MOLLUSQUES
L’embranchement des Mollusques est l’un des plus diversifiés de toute la zoologie, car il englobe plusieurs catégories bien distinctes d’espèces animales, qui toutes cependant répondent aux mêmes critères fondamentaux. Ces catégories forment pour les Mollusques actuels sept classes d’importance numérique très inégale, que l’on désigne comme Aplacophores, Polyplacophores, Monoplacophores, Bivalves (moules, huîtres), Gastéropodes (escargots, limaces), Céphalopodes (calmars, seiches), Scaphopodes (dentale).
Par leur ontogenèse, les Mollusques se révèlent assez étroitement apparentés aux «Vers», mais la métamérisation du corps de certains d’entre eux les rapproche aussi des Arthropodes, de sorte que leur souche commune pourrait être apparue au niveau des Vers plats et plus précisément des Turbellariés. Les classes de Mollusques étant déjà individualisées au Cambrien (fig. 1), aucun indice ne peut permettre de vérifier le bien-fondé de cette hypothèse, mais l’on pense que le «Mollusque primitif» possédait un certain nombre de traits fondamentaux dont les classes actuelles ont inégalement hérité.
Il est probable que les premiers Mollusques montraient une symétrie bilatérale. Or celle-ci s’est oblitérée au cours de l’évolution de l’une des lignées, celle des Gastéropodes, par suite de l’apparition, toujours entourée d’un mystère total, d’une torsion de 1800 de la masse viscérale du corps par rapport à l’ensemble de la tête et du pied. Le bouleversement qui a résulté de cet étrange phénomène a nécessité bien des ajustements anatomiques et physiologiques, mais il ne s’est nullement opposé à l’épanouissement de ce vaste groupe.
Un second problème concerne la métamérisation du corps et l’on a pensé que les indices d’une répétition de paires d’organes visibles dans certains groupes de Mollusques pouvaient être interprétés comme ceux d’une métamérisation véritable qui existait déjà dans les Mollusques primitifs. Une découverte exceptionnelle devait confirmer ce point de vue. En 1957, le chalut de la Galathea ramena, d’une profondeur de 3 570 mètres, dix individus vivants d’un Mollusque du groupe des Monoplacophores, groupe créé en 1940 pour des formes paléozoïques que l’on croyait éteintes. Ce Mollusque fut baptisé Neopilina galatheae (fig. 2). On y reconnaissait cinq paires de branchies, cinq paires de néphridies et plusieurs paires de muscles rétracteurs. Aucun Mollusque n’avait montré jusqu’alors une métamérie aussi nette. Or l’auteur même de cette très belle découverte annonçait en 1962 puis en 1966 qu’il était enclin à changer radicalement d’opinion et à considérer que les Mollusques devaient dériver de Cœlentérés primitifs.
Compte tenu des différences profondes qui séparent les classes de Mollusques, une certaine unité de plan de constitution peut apparaître si l’on considère que leur corps comprend deux ensembles sur lesquels se sont manifestées les tendances évolutives; ce sont le cephalopodium , ensemble de la tête et du pied, et le complexe palléo-viscéral , constitué par la masse des viscères et le manteau qui la recouvre et la déborde pour former la cavité palléale. Quant à la coquille, production du seul manteau, elle en reflète toutes les modifications.
Le cephalopodium a son expression la plus parfaite chez les Céphalopodes où le pied, fusionné avec la tête, s’est découpé en bras et en tentacules. Il n’est scindé en tête et pied distincts que chez les Gastéropodes, car dans les autres groupes la tête se réduit et même disparaît chez les Bivalves.
Le complexe palléo-viscéral, par sa situation en quelque sorte dorsale par rapport à l’articulation céphalopédieuse, suggère qu’un facteur nouveau a modifié profondément les conditions de l’accroissement qui a cessé de s’opérer dans une seule direction principale, comme chez les «Vers» et les Arthropodes. Comme le pense en effet A. Portmann (1960), tandis que la répétition de segments successifs et semblables chez les Annélides, les Plathelminthes et les Arthropodes est une conséquence de la croissance embryonnaire dans la seule direction de l’axe primaire du corps, chez les Mollusques, un second axe de croissance, dorso-ventral, mais oblique à l’axe primaire, tend, par exagération de la croissance en hauteur du sac viscéral, à entraver la métamérie. Les effets de l’axe secondaire de croissance, particulièrement nets chez les Céphalopodes, sont accentués aussi chez les Bivalves, les Gastéropodes, les Scaphopodes.
La connaissance des Mollusques, longtemps fondée sur des études d’anatomie précises, mais statiques, s’est littéralement renouvelée avec l’apparition de la «morphologie fonctionnelle» sous l’impulsion d’auteurs anglais contemporains. Par ces nouvelles méthodes d’études fut révélée l’importance jusque-là insoupçonnée des mécanismes ciliaires dans les fonctions de nutrition et de respiration de beaucoup de Mollusques; mais, en outre, ces mêmes mécanismes ont projeté un éclairage nouveau sur certains des grands problèmes qui concernent ces animaux.
1. Anatomie comparée
Malgré leur très grande hétérogénéité, les Mollusques ont en commun nombre de caractères dont certains sont immédiatement perceptibles. Ce sont la consistance molle de leur corps souvent très déformable, partout recouvert de mucus, et la présence du manteau qui produit la coquille et engendre une cavité palléale où coexistent les branchies et les émonctoires.
Type morphologique fondamental
À défaut d’un «plan d’organisation» qui refléterait fort mal les grandes dissemblances des classes de Mollusques, il est possible de définir l’embranchement par l’évocation d’un «type morphologique». À cet égard, le modèle le plus satisfaisant est fourni par le type Gastéropode ramené à son état prétorsionnel supposé et à sa symétrie bilatérale d’origine (fig. 3). Un tel modèle tend avant tout à faire ressortir les relations qui existent entre les cinq parties fondamentales du corps: la tête, le pied, la masse viscérale, le manteau et la cavité palléale, la coquille.
