ORAGES
On désigne en principe sous le nom d’orage toute perturbation atmosphérique donnant lieu à des manifestations électriques telles que les éclairs, accompagnées de tonnerre et de précipitations souvent intenses sous forme de pluie, de grêle ou de grésil. Certains phénomènes électriques (feux Saint-Elme) peuvent apparaître sans que pour cela on ait affaire à un orage caractérisé. De même, les tornades des régions intertropicales et, a fortiori, les typhons, comportent toujours, à un moment donné de leur existence, un assemblage de nuages convectifs, à très grand développement vertical, dont chacun est, en fait, un nuage d’orage élémentaire donnant lieu à des manifestations électriques. Toutefois, les effets du vent deviennent tellement importants dans les typhons ou ouragans qu’une classification à part est donnée à ces météores qui, bien qu’extrêmement dangereux par leur violence et leur durée de vie, ne présentent pas toujours les manifestations électriques caractéristiques de l’orage classique.
Les nuages d’orage se développent à partir de cumulo-nimbus ou d’agrégats de cumulo-nimbus et diffèrent essentiellement des nuages d’averse, d’abord par l’échelle même de leur expansion verticale et horizontale, mais surtout par le fait qu’ils donnent naissance à des phénomènes électriques.
L’extension verticale considérable des nuages d’orage, qui atteignent fréquemment la tropopause et parfois même la dépassent, exige en règle générale pour leur formation des masses d’air instable, humide et chaud, donc de forts gradients de température sur des épaisseurs importantes.
Ces nuages peuvent prendre naissance dans une masse d’air chaud, instable et homogène. Ils se développent alors de manière sporadique, mais souvent privilégiée, en cours d’après-midi, au-dessus des endroits où la topographie ou la nature du sol favorisent la surchauffe des masses d’air dans les basses couches.
Ils peuvent aussi s’étendre «en ligne» ou en bandes étroites suivant la direction du vent dans les basses couches, l’influence du sol étant ici, semble-t-il, moins évidente. L’après-midi est également favorable à ce type d’orages, qui peuvent cependant intervenir à n’importe quelle heure de la journée.
Enfin, quand les masses d’air d’un front chaud, poussées par la circulation générale, sont forcées de s’élever sur un coin de masses d’air froid, des orages se développent si l’air chaud, suffisamment humide, est convectivement instable. Ces orages peuvent se former à n’importe quelle heure de la journée et couvrir une large région. Ils sont facilement reconnaissables, car, le plus souvent, ils se déplacent avec les fronts et peuvent ainsi atteindre des altitudes élevées.
Structure et développement du nuage d’orage
Si la durée moyenne de vie d’un cumulo-nimbus modéré générateur d’averses est d’une vingtaine de minutes, celle d’un cumulo-nimbus orageux est de l’ordre d’une ou deux heures.
On peut schématiser grossièrement l’évolution d’un nuage d’orage en trois étapes: développement, maturité et dissipation. Dans la phase de développement , le nuage, plus chaud que l’air ambiant, monte rapidement; il accroît l’instabilité propre de la masse d’air originelle au fur et à mesure que la vapeur d’eau se condense en altitude. La chaleur latente de condensation vient ainsi prendre le relais et le nuage atteint rapidement des altitudes où la température extérieure est très au-dessous de 0 0C.
Dans les parties élevées du nuage, des courants ascendants supérieurs à 30 m/s sont alors fréquemment observés. Après avoir dépassé l’isotherme 0 0C, ce stade de développement vertical peut durer encore entre dix et vingt minutes, pendant lesquelles le nuage peut grimper jusqu’à une altitude de 10 000 mètres, et parfois davantage. Par examen au radar, on observe des échos importants, correspondant à la présence de précipitations solides ou liquides, maintenues en altitude par les fortes vitesses verticales des ascendances. Les plus grosses gouttes de pluie, à la limite de rupture par instabilité, ne dépassent pas 5 à 6 mm de diamètre, ce qui correspond à une vitesse limite de chute de l’ordre de 8 m/s au niveau du sol. Seuls les grêlons de diamètre et de poids plus importants ont des vitesses pouvant atteindre 20 ou 30 m/s.
Lorsque l’accumulation de l’eau, à l’état solide ou liquide, devient telle que les courants ascendants ne peuvent plus la supporter, la pluie est prête à tomber et la phase de maturité commence avec les premières précipitations.
