PLAGES
À la frontière des terres et des mers, les plages représentent un milieu original, caractérisé à la fois par l’instabilité de son équilibre et par l’attrait qu’il exerce sur l’homme d’aujourd’hui.
Une plage est le versant externe d’une accumulation littorale de sédiments libres (cf. ACCUMULATIONS MARINES; on pourra également se reporter, pour l’aspect écologique, aux articles LITTORAL MARITIME, milieu TELLURIQUE). Seuls les matériaux que ne lie aucune force d’adsorption, et qui sont instantanément disponibles pour une remise en mouvement, peuvent donc constituer des plages, et celles-ci apparaissent comme des dépôts temporaires d’éléments minéraux en transit entre les terres et les mers, ou le long de leur frontière. Les limites entre lesquelles les particules sédimentaires libres d’une même accumulation vont et viennent sous l’influence de l’agitation de l’eau sont les seules limites de la plage, qui s’étend donc depuis les points les plus hauts qu’atteignent les vagues les plus vigoureuses jusqu’à la profondeur à laquelle les oscillations des plus fortes houles peuvent ramener des particules qu’elles y auraient entraînées.
Les particularités géomorphologiques des plages tiennent essentiellement à l’alternance entre les actions subaériennes et les actions marines; aussi cet article traitera-t-il d’abord et principalement des régions où cette alternance est le mieux marquée, c’est-à-dire en bordure des mers à marée, le long desquelles les divers phénomènes qui interfèrent sont le plus aisément analysables.
Comme tous les versants, une plage tend vers un profil d’équilibre, c’est-à-dire un profil le long duquel les agents de transport qui exercent leur action à la surface sont impuissants à déplacer les particules. La grande différence avec les versants subaériens façonnés par ruissellement (érosion dite «normale»), c’est qu’ici s’exercent successivement, on pourrait presque dire simultanément, des forces qui tendent à entraîner les sédiments vers le bas et des forces qui tendent à leur faire remonter la pente. Si l’on ajoute à cela que les éléments meubles sont de tailles telles qu’aucune force d’adsorption ne les lie et que la plupart du temps aucune végétation ne les fixe, on concevra qu’un tel équilibre, vers lequel pourtant l’évolution est très rapide, soit très difficile à atteindre et impossible à maintenir durablement.
Aussi est-il plus commode d’envisager d’abord la pente d’équilibre susceptible d’exister à chaque niveau et de chercher ensuite comment les diverses pentes élémentaires s’agencent entre elles pour constituer un profil plus ou moins cohérent, dont on verra qu’il est généralement fait de la coexistence des lambeaux de plusieurs profils d’équilibre, entre lesquels des structures accessoires servent de raccords.
1. Façonnement de la pente d’équilibre
L’énergie des houles fournit successivement la force qui tend à faire monter le sédiment le long du versant, puis celle qui tend à le faire redescendre. Ces deux forces s’appliquent de façon différente et, de ce fait, sont rarement égales. Selon la taille des matériaux présents en surface, la pente qu’engendre l’action d’une même houle diffère. Les trois principaux facteurs à considérer sont donc la vigueur de la houle à la montée, sa vigueur à la descente et la taille des particules.
