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ICONOLOGIE
ICONOLOGIE

Du XVIe au XIXe siècle on entend par iconologie la «science des images» qui donne des règles pour la représentation figurée des idées abstraites et morales. L’œuvre fondamentale qui a introduit ce concept est le livre de Cesare Ripa: Iconologia , publié pour la première fois en 1593. Les descriptions et les illustrations de ce livre ont exercé une influence très importante sur l’art des XVIIe et XVIIIe siècles. Jusqu’au milieu du XIXe siècle on publia des manuels iconographiques qui continuaient ou développaient les idées de Ripa. Ils contenaient surtout des descriptions de figures humaines accompagnées d’attributs distinctifs et qui personnifiaient des idées philosophiques et morales ainsi que différentes notions générales telles que les sciences, les saisons.

Au XXe siècle, le terme iconologie reçut une acception différente, et servit notamment à désigner une méthode d’interprétation des œuvres d’art. L’adjectif «iconologique» apparut avec cette acception dès 1907 et 1912 (A. Warburg) dans l’expression «analyse iconologique» et le substantif «iconologie» en 1931 et 1939 dans les études de G. J. Hoogewerff et E. Panofsky. Les pionniers de la nouvelle méthode de l’étude du contenu des œuvres d’art ont adopté le terme ancien «iconologie» pour distinguer leur méthode de l’iconographie, celle-ci étant considérée par eux comme l’identification et la description des sujets, thèmes, symboles et attributs dans l’art. Pour Warburg, Hoogewerff et Panofsky, l’iconologie est une iconographie au sens profond, insatisfaite par l’identification du sujet et des éléments du symbolisme conventionnel, elle procède à une interprétation de la signification qu’un sujet ou un symbole possède dans une œuvre en tant qu’expression d’une philosophie et d’une conception du monde. L’iconologie telle qu’elle est conçue par Panofsky est «une iconographie interprétative, qui devient une partie intégrale de l’étude de l’art, au lieu de se limiter à n’être qu’une constatation statistique préalable» à d’autres analyses.

1. Science des images du XVIe au XIXe siècle

La théorie de l’image a trouvé son principal codificateur en Claude-François Menestrier (1631-1705), auteur d’innombrables ouvrages sur les blasons, les devises et les emblèmes. Menestrier développe une philosophie des images, dans laquelle il distingue les images de la peinture, les images de la poésie et de la rhétorique, les images de la science et les images symboliques. Entre les images symboliques, il différencie sept groupes: les hiéroglyphes, les symboles, les emblèmes, les devises, «le blason et les généalogies», «les revers des jettons et les médailles» et, enfin, «l’iconologie qui est la peinture des choses purement morales comme si elles étaient des personnes vivantes, comme l’honneur, la vertu, le plaisir». Chez Menestrier, l’iconologie n’est pas seulement une science des images; il désigne par ce mot un groupe spécifique des images. Quand Menestrier publiait ses ouvrages, à la fin du XVIIe siècle, l’iconologie avait déjà cent ans. Elle est née en 1593, lorsque l’érudit pérugin Cesare Ripa publia son livre Iconologia ovvero descrizione dell’Imagini universali cavate dall’antichità et da altri luoghi. Accueillie favorablement, l’œuvre fut réimprimée en 1602; une édition illustrée de cent cinquante bois gravés fut publiée à Rome en 1603. Le livre fut réédité plusieurs fois, augmenté jusqu’à comprendre trois ou même cinq volumes et traduit en français (1644), en hollandais (1644), en allemand (1669-1670), en anglais (1709). Sur la page de titre, Ripa présentait lui-même son ouvrage comme «nécessaire aux poètes, peintres, sculpteurs et autres, pour représenter les vertus, les vices, les émotions et les passions humaines». En vérité, l’Iconologia embrassait plus: les représentations des arts et des sciences, des facultés de l’âme, des dispositions psychiques, des concepts philosophiques, moraux et esthétiques; les heures, les saisons, la paix et la guerre; bref, tout concept universel s’y trouvait. La présentation en était uniforme: l’idée était toujours incarnée par un personnage, le plus souvent féminin, portant des attributs, représenté dans des actions ou des états décrits avec précision. Ripa a utilisé les manuels hiéroglyphiques (Horapollo ou Valeriano), mythographiques (Cartari), emblématiques (Alciati); il a puisé dans l’art, la littérature et les monnaies antiques. Il a beaucoup inventé lui-même. Il a créé un corpus des images allégoriques qui s’est imposé à l’imagination de l’Europe pour deux siècles. Émile Mâle a signalé l’immense influence de ce livre et de ses illustrations dans l’art italien et français des XVIIe et XVIIIe siècles, influence qui joua aussi dans d’autres pays, la Flandre, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne. D’autres manuels imitèrent celui de Ripa, tel celui de J.-C. de La Fosse, Nouvelle Iconologie historique , publié en 1768. C’est seulement au XXe siècle que le terme a commencé à désigner une méthode d’étude au lieu d’une doctrine iconographique. Dans le Vocabolario dell’Accademia della Crusca (1899), «iconologie» signifie «l’explication des images, figures et emblèmes antiques».

