ORDALIE
ORDALIE
Dérivé du vieil anglais ordal (allemand moderne Urtheil ) qui signifie «jugement», le mot «ordalie» désigne le «jugement de Dieu». Toutes les religions connues laissent au surnaturel le soin de décider du crime et de l’innocence, notamment par l’épreuve du cercueil: le cadavre de la victime, confronté à l’assassin présumé, accuse, les plaies saignent, la tête bouge, etc. Les plus célèbres épreuves dans l’aire indo-européenne, les plus propres sans doute à frapper les imaginations, sont celles du feu et de l’eau: par exemple, porter un fer rougi sur un endroit du corps; plonger dans un lac, la main gauche liée au pied droit et la main droite liée au pied gauche (le coupable surnage, l’innocent coule — quoique, en certaines régions, il semble que ce fût l’inverse!)... Elles prolongent plus ou moins la pratique traditionnelle du serment, forme de justification qui n’engageait pas seulement devant les hommes, et qui est susceptible de sanctions divines: les «sorts». Le christianisme, qui adopta la plupart des ordalies, ne manqua pas d’ailleurs d’en ajouter quelques-unes: serments sur les reliques des saints, sur l’eucharistie, sur les tombes des martyrs (ainsi saint Pancrace à Rome), etc. L’attitude des autorités ecclésiastiques leur est largement favorable au Moyen Âge: l’opposition théologique d’Agobard (IXe s.), archevêque de Lyon, fait figure d’exception, alors que l’obligation du jugement de Dieu, faite par le concile de Reims (1119), en présence du pape Calixte II, à tout accusé n’appartenant pas à l’ordre militaire, semble au contraire être la norme. Il faut attendre le douzième concile œcuménique, le quatrième du Latran, en 1215, pour que toute bénédiction ou consécration à l’occasion de ces jugements soient interdites aux clercs. C’est là une claire conséquence du refus des «jugements de sang» (dont témoignaient déjà les réticences particulières à l’une des ordalies, le duel judiciaire), puisque la prohibition des ordalies accompagne celle de toute «sentence de mort» (canon 18). Elle entérine aussi l’évolution des juristes, conduits à distinguer la purgatio vulgaris et la purgatio canonica . Exclure les ordalies des juridictions ecclésiastiques n’engageait donc pas leur condamnation dans l’usage et les juridictions civiles. Mais leur discrédit moral allait entraîner leur interdiction officielle (par Louis IX, en France, et par Henri III, en Angleterre).
ordalie [ ɔrdali ] n. f.
• 1693; a. angl. ordâl; lat. médiév. ordalium « jugement »
♦ Anciennt Épreuve judiciaire par les éléments naturels, jugement de Dieu par l'eau, le feu.
● ordalie nom féminin (latin médiéval ordalium, du francique urdeili) Épreuve judiciaire en usage au Moyen Âge sous le nom de jugement de Dieu.
ordalie
n. f. HIST, ETHNOL épreuve judiciaire dont l'issue, réputée dépendre de Dieu ou d'une puissance surnaturelle, établit la culpabilité ou l'innocence d'un individu.
⇒ORDALIE, subst. fém.
HIST. Épreuve judiciaire employée au Moyen Âge pour établir l'innocence ou la culpabilité de l'accusé. Synon. jugement de Dieu (v. jugement C 1). Ordalie par l'eau, par le feu.
— P. anal., ETHNOL. Lorsque deux guerriers (...) prétendaient avoir droit à un même honneur, l'un défiait l'autre à une ordalie. Chacun d'eux suspendait alors une pièce de viande à une flèche, la touchait de ses lèvres, puis l'élevait bien haut et prenait le soleil à témoin, ajoutant que s'il mentait, il était prêt à mourir. Si l'un de ceux qui avaient prononcé le serment ou l'un de ses parents mourait peu après, la tribu le considérait comme un parjure et l'on attribuait à son rival l'exploit, motif du conflit. Les serments et les ordalies sont très caractéristiques des peuples de l'ancien monde, en particulier des Nègres d'Afrique, et ont survécu en Europe jusqu'au Moyen Âge (LOWIE, Anthropol. cult., trad. par E. Métraux, 1936, p.317).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. 1693 hist. ([G. MÉNAGE], Menagiana, Paris, p. 418); 2. 1936 ethnol. (LOWIE, loc. cit.). Empr. au lat. médiév. ordalium «jugement de Dieu» (dep. le Xe s. dans le domaine angl. ds Nov. gloss.), empr. à l'ags. , de même sens.
ordalie [ɔʀdali] n. f.
ÉTYM. 1704, in D. D. L.; lat. médiéval ordalium, d'un anc. angl. ordâl « jugement », cf. angl. mod. ordeal.
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♦ Dr. féod. Épreuve judiciaire par les éléments naturels, jugement de Dieu par l'eau, le feu. — Souvent au plur. || Les ordalies.
1 C'est que son impureté même rend le criminel sacré. Il est devenu dangereux d'attenter directement à sa vie; en lui consentant quelques aliments, la cité dégage sa responsabilité et laisse faire aux dieux (c'est le principe de l'ordalie, comme G. Glotz l'a bien vu).
Roger Caillois, l'Homme et le Sacré, p. 58.
♦ (À l'époque moderne). Épreuve judiciaire, dans certaines civilisations.
2 L'ordalie, qui n'est autre qu'une épreuve judiciaire au cours de laquelle le chef de clan ou de famille fait absorber à de présumés coupables d'un délit un breuvage empoisonné.
Togo Presse, 16 janv. 1914, in I. F. A. N.
Encyclopédie Universelle. 2012.