L’énergie des houles
L’énergie qui est libérée par les houles à proximité du trait de côte résulte du déferlement ; elle est fonction de la hauteur de la vague, de la vitesse acquise par les particules de la crête de la vague et de la masse de l’eau impliquée dans le déferlement. Cette énergie est consacrée à l’élévation en altitude, le long du versant, d’une partie de cette eau et, accessoirement, d’une partie des sédiments jonchant le versant: c’est le «jet de rive». L’eau ainsi élevée accumule une énergie potentielle qui est ensuite utilisée pour la redescente, le long du versant ou en percolation, de toute l’eau qui l’a gravi et d’une partie des sédiments superficiels: c’est la «nappe de retour». L’énergie totale est la même à la montée et à la descente, mais les modalités du déplacement de la masse d’eau sont différentes, de sorte que la taille et la masse des sédiments transportés accessoirement peuvent différer sensiblement entre la montée et la descente. C’est ce qui provoque les déséquilibres du bilan des transports sédimentaires, donc les modifications du profil. Selon que le déferlement se fait à proximité immédiate du trait de côte instantané ou, au contraire, à une certaine distance au large, les modalités de transport diffèrent. Plus que la période de la houle, c’est sa cambrure, ou rapport entre la longueur d’onde et la hauteur, qui détermine la profondeur (et donc la distance du trait de côte) à laquelle se fait le déferlement. Parmi toutes les positions possibles de la ligne de déferlement, les deux positions extrêmes engendrent deux types opposés de combinaison entre les vigueurs respectives du jet de rive et de la nappe de retrait. Mais toutes les combinaisons intermédiaires existent.
Houles modérées
Les vagues modérées qui atteignent la plage par mer peu agitée déferlent à proximité immédiate du trait de côte instantané, qui est la ligne le long de laquelle l’eau calme cesserait de couvrir la plage. Ce déferlement donne naissance au jet de rive (fig. 1 a), masse d’eau turbulente montant le long du versant. Toute la masse d’eau qui constituait la crête de houle est jetée simultanément sur la plage et, comme un projectile, c’est au départ qu’elle a son maximum de vitesse. Dans cette eau turbulente le sable est mis en suspension et transporté vers le haut, les galets pris dans les remous ascendants sont soulevés et projetés en avant. Mais la vitesse initiale diminue rapidement à la suite du travail effectué, une part de plus en plus faible de l’eau gravit la pente et l’écoulement turbulent fait place à un écoulement laminaire qui vient doucement mourir sur le versant dans lequel s’infiltre une partie de l’eau. Les particules transportées se sont arrêtées à divers niveaux, mais presque aussitôt elles sont reprises par l’eau qui redescend la pente.
L’eau descend par simple gravité le long du versant, d’une façon qui ne diffère pas fondamentalement de ce qui se passe sur un versant subaérien lors de pluies torrentielles. Si, lorsque s’arrête le jet de rive, l’eau est équitablement répartie sur toute la largeur du versant, l’écoulement vers le bas ne se concentre pas, mais il se forme une nappe de retrait qui présente bien des analogies avec l’écoulement en nappe qui peut se produire sur certains versants subaériens. Le retour de l’eau se fait progressivement, dure plus longtemps que le jet de rive, et il est moins brutal. La nappe de retrait, dont la vitesse est nulle au départ pour augmenter progressivement, a un écoulement laminaire sur la majeure partie de son trajet.
En première approximation, la compétence et la capacité de transport du jet de rive sont donc fonction de la violence du déferlement, alors que la compétence et la capacité de la nappe de retrait sont fonction de la pente (qui détermine la vitesse d’écoulement de la nappe). Des déplacements de matériaux sur la plage interviennent jusqu’à ce que les transports vers le haut dus au jet de rive soient exactement compensés par les transports vers le bas dus à la nappe de retrait, donc jusqu’à ce que la pente de la plage soit adaptée à la violence du déferlement, qu’elle soit «en équilibre».
Houles déferlant tôt
L’ondulation qui caractérise la houle au large ne se poursuit jusqu’à proximité du trait de côte que dans le cas de vagues peu cambrées. Les autres déferlent plus ou moins loin au large, quand le ralentissement de la propagation de l’onde entraîne le basculement de la crête. Celui-ci fait naître une vague de translation (fig. 1 b) qui n’est plus une ondulation, mais le déplacement net d’une masse d’eau au-dessus du niveau moyen, sans qu’un creux la suive en contrepartie. C’est déjà, en quelque sorte, un jet de rive qui se déplace sur l’eau avant de se déplacer sur l’estran ; quand il aborde ce dernier, une partie de son énergie s’est déjà dissipée en frottements, mais surtout il a perdu le caractère soudain et turbulent qu’il avait sous le déferlement et, de ce fait, à masse d’eau et à vitesse égales, sa compétence et sa capacité sont beaucoup moindres que si le déferlement s’était fait près du rivage. Celles de la nappe de retrait, au contraire, qui ne sont fonction que de la masse d’eau qui escalade la pente, de l’altitude relative qu’elle atteint et de la pente, ne sont pas différentes. Le déferlement loin du rivage aboutit donc à favoriser la nappe de retrait, ce qui implique que la pente d’équilibre sera plus faible.