2. Méthode de l’histoire de l’art

Origines de la nouvelle méthode: Aby Warburg

Pour W.S. Heckscher l’iconologie comme méthode est née en 1912. Cette année-là, en effet, Aby Warburg présenta au Congrès international d’histoire de l’art à Rome un rapport qui fit sensation sur les fresques peintes par Francesco Cossa et ses collaborateurs au palais Schifanoia de Ferrare. Ces fresques, que les critiques et les historiens n’avaient pas réussi à interpréter, ont été expliquées par Warburg comme la représentation picturale d’un programme astrologique, conçu par un humaniste de Ferrare, mais fondé sur les traditions arabe, ptoléméenne et indienne. Les personnages représentés furent interprétés par Warburg comme les figurations des «puissances qui règlent la vie, chaque mois étant évoqué par son «seigneur» astral en une «storia» explicite; un bandeau est consacré au signe zodiacal et aux «décans» correspondants» (A. Chastel). Tout en présentant les résultats de ses recherches, Warburg exposait sa méthode: «En osant présenter ici cette esquisse provisoire touchant une question de détail, je voulais en même temps m’exprimer en plaidant pour l’élargissement des limites méthodologiques de notre érudition de l’art, en ce qui concerne le matériel d’étude ainsi que son étendue [...] J’espère qu’au moyen de la méthode utilisée par moi pour l’éclaircissement des fresques du palais Schifanoia de Ferrare j’ai démontré qu’une analyse iconologique, qui ose considérer l’Antiquité, le Moyen Âge et les Temps modernes comme des époques liées entre elles, et analyser les œuvres des arts les plus libéraux et les plus appliqués comme des documents d’expression égale, en s’efforçant de jeter de la lumière sur une tache sombre, éclaire en même temps des grandes suites de développement entrenouées.»

La méthode de Warburg fut adoptée en premier lieu pour l’étude de la signification et du rôle que l’Antiquité jouait pour la civilisation européenne du Moyen Âge et de la Renaissance. Warburg, continuateur de Burckhardt, de Nietzsche et d’Hermann Usener, voulait tracer la vie posthume des images créées non seulement par l’Antiquité classique, apollinienne, mais aussi par le courant pathétique, dionysiaque; ce dernier s’exprimait par les systèmes depuis longtemps oubliés de l’astrologie et de la magie, qui jouèrent un rôle important en transmettant aux humanistes et aux artistes de la Renaissance les images des dieux antiques. Analysant les formules d’expression puisées par les artistes de la Renaissance dans le vocabulaire de l’art antique, Warburg réussit à interpréter des contenus jusqu’alors ignorés ou inconnus. Son influence sur l’étude historique de l’art, associée à celle du philosophe Ernst Cassirer qui étudiait la civilisation humaine en tant qu’ensemble des «formes symboliques» des différentes attitudes philosophiques, fut décisive pour le développement de la méthode «iconologique». L’instrument précieux de cette méthode fut la bibliothèque créée par Warburg à Hambourg, et gérée après sa mort, en 1929, par son fidèle assistant et successeur Fritz Saxl (1890-1948); ce dernier la sauva de la débâcle nazie et la transféra en 1933 à Londres, où elle fait partie maintenant de l’Université.

La pensée de Warburg eut une influence profonde et décisive sur le nouveau développement donné à l’étude des images. Un érudit du cercle de Warburg, Edgar Wind, en définissait ainsi les idées directrices: «La vision artistique remplit une fonction nécessaire dans l’ensemble de la civilisation. Mais qui veut comprendre comment cette vision fonctionne ne peut pas l’isoler d’autres fonctions de la culture, et il doit se demander quelle importance ont pour l’imagination visuelle des fonctions de culture telles que la religion et la poésie, le mythe et la science, la société et l’État? Quelle importance possède l’image pour ces fonctions? Une des thèses essentielles de Warburg est que chaque tentative pour séparer l’image de ses liaisons avec la religion, la poésie, le culte et le drame tarit la source de ses sèves vivifiantes.»

