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LITANIES
LITANIES

LITANIES

Terme générique et moderne qui désigne, dans le culte chrétien, plusieurs espèces de prières d’intercession. Celles-ci ont en commun une forme musicale caractérisée par sa simplicité formelle: alternance d’un soliste (ou d’un groupe de solistes), qui chante des invocations, des demandes ou des acclamations, et de l’assemblée, dont la réponse est brève et uniforme, tant mélodiquement que rythmiquement. Une telle structure est universelle et compte parmi les formes fondamentales de tous les cultes et de tous les temps. Contentons-nous de citer ici les cultes babyloniens ou juifs (E. Werner, The Sacred Bridge , 1959) et ceux de la Rome païenne (Lactance, De mortibus persecutorum ). Parmi les prières chrétiennes d’intercession, on évoquera: les proclamations (karozuta ) syriaques (kerygma en grec, praedicatio en latin); les ectenie (prière intense ou étendue), synapti (collecte), litie (supplication) de la liturgie byzantine; les preces , orationes , etc., des rites latins. Quant aux termes litaniae , letaniae , ils sont associés ordinairement à une procession de pénitence (processions des Rogations). «L’insistance dans l’invocation donne lieu à la répétition, et la répétition d’une invocation donne lieu à la litanie» (Gino Stefani, L’Acclamation de tout un peuple , 1967). À l’origine, dans l’église orientale, le Kyrie eleison a été la réponse de l’assemblée à une invocation du diacre, multiple, de longueur inégale, et plus ou moins proche de la cantillation, d’où son nom de litanie diaconale. Le passage en Occident du Kyrie est très ancien: messe gallicane, milanaise, hispanique, puis romaine (avec, ici, introduction du Christe eleison , au temps de Grégoire le Grand). Depuis lors, le Kyrie a perdu ses caractères litanique et invocatoire (malgré un essai de retour à ceux-ci après les réformes de Vatican II), pour devenir une acclamation festive proche du jubilus alléluiatique (Kyrieleis des Kirchenlieder allemands). Dans la litanie chrétienne, on peut distinguer:

1. la litanie sacerdotale (oraisons solennelles du vendredi saint, aux formes complexes. a ) célébrant: Oremus pro ... [indication de l’intention] Oremus. b ) diacre: Flectamus genua [silence] Levate [monition et prière silencieuse]. c ) célébrant: Omnipotens sempiterne Deus [demande]. d ) tout le peuple: Amen ).

2. la litanie diaconale, qui oriente la prière en Orient.

3. la litanie chorale, dirigée par les chantres (litanie des saints). La réponse de la foule est toujours une brève invocation, ainsi: Amen , Kyrie eleison (non mélismatique), Te rogamus, audi nos ; Libera nos Domine ; Ora pro nobis... (ou leurs équivalents français de la liturgie contemporaine). À la fin du Moyen Âge, du XIIe au XIVe siècle, se répandit en Occident la litanie d’origine non liturgique, laquelle naquit vraisemblablement en Irlande (VIIIe siècle) et qui fleurit notamment dans les livres d’heures. Bède le Vénérable (672-735) écrivit des litanies en forme de séquences. Trouvères et troubadours chantaient souvent dans l’esprit musical de la litanie: phrases répétées, avec ritournelles instrumentales en forme d’interlude élémentaire. À l’exemple de la chanson de geste, la pastourelle (chanson avec refrain), la laisse strophique et le rotrouenge (qui naît au milieu du XIIe siècle) dérivent de la forme litanique. Dans les motets des XIIe et XIIIe siècles, la teneur peut ne pas être une phrase continue; elle donne parfois lieu à un long développement et adopte la forme de la litanie: il s’agit alors d’un fragment mélodique, d’une courte phrase, qui se répète plusieurs fois, selon le principe qui sera en vigueur, quelques siècles plus tard, dans la chaconne et la passacaille. Après l’apparition de l’écriture polyphonique, de nombreux compositeurs s’inspirèrent de la litanie, notamment des litanies de la Vierge. Les Litanies de Lorette (Litaniae lauretanae ) tiennent une place primordiale parmi ces dernières. Ces litanies furent officiellement approuvées par le pape Sixte V en 1587.