Le cadre minéral
Indépendamment des transformations qu’il peut faire subir aux houles avant qu’elles n’atteignent la plage, le cadre physique influe sur les pentes d’équilibre possibles, par la nature des matériaux qu’il livre à la plage, par la taille des matériaux qu’il laisse s’y maintenir et par la quantité d’eau que ces matériaux peuvent absorber au cours de la montée du jet de rive. Nombre de facteurs accessoires, comme la présence de rochers sur la plage, la température de l’eau, la vie animale et végétale au sein du sédiment, les épaves rejetées à la côte, l’influence de l’homme, seront négligés ici.
Les matériaux de la plage
Les matériaux des plages sont de diverses origines: les uns proviennent de l’érosion des falaises proches ou du substrat rocheux, d’autres ont été apportés du large par le balayage du plateau continental, d’autres enfin sont des éléments organogènes plus ou moins broyés. Le vent, les algues à crampons fournissent ainsi des sédiments à la plage. Ces modes de transport sont assez variés pour que des matériaux de tailles très diverses soient disponibles. Or, fréquemment, la couche superficielle de la plage est remarquablement homométrique, c’est-à-dire que toutes les particules présentes en surface sont à peu près de la même taille: c’est le résultat du tri opéré par les houles.
Les particules transportables en suspension dans l’eau ne s’attardent pas sur les plages et sont toujours évacuées vers le large (ou vers les vasières littorales voisines, s’il en existe). Usuellement, c’est à partir de la taille de 80 micromètres que le transport en suspension est possible sur de longues distances, et il est rare de trouver sur une plage des particules plus petites. L’exportation obligatoire des éléments pélitiques est une des caractéristiques les plus importantes des plages, puisqu’elle a pour conséquence la suppression des forces d’adsorption que ces particules multiplient dans les sédiments où elles existent, donc la parfaite mobilité des sédiments de la plage.
Quant aux particules plus grosses que celles qui dominent en surface, elles sont dissimulées en profondeur. On les voit apparaître en haut de plage lors des tempêtes, quand les éléments fins dont la pente d’équilibre s’est affaiblie ont été transportés tout en bas de la plage, ou sur l’avant-côte. La plage est alors jonchée de gros éléments; malgré l’aspect désolant qu’ils présentent au point de vue touristique, il est heureux qu’ils soient là, parce que la pente plus forte que leur taille autorise sauve seule de l’érosion la côte et l’arrière-pays. Lorsque l’état de la mer permet le retour du sable fin, celui-ci voile les gros éléments (sauf, souvent, ceux de l’extrême haut de la plage, qui forment alors un ourlet très différent du reste de l’estran).
La forme des éléments meubles intervient par la rugosité qu’elle confère au versant et qui affecte à la fois la vitesse de propagation de l’eau et le passage de l’écoulement turbulent à l’écoulement laminaire, et réciproquement. Mais elle intervient surtout par les réactions de chaque particule aux contraintes qu’elle subit: certains facteurs (soulèvement d’une particule dans un écoulement turbulent par la différence de pression exercée par l’eau à sa base et à son sommet, prise que les flancs de la particule donnent au courant qui les longe) jouent en faveur d’un déplacement plus aisé des particules anguleuses. Par contre, il est plus difficile d’arracher de son logement une particule anguleuse encastrée dans d’autres particules anguleuses. Au total, il semble que les particules de formes irrégulières soient plus facilement mises en route, ce qui les aide d’ailleurs à s’émousser rapidement.
