HOGARTH (W.)
On se plaît actuellement à reconnaître en William Hogarth le premier peintre anglais d’origine qui mérite un statut international dans l’histoire de l’art. À son époque, il était surtout célèbre par ses gravures, mais, plus tard, on s’est aperçu que son génie avait trouvé son expression la plus complète dans la peinture à l’huile, particulièrement dans les modelli de ses gravures, dans ses portraits en pied et dans les petits portraits qui figurent dans ses tableaux de genre. Ses tableaux religieux sont moins bien venus. Artiste engagé qui ne triche jamais avec son sujet, Hogarth mit au service de sa puissance créatrice toute son énergie et toute sa délectation.
Un peintre anglais
William Hogarth est né à Londres. Son père, un campagnard venu du Nord, s’était installé dans la capitale où il gagnait sa vie très modestement à enseigner, à écrire et à corriger des épreuves. En 1714, Hogarth est apprenti chez un orfèvre-graveur, Ellis Gamble. Là, il apprend à graver sur argent, et c’est de cette époque que date sa première œuvre personnelle, sa propre carte commerciale datée du 23 avril 1720 où il se qualifie «graveur». Jusque vers 1728, Hogarth gagna sa vie en gravant des armoiries, des en-têtes de factures, puis des estampes (dès 1721) et des illustrations (dès 1723).
Ce qu’il désirait, cependant, c’était de peindre. En 1720, il entra à l’académie de Saint Martin’s Lane fondée par Cheron et Van der Bank, et, en 1724, à l’académie fondée par sir James Thornhill à Covent Garden. Depuis longtemps, Hogarth était un admirateur de Thornhill; il avait longuement contemplé ses œuvres à la cathédrale Saint Paul et à Greenwich; les relations d’amitié qu’il entretenait avec la famille (et qui survécurent à son mariage clandestin avec la fille de la maison) furent un sérieux appoint pour sa carrière de peintre.
En 1728, Hogarth remporta son premier succès véritable en peignant une scène du Beggar’s Opera de Thomas Gay qu’on jouait en ce moment au théâtre de Lincoln’s Inn Fields et qui souleva l’enthousiasme du public. L’année suivante, Hogarth fut autorisé à assister à une séance de commission à la Chambre des communes, grâce à Thornhill qui était membre du Parlement. Cette commission avait mis à l’étude la condition des détenus à la prison pour dettes, the Fleet . Le tableau qu’il en fit attira sur Hogarth l’attention d’un groupe de mécènes, et, dès ce moment, sa réputation de peintre fut solidement établie.
En 1731 furent publiées ses premières gravures d’un «sujet moderne et moral»: La Carrière d’une prostituée. En 1735, il usa de ses relations pour obtenir un acte du Parlement qui protégeât les droits d’auteurs des graveurs. L’année précédente, son beau-père était mort, et Hogarth avait hérité du matériel de son école d’art. Il fonda alors une nouvelle académie à Saint Martin’s Lane dont il garda la direction jusqu’en 1753.
Les années trente et les premières années quarante marquèrent l’apogée de la carrière de Hogarth. En 1743, il fit un voyage à Paris. Selon une source contemporaine, sa réputation subissait déjà une éclipse. En 1745, il organisa la vente des tableaux d’après lesquels il avait gravé ses meilleures estampes; pourtant, les prix qu’il en obtint furent décevants. Six ans plus tard, il recommença la même expérience, mais un seul acheteur se présenta. En 1753, il tenta de répondre aux critiques par un exposé des principes de son art dans Analysis of Beauty. Quatre ans plus tard, le vieux George II lui octroya le titre de sergeant-painter (peintre du roi) que son beau-père avait détenu précédemment. Hogarth mourut subitement en 1764. Ses dernières années avaient été assombries par les critiques adressées à son art, par des querelles politiques, par des disputes avec les amateurs et des dissensions avec ses collègues au sujet de l’enseignement. Il a raconté ses déboires dans l’Apology for Painters et des notes autobiographiques éditées en 1955.