Les œuvres se multiplient en Italie après les dix Litanies de la Vierge (1593) à quatre, cinq, six et huit voix, de Palestrina, composées pour la confraternité du Saint-Rosaire; il y a celles de Lassus, de Monteverdi, de Geronimo Giacobi (1567-1630), de Costanzo Festa (env. 1485-1545), dont les Litanies de la Vierge à double chœur — huit voix — témoignent d’une écriture fort rare dans l’Italie du XVe siècle; des Anglais Peter Philips (env. 1560-1628, litanies de quatre à neuf voix), William Byrd, Thomas Tallis (Litany , 1541). On remarquera que, dans l’Église anglicane du XVIe siècle, les litanies sur des textes anglais prennent la forme de faux-bourdons. La seule page vocale que l’on connaisse de Antonio de Cabezón concerne des litanies à cinq voix. Pour le XVIIe siècle français, on doit citer les Litanies de la Vierge d’Henri Dumont, les Litanies et motets du languedocien Étienne Moulinié. L’époque baroque germanique compte entre autres les Litanies de Heinrich Ignaz von Biber (1644-1704), les litanies polyphoniques avec instruments de Johann Caspar Ferdinand Fischer (1657-1746). Contemporaines de celles du padre Soler sont celles du padre Martini (1706-1784), dont certaines, polyphoniques, sont avec accompagnement d’orgue et deux violons. Celles de Mozart retiennent plus encore l’attention. Outre des Fragments de litanies de la bienheureuse Vierge Marie pour quatre voix et orgue (K. 324, 325, 240) que le jeune Mozart a peut-être copiés pour son propre compte à partir d’œuvres d’anciens maîtres, il a composé des Litanies de Lorette , en si bémol et en , et les Litanies du Saint-Sacrement , en si bémol et en mi bémol. Dans les premières Litanies de Lorette (K. 109, 1771, pour quatre voix, deux violons, orgue et basse), on mesure l’influence du padre Martini, tandis que dans les deuxièmes (K. 195, de 1774, pour quatre voix, deux violons, alto, deux hautbois, basse et orgue), le caractère instrumental est plus affirmé et s’affirme aussi nettement l’influence de l’école napolitaine, alors en vogue à Salzbourg (nombreuses modulations notamment). La première litanie en l’honneur du Saint-Sacrement (K. 125, 1772, pour quatre voix, deux violons alto, deux flûtes ou hautbois, deux cors, deux trompettes, basse et orgue), appelle des remarques semblables; la dernière (K. 243, 1776, pour quatre voix, deux violons, alto, deux hautbois, deux flûtes, deux bassons, deux cors, trois trombones, basse et orgue) a déjà quelque chose du merveilleux recueillement poétique des messes que Mozart va écrire dans les derniers mois de la même année (Wyzewa et Saint-Foix). Collègue de Mozart à Salzbourg, Michael Haydn écrivit plusieurs litanies du Saint-Sacrement qui figurent indiscutablement parmi les chefs-d’œuvre de la musique religieuse de ce temps; elles dateraient de 1792. Au XIXe siècle, il faut citer les Litanies de Glinka, et plus près de nous, les Litanies de la Vierge noire de Rocamadour , de Poulenc (1936), pour chœur de femmes ou d’enfants et orgue, où l’intimité et le recueillement tempèrent quelque secrète angoisse. On n’oubliera pas non plus deux pages pour orgue: Litanies de Jehan Alain — une des pièces les plus réussies de ce compositeur — et Incantation pour un jour saint de Jean Langlais, organiste de la basilique Sainte-Clotilde à Paris — œuvre qui emprunte ses thèmes à des formules litaniques de la liturgie catholique traditionnelle.

litanies nom féminin pluriel Série dialoguée de supplications ou d'acclamations liturgiques adressées à Dieu, ou aux saints.

Encyclopédie Universelle. 2012.