La conception, inaugurée par Warburg, de l’image comme expression d’une civilisation et l’idée, développée par Cassirer, de l’art comme «forme symbolique» des attitudes fondamentales de l’esprit humain ont jeté les bases d’une élaboration systématique de la nouvelle méthode permettant d’analyser l’œuvre d’art en partant de son contenu. Warburg n’utilisait l’adjectif «iconologique» que de temps à autre, le concept de l’iconologie a été introduit par Hoogewerff et développé par Panofsky.

Le développement de la méthode: G. J. Hoogewerff et E. Panofsky

Dans la section «Iconographie» du Congrès international des sciences historiques à Oslo en 1928, Hoogewerff a présenté un rapport intitulé L’Iconologie et son importance pour l’étude systématique de l’art chrétien , qui fut publié ensuite dans la Rivista di archeologia cristiana en 1931. Hoogewerff fut le premier à proposer le nom ancien d’iconologie comme description d’une méthode d’analyse approfondie de l’œuvre d’art: «L’iconologie bien conçue se rapporte à l’iconographie bien exercée, comme la géologie se rapporte à la géographie: la géographie a pour but de formuler avant tout des descriptions nettes; elle s’impose le devoir d’enregistrer les faits expérimentés, prenant en considération les symptômes [...] sans commentaire explicatif. Elle consiste dans les observations; elle est limitée à l’aspect extérieur des choses terrestres. La géologie fait ses études sur la structure, sur la formation intérieure, sur l’origine, l’évolution et la cohérence des divers éléments et des matériaux qui constituent le globe. Le même rapport scientifique s’observe entre la cosmographie et la cosmologie, entre l’ethnographie et l’ethnologie. Ce sont les premières qui se limitent aux constatations, ce sont les dernières qui cherchent à fournir des explications.» Hoogewerff définissait ainsi les tâches de la méthode: «[...] l’iconologie, après avoir affronté l’examen systématique du développement des thèmes, pose la question de leur interprétation. S’occupant plus du contenu que de la matière des œuvres d’art, elle tend à aborder aussi l’irréalité, à comprendre le sens symbolique, dogmatique ou mystique qui se trouve exprimé (ou peut-être caché) dans les formes figuratives.» Il soulignait que la méthode proposée a été esquissée en premier lieu pour l’étude du contenu: «L’iconologie [...] a pour objet les œuvres d’art sans les classer selon la technique appliquée ou selon la perfection atteinte, mais elle les contemple en les rangeant uniquement d’après leur signification.» Loin de viser seulement l’identification du sujet ou des thèmes, l’iconologie doit chercher le fond social, religieux et philosophique des phénomènes artistiques. L’iconologie «cherche [...] de quelle idée divine, ou diabolique, ces produits de l’esprit humain créateur sont l’expression, essayant d’établir aussi quelle importance culturelle ou bien quelle signification sociale on peut attribuer à certaines formes, manières d’expression et de figuration, dans une époque déterminée».

Si Hoogewerff fut le premier à utiliser le mot iconologie pour désigner la nouvelle méthode qu’il proposait, c’est Panofsky qui l’a défini le plus précisément. Professeur à l’université de Hambourg de 1921 à 1933, résidant, après 1933, à Princeton aux États-Unis où il était professeur à l’Institute for Advanced Study, cet historien de l’art a non seulement présenté le programme le plus précis et le plus complet de l’analyse de l’œuvre d’art, culminant dans l’analyse iconologique, mais il a aussi réalisé ce programme, dans plusieurs études, articles et livres, qui lui ont valu d’être considéré comme l’un des plus célèbres historiens et critiques d’art. Panofsky élabora sa théorie de l’art dès sa jeunesse, la confrontant avec les concepts et les méthodes qui jouissaient alors de la plus grande popularité: l’idée de la «volonté artistique» de Riegl, l’idée des «formes de la vision» de Wölfflin, la philosophie des formes symboliques de Cassirer et le nouvel intérêt pour les phénomènes de civilisation suscité par Warburg.

