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NICOTINE
NICOTINE

Lorsqu’en 1492 Christophe Colomb et ses marins découvrent l’Amérique, ils trouvent dans l’île de San Salvador des hommes qui portent à leur bouche une certaine herbe qu’ils allument avec un tison pour se régaler de son parfum; ce sont sans doute les premiers fumeurs de cigare. Les conquérants rapportent en Europe des échantillons de l’herbe appelée «tabaco», du nom de la canne dont les Indiens des Caraïbes se servaient pour fumer. Environ soixante-dix ans après, Jean Nicot constate que le jus de tabac agit comme onguent miraculeux sur les ulcères, écrouelles ou blessures.

La production d’une huile vénéneuse par distillation sèche des feuilles de tabac est mentionnée dans la chimie de Lemery (1696), alors que le médecin florentin D. Brogiani parle en 1752 de l’Oleum tabaci , poison violent tuant les animaux en quelques minutes. Il faut attendre le début du XIXe siècle pour que N. Vauquelin (1809) signale la présence d’un principe âcre et volatil, isolé à l’état pur en 1823 par W. Posselt et L. Reinmann. Ce principe, nommé nicotine, est reconnu comme appartenant à la grande famille chimique des alcaloïdes. Sa constitution fut ensuite établie par voie analytique par A. Pinner et F. Blau et sa synthèse réalisée par A. Pictet, E. Späth et L. C. Craig.

On trouve la nicotine dans les principales espèces de Solanées appelées couramment tabac, telles que Nicotiana rustica, N. petunioïdes, N. phydella, N. glauca . Dans le tabac non fermenté, elle existerait, selon N. A. Barbieri, sous forme d’un glucoside azoté, acide, de saveur caustique et irritante, la tabacine, qui, décomposée par les alcalis à chaud, donne de l’ammoniaque et de la nicotine.

Si la nicotine, toxique très violent, reste étroitement liée à tous les phénomènes se rattachant à la consommation du tabac, il faut rappeler qu’elle tient une place historique en toxicologie, non seulement par des affaires criminelles célèbres, mais aussi parce que la mise au point de sa technique de recherche dans les viscères conduisit le chimiste belge J. Stas à élaborer une technique générale de recherche des toxiques organiques dans les milieux biologiques, à l’occasion de l’affaire Bocarmé (1851).

Sous forme de jus, d’extraits de tabac, ou de poudres nicotinées, elle est utilisée comme insecticide en phytopharmacie, en raison de sa haute toxicité pour les parasites des végétaux.

Synthèse, extraction, propriétés physiques et chimiques

La formule brute de la nicotine est C10H142 (poids moléculaire: 162,125). La formule développée correspond à l’ 見-pyridyl- 廓-N-méthylpyrrolidine.

La synthèse utilise comme matière première l’amide nicotinique, apportant le noyau pyridyl transformé ensuite en amine correspondante. Par mélange avec l’acide mucique et distillation sèche, il y a décarboxylation, déshydratation et cyclisation de l’acide mucique; ces réactions conduisent à la formation, au niveau de l’azote aminé, du noyau pyrrol qui est ensuite hydrogéné.

Le tabac contient 0,1 à 8 p. 100, le plus souvent 2 à 3 p. 100, de nicotine associée à des alcaloïdes voisins tels que la nornicotine, alcaloïde dérivant de la nicotine par perte du groupe méthyl fixé sur l’un des deux atomes d’azote; les tabacs de La Havane seraient les plus riches.

L’extraction de cet alcaloïde est effectuée par lavage du tabac à l’eau, alcalinisation par la lessive de soude et traitement par l’éther. Le solvant, additionné d’acide sulfurique dilué, restitue le sulfate de nicotine à la phase aqueuse. Les feuilles de tabac peuvent également être épuisées par de l’eau faiblement sulfurique. La nicotine est séparée par entraînement à la vapeur d’eau, après alcalinisation par le bicarbonate de sodium.

La tension de vapeur assez grande de la nicotine, même à température ordinaire, lui permet, d’une part, d’être un insecticide fumigant actif, d’autre part, de pénétrer par la voie pulmonaire. Elle est soluble dans l’eau, les solvants organiques, les huiles et les graisses; sa liposolubilité lui confère la redoutable propriété de traverser la barrière cutanée.