La tête, terminée en avant par le mufle où s’ouvre la bouche, porte des organes sensoriels, yeux, tentacules, et elle contient, outre la première portion du tube digestif à laquelle s’annexe l’appareil radulaire, les centres nerveux principaux d’où part, en direction de la masse des viscères, l’anse nerveuse viscérale. Le pied, masse musculeuse creusée de lacunes que le sang peut dilater, contient les organes d’équilibration, ou statocystes, et c’est sur son flanc antérieur droit que débouchent les conduits génitaux. Il porte parfois un opercule. La masse viscérale, qui fait suite à la tête et surmonte le pied, est traversée par le tube digestif ; elle est très dilatée par le grand développement de la glande digestive et contient aussi le cœur, logé dans le péricarde, les gonades, qui s’étalent sur la glande digestive ou s’y insinuent, et les reins. Le manteau détermine la formation d’une cavité palléale profonde, surtout à l’arrière de la masse viscérale dans le Mollusque primitif hypothétique ici considéré. En fait, cette cavité occupe chez les Gastéropodes une position antérieure (fig. 4) par suite de la torsion de 1800 que subit la masse viscérale par rapport au reste du corps. Une torsion de 2700 a été reconnue par V. Fretter, A. Graham et J. H. McLean chez le curieux Gastéropode Neomphalus fretterae découvert en 1977 dans les effluences chaudes de la fracture des Galapagos.
À l’entrée de la cavité palléale se trouvent deux osphradies, ou une seule; ces petits organes dont l’aspect rappelle parfois celui des branchies, sont des chimiorécepteurs. Quant à la coquille, elle a un rôle essentiellement protecteur et manque dans bon nombre de formes.
Variations anatomiques
Les différents appareils des Mollusques n’ont pas évolué uniformément au sein des classes et, en outre, les dissemblances qui se manifestent entre ces dernières résultent de tendances évolutives très diverses.
Le système nerveux est l’appareil qui permet l’analyse la plus fine des perfectionnements progressivement acquis par les Mollusques. La tête d’un Gastéropode contient des centres nerveux ganglionnaires qui se groupent autour de l’œsophage en un collier périœsophagien. Typiquement (fig. 4), ces centres consistent en une paire de ganglions cérébroïdes (gc) réunis par une commissure au-dessus de l’œsophage, une paire de ganglions sous-œsophagiens, ou pédieux (gp), liés l’un à l’autre par une commissure sous-œsophagienne et attachés latéralement aux ganglions cérébroïdes, et aussi à deux ganglions pleuraux (gpl), ou palléaux, qui, postérieurs aux cérébroïdes, leur sont unis par une paire de connectifs cérébro-pleuraux. De ces centres supérieurs part l’anse nerveuse viscérale sur laquelle se différencient certains ganglions. Il est à noter que chez les Gastéropodes la torsion a pour effet de déformer en 8 (streptoneurie) l’anse viscérale lorsqu’elle n’est pas trop réduite (euthyneurie). En comparant les formes primitives aux plus évoluées, par exemple dans le seul groupe des Gastéropodes, on observe deux tendances: la tendance à la céphalisation , par regroupement des ganglions dans le territoire céphalique, ce qui peut être le résultat du raccourcissement de l’anse viscérale; la tendance à la cérébralisation , c’est-à-dire à la coalescence et à la fusion des centres nerveux dans le même territoire.
Le caractère le plus primitif du système nerveux (Neopilina , Polyplacophores) est marqué par l’absence de concentrations de cellules nerveuses en ganglions. À l’opposé, le «cerveau» des Céphalopodes témoigne d’un très haut degré de céphalisation et de cérébralisation. Des stades intermédiaires de ces processus s’observent dans les autres classes de Mollusques.
Le perfectionnement des organes sensoriels a lieu dans le même sens que celui du système nerveux; c’est ainsi que les Céphalopodes sont dotés d’yeux comparables à ceux des Vertébrés supérieurs.
L’appareil digestif subit des variations considérables qui portent sur toutes ses parties. Les mâchoires, minces lamelles à l’origine, deviennent des armes redoutables chez les Céphalopodes. La radula, mince ruban garni de rangées de dents, archaïque chez beaucoup d’Aplacophores, se spécialise et comporte des dents de types très différents selon le régime alimentaire. L’estomac, faible dilatation du tube digestif chez les Polyplacophores, s’organise chez les Bivalves et les Gastéropodes microphages en un appareil de triage des particules alimentaires d’une remarquable efficacité. Il est notablement plus simple chez la plupart des carnivores. Quant à l’intestin, il est d’une telle longueur chez les Polyplacophores qu’il décrit plusieurs larges circonvolutions dans la cavité générale.
La respiration des Mollusques est assurée par des branchies logées dans la cavité palléale chez les espèces aquatiques, par un «poumon», cavité à plafond très vascularisé, chez les Gastéropodes Pulmonés terrestres. La cavité pulmonaire a vraisemblablement une origine distincte de la cavité palléale. Les branchies n’existent pas chez une partie des Aplacophores où la cavité palléale est vestigiale. Chez ceux qui en possèdent, elles émergent de la cavité anale. Les Polyplacophores en comptent jusqu’à quatre-vingts paires, ce qui ne semble pas être entièrement en rapport avec la métamérisation. Les Monoplacophores en possèdent cinq paires. Celles des Bivalves forment quatre larges lames branchiales. Plusieurs Gastéropodes inférieurs respirent par deux branchies mais, par suite de la torsion, une seule branchie subsiste dans les formes plus évoluées. Parmi les Céphalopodes, seul le nautile en possède deux paires; les autres n’en ont qu’une paire.
L’appareil circulatoire n’est pas clos, car entre les artères fournies par l’aorte et les voies de retour au cœur s’interposent, non des capillaires, mais des sinus et des lacunes. Des capillaires existent toutefois chez les Céphalopodes où le cœur a un ventricule et deux paires d’oreillettes (nautile), ou un ventricule et une seule paire d’oreillettes. Le cœur des autres Mollusques comprend un ventricule et une ou deux oreillettes; seuls les Monoplacophores ont un ventricule dédoublé et deux paires d’oreillettes.
L’appareil excréteur est représenté par cinq ou six paires de néphridies (Neopilina ), deux paires de reins (nautile), une seule paire, ou même un seul rein chez de nombreux Gastéropodes. Il semble en outre que les tubes néphridiens des Aplacophores aient acquis la fonction de gonoductes.