Panofsky, s’opposant aux interprétations psychologiques de la notion de «volonté artistique», insiste sur son interprétation philosophique: «La volonté artistique ne peut être autre chose que le sens qui se trouve dans les phénomènes artistiques.» Mais qu’est-ce que ce sens? C’est une tendance, toujours la même, qui s’exprime dans la conception et dans le choix des éléments figuratifs. Dans chaque œuvre on peut découvrir le principe d’unification qui, à la fois, sous-tend et explique les problèmes artistiques fondamentaux. Cette unité constitue justement le sens de l’œuvre, ou d’une période: c’est, pour Panofsky, la «volonté artistique». S’il est possible de comparer les principes unitaires des différents domaines d’une époque, on peut englober l’art dans une réflexion générale historique sur la civilisation, sans recourir aux théories déterministes de H. Taine ou de G. Semper, ou à celle, expressionniste, de A. Dvo face="EU Caron" シák. On comprend alors que le concept des «formes symboliques» élaboré par Cassirer, collègue de Panofsky à l’université de Hambourg, fut adopté par l’historien de l’art, qui l’a appliqué dans son étude célèbre sur La Perspective conçue comme forme symbolique.

Le système de Panofsky

Pour Panofsky le processus de l’interprétation comprend trois niveaux. Dans le premier, qu’il appelle «description pré-iconographique», il s’agit de dégager la signification primaire. Pour arriver à cette interprétation, l’historien ne doit disposer que d’une expérience pratique commune à tous les hommes; en outre, il doit tenir compte «de la manière dont les objets et les événements furent représentés par les formes (histoire du style) selon les conditions historiques». Au second niveau, l’interprétation s’appelle «analyse iconographique»; son objet est la signification secondaire, «le sujet de convention qui constitue l’univers des images, histoires et allégories». Pour effectuer l’analyse iconographique il faut disposer d’une connaissance des sources littéraires, connaître des thèmes et concepts spécifiques; l’historien doit aussi tenir compte «de la manière dont les thèmes et les concepts spécifiques étaient exprimés par les objets et les événements (histoire des types) selon les conditions historiques». Ainsi, on arrive au troisième niveau d’interprétation, qui est appelé par Panofsky en 1955 «analyse iconologique», dont l’objet est la signification interne ou le contenu de l’œuvre. Ici, l’historien doit connaître «les tendances générales et essentielles de l’esprit humain». Le principe de contrôle, dans ce cas, consiste dans la familiarité avec «la manière dont les tendances essentielles de l’esprit humain furent exprimées par des thèmes et concepts spécifiques selon les conditions historiques (c’est-à-dire avec ce qu’on pourrait appeler une histoire des symptômes culturels, ou symboles, au sens de Cassirer)». Ainsi, en tenant compte toujours de ce que Panofsky appelle «la tradition», la somme de divers processus historiques, on arrive enfin à interpréter l’œuvre avec ses significations primaire et secondaire comme le symptôme d’une attitude fondamentale de l’esprit, caractéristique pour un milieu, un moment, une civilisation, ou bien pour un artiste. «La signification intrinsèque, ou contenu, constitue l’univers des valeurs symboliques.»

3. Application de l’interprétation iconologique

Tel est le programme théorique de la méthode d’interprétation proposée par Panofsky. Dans ses nombreux ouvrages, l’historien de l’art a fourni des exemples de l’application pratique de sa méthode. En 1930, dans Herkules am Scheidewege (Hercule à la croisée des chemins), il a étudié comment un thème mythologique sert d’allégorie morale à la Renaissance. En 1939, dans son livre Studies in Iconology , Panofsky expliquait par la philosophie de Lucrèce le contenu d’un cycle de peintures de Piero di Cosimo et par le néoplatonisme, interprété d’une manière différente à Venise et à Florence, les œuvres de Titien et de Michel-Ange. Par l’analyse des personnages et événements représentés, par l’analyse des sujets, des symboles et des allégories, il pénétrait jusqu’au fond philosophique et social. Ainsi le lien profond entre l’art et les diverses disciplines humanistes commençait à être restitué. En 1948, Panofsky fit à l’abbaye bénédictine de Latrobe (Pennsylvanie) une conférence publiée en 1951: il liait le développement de l’architecture gothique avec celui de la méthode scholastique. Dans ses livres sur la peinture des primitifs flamands (1953) et sur la sculpture funéraire (1964), il donna de larges panoramas historiques axés autour de l’analyse du contenu. En 1932, Émile Mâle pouvait encore écrire: «Depuis près d’un siècle, il est admis que le sujet d’une œuvre d’art offre peu d’intérêt et ne mérite pas de retenir longtemps l’attention d’un homme de goût.» Après 1945, cette attitude s’est modifiée fondamentalement, grâce aux travaux de Panofsky et des érudits liés à l’Institut Warburg de Londres. Ainsi développée, la méthode devenue célèbre sous le nom d’iconologie a nourri toute la recherche en histoire de l’art (on retrouve même son influence dans l’histoire de la littérature), mais en même temps elle est devenue l’objet de discussions critiques, de commentaires et de querelles.

