HOKUSAI (KATSUSHIKA)
Jamais artiste japonais ne fut à la fois plus admiré en Occident et plus contesté au Japon. Katsushika Hokusai, l’un des plus grands artistes qu’Edo (T 拏ky 拏) ait engendrés, a laissé une œuvre monumentale, souvent inégale, mais d’une diversité sans pareille.
Peintre et dessinateur admirable, grand théoricien, mais très individualiste, perpétuel insatisfait et d’une curiosité toujours en éveil, il s’intéressa à tous les mouvements picturaux sans jamais s’attacher à aucun. Sa vie est une quête émouvante de la perfection; il est le type même de l’artiste ne vivant que pour son art, et que nulle contingence ne saurait faire dévier du but qu’il poursuit.
Il sut allier, dans un style très personnel, la technique Ukiyo-e à la grande tradition picturale chinoise et japonaise. Il renouvela le monde des formes et des couleurs et contribua grandement à rénover l’art de l’estampe en y introduisant le paysage comme genre indépendant.
Son œuvre, trop originale, força l’admiration de ses contemporains davantage qu’elle ne les séduisit. Cependant, la grande majorité des artistes de son temps subirent, consciemment ou non, son influence.
Une vie solitaire et orgueilleuse
Hokusai exerça différents métiers avant d’entrer, à dix-neuf ans, dans l’atelier de Katsukawa Shunsh 拏 (1726-1792), l’un des maîtres les plus célèbres de son temps. Il le quitta quinze ans plus tard parce que, semble-t-il, on avait découvert qu’il travaillait en secret chez Kan 拏 Y sen. Il poursuivit dès lors seul et librement ses études, s’intéressant aux techniques des écoles traditionnelles Kan 拏 et Tosa, au style Rimpa (école S 拏tatsu-K 拏rin), à l’esthétique chinoise et même aux principes de la peinture et de la gravure européennes.
On connaît à Hokusai au moins une trentaine de pseudonymes différents. Ce nombre impressionnant de noms de pinceau indique chaque fois un changement d’attitude intellectuelle, de vision et de style, un constant effort de renouvellement.
Paria de l’école Ukiyo-e , il ne connaît ses premiers succès que fort tard, à l’extrême fin du XVIIIe siècle, par ses illustrations de romans de Sant 拏 Ky 拏den et de Kyokutei Bakin et par ses surimono (estampes de vœux, de faire-part, etc.). Si grande était déjà sa réputation en ce début du XIXe siècle qu’il fut convié par le sh 拏gun à participer à un concours de peinture avec Tani Bunch 拏 (1764-1840).
En 1812, il entreprit son premier voyage dans la région de Ky 拏to et de Nagoya, où il conçut le projet de la fameuse Manga.
L’étoile du vieux maître allait pâlir devant le succès remporté par le jeune And 拏 Hiroshige avec la première série des Cinquante-Trois Étapes de la route du T 拏kaid 拏 , parue en 1833-1834. La perte dans un incendie de tous ses biens, y compris la prodigieuse documentation amassée au fil des ans, plongea Hokusai dans le dénuement. Solitaire et orgueilleux, refusant de capituler devant le grand âge et les coups du sort, il continua à travailler inlassablement jusqu’à sa mort en 1849, laissant une œuvre immense et une multitude d’élèves.
Une quête passionnée de la perfection
Formé à l’âge d’or de l’estampe, le style de Hokusai est au début calme et raffiné, d’une élégance discrète et d’une grande délicatesse. De son passage chez Shunsh 拏, il gardera toujours un sens affiné du réalisme. Le contact avec l’art occidental lui fait adopter dans ses compositions un point de vue unique et un horizon très abaissé, tout à fait étrangers à la tradition japonaise, et qu’on retrouve tout au long de son œuvre.
S’éloignant peu à peu de la tradition Ukiyo-e , il délaisse le monde du théâtre et des quartiers réservés pour se consacrer à l’étude du paysage et de la vie du petit peuple laborieux. Dès 1810, son trait acquiert une certaine dureté, et l’on sent de plus en plus nette la volonté de saisir la réalité dans sa vie et son mouvement. Après 1820, époque de sa maturité, il crée des compositions d’une puissance prodigieuse, véritables études de lignes, d’espace et de rythme. Des simplifications hardies des formes traduisent une vision du monde bien personnelle, rendue plus saisissante encore par la façon dont il use de la couleur. Celle-ci en effet a pour lui une valeur décorative, servant à établir des contrastes et des harmonies. Aussi sa palette est-elle relativement restreinte, et respecte-t-il la valeur des espaces blancs.
Son œuvre entière est le fruit d’une recherche ininterrompue, d’une observation pénétrante et jamais lassée de la nature, et le résultat d’études toujours plus approfondies.
Œuvre monumentale, inégale et géniale
Hokusai fut un peintre de talent, mais c’est la xylographie qui le rendit célèbre. Il est, avec Hishikawa Moronobu (mort vers 1695), l’illustrateur le plus prolifique de l’histoire du livre japonais, avec une production de près de 13 500 planches. Il débuta comme tant d’autres par des dessins pour kibyoshi (livre jaune), littérature populaire et bon marché. Il déploya une activité débordante dans l’illustration de romans et de ky 拏ka (poèmes humoristiques) pendant les premières années du XIXe siècle. L’un de ses plus beaux livres est Coup d’œil sur les deux rives de la rivière Sumida (Ehon Sumidagawa ichiran ). Mais la fameuse Hokusai Manga reste l’une de ses œuvres maîtresses. Commencée en 1814, cette encyclopédie du dessin compte quinze volumes dont les deux derniers sont posthumes, En 1834-1835, alors que le succès de Hiroshige marque le déclin de la popularité de Hokusai, paraissent encore les Cent Vues du mont Fuji (Fugaku hyakkei ), dont chaque feuillet est un chef-d’œuvre du dessin, de la composition, de la gravure et de la finesse d’impression. Jamais plus il ne créera d’œuvre aussi grandiose.
Hokusai est plus connu encore par ses estampes. Élève de Shunsh 拏, il dessine de remarquables estampes d’acteurs et de lutteurs dans le style de son maître, et quelques portraits féminins à la manière de Kiyonaga et d’Utamaro. Dès 1798, il entreprend la réalisation de séries d’estampes de paysage pur de style occidental, sans pareilles au Japon. Il y applique les lois de la perspective européenne, introduit le clair-obscur, traite les cieux à la manière hollandaise. Cette production prend subitement fin vers 1804. Les estampes qui le rendirent célèbre furent dessinées après 1820. Ce sont les fameuses séries sur les Ponts (Shokoku meiky 拏 kiran ), les Cascades (Shokoku takimeguri ), Images d’oiseaux et de fleurs d’esprit chinois, et surtout les Trente-Six Vues du mont Fuji (Fugaku sanj rokkei ); renouant avec la tradition fantastique, il imagine les Cent Contes (Hyaku monogatari ). Mais quoique belles encore, ces estampes n’ont plus la fraîcheur d’inspiration ni la beauté du dessin d’antan.
Jusque dans son déclin, rien ne put jamais distraire le grand artiste de son but, tant étaient grandes sa foi en son propre talent et sa confiance dans le travail. N’écrivait-il pas, à la fin du premier volume des Cent Vues du mont Fuji , que son œuvre exécutée avant l’âge de soixante-dix ans ne comptait pas, qu’à quatre-vingt-dix ans il pénétrerait le secret des choses, qu’à cent ans il serait un vrai peintre, et qu’à cent dix ans il atteindrait la perfection?
Encyclopédie Universelle. 2012.