L’appareil reproducteur dérive, au moins pour ce qui concerne sa portion proximale, du complexe cœlomique qui englobe aussi le cœur avec son péricarde et les reins. Mais la disposition paire des gonades s’oblitère fréquemment, tandis que leurs ébauches s’isolent du péricarde par un repli transversal, en particulier chez les Bivalves et les Gastéropodes. Ce n’est que tardivement que les cellules primordiales apparaissent, vraisemblablement aux dépens de l’endomésoblaste, plutôt qu’à partir de l’épithélium cœlomique. Les gonades tubuleuses des Aplacophores évacuent les gamètes dans le péricarde par deux conduits gonopéricardiques. Ces produits sont rejetés à l’extérieur par deux gonoductes. Dans plusieurs autres classes, un seul conduit évacuateur relie la gonade à l’extérieur, au moins chez les formes unisexuées. Une disposition simple se voit chez les Archaeogastropodes qui rejettent leurs œufs en mer par l’orifice rénal droit; mais chez les Gastéropodes plus évolués (Mésogastropodes, Néogastropodes), à la portion rénale ou viscérale du tractus génital s’adjoint une portion palléale tubuleuse, à grand développement glandulaire.
Les Pulmonés et les Opisthobranches, souvent groupés en Euthyneures, sont hermaphrodites; leur gonade, ou ovotestis, débouche dans un conduit hermaphrodite qui se scinde en un spermiducte et un oviducte, conduits souvent fort complexes. Au tractus génital proprement dit s’ajoutent souvent des organes copulateurs, pénis, vagin, ainsi que des organes annexes, stylets, épines, écailles, ventouses.
L’hermaphrodisme n’est pas l’apanage des Gastéropodes Euthyneures; on le retrouve chez d’assez nombreux Bivalves et, sporadiquement, dans certaines autres classes. Chez les Céphalopodes, c’est l’un des bras du mâle, spécialisé en «hectocotyle», qui assure le transfert des spermatozoïdes, rassemblés dans des spermatophores, dans la cavité palléale de la femelle ou sur sa membrane buccale.
Le système glandulaire , fort développé chez tous les Mollusques, comporte surtout des glandes tégumentaires qui élaborent un abondant mucus et des formations glandulaires localisées, notamment les glandes hypobranchiales.
2. La coquille
Production
Par la coquille que leur manteau élabore, les Mollusques apparaissent comme des systèmes biologiques propres à convertir les sels calcaires dissous dans les eaux en des formations cristallines complexes, agencées en couches remarquablement organisées. Mais si l’on y voit en général les organismes qui se prêtent le mieux à l’abord du difficile problème de la calcification, force est de reconnaître que, malgré l’application des techniques de recherche les plus modernes, la genèse des coquilles reste encore bien mystérieuse.
Les premières études ont porté surtout sur les Bivalves. Chez ces animaux, les deux valves s’appliquent étroitement sur les larges lobes du manteau dont elles ne sont séparées que par un mince espace occupé par une faible quantité de «liquide extrapalléal».
Les valves s’agrandissent par tout leur bord libre, au fur et à mesure que le manteau s’accroît, grâce à l’activité des bords du manteau qui engendrent de nouvelles couches de substances calcifiées. Quant à l’accroissement en épaisseur, il résulte de l’activité de toute la face externe du manteau.
La face externe des valves est en totalité recouverte d’une sorte de vernis protecteur très résistant, le periostracum , qui est engendré en permanence par la partie profonde d’un sillon qui suit le bord du manteau sur toute sa longueur. La jonction du bord de la coquille au manteau étant ainsi assurée, le liquide extra-palléal se trouve dans un espace clos (fig. 5).
Du periostracum à la face interne de chaque valve se voient l’ostracum , ensemble d’une couche cristalline externe formée d’une lame à prismes perpendiculaires ou obliques à la surface et d’une couche plus profonde faite de lamelles entrecroisées, puis la couche cristalline interne, ou hypostracum , qui consiste en nacre ou en une substance porcelanée. Le calcaire de ces couches existe soit sous forme d’aragonite, parfois aussi sous forme de vatérite; les uns et les autres se trouvent sous forme de biocristaux de nature très particulière [cf. CARBONATES NATURELS].
L’architecture des couches cristallines laisse reconnaître quelques types structuraux: structure prismatique simple ou fibrillaire selon que les cristaux, entourés de leur fourreau de nature protéique, sont larges ou très étroits; structures feuilletées s’il s’agit de lames minces (nacre). Mais les éléments cristallins peuvent aussi s’entrecroiser de façon complexe, donnant lieu aux «structures entrecroisées».
Dans ces divers types de structure, on a coutume de considérer que les cristaux de calcite, d’aragonite sont engendrés par une «matrice organique» qui les entoure comme un fourreau et qu’ils s’empilent pour former des prismes. Cependant, selon Ranson (1968-1969), les productions cristallines réalisent des prismes construits sur un «substratum organique de conchyoline» qui diffère totalement de la substance des fourreaux qui, elle, est de nature périostracale. Ainsi, les prismes seraient des biocristaux complexes constitués de conchyoline calcifiée.
Calcification
La calcification fait intervenir trois phénomènes: la mobilisation des composants des cristaux, l’édification des cristaux sur une mince lamelle généralement nommée «matrice organique», l’agencement des cristaux en couches correspondant aux divers types structuraux.
Mobilisation des constituants des cristaux
Le calcium nécessaire à la formation de la coquille peut pénétrer directement dans le manteau des espèces aquatiques, ou en d’autres parties du corps et il est alors transféré pour une bonne part au manteau. Chez une espèce terrestre, on a reconnu récemment qu’un transport actif de calcium a lieu au travers de l’épithélium de la sole pédieuse. Plus récemment encore, il est apparu que des réserves de ce corps, se présentant sous la forme de granules calcifiés extra-cellulaires à structure concentrique multilamellaire, se localisent dans le tissu interstitiel. À ces granules s’associe la majeure partie de l’anhydrase carbonique du manteau. Cette enzyme catalyse la réaction d’hydratation ou de déshydratation du gaz carbonique dont l’origine est vraisemblablement multiple, comme du reste celle du bicarbonate, terme intermédiaire de la formation du carbonate.
Le manteau ne semble pas être le siège d’un transport actif du calcium; par contre, on peut mettre en évidence, et mesurer, entre sa face tournée vers la coquille et sa face interne, une différence de potentiel positive du côté de la coquille. Cette différence de potentiel résulte de la diffusion passive du calcium, et la membrane cellulaire la plus externe, face à la coquille, particulièrement perméable aux ions Ca++, se comporte comme une électrode à calcium.