Hogarth venait d’un milieu modeste mais cultivé dont il devint le porte-parole. Autodidacte en matière de théorie de l’art, il s’opposa fièrement au goût médiocre du public moyen. Grâce à son beau-père, sir James Thornhill, il avait ses entrées dans le monde aristocratique, mais il ne devint jamais ce qu’on appelle un peintre mondain. À ses débuts, il ne put obtenir la protection de George II, ce qui l’entraîna inévitablement dans les groupes d’opposition qui se formaient autour du prince de Galles. Aussi fut-il, ensuite, soutenu par George III et son ministre lord Bute (ce qui lui valut de violentes attaques).
Hogarth appartenait à un milieu d’artistes – peintres, écrivains, acteurs – et à la classe moyenne cultivée formant une intelligentsia. Il partageait les sentiments de cette classe: haine des jacobites et de la corruption politique, vif intérêt pour les réformes sociales. Il était soutenu dans ses opinions par son ami, le romancier Henry Fielding. D’ailleurs, une grande partie volontairement moralisante et satirique de son œuvre est beaucoup plus proche des œuvres de Henry Fielding, ou de son prédécesseur Daniel Defoe, que des peintures de ses contemporains. Satires morales, satires sociales, ses gravures bafouent, par exemple, la paresse et l’ivrognerie, et encouragent le travail et l’honnêteté (Industry and Idleness [Travail et Paresse ]).
Des «comédies écrites avec un pinceau»
La littérature joua un rôle important dans la vie et dans l’art de Hogarth. Ses tableaux représentant des scènes de pièces de théâtre – notamment du Beggar’s Opera de Gay, créé en 1728 – étaient des nouveautés artistiques. Le théâtre exerçait sur lui une influence considérable, et Hogarth s’inspira souvent des drames contemporains (comme le Merchant of London de George Lillo, créé en 1731).
Hogarth peignit deux tableaux du Beggar’s Opera , l’un en 1728 et l’autre en 1731. À l’encontre de la plupart des œuvres représentant des scènes du théâtre (celles de Watteau, par exemple), celles de Hogarth montrent à la fois les acteurs et les spectateurs. De sorte qu’il dépeint en même temps un moment dans la pièce et un moment dans la salle. The Indian Emperor (1731) est composé de manière encore plus vivante puisqu’il peint la scène comme s’il était assis lui-même dans une loge de côté. Plus ambitieux encore est le portrait de Garrick dans le rôle de Richard III, monté en 1741. Ici, Hogarth a essayé de communiquer la puissance dramatique que son ami mettait dans ce rôle.
Le Merchant of London , de Lillo, exerçait une grande influence sur les intellectuels, et c’est le thème de cette pièce qui a inspiré Hogarth pour son cycle de gravures intitulé Travail et Paresse (série publiée en 1747), histoire édifiante de deux apprentis dont l’un réussit grâce à son travail assidu tandis que l’autre gâche sa vie.
L’intention didactique de Hogarth quand il dessine cette série de gravures est clairement exprimée dans ses notes autobiographiques: «Mon tableau est mon théâtre, et les hommes et les femmes sont mes acteurs qui, grâce à certaines actions et expressions, doivent exécuter une sorte de pantomime.» On mesure par-là jusqu’à quel point Hogarth était conscient de la puissance d’expression du théâtre, et à quel point il en subissait l’influence.
Les cycles
Il faut ranger parmi les œuvres les plus importantes de Hogarth les sept cycles de gravures. Pour la plupart d’entre elles, les modelli existent encore. Ces cycles sont: La Carrière d’une prostituée (1732, les modelli en sont détruits); La Carrière d’un roué (1735, les modelli sont au Soane Museum); Les Quatre Parties du jour (1738); Le Mariage à la mode (1745, les modelli sont à la National Gallery); Travail et Paresse (1747); Les Quatre Âges de la cruauté (1751); et L’Élection (1755, les modelli sont au Soane Museum).
Ces cycles sont témoins de l’incroyable étendue de l’imagination de Hogarth, de son habileté à saisir le détail et à rendre les expressions. Jamais il n’a trahi son engagement dans le présent: son art est profondément fondé sur l’observation de la vie de tous les jours. En ce sens, son style s’apparente à celui des peintres de genre hollandais du siècle précédent, Jan Steen par exemple. Mais Hogarth, malgré sa francophobie, a subi également l’influence des peintres français, d’abord celle de Watteau, et ensuite celle de Gravelot qui travailla en Angleterre de 1733 à 1746. L’influence du rococo français se révèle particulièrement dans Le Mariage à la mode .