4. Développements critiques

La diversité des significations qu’on prête au terme iconologie rend difficile l’appréciation de la méthode. On peut l’observer chez les détracteurs ainsi que chez les partisans de Panofsky. W.S. Heckscher par exemple, dans son rapport sur les origines de l’iconologie, publié en 1967, met l’accent dans sa définition de l’iconologie sur l’interprétation des attributs et des autres éléments porteurs de signification, c’est-à-dire sur le second niveau d’interprétation selon Panofsky. Cela se vérifie d’ailleurs dans la pratique de la méthode, dont les représentants s’attardent beaucoup plus sur l’interprétation des éléments du symbolisme conventionnel que sur la recherche du sens interne des œuvres comme symptômes d’une attitude fondamentale de l’esprit humain. Ce fait est particulièrement observé dans le compte rendu critique d’O. Pächt du livre de Panofsky sur la peinture flamande (1956). Pächt appelle cette version de la méthode «la version symbolique de l’iconologie».

Des jugements critiques furent adressés à chacun des trois niveaux d’interprétation formulés par Panofsky. E. Forssman, en 1966, reprochait à Panofsky son interprétation du premier niveau négligeant la première impression esthétique, qui n’aurait pas besoin – selon Forssman – de se cristalliser spontanément dans une interprétation des formes comme représentant des objets. Il juge excessif de demander au spectateur d’entreprendre dans ce premier moment déjà une identification stylistique, ce qui est considéré par Panofsky comme une condition de l’interprétation du premier niveau. R. Klein a démontré en 1963 la fluidité des limites des catégories d’interprétation, étant donné la richesse des liaisons entre l’objet et la signification, ainsi qu’il a vu le manque de limites claires entre «l’outillage mental dont on dispose pour le travail d’interprétation et les principes de contrôle». Il a même douté de la possibilité de séparer les deux niveaux.

Pour le troisième niveau d’interprétation, G. Previtali a mis en question la justification de l’analyse iconologique comme étape de recherche de l’historien de l’art, puisque le contenu qu’on découvre appartient à d’autres disciplines, telles l’histoire de la philosophie, des religions, la sociologie. Cette critique dérive d’une conception «fermée» de l’histoire de l’art, étrangère à Panofsky, qui préconisait une collaboration entre les différentes disciplines des sciences humaines pour construire une image complète de la culture.

O. Pächt, dans son compte rendu déjà mentionné, posait le problème critique d’une manière plus profonde. Il demandait si la relation entre les images et les idées peut être soumise à des règles rationnelles. Il constatait que les images ne sont pas toujours une traduction rationnelle des idées. Il doutait qu’on puisse chercher l’importance d’une œuvre d’art dans la richesse, la cohérence et la complexité de son contenu symbolique. Le caractère rationnel de la relation entre les idées religieuses et les images fut mis en question de la manière la plus sévère par R. Berliner en 1956. Il rappelait que les expériences et les sentiments religieux trouvaient dans l’art une expression autonome, indépendante d’une théologie rationnellement formulée. Selon Pächt et Berliner, l’univers des images n’est pas régi par les lois logiques qui gouvernent l’univers rationnel de la raison humaine. Les éléments irrationnels et émotifs seraient d’une très grande importance pour la formation des images. Il semble toutefois que ces objections peuvent être, sinon réfutées, au moins atténuées, en rappelant que le système d’interprétation de Panofsky ne se fonde pas sur le concept de l’expression d’un domaine de l’esprit par un autre, mais sur l’idée du parallélisme fonctionnel ou structural. Donc il n’est pas nécessaire de supposer une relation consciente entre les différentes zones d’expression humaine. Panofsky lui-même était bien conscient de tous les points vulnérables de sa théorie. Il a lui-même devancé les critiques et en a formulé les réfutations. Il préconisait toujours l’adoption des méthodes historiques et des règles de bon sens. Dans un de ses derniers travaux, il a encore souligné (Tomb Sculpture , 1964) qu’il n’est pas raisonnable de supposer une signification symbolique et profonde à chaque motif décoratif. Mais il insiste sur le fait que peu d’éléments décoratifs furent créés comme tels dès l’origine, que même les guirlandes de fleurs sur les sarcophages romains ont eu leur genèse dans le culte religieux.