Bien plus importante est la taille des grains: la compétence du jet de rive et celle de la nappe de retrait ne varient pas en effet selon les mêmes lois en fonction de la taille des particules; si les lois étaient les mêmes, la taille des particules n’influerait que sur le nombre de fois dans l’année où le profil peut être remanié. Mais la différence entre les lois régissant la compétence et la capacité du jet de rive par rapport à celles de la nappe de retrait est telle que la pente d’équilibre est plus forte pour des matériaux plus grossiers: plus ils le sont, moins est efficace la nappe de retrait. Il faut donc une pente plus forte pour qu’elle puisse compenser exactement l’action du jet de rive. Le mécanisme fait entrer en ligne de compte aussi bien la dispersion d’énergie qu’entraîne la rugosité du versant que la plus grande porosité des matériaux grossiers (qui diminue la quantité d’eau faisant retour par la surface) et le fait que le jet de rive, au moment de son impact le plus violent, puisse projeter les matériaux les plus grossiers très en avant du point atteint par l’eau.
Pour des conditions identiques d’agitation de la mer et de violence du déferlement, les matériaux de diverses tailles, de diverses formes, de diverses densités, sont en équilibre pour des pentes très différentes (fig. 2). Bien qu’un grand nombre de paramètres accessoires interviennent dans la détermination de la pente, on peut dire que dans l’ensemble la pente est d’autant plus faible que le sédiment est plus fin, que la plage est plus exposée à des houles cambrées, que le sédiment est plus gorgé d’eau (et c’est en bas de plage qu’il a le plus de chance de l’être).
Les eaux continentales
La nappe phréatique des falaises – ou des marais situés derrière un cordon – a avec l’eau de mer des rapports complexes, mais en général le résultat est que l’eau saumâtre sourd sous la moitié inférieure de la plage, qui en est imprégnée. Localement, sous l’influence d’un banc imperméable (tourbe par exemple, sous les plages adossées à des marais), une ligne de sources peut naître même en haut d’estran. La partie de la plage ainsi gorgée d’eau n’est plus susceptible d’en absorber au moment du déferlement, de sorte que la nappe de retrait est faite de la totalité de l’eau qui composait le jet de rive, augmentée même de l’eau qui sourd ou qui ruisselle sur la plage. L’équilibre des deux agents en est modifié au profit de la nappe de retrait, et la pente de la partie de la plage qui est gorgée d’eau est toujours beaucoup plus douce que celle de la plage sèche, toutes choses égales d’ailleurs. Très fréquemment, la ligne de flexion qui est signalée par beaucoup d’auteurs au voisinage du niveau de mi-marée n’a pas d’autre origine que l’intersection du versant de la plage avec la nappe phréatique continentale.
L’espace disponible
Les possibilités d’élargissement de la plage limitent la diminution de la pente: si celle-ci s’affaiblit, la plage tend à s’étendre vers le large. Or, il se peut qu’il n’existe pas une largeur suffisante pour qu’elle s’étale, parce que la pente de l’avant-côte est trop forte. Dans ce cas, les sédiments transportés vers l’avant-côte, et qui ne peuvent se maintenir sur une telle pente, continuent vers le large jusqu’à ce qu’ils puissent se déposer, souvent au-delà du point de non-retour, et ces sédiments sont alors perdus pour la plage. La répétition de ce phénomène entraîne le départ de tous les sédiments d’une taille telle que les pentes d’équilibre qui leur correspondent ne puissent pas s’inscrire dans le cadre structural où est contenue la plage. Seuls subsistent les sédiments plus grossiers, qui s’accommodent d’une pente plus forte.