Édification et agencement des cristaux
Comme l’indique K. M. Wilbur (1964), «les cristaux se développent à partir de noyaux submicroscopiques qui se forment par un processus connu comme «nucléation». Il n’est pas douteux que l’induction de cette nucléation soit en rapport très étroit avec la spécificité du support protéique, car celui-ci détermine manifestement la nature et le type des cristaux. Comme le montre la microscopie électronique, c’est en effet à partir de grains minuscules que les cristaux grossissent et s’assemblent. La couche prismatique consiste en fait (Ranson) en une superposition de lamelles organiques particulières qui se scindent localement au contact du liquide extra-palléal en «substance périostracale» formant le fourreau des prismes et en conchyoline qui intègre, selon des lois à découvrir, les composants calcaires pour former les prismes mixtes, «organo-calcaires». Les lamelles successivement élaborées par le manteau se superposent si exactement que les fourreaux des prismes coïncident d’une couche à la suivante; mais bien que formées successivement, et séparément, ces plaquettes se soudent si intimement que leur ensemble constitue une unité. Le prisme prend forme peu à peu.
Importance phylogénétique
Il est fort difficile de rendre compte de l’évolution des phylums d’après la structure de la coquille. On peut noter cependant que les coquilles à ostracum calcitique et hypostracum d’aragonite sont l’exception. La majeure partie des coquilles de Mollusques sont aragonitiques, et quelques formes seulement, surtout chez les Bivalves, ont une nature calcitique.
Dans les Polyplacophores, les Bivalves, les Gastéropodes, les Céphalopodes, la calcite apparaît secondairement dans l’évolution; c’est ce que l’on observe au sein de la majorité des familles, sauf dans quelques groupes (Solenacés, Mactracés, Tellinacés, Buccinacés) à constitution minéralogique stable. Dans l’ensemble l’évolution de la nature de la coquille apparaît parallèle à l’évolution des parties molles; mais chez les Gastéropodes en particulier, les rapports entre plusieurs groupes demeurent très confus. À titre d’exemple, les Gastéropodes Sténoglosses à coquille calcitique sont apparentés aux Cerithiacés les plus primitifs; or, les formes actuelles de ces derniers ont une coquille aragonitique. De même les Naticacés, Cypraeacés et Cérithiacés dérivent de Littorinomorphes dont les représentants actuels présentent déjà des traces de calcite.
3. Physiologie de la nutrition
Alimentation
Si la majorité des Mollusques disposent, pour capturer et absorber leur nourriture, d’un appareil radulaire hautement perfectionné, adapté de multiples façons au régime macrophagique et parfois même à la succion, c’est par des mécanismes ciliaires, cilio-muqueux, ou muqueux que les Bivalves, toujours dépourvus de radula, ainsi que maints Gastéropodes prélèvent dans le milieu aquatique les micro-organismes dont ils se nourrissent.
Bien des formes macrophagiques utilisent leur radula pour râper des végétaux ou des proies animales; le ruban radulaire, protracté au-delà de la bouche, se déforme de telle façon que les rangées de dents se dressent successivement pour attaquer les aliments et en détacher de menues particules qu’elles ramènent dans la cavité buccale.
Fines, très longues, les nombreuses dents des Archaeogastropodes fonctionnent plutôt comme des balais sur les fins revêtements d’algues unicellulaires («radula-balai»), tandis que celles des Sacoglosses forment une scie utilisée pour ouvrir les cellules des algues dont le contenu est ensuite aspiré. Les dents des cônes, véritables harpons en relation avec une glande venimeuse, paralysent à distance poissons et annélides. Les testacelles avalent les lombrics. L’appareil buccal devient suceur chez les Pyramidellidés et dans quelques groupes il permet le forage des valves de Lamellibranches. Quelques formes carnassières, dont les nasses, décèlent à distance la présence de proies. Les natices recherchent les Bivalves dans le sable. Plusieurs Gastéropodes, surtout Muricidés, peuvent ouvrir les valves par contraction soutenue de leur pied ou en cassant les bords à l’aide de leur propre coquille afin d’y introduire leur trompe.
Les pieuvres emprisonnent les crabes sous leur membrane brachiale; elles doivent aussi utiliser le venin que produisent leurs glandes salivaires postérieures; mais bien des Céphalopodes océaniques tuent leurs proies à l’aide de leurs puissantes mâchoires. Les Scaphopodes disposent pour explorer le sable vaseux de nombreux appendices filiformes, les captacules. La grande majorité des Polyplacophores râpent les algues, mais les Placiphorella capturent de petits crustacés en rabattant sur eux leur lobe céphalique qu’au repos ils maintiennent soulevé comme un piège.
Les Bivalves sont tous microphages; les micro-organismes du plancton introduits par le courant inhalant dans leur cavité palléale sont triés sur les branchies, transmis aux palpes, puis à la bouche, par des courants ciliaires orientés et efficaces.
La cténidie de certains Gastéropodes (fig. 6) se spécialise dans le même sens. Des micro-courants transmettent à la bouche les particules en suspension dans l’eau après filtration et enrobement dans du mucus. Certains Vermetidés produisent de longs filets muqueux sur lesquels adhèrent de petits organismes planctoniques qui sont ensuite absorbés.
Digestion
Primitivement en arrière de la cavité buccale, l’œsophage conduit à un estomac renflé, mais rétréci vers l’intestin en une portion allongée, dite «cæcum du stylet». La paroi de la partie renflée de l’estomac porte un fort épaississement cuticulaire local, le «bouclier gastrique», et elle est sculptée de plis et de sillons qui convergent vers un «sillon intestinal» bordé de deux replis, les typhlosoles. Les plis et sillons forment, grâce à leur ciliature, des aires de triage des particules alimentaires.
C’est dans la partie renflée que débouchent les conduits des diverticules digestifs, ensembles de tubules dans lesquels sont phagocytés les aliments. À quelques détails près, c’est ainsi que se présente l’estomac des Polyplacophores, des formes primitives de Gastéropodes et des Bivalves. Les micro-organismes, pris dans un cordon muqueux, subissent l’action des sucs digestifs contenus dans l’estomac et forment avec ce cordon une baguette fécale compacte, ou «protostyle», qui se déplace en tournant sous l’action des cils dans le cæcum du stylet.
Chez la majorité des Bivalves et certains Gastéropodes microphages, le cæcum du stylet s’isole de la poche stomacale et élabore un «stylet cristallin», longue baguette hyaline animée d’un continuel mouvement de rotation, qui bute sur le bouclier gastrique et contribue à brasser le contenu stomacal. Les particules alimentaires, triées, sont très fréquemment dirigées vers les diverticules digestifs pour y être phagocytées. Les Gastéropodes supérieurs, macrophages, ont un estomac plus simple où les aliments pénètrent sous forme particulaire parfois après avoir été malaxés dans un gésier à plaques masticatrices (Opisthobranches).