Des courants descendants prennent naissance, par suite de l’entraînement visqueux de l’air par les éléments de précipitation. Ces courants descendants n’atteignent cependant pas les vitesses des courants ascendants. Ils sont localisés en général près du milieu de la partie frontale avant du nuage, sur sa trajectoire de déplacement; l’air froid ainsi amené au sol se répand vers l’avant du nuage, et donne à l’observateur la sensation caractéristique d’un renversement de la direction du vent au sol, correspondant à une baisse de température. Immédiatement après, la pluie commence à tomber et s’intensifie rapidement puisque c’est dans cette zone frontale descendante que se localise au maximum la chute des éléments précipitants. Associés à cette zone de précipitation, on observe des rafales de vent et un accroissement brutal et passager de la pression. Pendant cette phase de maturité, dont la durée peut s’étendre d’un quart d’heure à plus d’une heure, la cellule orageuse peut se développer encore et atteindre des altitudes de 9 000 à 15 000 m. Parfois, lorsque la mésostructure des cellules convectives du nuage est favorable et que la concentration en noyaux glaçogènes est insuffisante, la grêle peut se former, sous certaines conditions encore mal comprises.
Les courants ascendants et descendants coexistent; ceux-ci finissent par l’emporter, et la phase de dissipation prend place.
Le nuage répand alors ses dernières précipitations décroissantes avec le déclin des ascendances qui les alimentaient. Il se «dissout» par évaporation dans le réchauffement adiabatique des courants descendants, ou bien se fragmente, en laissant un voile de cirrus à la partie supérieure et des débris inorganisés de nuages au voisinage du sol.
Ce schéma un peu simplifié du nuage d’orage correspond à des structures isolées de cumulo-nimbus, de développement relativement modéré pour un nuage de ce type. En fait, on se trouve le plus souvent en présence, dans le même nuage, d’un amas imbriqué de cellules ascendantes et descendantes. L’air froid d’une cellule descendante, en se répandant sur le sol, peut déclencher l’ascendance de l’air instable sous lequel celle-ci se déverse et s’accumule. Une auto-régénération du cycle initial courants ascendants-courants descendants peut ainsi intervenir et prolonger la durée de vie de l’orage, par des séries successives de nouveaux cycles. Seul l’usage du radar permet de préciser la structure interne de ce conglomérat de nuages orageux dont la couverture au sol peut atteindre, dans les orages frontaux, des dizaines et parfois des centaines de kilomètres carrés.
Les phénomènes électriques
En abordant les phénomènes électriques, il est nécessaire de rappeler certaines notions concernant les ions. Ces particules sont des amas de molécules neutres, auxquels est attachée une molécule portant en général une seule charge élémentaire (électron). On distingue des petits ions de mobilité 猪 relativement grande (sous une pression de 1 mm de mercure, 猪 = 2.103 cm2/s.V pour l’azote, et 3.103 cm2/s.V pour le néon) et des ions Langevin, plus gros, de mobilité beaucoup plus faible (10-4 à 10-2 cm2/s.V), correspondant à des charges élémentaires liées à des aérosols de l’ordre de 10-5 cm. Le nombre des petits ions positifs est supérieur de 20 p. 100 à celui des mêmes ions négatifs.
La concentration en petits ions dépend des taux de formation (ionisation par rayons cosmiques ou radioactivité naturelle) et de destruction par recombinaison d’ions de signes différents et capture par les gros ions.
La conductivité électrique 靖 de l’air, qui est l’élément important, est proportionnelle à la concentration des petits ions par unité de volume, multipliée par leur mobilité (cf. CONDUCTION DE L’ÉLECTRICITÉ, chap. 3).
La conductibilité augmente rapidement avec l’altitude du fait de l’ionisation plus intense par les rayons cosmiques; la mobilité, croissant comme l’inverse de la pression, contribue également à accroître la conductibilité.
