau pouvoir, celui de la médecine, et à la tendance qu’ont les individus à ne plus vivre que soumis à ses prescriptions. D’autres albums: Agripinne (1988), Tourista (1989), Agrippine prend vapeur (1991), Les Combats d’Agrippine (1993) confirment la capacité de son auteur à découvrir les nœuds des rapports de conflit entre les pouvoirs quels qu’ils soient et les individus et à tenter de les désamorcer par le rire.
Encyclopédie Universelle. 2012.