La digestion semble être plus largement extra-cellulaire chez les Polyplacophores, les formes primitives de Bivalves, de Gastéropodes, car dans l’estomac parviennent des enzymes sécrétées par les glandes salivaires, les glandes œsophagiennes, les diverticules digestifs, ce qui se produit même chez les Hélicidés. Les résidus de l’alimentation empruntent le sillon intestinal pour gagner l’intestin. Le pH du milieu stomacal est maintenu à une valeur assez basse par le cæcum du stylet. Une bonne trentaine d’enzymes ont été caractérisées dans le seul Helix . Il s’agit surtout, chez les herbivores, de carbohydrases, cellulases et chitinases, ces dernières étant souvent associées à une microfaune chitinolytique qui ne semble guère intervenir. Les protéases sont représentées surtout chez les carnivores. On a aussi reconnu des lipases chez quelques Gastéropodes et Bivalves. Le rôle d’amœbocytes dans la digestion semble certain, au moins dans plusieurs formes.
Plus complexe, l’appareil digestif des Céphalopodes présente souvent un gésier et un estomac recouverts d’une cuticule. Au tout début de l’intestin débouche un cæcum plus ou moins spiralé, à crêtes ciliées et sillons où aboutissent après fusion deux conduits venant d’un foie où est inclus un pancréas en rapport étroit avec le rein.
La digestion débute dans l’estomac; elle se poursuit dans le cæcum ou dans le foie; elle est extra-cellulaire, même dans le foie. Les enzymes en jeu proviennent de tout l’hépato-pancréas; ce sont surtout des carbohydrases, de la trypsine et des ferments de type cathepsine. Un cordon muqueux se forme dans le cæcum et gagne l’intestin. L’absorption des lipides a lieu dans le cæcum, souvent dans l’intestin.
Respiration
La respiration est branchiale chez la plupart des Mollusques aquatiques, moins souvent pulmonaire (Pulmonés) ou cutanée (certains Aplacophores et Opisthobranches, Scaphopodes). Les branchies consistent en longs «filaments» à ciliature définie; au travers de la mince paroi de ces filaments, solidaires les uns des autres et agencés en lames particulièrement étendues chez les Bivalves, a lieu l’hématose du sang. Les déplacements de l’eau respiratoire favorisent les échanges gazeux; ils sont dus soit aux cils branchiaux, soit, chez les Céphalopodes, aux puissantes contractions du manteau.
La cavité pulmonaire des Pulmonés subit de grandes variations de volume qui provoquent le renouvellement de l’air; son plafond porte de nombreux vaisseaux sanguins qui convergent vers le cœur; son plancher se soulève ou se déprime par relaxation ou contraction de la musculature. La respiration cutanée, seule possible dans les espèces dépourvues de toute formation branchiale ou pulmonaire, se produit très certainement aussi chez la plupart des Mollusques.
Circulation
Le cœur reçoit le sang hématosé provenant des branchies (fig. 6), du poumon, parfois aussi des reins, par des veines et le chasse dans l’aorte qui le répartit par des artères dans la région céphalique, le pied, la masse viscérale. Le sang circule alors dans des sinus et des lacunes ou dans des capillaires chez les Céphalopodes. Le cœur, rudimentaire chez les Scaphopodes et même absent chez certains Sacoglosses, consiste en un unique ventricule contractile (dédoublé chez Neopilina ) et en autant d’oreillettes qu’il y a de cténidies. Les cœurs branchiaux des Céphalopodes repoussent le sang venu des tissus vers les branchies. La circulation de l’hémolymphe dans le corps est pour une bonne part régie par les contractions musculaires.
L’origine des battements du cœur est de type myogénique, et l’on a reconnu que leur centre d’initiation (pacemaker ) se localise à la pointe du ventricule, de sorte que l’onde de contraction chemine en sens inverse du courant sanguin.
Le sang des Mollusques contient en général des amœbocytes et des éléments assez variés; chez certaines espèces existent des érythrocytes contenant de l’hémoglobine; ces cellules peuvent s’agglutiner de façon réversible. L’hémoglobine est dite vasculaire lorsqu’elle existe dans l’hémolymphe et tissulaire lorsqu’elle se reconnaît dans les tissus (myoglobine des muscles et cartilages buccaux). Les hémocyanines sont d’autres pigments transporteurs d’oxygène; elles sont toujours en solution dans l’hémolymphe. Elles consistent en complexes cupro-protéiques qui fixent une molécule d’oxygène par paire d’atomes de cuivre. Elles ne contiennent ni hème ni autre groupement prosthétique, le cuivre étant rattaché directement à la fraction protéique.
Excrétion
Les reins sont les principaux organes d’excrétion des Mollusques; ils extraient du milieu intérieur les produits toxiques ou en excès résultant du métabolisme, mais retiennent les substances utiles. Ils comprennent une portion glandulaire et un uretère. La portion glandulaire, d’origine cœlomique, conserve souvent des relations avec les gonades et elle communique avec le péricarde par un conduit réno-péricardique. Beaucoup de Gastéropodes n’ont qu’un rein par suite de la torsion.
Trois phénomènes sont à l’origine de la production de l’urine: il y a filtration de l’hémolymphe en général à travers la paroi péricardique où existent parfois des glandes péricardiques; à partir du liquide péricardique qui pénètre dans le rein se produit une réabsorption d’eau (surtout chez les Pulmonés terrestres), de sels, de glucose; l’uretère participe à ces phénomènes, et c’est à son niveau que s’opère la régulation osmotique; le rein est aussi le siège d’une sécrétion active. Les cellules rénales des Pulmonés terrestres sélectionnent les produits de déchet de l’hémolymphe et les agglomèrent pour construire des concrétions uriques centrées par un ou plusieurs noyaux d’urate de calcium. Le rôle du péricarde dans l’élaboration de l’urine serait ici plus réduit que dans les espèces aquatiques, car l’ultrafiltration de l’hémolymphe semble se produire dans le sac rénal.
La glande digestive ainsi que diverses cellules du conjonctif, parfois aussi des glandes particulières, jouissent également de propriétés excrétrices.
4. Reproduction et embryogenèse
Sexualité
Il serait difficile de trouver dans un autre groupe zoologique autant de variété dans l’expression de la sexualité que chez les Mollusques. Le gonochorisme est fréquent; s’il comporte quelques exceptions chez les Polyplacophores, les Gastéropodes Prosobranches, il est exclusif chez les Scaphopodes, les Céphalopodes.