Les sédiments fins peuvent aussi être transportés par le vent vers les dunes de l’arrière-pays ou incorporés dans une vasière de bas d’estran après y avoir été entraînés par un abaissement temporaire de la pente de la plage (ils sont alors liés par les pélites et ne peuvent plus revenir).
Les profils d’équilibre
Les pentes d’équilibre qui, pour chaque niveau de la mer, ont résulté de l’application d’une énergie donnée à une taille donnée de particules s’agencent entre elles en un profil réel qui, pour l’essentiel, est un fait historique, puisqu’il reflète les divers états de la mer dans le passé immédiat (ou, pour l’extrême haut de plage, dans un passé qui peut être assez lointain).
Certains des éléments de ce profil réel sont purement aléatoires: après leur destruction, qui ne saurait tarder, ils ne se reformeront pas, ou se reformeront ailleurs. D’autres, au contraire, persistent longtemps, se reforment obstinément au même niveau et gardent entre eux, la plupart du temps, le même agencement relatif. Ils peuvent être considérés comme formant la meilleure approche de ce que pourrait être l’un des profils d’équilibre de la plage en question. Chaque plage a en effet plusieurs profils d’équilibre qui lui sont particuliers et qui sont fonction, d’une part, des variations de l’énergie de la houle selon le niveau de la mer, d’autre part, de la teneur des sédiments présents en particules des diverses tailles.
L’étude des profils d’équilibre peut se faire soit par l’observation, soit, de plus en plus fréquemment, par simulation numérique. L’observation doit être maintes fois réitérée pour une même plage, puisque chaque profil d’équilibre n’est qu’une position moyenne et qu’une telle moyenne ne peut être valablement établie qu’à partir d’un très grand nombre de levés opérés dans des conditions de mer aussi variées que possible.
La comparaison de profils successivement levés le long d’une même transversale fait ressortir, quand on met chaque profil en relation avec l’agitation de la mer pendant la période qui a séparé son levé du levé précédent, l’effet de la houle et du tri des sédiments.
Sur une plage composée, en surface, de sédiments homométriques et soumise, quel que soit le niveau de la mer, à des houles de même énergie, le profil d’équilibre est absolument rectiligne, c’est-à-dire que la pente est constante du haut en bas. Dans la nature, un tel profil d’équilibre est rarement obtenu, sauf lors des marées de vive-eau où l’ensemble de la plage a été remanié. Le plus souvent, le profil est irrégulier, avec des alternances de concavités et de convexités, ou bien il est assez régulièrement concave.
Les profils irréguliers sont dus au remaniement partiel de la plage au cours d’une marée qui n’a pas permis aux houles de battre toute la hauteur de la plage: dans ce cas, le profil de la partie supérieure conserve une disposition qui date de la dernière vive-eau qui l’a battu. Sur les plages de sable, le haut du profil est souvent dégradé par l’action du vent et de la végétation, sans parler de celle de l’homme. Sur les plages de galets, il arrive que le haut de plage n’ait pas été remanié depuis des années, parfois un demi-siècle. Une autre cause d’irrégularité des profils est l’incapacité des houles modérées à déplacer rapidement une quantité de sédiment suffisant à adapter toute la pente à de nouvelles conditions de déferlement.
Les profils plus ou moins régulièrement concaves sont le plus souvent dus à l’étagement des sédiments des diverses tailles, accessoirement à l’étagement des teneurs en eau, depuis le haut de plage où sont groupés les sédiments les plus grossiers (galets le plus souvent), susceptibles de conserver les plus fortes pentes, jusque vers le niveau des basses mers où l’on trouve les sédiments les plus fins, les plus gorgés d’eau, et aux pentes les plus faibles. Assez fréquemment, le passage d’une taille à l’autre ne se fait pas progressivement, mais il existe des discontinuités franches à la fois dans la granulométrie et dans la pente. Le profil concave est alors, en réalité, une succession de segments élémentaires dont chacun a une pente constante, raccordés les uns aux autres par des ruptures de pente le long des limites granulométriques (fig. 3). Dans les cas les plus typiques, les segments élémentaires correspondant aux éléments grossiers du haut de plage ne sont que la partie visible de profils qui se poursuivent sous les éléments fins et dont le façonnement remonte au dernier démaigrissement d’ensemble. Il arrive du reste que ces profils inhumés ne soient pas des profils d’équilibre, mais des profils irréguliers, comportant par exemple des «barres» et des «bâches», et que le sommet d’une de ces barres (de galets par exemple) émerge parmi les sédiments plus fins.