Lors de la combustion, une certaine fraction de la nicotine est altérée sous l’action de la chaleur, une fraction beaucoup plus importante passe dans la fumée en raison du caractère volatil de l’alcaloïde, mais la plus grande part est retenue sur le tabac non consommé, d’où l’intérêt de rejeter les dernières portions de la cigarette. Finalement, la quantité de nicotine que véhicule la fumée d’une cigarette de tabac brun est de l’ordre de 2 mg. La pyrolyse de la nicotine à 700-750 0C conduit à la nornicotine, par déméthylation, et à la nicotyrine, par déshydrogénation.

Au contact de l’air et sous l’influence des rayonnements ultraviolets, la nicotine, liquide incolore et de consistance huileuse, donne des produits d’oxydation jaunes, parmi lesquels on a caractérisé des nicotinates et des mélonates de nicotine et de méthylammonium.

Base divalente, formant des sels difficilement cristallisables, peu stables, solubles dans l’eau et dans l’alcool, elle précipite avec presque tous les réactifs généraux des alcaloïdes: le réactif de Bouchardat (iode ioduré), l’iodomercurate de potassium, l’acide phosphomolybdique. En milieu éthéré elle se combine à l’iode, en donnant naissance à des aiguilles transparentes de couleur rouge-rubis (cristaux de Roussin). La réaction colorée de Koenig est positive avec la nicotine: le noyau pyridinique se condense avec le bromure de cyanogène et forme un dérivé coloré avec une base aminée aromatique telle que la benzidine.

Pour sa détection, on utilise la détermination de son spectre en lumière U.V. (maximum à 260 nm) ou la mesure de son indice de rétention en chromatographie gaz-liquide.

Métabolisme

Facilement absorbée par toutes les muqueuses, la nicotine se répartit dans les différents tissus de l’organisme mais, en raison de sa liposolubilité, elle se concentre dans certains organes ou systèmes riches en lipides: système nerveux central, foie, corticosurrénale... Elle est transformée, notamment au niveau des microsomes du foie, en un mélange de composés pyridiniques éliminés principalement par voie rénale, tels que la nornicotine, la nicotyrine pratiquement non toxique, et la cotinine, dérivé cétonique toxique.

Elle interfère avec les catécholamines, en augmentant dans un premier temps la sécrétion adrénocorticale. Elle modifie les stocks de sérotonine, surtout au niveau intestinal, inhibe la synthèse de l’histamine et aurait un effet dépresseur sur la synthèse protéique. Ces deux derniers effets auraient de lourdes conséquences au niveau pulmonaire.

Propriétés pharmacodynamiques

La nicotine est très toxique; une ou deux gouttes sur la langue ou l’œil d’un chien déterminent la mort immédiate.

Sur l’intestin, le système nerveux central, les sécrétions et les muscles, ses actions sont complexes et généralement biphasiques: excitantes d’abord, paralysantes ensuite. Sur le système cardiovasculaire, elle provoque d’abord une hypotension avec bradycardie, par excitation des ganglions parasympathiques, puis une hypertension avec tachycardie, par excitation de ganglions sympathiques. On observe une violente polypnée suivie d’apnée, par stimulation des chimio-récepteurs sinocarotidiens.

L’administration de fortes doses déclenche une véritable curarisation. Dans ces conditions, J. N. Langley a montré que l’action de la nicotine est analogue à celle des substances ganglioplégiques; en effet, elle empêche l’acétylcholine de se fixer sur le récepteur de la cellule nerveuse; son mécanisme d’action est comparable à celui de la d-tubocurarine, principal alcaloïde du curare, au niveau de la jonction neuromusculaire.

Toutefois, ces propriétés pharmacodynamiques ne peuvent être utilisées en thérapeutique, en raison de la toxicité de la nicotine; elles expliquent néanmoins les symptômes observés lors d’une intoxication aiguë par la nicotine.

Intoxication par la nicotine

L’absorption, par voie orale, de doses suffisamment élevées entraîne des sensations de brûlure, violentes et aiguës, dues à sa causticité, ainsi que des nausées, des vomissements, des diarrhées, des sensations de suffocation et d’angoisse, des contractions d’origine centrale.

L’excitation centrale de type strychnique est très importante. On observe ensuite une paralysie, des céphalées violentes, des vertiges, des troubles des organes des sens. La lucidité semble conservée au milieu du délire, bien que l’on puisse enregistrer des changements brutaux d’activité de l’électro-encéphalogramme. La dilatation de la pupille est constante. La dépression centrale s’accompagne d’asthénie stuporale, d’angoisse et de périodes asphyxiques. Le rythme ventilatoire de Cheyne-Stokes peut apparaître. On remarque surtout l’hypertension avec tachycardie.