Le dimorphisme sexuel, discret ou invisible en général, s’accentue chez l’argonaute où le mâle demeure fort réduit par rapport à la femelle; mais on a décrit aussi des mâles pygmées chez plusieurs Prosobranches parasites.
Une partie des Aplacophores (Néoméniens) sont hermaphrodites, de même qu’un certain nombre de Bivalves et, parmi les Gastéropodes, les Pulmonés et les Opisthobranches.
L’hermaphrodisme, fréquemment protandrique, n’affecte pas toujours l’ensemble d’une population, car à côté de mâles et de femelles authentiques vivent des individus dont le sexe, labile, change une ou plusieurs fois au cours de l’existence (tarets, certaines huîtres). L’autofécondation se constate chez certains Pulmonés; la parthénogenèse, reconnue dans un petit nombre de Prosobranches, serait assez fréquente chez une lymnée (Pulmoné).
Gamètes
Les spermatozoïdes des Polyplacophores, des Solénogastres, des Bivalves, des Scaphopodes, à tête courte, arrondie, et pièce intermédiaire réduite à quatre ou cinq sphérules mitochondriales s’apparentent au type considéré comme primitif chez les Métazoaires. Ce même type se retrouve chez les Archaeogastropodes, mais chez tous les autres Gastéropodes on observe une évolution portant surtout sur la pièce intermédiaire qui s’allonge en un long cylindre. Ce profond changement concorde avec l’apparition de la fécondation interne.
Dans les deux groupes des Pulmonés et des Opisthobranches, le noyau, allongé, devient hélicoïdal (cas de l’aplysie), de même que le cordon mitochondrial. Quant aux spermatozoïdes des Céphalopodes, ils appartiennent à deux types bien modifiés.
Une double spermatogenèse, aboutissant à des spermatozoïdes dits typiques et atypiques, est observée chez de nombreux Prosobranches. Les éléments atypiques, parfois dépourvus de chromatine, deviennent parfois gigantesques (Ianthina , Scalaria ): ce sont les spermatozeugmata sur lesquels se fixent en grand nombre les éléments typiques. Ces productions mobiles pourvoient au transport des gamètes mâles.
Les ovocytes, petits dans les groupes inférieurs, se chargent plus ou moins de vitellus dans les groupes supérieurs de Prosobranches et surtout chez certains Céphalopodes. L’œuf de l’élédone mesure de 8 à 15 mm; celui du nautile, de 40 à 50 mm.
Fécondation et ponte
La fécondation des Polyplacophores, des Bivalves, des Archaeogastropodes et des Scaphopodes a lieu en mer, après émission des gamètes, phénomène souvent déclenché dans les deux sexes par des gamones (androgamones, gynogamones). Il arrive cependant que dans les deux premiers groupes les œufs soient fécondés dans la cavité branchiale (quelques Bivalves, des Polyplacophores) par suite de l’introduction de spermatozoïdes avec le courant inhalant. C’est dans de telles conditions que se réalise l’incubation (huître plate). Ailleurs, les ovules sont libérés en quantités parfois prodigieuses: 100 millions (tarets) et même 110 à 115 millions (huître américaine).
L’accouplement des Gastéropodes consiste en une copulation typique dans les formes gonochoriques, mais celui des Euthyneures, hermaphrodites, est très souvent réciproque, simultané ou successif. Les modalités en sont fort variées; ainsi les aplysies s’accouplent en chaînes de plusieurs individus. Des préludes complexes ou prolongés s’observent chez les Pulmonés (escargots, limaces) et chez ceux des Céphalopodes dont le comportement de reproduction est connu.
Si l’on excepte le cas des œufs qui, fécondés en mer, s’intègrent aux autres constituants du plancton, il apparaît que la majeure partie des Mollusques déposent leurs œufs après les avoir enrobés dans une enveloppe protectrice molle, consistante, ou encore très résistante. Les œufs de quelques Polyplacophores sont abandonnés par petits groupes sur des roches; ceux des cérithes, des lymnées, sont inclus dans un court cordon de consistance gélatineuse. Les cordons ovigères des aplysies, repliés en tous sens, atteignent une vingtaine de mètres de long et libèrent une multitude de larves. Les Nudibranches fixent aux roches de fins cordons ovigères spiralés, ou des rubans plats, onduleux. Les Prosobranches supérieurs élaborent dans la partie distale de leur tractus génital, autour des œufs, des oothèques de nature scléroprotéique qui, transportées à la glande pédieuse, y pénètrent avant d’être fixées. Les grappes d’œufs attachées aux parois des cavités rocheuses par les pieuvres reçoivent des soins de la part de la mère; mais les seiches abandonnent sur les algues leurs gros œufs bien protégés par une coque résistante noirâtre («raisin de mer»).
Enfin, c’est en terre que sont pondus les œufs des formes terrestres.
Dans les oothèques des Prosobranches, les œufs évoluent au sein d’un liquide de nature protéique. S’ils sont peu chargés en vitellus, la durée de la vie intracapsulaire est brève (larves planctotrophes); l’éclosion a lieu au stade véligère. Ce stade est escamoté dans les larves «lécithotrophes» issues d’œufs riches en vitellus qui éclosent sous la forme de Mollusques rampants.
Développement
Les Mollusques ont en commun avec les Annélides deux caractères d’une très haute signification qui, en fait, sont presque les seuls indices permettant de les apparenter à un autre groupe zoologique: ce sont la segmentation de l’œuf qui s’effectue selon le type spiral , et la larve trochophore qui en résulte, au moins dans les groupes dits inférieurs (fig. 7).
L’œuf, sphérique en général, est le plus souvent à symétrie radiaire; mais, dans les Céphalopodes, où la segmentation se déroule selon le mode discoïdal méroblastique, le premier sillon de segmentation concorde avec le plan médian du futur disque germinatif [cf. EMBRYOLOGIE ANIMALE].
Selon la richesse de l’œuf en vitellus, la segmentation aboutit à une cœloblastule à cavité de segmentation plus ou moins vaste (Polyplacophores, Bivalves d’eau douce, patelle, limace), à une placule (littorine, Cyclostome), à une sterroblastule et, chez les Céphalopodes, à une discoblastule. La gastrulation a lieu par embolie (chitons) ou par épibolie; après la mise en place des feuillets, les bandes mésodermiques se creusent de cavités cœlomiques.
