MARRAKECH
Lorsque, après avoir traversé les steppes qui s’étendent au nord de Marrakech, on arrive en vue de la ville, celle-ci se présente comme une longue palmeraie d’où pointent des minarets et où l’on devine une masse confuse de maisons basses: c’est une sorte d’oasis, messagère et fille du désert, qui semble accueillir le voyageur.
Capitale, marché, sanctuaire, lieu de plaisir, décor dont la somptuosité ne cache pas la pauvreté de ses habitants, Marrakech ne se laisse pas enfermer dans une formule simple. Mais la majesté de son cadre, la grandeur de ses monuments fidèles à la tradition almohade, son admirable couleur, un gris-rose qui, suivant les heures du jour, s’exalte dans des rouges somptueux ou s’apaise dans des violets d’une exquise délicatesse, lui donnent d’exercer, sur ceux qui passent comme sur ceux qui y vivent, un véritable enchantement.
La fondation de Marrakech
L’apparence saharienne de Marrakech (en arabe Marr kush) est le fait de l’histoire bien plus que de la géographie. Toutes les plaines du Sud marocain et aussi le pied du Grand Atlas nourrissaient, grâce à un riche réseau d’irrigation, une solide vie sédentaire et paysanne. Les mêmes tribus berbères étaient installées en montagne et dans le plat pays. Les bourgades qui étaient les marchés et les petites capitales du Sud marocain étaient bâties dans la zone de liaison que constituait le piedmont.
Rien n’était plus inattendu que l’étrange et merveilleuse aventure des fondateurs de Marrakech, les Almoravides. Des tribus berbères chamelières avaient fait, à partir du IIIe siècle, la conquête du Sahara. Convertis à l’islam à la fin du IXe siècle, elles avaient islamisé et parfois soumis les royaumes noirs du sud du désert.
Sous l’influence d’une prédiction réformiste, une confédération de tribus mauritaniennes prit une cohésion et une force nouvelles. Elle intervint au Maroc et bientôt en entreprit la conquête. Le chef des Almoravides, Ab Bakr, décida d’enraciner au Maroc les contingents qui l’avaient suivi et d’établir une base d’opérations dans le Sud marocain. La ville, fondée en 1070, ne fut d’abord qu’un grand camp militaire avec une forteresse de pierre où résidait l’émir. Les fouilles ont retrouvé une partie de cette qa ルaba qui fut l’embryon de la nouvelle cité.
Sous le successeur d’Ab Bakr, Y suf b. T shf 稜n, la ville se développa rapidement, tandis que le nord du Maroc et bientôt le Maghreb central jusqu’à Alger étaient conquis par les Almoravides. Appelé en Espagne pour y soutenir l’Islam ibérique fléchissant sous la poussée chrétienne, Y suf faisait bientôt la conquête de toutes les terres musulmanes de la Péninsule. Moins d’un demi-siècle après sa fondation, Marrakech devenait la capitale d’un empire qui englobait l’Espagne musulmane où régnait alors une des plus originales et une des plus belles des civilisations islamiques. Sous un flux constant d’influences hispaniques, Marrakech eut vite fait de se transformer.
La capitale des Almoravides
Le successeur de Y suf b. T shf 稜n, ‘Al 稜 b. Y suf, qui régna longtemps sur un empire pacifié, introduisit dans sa capitale l’art de l’Espagne musulmane. Il fit bâtir une vaste et luxueuse grande mosquée, dont il ne subsiste qu’une admirable coupole décorée, et la dota d’une chaire qui est le plus riche de tous les meubles du Moyen Âge. Il éleva de vastes palais dont les fouilles ont mis au jour quelques vestiges. Mais les grands monuments almoravides de Marrakech ont été détruits par les Almohades. C’est par la grande mosquée de Tlemcen et surtout par la Qarawiyy 稜n de Fès que l’on saisit la splendeur des monuments alors élevés au Maghreb par des maîtres d’œuvre et des artistes venus d’Espagne. Ce sont là des témoignages précieux entre tous de l’art, vigoureux et subtil à la fois, élaboré par l’Espagne musulmane du XIe siècle et qui, en cette première moitié du XIIe siècle, atteignait son apogée.