Tout se passe comme si, au niveau de l’ionosphère, donc au-delà de 60 à 80 km d’altitude, et à la surface de la Terre, on avait deux sphères conductrices concentriques. La Terre étant chargée négativement attire vers sa surface les ions positifs plus nombreux qui tendent à neutraliser sa charge. Le «conducteur» est l’atmosphère ; un conducteur de ce type, de longueur égale à la distance ionosphère-Terre et de section 1 cm2, a une résistance de 1030 行. Compte tenu de la surface considérable de notre globe, la résistance équivalente est inférieure à 200 行 entre la Terre et l’ionosphère. Le courant total dû à la conductibilité de l’air est de 1 800 A, ce qui implique donc une différence de potentiel de près de 3,6.105 V entre l’ionosphère et la Terre. La reconstitution de la charge de cet immense condensateur, qui permet de compenser les 1 800 A du courant Terre-ionosphère, est due simplement à l’activité orageuse sur l’ensemble de la planète. Le nuage d’orage est donc la machine électrostatique qui effectue cette reconstitution. Pour expliquer son fonctionnement, on n’a que l’embarras du choix. En fait, beaucoup de mécanismes différents, depuis les processus initiaux de condensation jusqu’à ceux de glaciation ou de fragmentation des gouttes de pluie, concourent à l’efficacité du nuage d’orage pour construire des charges d’espace dans l’atmosphère; en revanche, on ne sait pas encore évaluer l’importance relative de ces mécanismes (cf. infra ). La rupture d’une grosse goutte de pluie dans un courant ascendant a pour effet de laisser les plus gros fragments chargés positivement tandis que les microgouttelettes et l’air ambiant sont chargés négativement, le résultat pour l’air ambiant étant un excès de charges négatives. Mais ces mécanismes, dits de Lenard, nécessitent un champ électrostatique de l’ordre de 1 000 V/cm.
De même, des séparations interviennent par capture de charges, lors du rebondissement de gouttelettes de nuage, ou par capture des ions encore présents dans l’atmosphère nuageuse, lorsque ces mécanismes surviennent sous un champ électrique créant, par influence, un dipôle sur la goutte ou la gouttelette (mécanisme de Wilson).
Beaucoup plus efficaces semblent les mécanismes de séparation de charges impliqués dans la présence et l’interaction glace-glace ou glace-eau des éléments du nuage; ils contribuent à construire un champ électrique important dans le nuage, avant même qu’apparaissent les effets du type Lenard ou Wilson.
Lors de la fusion ou de la congélation de l’eau, on observe entre les deux phases des différences de potentiel pouvant atteindre 200 V, mais dépendant étroitement de la concentration et de la nature des impuretés (sels) dissoutes dans l’eau (Workman et Reynolds). Il est bien évident que, par exemple, un grêlon ou un grain de grésil tombant dans une atmosphère de gouttelettes ou de gouttes de pluie en surfusion ne peut en général congeler tous les éléments heurtés et qu’une grande partie de cette eau repart, sous forme de gouttelettes, dans le sillage de gros éléments de glace dont la température tend à remonter vers 0 0C par suite du dégagement de la chaleur latente de solidification.
En dehors des effets photoélectriques diurnes du rayonnement ultraviolet du Soleil sur les parties extérieures des cirrus formant l’«enclume» du cumulo-nimbus, et contribuant également à la formation de charges électriques, tous les phénomènes de friction, de thermoélectricité par contact entre éléments ou par gradient thermique dans un élément précipitant sont susceptibles de séparer les charges électriques, pratiquement à tous les niveaux du nuage. Le transport de ces charges attachées à de gros ions et à des éléments constitutifs du nuage se fait dans le sens vertical par les courants ascendants ou descendants; les différences de vitesse de chute entre les gros éléments (pluie, grésil, grêlons) et les plus petits (gouttelettes, gros ions), porteurs de charges de signes opposés, ont très vite fait de trier et de transporter dans certaines régions du nuage des charges électriques pouvant atteindre plusieurs dizaines de coulombs.
Comme dans un nuage déjà formé depuis un certain temps, on peut admettre que tous les petits ions ont été captés par les gouttelettes du nuage; l’espace entre les gouttelettes dans un nuage est beaucoup moins conducteur que l’atmosphère libre. On peut dire que le nuage est un «trou d’isolant» dans ce milieu très relativement conducteur qu’est l’atmosphère avec sa concentration normale de petits ions.
Les charges positives ou négatives séparées par les divers mécanismes microphysiques et transportées par les courants verticaux peuvent ainsi atteindre entre elles des différences de potentiel considérables, sans que des fuites dues à des petits ions puissent intervenir pour les neutraliser.
Répartition des charges électriques
La répartition des charges électriques peut être déduite soit de la mesure du champ observé au sol, soit par l’envoi dans le nuage de sondes emportées par ballon ou par avion. Comme on l’a déjà vu, un nuage peut être composé de différentes cellules imbriquées, chacune étant à un stade différent d’évolution auquel correspond parfois un mécanisme particulier de séparation des charges. La description de sa structure électrique devient extrêmement compliquée; pour simplifier, on dira que, généralement, la partie inférieure du nuage d’orage contient une charge négative centrée légèrement au-dessus de l’isotherme 0 0C, mais pouvant s’étendre entre les niveaux + 5 0C et 漣 5 0C.
En revanche, la partie supérieure du nuage ne contient que des charges positives. Dans de nombreux cas, toutefois, on observe une petite charge positive, localisée à la base de la partie centrale de la charge négative inférieure et coïncidant souvent avec la zone de plus fortes précipitations.