La méthode proposée par Panofsky, développée par lui en partant des expériences de Warburg, a révélé aux historiens de l’art plusieurs aspects du symbolisme des œuvres d’art et de leurs relations au monde des idées. Cette méthode qui vise à une analyse intégrale de l’art du passé, en tenant compte de sa valeur artistique ainsi que de sa signification en tant que document de civilisation, a contribué d’une manière décisive à l’élargissement des horizons de l’histoire de l’art. Elle a contribué également à faire de l’histoire de l’art un point de repère idéal pour les tentatives actuelles d’une intégration nouvelle des sciences humaines. Cet intérêt pour le contenu, pour le symbolisme et pour la signification rapprochent l’iconologie des tentatives parallèles de la linguistique et de l’ethnologie.

iconologie [ ikɔnɔlɔʒi ] n. f.
• 1636; gr. eikonologia
Didact.
1Art de représenter des figures allégoriques avec leurs attributs distinctifs; connaissance de ces attributs.
2Étude de la représentation en art. L'iconologie de Panofsky. Spécialiste d'iconologie (ICONOLOGISTE ou ICONOLOGUE n. ).

iconologie nom féminin Étude de la formation, de la transmission et du contenu des images, des représentations figurées.

iconologie
n. f. Didac.
d1./d Art de la représentation allégorique.
d2./d étude de la représentation dans les arts.

ICONOLOGIE, subst. fém.
Science de la représentation dans les arts des figures allégoriques, mythiques et emblématiques, et de leurs attributs; p. méton., répertoire de ces représentations. Iconologie chrétienne. Il y a également une iconologie sacrée relative aux personnages des Écritures, de la Vie des Saints, etc. (ADELINE, Lex. termes art, 1884). Lorsque le Dominiquin entreprit les fresques de la chapelle de St Janvier, au Dôme de Naples, il demanda encore des leçons à l'iconologie de Ripa (MÂLE, Art relig., 1932, p. 393).
REM. Iconologiste, iconologue, subst. masc. Spécialiste d'iconologie. (Dict. XIXe et XXe s., sauf Ac.).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1636 (J. BAUDOIN, Iconologie ou Explication de plusieurs images, emblemes et autres figures hieroglyphiques tirees de Cesare Ripa ds BARB. Misc. t. 8, n° 24, p. 417). Adaptation du gr. « langage figuré », formé de « image » et -, v. -logie. Bbg. QUEM. DDL t. 1; 13 (s.v. iconologiste).

iconologie [ikɔnɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1636, in D. D. L.; ital. iconologia (Cesare Ripa), du grec eikonologia, de eikôn, eikonos (→ 1. Icône), et logia. → -logie.
1 Art de représenter des figures allégoriques avec leurs attributs distinctifs; connaissance des attributs permettant de reconnaître l'allégorie représentée. || L'iconologie « a été très en faveur aux XVIIe et XVIIIe siècles » (Réau, Dict. d'art). || Almanach iconologique, ou Iconologie par figures, ou Traité complet de la science des allégories, de Gravelot et Cochin (1781).
2 Étude des modes de la représentation en art; science de l'interprétation du contenu des arts figuratifs. || L'iconologie se base sur la description des figures, sur l'iconographie (première interprétation) pour proposer une interprétation globale, liée aux mythes, aux idéologies. || L'iconologie de Panofsky.
0 Je propose de ressusciter le bon vieux mot d' « iconologie » dans tous les cas où l'iconographie s'affranchit de son isolement et s'unit organiquement à quelque autre méthode que ce soit (historique, psychologique ou critique) […] Car de même façon que le suffixe « graphie » désigne quelque démarche d'ordre descriptif, de même le suffixe « logie » (dérivé de logos qui signifie : raison) désigne quelque démarche d'ordre interprétatif.
Trad. de E. Panofsky, Essais d'iconologie, p. 22.
DÉR. Iconologiste ou iconologue.

Encyclopédie Universelle. 2012.