Mais le destin de Marrakech fut vite remis en cause: les Berbères Masm da du Haut Atlas, paysans et sédentaires, se révoltèrent contre ces anciens nomades, les Almoravides, qui accumulaient dans leur jeune capitale les richesses de tout un empire. Eux aussi s’appuyèrent sur une réforme religieuse, élaborée par un Berbère de l’Atlas, Ibn T mart, inspirée d’une doctrine rigoriste de l’unité divine et d’un puritanisme intransigeant. Les Unitaires ou Almohades considéraient les Almoravides comme des hérétiques qu’il fallait anéantir par le fer ou par le feu.
Une première attaque de Marrakech, en 1129, échoua. Mais la ville, jusqu’alors agglomération ouverte, fut entourée d’une puissante enceinte à l’andalouse: sa haute courtine de béton était flanquée de bastions et on n’accédait à l’intérieur du rempart que par des portes monumentales dont la masse enserrait des passages coudés. Cette enceinte, maintes fois réparée et parfois remaniée, entoure aujourd’hui encore la médina de Marrakech.
La capitale des Almohades
Après une âpre lutte d’une quinzaine d’années, les Almohades, sous le commandement de ‘Abd al-Mu’min, cheminant d’abord à l’abri de la montagne, firent peu à peu la conquête du Maroc, puis remportèrent devant Tlemcen une victoire décisive. Revenant alors vers le Maroc, ils s’emparèrent en 1147 de Marrakech, où ils massacrèrent les princes almoravides.
Pour ‘Abd al-Mu’min victorieux, la prise de Marrakech posait un cas de conscience. Les Almohades allaient-ils détruire la capitale de ceux qu’ils avaient toujours condamnés comme de mauvais musulmans? ‘Abd al-Mu’min, héritier d’un empire, était conscient des devoirs nouveaux qui s’imposaient à lui. Une consultation des docteurs de la loi lui permit d’adopter la solution de sagesse qu’il avait sans doute conçue: il suffisait de détruire les mosquées et les palais almoravides – ce qui fut fait – et Marrakech, désormais sous la garde et non plus sous la menace des Berbères Masm da de la montagne, devint la capitale de l’Empire almohade.
Mais Marrakech ne pouvait rester sans grande mosquée. Sur l’emplacement des palais almoravides – et cela était une purification –, ‘Abd al-Mu’min fit édifier un des plus beaux sanctuaires de l’Occident musulman, la Kut biyya. Mais il ne voulut pas adopter la luxueuse décoration andalouse qui s’était étalée dans les monuments almoravides: les artistes espagnols auxquels il s’adressa surent composer, en choisissant et en simplifiant les éléments de l’art almoravide, un décor qui, en laissant des espaces vides, des repos pour l’œil, simulait l’austérité.
À ce décor large ainsi créé pour complaire aux Almohades l’art hispano-mauresque dut de connaître une sobriété et un équilibre tout classiques. Le même style régna à la mosquée funéraire que ‘Abd al-Mu’min fit élever à Tinm l sur le tombeau d’Ibn T mart et qui devint la nécropole de la dynastie. Toutefois le minaret qui domine la mosquée de la Kut biyya, et qui reste comme le signe de Marrakech, fut d’une grande richesse ornementale.
‘Abd al-Mu’min dépassa l’œuvre politique des Almoravides: il conquit l’Afrique du Nord jusqu’à la Tripolitaine et maintint sous son joug l’Espagne musulmane. Marrakech, qui commandait à tout l’Occident musulman, devint un centre de civilisation. Jamais la ville ne fut aussi prospère.