Le développement larvaire débute par un stade trochophore caractérisé seulement chez les Aplacophores, les Polyplacophores, les Lamellibranches, les Scaphopodes, les Archaeogastropodes; mais, par condensation embryogénique, ce stade est fréquemment remplacé par la véligère, larve à coquille dorsale, dotée d’un pied, éventuellement d’une tête, chez laquelle le prototroche s’est transformé en larges expansions à bords ciliés, creusés d’une gouttière, formant le vélum (fig. 8), important organe à fonctions locomotrices et nourricières. Le vélum disparaît lors de la métamorphose ainsi que le cœur larvaire et les reins larvaires.
Les Bivalves d’eau douce produisent des larves très particulières (glochidium, lasidium) dont le développement doit s’effectuer sur les branchies de Poissons. Les larves des Céphalopodes passent par plusieurs stades caractéristiques.
La coquille prend naissance précocement au niveau d’une glande coquillière dorsale bordée d’un épaississement ectodermique, sous la forme d’une mince lamelle qui, en se plissant, devient double chez les Bivalves. La trochophore des Polyplacophores s’allonge beaucoup avant de se métamorphoser.
Le passage de la vie larvaire à la phase postlarvaire, très graduée dans les espèces lécithotrophes à vie pélagique brève ou nulle, prend le caractère d’une métamorphose parfois spectaculaire dans beaucoup de formes méroplanctoniques et surtout holoplanctoniques (Hétéropodes); en peu de temps, les grands traits de l’organisation se discernent. Par contre l’organogenèse reste longtemps obscure lorsqu’il s’agit de formes embryonnaires à forte surcharge en vitellus. Le tube digestif et ses glandes annexes s’édifient très lentement. Ce retard s’accentue considérablement chez beaucoup de Prosobranches dits adelphophagiques dont les oothèques contiennent, outre des œufs normaux, des œufs abortifs que les larves ingurgitent.
La larve des Céphalopodes résulte du recouvrement de toute la masse vitelline par l’extension du disque germinatif. Un sillon délimite l’embryon proprement dit de cette dernière qui devient le sac vitellin externe. Une large zone antérieure du disque germinatif se transforme en ébauche de la tête, puis, en arrière d’elle et sur ses côtés, deux replis semi-lunaires se soulèvent puis se découpent en protubérances destinées à devenir les bras. La coquille, les yeux, l’entonnoir, les branchies se forment de façon complexe et c’est avec un long retard que l’appareil digestif se constitue.
5. Comportement
C’est dans des biotopes de tous types que les Mollusques vivent, s’accroissent, prolifèrent et se protègent contre maints dangers dus aux modifications du milieu ou à la présence fréquente de prédateurs.
Réponses aux stimulations extérieures
De tous les animaux du groupe, les Céphalopodes sont de loin ceux qui ont atteint le plus haut degré de perfection, mais, en fait, il existe chez les autres Mollusques une gamme étendue de récepteurs sensoriels dont la fonction n’est pas toujours connue avec précision.
D’une façon générale, ces animaux évitent la lumière et sont plus actifs de nuit que de jour; cependant certaines formes, pourvues ou dépourvues d’yeux, s’orientent par rapport au soleil. Des Bivalves (Macoma ), affleurant sous le sable, se déplacent vers le soleil puis, comme s’il se produisait une inversion de la phototaxie, ils opèrent un virage et se meuvent dans la direction opposée.
L’activité des Mollusques est étroitement liée à la température; elle cesse pour des valeurs voisines de 0 0C et de 45 0C. Entre ces extrêmes, elle varie assez régulièrement et passe par un maximum dans une zone thermique optimale. Mais ces animaux sont sensibles à des variations de l’ordre de 0,1 0C par heure et ce sont souvent ces variations qui déclenchent ou interrompent l’activité. Ainsi sur terre, entre 4 et 20 0C, l’activité d’Agriolimax est induite par abaissement même très faible de la température, alors qu’elle est supprimée par élévation de la température. L’inverse se produit entre 20 et 30 0C. Les formes terrestres ne sont actives qu’après une pluie ou une forte rosée, car une certaine hydratation du substrat est nécessaire à la locomotion. Dans le cas de la pluie, le stimulus serait l’impact des gouttes de pluie sur l’animal ou sa coquille.
Dans le milieu aquatique, l’appauvrissement de l’eau en oxygène conduit à l’inanition, sauf pour les Pulmonés qui doivent monter périodiquement en surface pour renouveler l’air de leur cavité pulmonaire. Quand à l’aptitude des Mollusques à supporter les variations de la salinité, elle est relativement faible, bien que le nombre des espèces euryhalines soit assez grand.
Dans la zone des marées, les Mollusques subissent chaque jour une exondation d’autant plus longue qu’ils se situent à de plus hauts niveaux. Pour se soustraire à l’ardeur du soleil, au vent, ils ferment leurs valves, ou leur opercule, gagnent la face inférieure des pierres, les crevasses ou, s’ils ne sont pas dans des cuvettes, s’enfoncent dans le sable ou la vase. Sur les plages exposées, les Bivalves s’accommodent de la turbidité de l’eau en maintenant leurs valves presque closes et en filtrant l’eau à l’aide des papilles qui garnissent le bord de leurs orifices inhalants.
Cycles d’activité. Rythmes exogènes et endogènes
L’organisme des Mollusques est particulièrement sensible aux changements saisonniers; mais il est aussi le siège de phénomènes rythmiques en rapport avec les marées, l’alternance du jour et de la nuit, parfois même avec les lunaisons. Le muscle adducteur des Bivalves montre une alternance de phases d’activité et de repos. La phase d’activité commande la phase active de la filtration et par voie de conséquence celle de l’alimentation, au cours de laquelle se déroulent des phénomènes cycliques tels que profonds changements cytologiques des cellules des diverticules digestifs, dissolution du stylet cristallin, élévation du pH du liquide stomacal qui, chez le Bivalve Dreissena , passe de 6,8 à 8,2 (B. Morton, 1969). Il s’agit là d’un système circadien, la phase active, d’une durée approximative de douze heures, ayant lieu la nuit. Par contre, le rythme d’adduction de l’anodonte, maintenu par des influx originaires des ganglions cérébraux, montre un nombre très variable de phases d’activité au cours d’une semaine et ne peut être attribué aux seuls facteurs d’environnement. Les rythmes d’activité de l’adducteur se modifient selon les périodes d’éclairement et d’obscurité.