On peut ainsi proposer un modèle électrique de nuage d’orage où la charge inférieure positive, de l’ordre de 4 C, serait représentée par une sphère de 1 km de diamètre, centrée vers 1 500 m d’altitude dans les latitudes tempérées, niveau où la température serait comprise entre 梁 0 0C et 梁 2,5 0C. Au-dessus se trouverait une charge négative de 20 C dans une sphère de 2 km de diamètre, centrée à une altitude d’environ 3 000 m, niveau correspondant à l’isotherme 漣 8 0C. Enfin, surmontant ces charges, il y aurait une sphère de 4 km de diamètre, chargée positivement de 24 C, centrée vers 6 000 m d’altitude, correspondant à l’isotherme 漣 30 0C. Des valeurs extrêmement fortes du champ électrique peuvent être observées aux niveaux de séparation de ces charges, les valeurs maximales moyennes étant de 1 300 V/cm, avec des pointes dépassant 3 000 V/cm au moment des éclairs.
L’éclair
L’éclair, phénomène optique visualisant les mécanismes de décharge, peut se produire indifféremment soit entre charges de signes contraires, réparties entre cellules voisines ou dans une même cellule orageuse, soit directement entre la Terre et les charges réparties dans le nuage.
La structure des éclairs a été déduite des observations faites à la chambre photographique tournante de Boys et grâce aux enregistrements simultanés des valeurs du champ électrique.
La durée totale d’un éclair est de l’ordre du quart de seconde, mais son mécanisme est relativement complexe. Tout d’abord, de petites décharges, à peine visibles, descendent du nuage par bonds successifs de quelques dizaines de mètres, se ramifiant puis repartant d’une branche pour descendre à nouveau avec des vitesses de quelque 100 km/s. Entre chaque étape de ces prédécharges pilotes, qui durent chacune environ 1 猪s et franchissent de 10 à 200 m, se situent des périodes de repos apparent de 30 à 200 猪s avant le bond suivant. Il existe aussi des prédécharges pilotes d’un autre type, se propageant cent fois moins vite, mais très lumineuses et très larges (entre 1 et 10 m de diamètre), qui n’atteignent pas toujours le sol.
Quand la décharge pilote atteint ainsi par bonds successifs les derniers décamètres qui la séparent de la Terre, une décharge partant d’un point privilégié du sol (arbre, bâtiment, aspérité de rocher) va à la rencontre de la décharge pilote venant du nuage, et un canal ionisé relie ainsi une petite zone de la charge du nuage au sol. C’est alors que s’établit la véritable décharge (return stroke ), dont la vitesse est supérieure à 100 000 km/s et la durée proche de 100 猪s. Les charges négatives du nuage s’écoulent alors vers la Terre avec des intensités de l’ordre de 10 000 et parfois 50 000 A.
Quelques centièmes de seconde plus tard, une deuxième décharge principale, empruntant en général la même trajectoire ionisée après répétition des processus de prédécharges pilotes, vient ramener à la Terre quelques coulombs supplémentaires de charges négatives.
Les effets des éclairs sont bien connus: leur intensité peut provoquer la fusion des parties métalliques traversées par la décharge au voisinage du sol. Des effets d’induction peuvent se produire à distance, sur des lignes électriques, des objets ou des êtres vivants. Quelquefois, le caractère oscillant de la décharge amène le courant à circuler seulement à la surface des corps conducteurs, et l’accumulation de charges de même signe entraîne littéralement, par suite des répulsions électrostatiques, l’éclatement des parties superficielles. Sur l’homme, l’éclair provoque le plus souvent le foudroiement immédiat, ou la volatilisation des vêtements.
Le roulement du tonnerre qui accompagne l’éclair est dû aux ondes de choc successives qui prennent naissance tout au long du trajet d’éclair, au fur et à mesure que la décharge, en échauffant brutalement le canal d’éclair, comprime violemment les couches atmosphériques voisines. Compte tenu de la vitesse du son et de la succession des temps d’arrivée à l’observateur des ondes acoustiques émises par les différentes portions de la trajectoire d’éclair, ces ébranlements sonores se superposent et se poursuivent jusqu’au moment où parvient le dernier ébranlement provenant de la zone la plus éloignée. Des anomalies de réfraction acoustique viennent encore compliquer ces processus, en renforçant, parfois par des focalisations imprévisibles, les énergies acoustiques mises en jeu sur certaines portions de la trajectoire.
Encyclopédie Universelle. 2012.