Les Almohades bâtirent au sud de la cité commerçante une ville de gouvernement: la qasba (al-qa ルaba ). Il n’en subsiste, avec la façade sculptée d’une porte monumentale, B b Agn , que la grande mosquée du palais et son minaret. La vigueur et la pureté classiques de l’art almohade s’affirment toujours dans ces grands monuments du XIIe siècle.
Le déclin d’une capitale
Après l’irrémédiable défaite de Las Navas de Tolosa, subie en Espagne en 1212 devant une coalition chrétienne, l’Empire almohade entra en décadence. En 1269, Marrakech était conquise par une nouvelle dynastie berbère, les Mérinides. Ceux-ci, dont le domaine se réduisit au Maroc, furent loin d’avoir la puissance et la richesse des califes almohades. Et ils gardèrent comme capitale la ville qu’ils avaient adoptée à leurs débuts: Fès; Marrakech devint la métropole provinciale d’un Sud marocain appauvri par les Arabes qui avaient, dans les plaines, ruiné l’ancienne vie sédentaire et paysanne. La ville connut au XVe siècle un grave déclin. Toutefois, les quelques monuments qui s’y élevèrent au XIVe siècle attestent la persistance de la tradition artistique almohade.
Une brève renaissance
Au XVIe siècle, une famille de chérifs du Sud marocain, les Saadiens, réussit à ranger peu à peu le Maroc sous son autorité. Marrakech redevint la capitale du pays. Les Saadiens la dotèrent de nouvelles et grandes mosquées inspirées des sanctuaires almohades et y élevèrent une médersa qui reprenait l’ordonnance des collèges mérinides de Fès. Au palais du Bali, qui n’est plus qu’une ruine, et dans la luxueuse nécropole qu’ils élevèrent au chevet de la mosquée de la Qasba s’affirme, grâce aux Andalous émigrés au Maroc, l’influence du dernier art musulman d’Espagne, celui de la Grenade nasride.
Mais les Saadiens ne tardèrent pas à sombrer dans l’anarchie. D’autres chérifs, les Alaouites, firent la conquête du Maroc. Si le premier d’entre eux, M l y Rash 稜d, semblait bien disposé vis-à-vis de Marrakech, son successeur, M l y Ism ‘il, ne fit rien pour la ville qu’il avait dû prendre de vive force et il fixa sa résidence à Meknès. À sa mort en 1727, Marrakech connut, comme tout le Maroc, trente-cinq ans d’effroyables désordres.
Marrakech, capitale provinciale
Heureusement, S 稜d 稜 Mu ムammad Ibn ‘Abdall h, qui avait été gouverneur de la ville avant son avènement en 1757, releva Marrakech: il la dota de monuments nouveaux. Ses successeurs lui conservèrent le rang de capitale secondaire et y séjournèrent souvent; Marrakech retrouva ainsi son rôle de grande métropole régionale. Des palais et des mosquées s’y élevèrent dans la tradition hispano-mauresque.
Après les Almoravides et les Almohades, Marrakech a été un grand marché rural autant et plus qu’une ville. Elle n’était pas comptée comme ville hadriya , c’est-à-dire de civilisation citadine de souche andalouse. Mais elle est un grand centre religieux, fier de ses saints dont les sanctuaires et les tombeaux parsemèrent la ville et ses abords. Elle reste le centre des pistes et des rêves de tout le Sud marocain.
Marrakech
v. du Maroc méridional, dans la plaine du Haouz, au pied N. du Haut Atlas; 644 000 hab.; ch.-l. de la prov. du m. nom. Grand marché du Sud; huileries; artisanat. Centre touristique. Aéroport intern.
— Nombr. mosquées, dont la Kutubiyyah (XIIe s.). Porte Bab Agnau. Palais el-Badi (fin XVIe s.). Tombeaux de la dynastie des Saadiens.
— Fondée en 1062 par les Almoravides, elle fut la capitale des Almohades (XIIe-XIIIe s.).
————————
Marrakech
(traité de) acte constitutif de l'Union du Maghreb arabe, adopté le 17 février 1989 par l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie.
Encyclopédie Universelle. 2012.