Les portraits
Dans ses notes autobiographiques, Hogarth écrit que ses premières peintures, exécutées dès l’âge de vingt-trois ans, furent «des portraits de dix à quinze pouces de haut... dans des tableaux de genre, une nouveauté pendant quelques années, et une réussite, car l’imagination s’y donne libre cours beaucoup plus que dans le portrait habituel». Hogarth fut excellent dans les portraits de groupes qu’on appelle «conversation pieces » dont l’origine remonte au moins au peintre flamand Gonzales Coques (1614-1684), et qui furent très prisés en Angleterre grâce à Marcellus Laroon (1679-1772) et au peintre franco-allemand Philippe Mercier (1689-1760).
Un des premiers tableaux de genre de Hogarth est L’Assemblée de Wanstead (1731 env., Philadelphia Museum of Art). On y voit un groupe important de personnes dans un salon, buvant du thé et jouant aux cartes. Le tableau de genre représentait souvent des intérieurs, par exemple deux amis attablés dans une salle, ou bien les membres d’un club. Un des meilleurs exemples en ce genre est le Lord Hervey et ses amis (1738, National Trust, Ickworth), qui représente ce noble personnage s’entretenant avec ses amis dans un paysage de plein air.
Selon Hogarth lui-même, ce qui l’a poussé à faire du portrait grandeur nature, c’est le succès remporté par le peintre français J.-B. Van Loo qui travailla en Angleterre de 1738 à 1742. Le premier portrait en pied qu’il signa est celui du Capitaine Thomas Coram (1740, hôpital des Enfants trouvés, à Londres). Hogarth n’avait pas tort d’affirmer que ce portrait était «aussi bien fait que par Van Dyck»; dans une atmosphère robuste et gaie, il avait peint le portrait le plus profond qui ait été exécuté en Angleterre depuis Van Dyck, mort presque un siècle plus tôt. Il donna encore quelques portraits grandeur nature dont le plus remarquable est celui des Enfants Graham (1742, Tate Gallery).
Avant ces portraits en pied, Hogarth avait fait des portraits en buste. Il continua à en exécuter de temps en temps jusqu’à la fin de sa carrière. En 1757, il annonça qu’il allait se consacrer principalement au portrait et, cette année-là, il composa un de ses chefs-d’œuvre, le portrait grandeur trois quarts de Mr. et Mrs. David Garrick (collection de la Reine).
Les tableaux historiques et religieux
Lorsqu’il était apprenti graveur, Hogarth avait été impressionné par les décorations à grande échelle que Thornhill avait faites à la cathédrale Saint Paul et à Greenwich. Bien qu’il n’ait eu aucune formation en cette matière (et peut-être à cause de cela), il dit lui-même que «bouquinant pour chercher dans les livres le grand style de la peinture historique, il fut entraîné à essayer comment il pourrait s’y mettre, n’ayant aucune expérience de ces grands travaux et, après les petits portraits de famille, il se lança directement dans la peinture du grand escalier de l’hôpital Saint Bartholomew». Les deux tableaux, encore in situ , exécutés entre 1734 et 1736, sont Le Bon Samaritain et La Piscine de Béthesda . Quelques autres compositions de dimension importante ont encore été exécutées au cours des années 1740-1750, en particulier le triptyque destiné à Sainte Mary Redcliffe, à Bristol (actuellement à la Bristol City Art Gallery): Le Scellement du Sépulcre , L’Ascension et Les Trois Marie.
Hogarth n’a guère apporté à l’art de la grande décoration. Son style, tout en restant indépendant, s’apparente à celui d’artistes italiens de son temps comme Francesco Trevisani (1656-1746) ou Pompeo Batoni (1708-1787). Toutefois, l’intérêt qu’il portait à la composition figurative était suffisamment important pour qu’on en continuât la pratique en Angleterre. Tout en tenant cet art en haute estime, les artistes anglais n’ont jamais trouvé dans ce genre leurs meilleurs moyens d’expression. En ce sens, le sentiment de Hogarth s’accorde parfaitement avec celui de ses collègues passés et futurs.
Encyclopédie Universelle. 2012.