Les marées induisent aussi des processus physiologiques cycliques. Des patelles, des littorines se déplacent avec le niveau de l’eau. L’oncidie, inactive à mer haute, se déplace beaucoup et devient très active à basse mer. En accord avec la périodicité lunaire, d’autres cycles semblent évidents; la ponte des Polyplacophores, par exemple, débute à la pleine lune.
Enfin, les saisons, lorsqu’elles sont contrastées, introduisent des changements considérables dans l’activité des Mollusques. Au cours de l’hibernation, les Pulmonés, retirés dans leur coquille après avoir sécrété un épiphragme de mucus calcifié perméable aux gaz et s’être mis à l’abri sous des pierres ou dans des cavités, subissent un engourdissement total. L’estivation se produit d’une façon analogue au cours des étés très chauds. Le réveil peut survenir au cours d’un hiver doux ou, en été, après une pluie. Au cours de l’engourdissement se produit une perte d’eau très importante, tandis que les produits d’excrétion se condensent en concrétions dans la glande digestive et le rein. Entre l’animal et l’épiphragme subsiste un espace qui grandit du fait de la rétraction progressive de l’animal dans sa coquille, mais celui-ci peut former successivement de nouveaux épiphragmes.
Les Gastéropodes clôturent leur coquille par un opercule; mais parfois dans la coquille même est ménagé un orifice, simple entonnoir, ou tubule, qui permet à l’air de parvenir jusqu’à l’animal.
Les périodes de ponte coïncident souvent avec les saisons. Le printemps est marqué par la ponte de très nombreuses espèces dont certaines pondent à nouveau quelques mois plus tard. La ponte a lieu parfois en hiver; les pourpres pondent toute l’année.
Rapports avec les autres animaux
Nombreux sont les Mollusques qui consomment d’autres Mollusques; mais ils sont recherchés activement par des Astéries, des Poissons, des Batraciens, des Oiseaux. Les Bivalves perçoivent à courte distance les sécrétions que produisent les Astéries et fuient devant elles; ils échappent, comme les Pecten ou les Lima , à ces prédateurs en fermant et en ouvrant très vite leurs valves de façon à produire un puissant jet d’eau qui les soulève et les propulse à de bonnes distances. Ils effectuent ainsi une sorte de nage rapide. Les mactres, les Cardium et bien d’autres utilisent pour fuir leur très long pied qu’ils rendent turgescent et, après l’avoir recourbé sous leur corps, ils le détendent brusquement. Par sauts successifs, ils se déplacent de plus d’un mètre. C’est parfois de la même façon que les mactres échappent aux natices.
Le camouflage relève des moyens naturels de protection dans bien des cas. Sur terre, les Mollusques à coquille brillamment colorée sont consommés en plus grand nombre par les Oiseaux que les formes dont la coquille est plus discrète. Mais le camouflage des pieuvres, qui s’adaptent aux milieux les plus divers grâce à de multiples changements de la forme et des couleurs, met en jeu des mécanismes nerveux fort perfectionnés où interviennent les centres cérébraux.
La stimulation d’une pieuvre évoque en elle un aspect préprogrammé qui, en fonction de l’information perçue, guide le choix du circuit neuronal qui, parmi toutes les livrées possibles, réalisera celle qui sera la plus conforme à la situation du moment. Les changements de forme portent surtout sur la disposition des bras et la posture; les changements de coloration résultent de la contraction et de la dilatation des chromatophores, petites poches tégumentaires déformables sous l’action de muscles, qui contiennent des grains de pigment de différentes couleurs.
L’expulsion de l’encre (Céphalopodes), de la pourpre (Gastéropodes), substances qui s’étalent en un nuage opaque entre le prédateur et la proie convoitée, est un autre aspect du camouflage.
Beaucoup d’Opisthobranches élaborent des «sécrétions défensives» dont le pH peut s’abaisser jusqu’à 1 ou 2, qui les rendent invulnérables. Ils sont bien vite rejetés par les Poissons qui, attirés par leurs belles colorations, tentent de les ingurgiter. D’autres, qui broutent des Cœlentérés, en conservent les nématocystes à l’extrémité de leurs papilles, dans des «sacs à nématocystes», et deviennent eux-mêmes urticants.
Plusieurs Prosobranches marins, surpris, autotomisent une partie de leur pied. La section a toujours lieu au même emplacement.
Entre quelques Mollusques et d’autres organismes s’établissent des relations temporaires ou permanentes qui vont du simple commensalisme à l’inquilinisme et au parasitisme le plus prononcé. Les tridacnes, ou bénitiers, hébergent dans leurs tissus palléaux une multitude de Zooxanthelles, algues unicellulaires qui les colorent vivement. L’association serait bénéfique pour les deux parties; mais finalement les Zooxanthelles doivent représenter un apport alimentaire pour les tridacnes.
L’adaptation de certaines familles de Gastéropodes au parasitisme comporte selon les cas la spécialisation ou la régression de l’appareil buccal, puis la fixation à l’extérieur ou à l’intérieur d’un hôte. Le parasitisme s’accompagne d’une simplification de l’organisation dont les termes ultimes se trouvent dans les endoparasites d’Échinodermes (Entoconcha , Enteroxenos , Parenteroxenos ).
Mémoire. Apprentissage
Les patelles sédentaires sur les rochers effectuent quelques déplacements, puis regagnent leur gîte. Ce homing témoigne d’une certaine mémoire. Mais de tous les Mollusques les pieuvres sont les plus aptes à opérer une distinction entre divers objets et à en conserver le souvenir. On peut en effet présenter à des pieuvres des objets différant par leur forme, leur texture, leur couleur ou leur poids, puis les récompenser par de la nourriture lorsqu’elles saisissent certains d’entre eux, ou les punir par un choc électrique en cas d’erreur. Elles s’accoutument à cet apprentissage dont elles conservent la mémoire pendant plusieurs semaines.
Elles apprennent à faire une distinction entre des rectangles placés verticalement ou horizontalement, entre des carrés et des cercles, des figures «ouvertes» (T, X) ou fermées (cercles, ellipses), des figures noires ou blanches; mais elles ne semblent pas reconnaître le vert, le jaune, le rouge, le bleu.
Elles distinguent des cylindres dont la surface est creusée de sillons plus ou moins espacés; mais si elles ne confondent pas un cube avec une sphère, c’est parce que le contact des sommets du cube avec les ventouses produit une déformation de la zone où sont localisés les mécanorécepteurs. Cette même zone contient aussi des chémorécepteurs fort sensibles. Les pieuvres ne distinguent pas deux objets qui ne diffèrent que par le poids.
Encyclopédie Universelle. 2012.