En cas d’intoxication aiguë par ingestion, le lavage d’estomac est évidemment indiqué [cf. INTOXICATIONS] On l’effectuera avec une solution de Lugol dilué ou de tanin, de manière à précipiter l’alcaloïde. Mais, quelle que soit la voie d’introduction, la respiration artificielle avec oxygénothérapie doit être instituée le plus rapidement possible, pour lutter contre le ralentissement de la respiration pouvant conduire à l’asphyxie. On pourra associer à ce traitement les inhalations de carbogène (mélange gazeux contenant 5 p. 100 de gaz carbonique dans l’air) et les cardiotoniques habituels (caféine, camphre, nicéthamide...). Contre les conséquences de la décharge adrénalinique provoquée par la nicotine dans la première phase de son action et en particulier contre l’hypertension, R. Hazard conseille l’administration de procaïne, substance qui possède des propriétés ganglioplégiques.

Les phénomènes d’intoxication chronique sont à rapprocher du tabagisme. Lors de la consommation du tabac par le fumeur, surtout si le sujet inhale la fumée, l’alcaloïde agit sur les muqueuses des voies aériennes supérieures et, en raison de son caractère caustique, peut, si la dose est suffisante et souvent répétée, provoquer une irritation laryngée se traduisant par la toux matinale classique des grands fumeurs. Parvenant, grâce à sa volatilité, jusqu’au niveau de l’épithélium pulmonaire, la nicotine passe dans le sang et l’urine. Elle se fixe sur le système nerveux central, et peut être à l’origine, chez les grands fumeurs, de divers symptômes, d’ailleurs non constants, tels que des vertiges et surtout une diminution de la mémoire et des réflexes conditionnés. En outre, son action excitante du système nerveux sympathique, jointe à ses effets stimulants sur la médullosurrénale conduisant à une libération d’adrénaline, entraîne, par à-coups chez les fumeurs une élévation du rythme cardiaque et une montée de la tension artérielle; ces troubles tendent à augmenter le travail du cœur et peuvent avoir de ce fait des effets défavorables, particulièrement chez les sujets atteints de maladies cardiovasculaires. Il est généralement admis, pour la même raison, que l’abus du tabac provoque, ou tout du moins favorise, les maladies coronariennes.

Le rôle cancérigène du tabac a été confirmé; le risque est proportionnel au nombre de cigarettes fumées par jour et à la durée pendant laquelle on a fumé. La fumée de tabac contient des substances cancérogènes et des produits irritants pour les muqueuses, provoquant des dégénérescences cancéreuses. Non seulement la nicotine est toxique mais elle entraîne une dépendance rendant ainsi utile l’usage des «patch nicotine» lors du sevrage. L’adjonction de filtre aux cigarettes tente de pallier les effets nocifs pour l’usager; mais cela laisse entier le problème du «tabagisme passif». Il a été démontré en effet que la nicotine peut, à cause des oligo-éléments présents dans la cendre de tabac, donner naissance à des composés à cycles polycondensés cancérigènes qui sont cause de pollution dangereuse en atmosphère confinée.

Pour lutter contre les effets toxiques de la nicotine chez les fumeurs, on a préconisé la réalisation de tabacs dénicotinisés. Mais si l’on rappelle que, d’une part, c’est précisément en raison du pouvoir excitant et euphorisant de la nicotine que le tabac est recherché par les vrais fumeurs, d’autre part, qu’aucun produit de remplacement acceptable n’a été trouvé jusqu’ici, on comprend qu’une telle solution, appliquée en France pour la fabrication de certains types de cigarettes, ne puisse avoir qu’une efficacité limitée. Une voie préférable consiste à effectuer la sélection génétique d’espèces de Solanées renfermant un taux minimal de nicotine. Elle a conduit à abaisser de 3 à 1,5 p. 100 les taux moyens de nicotine dans les tabacs français. Enfin, considérant que la nornicotine conserve les propriétés pharmacodynamiques de son précurseur tout en possédant une toxicité moindre, il est également intéressant d’envisager la sélection génétique d’espèces de tabac où la nornicotine constitue l’alcaloïde prépondérant.

nicotine [ nikɔtin ] n. f.
• 1818; du rad. de nicotiane (1570), ou herba nicotiana, herbe à Nicot « tabac »
Alcaloïde (C10H14N2) du tabac, liquide huileux, incolore, très soluble dans l'eau et violent excitant du système neurovégétatif. « Demande à un fumeur que la nicotine empoisonne s'il peut renoncer à son habitude » (Maupassant). « Elle posait sur lui sa main toute jaunie de nicotine » (F. Mauriac). Sans nicotine : dénicotinisé.

nicotine nom féminin (de J. Nicot, nom propre) Principal alcaloïde du tabac, dont la teneur varie de 1 à 8 % dans les feuilles des espèces cultivées, et qui est un excitant du système nerveux végétatif.

nicotine
n. f. BIOCHIM Alcaloïde contenu dans le tabac, stimulant de la sécrétion d'adrénaline, qui a des effets extrêmement nocifs à haute dose.

⇒NICOTINE, subst. fém.
CHIM. Alcaloïde du tabac huileux, incolore et très soluble dans l'eau, excitant des nerfs centraux et périphériques. La nicotine, principe actif du tabac (BERTHELOT, Synthèse chim., 1876, p.116). L'odeur de ses doigts, un reste de nicotine imprégnant son index, lui tournait la tête et l'enivrait littéralement. Depuis son emprisonnement, il souffrait intolérablement de la privation de tabac (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p.96). Dans la lutte contre les insectes on utilisait surtout des poisons minéraux tels que les arséniates et les fluorures, ainsi que certains produits organiques naturels, comme (...) la nicotine (Hist. gén. sc., t.3, vol.2, 1964, p.442).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1878. Étymol. et Hist. 1818 (J.-R. RIFFAULT DES HETRES, Système de chim. de Th. Thomson, t.4, p.66 [trad. du texte angl. de 1817]). De nicotiane par substitution, à la finale, du suff. -ine. Fréq. abs. littér.:11.
DÉR. 1. Nicotinique, adj., chim., pharmacol. a) ,,Qui se rapporte à la nicotine ou qui est provoqué par la nicotine`` (Méd. Biol. t.3 1972). b) Acide nicotinique. ,,Corps voisin de la vitamine PP (amide nicotinique) vasodilatateur artériel et veineux`` (Pt Lar. Méd. 1976). Ce n'est pas le seul mérite de l'acide nicotinique qui présente de plus des propriétés vasodilatatrices et une activité destructrice envers la fibrine (R. SCHWARTZ, Nouv. remèdes et mal. act., 1965, p.150). []. 1re attest. 1878 (Lar. 19e Suppl.); de nicotine, suff. -ique, a remplacé nicotique (dér. du rad. de nicotiane) att. de Ac. Compl. 1842 à Lar. 20e 1932). 2. Nicotiniser, verbe trans. Imprégner de nicotine. Emploi pronom. réfl. Comme il savait que l'autre détestait le tabac, il lui tendit le paquet (...): —Nicotinisez-vous (MALÈGUE, Augustin, t.1, 1933, p.317). [], (il) -nise [ni:z]. 1re attest. 1932 (Lar. 20e); de nicotine à l'aide du suff. -iser, a remplacé nicotiser (dér. du rad. de nicotiane) att. de LITTRÉ 1868 à Nouv. Lar. ill. 1903. En angl. to nicotinize est att. en 1865 et to nicotize en 1867, voir NED. 3. Nicotinisme, subst. masc., pathol. Ensemble des troubles provoqués par un empoisonnement par la nicotine ou par une intoxication chronique par le tabac; p. ext. abus du tabac. (Dict. XXe s.). Synon. tabagisme. []. 1re attest. 1867 (Journal de méd. et de chir., 2e série, t.38, p.169); de nicotine à l'aide du suff. -isme.

nicotine [nikɔtin] n. f.
ÉTYM. 1818; du rad. de nicotiane.
Alcaloïde (C10H14N2) du tabac, liquide huileux, incolore, très soluble dans l'eau. || La nicotine est un poison violent. Nicotinisme. || Extraits de nicotine, employés comme insecticides pour certaines cultures. || Sans nicotine. Dénicotinisé.
1 Demande à un fumeur que la nicotine empoisonne s'il peut renoncer à son habitude délicieuse et mortelle.
Maupassant, les Sœurs Rondoli, « Un sage ».
1.1 (…) une exemplaire population de songe-creux, dont la force morale et physique se dilue, chaque soir, jusqu'aux deux tiers de la nuit, au milieu d'une brume de nicotine, en vaines discussions, en oiseuses professions de foi, résolutions chimériques et stériles crispations de poings : les propos sont toussés au-dessus de verres de bière ou d'alcool — et s'envolent.
Villiers de L'Isle Adam, Tribulat Bonhomet, p. 32.
2 (…) elle posait sur lui sa main toute jaunie de nicotine (…)
F. Mauriac, Thérèse Desqueyroux, XI.
DÉR. Nicotineux, nicotinique, nicotiniser, nicotinisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.