2. Les variations du profil
La complexité des profils réels des plages est donc due, pour une large part, à la coexistence de lambeaux de plusieurs profils successifs. C’est que les variations de pente, et partant de profil, sont rapides. Surtout, elles sont complexes et ne se produisent pas forcément sur toute la hauteur de la plage, en raison des variations rapides d’énergie de la houle et de l’interaction entre les variations de la houle et celles du niveau de la mer du fait de la marée. Aussi est-il difficile de prévoir les modifications des profils de plages.
Les variations d’énergie des houles
Lorsque, sans que la taille des sables en surface ait changé (un tel changement ne peut survenir qu’après une importante modification de profil qui a abouti au départ de toute une fraction granulométrique), l’énergie des houles se transforme, la pente, au niveau battu par les vagues, se modifie pour s’adapter aux nouvelles conditions. Les modalités du changement de pente rendent compte d’un certain nombre d’irrégularités rencontrées sur les plages.
Mécanisme de l’engraissement
Si, après une période où l’influence dominante de la nappe de retrait a façonné une pente faible, le retour au calme rend la prédominance au jet de rive (vagues constructives), un régime de sable montant s’établit. Il s’agit en général de houles qui restent d’oscillation jusqu’au trait de côte instantané, et par conséquent le mouvement du sable dans la partie submergée de la plage est un va-et-vient sans transport net appréciable dans aucun des deux sens. Sous le jet de rive, au contraire, il y a un transport qui n’est pas compensé par la nappe de retrait. L’amas du sable dans la zone atteinte par le jet de rive crée là, tout le long de la plage, un léger relief, qui a pour contrepartie un léger abaissement du niveau du sable sous le déferlement.
À l’étale de haute ou de basse mer – et le long des mers sans marée –, cette accumulation de sable peut atteindre un certain volume, par la prolongation de l’action au même niveau. Elle est alors bordée par deux dépressions, l’une en arrière, là où les vagues ne parviennent pas et où la pente antérieure est conservée, l’autre en avant, qui a fourni, sous le déferlement, le sable qui a monté. On qualifie de barre d’estran la construction sableuse, et de bâche la dépression située en arrière.
À marée montante, la barre progresse vers le haut de plage: le jet de rive porte en effet de plus en plus haut. La zone d’ablation située sous le déferlement monte en même temps. La barre est donc détruite sur son flanc aval pendant qu’elle se rehausse sur son flanc amont et au sommet. Elle ne se stabilise en position qu’à marée haute, en atteignant le haut de plage. Son volume est alors devenu important, à cause de l’action prolongée des vagues, et une tranche de sable de même volume a été enlevée sur toute la surface de la plage, qui a servi tour à tour de lieu de déferlement.
Si la différence entre la pente initiale et celle qu’engendrent les houles du jour est assez faible pour pouvoir être entièrement exploitée en une seule marée, la pente façonnée au cours de la marée montante – et qui est visible à la basse mer suivante – est une pente constante, qui ne changera plus tant que les conditions de houle resteront les mêmes. Mais, le plus souvent, la capacité de transport n’est pas telle qu’une quantité suffisante de sable puisse être enlevée en bas de plage et transportée vers le haut de plage en un temps aussi limité. La nouvelle pente qui se forme en contrebas est alors loin de correspondre au nouvel équilibre: elle est intermédiaire entre l’ancienne pente et la nouvelle, qui n’est encore réalisée que sur le flanc aval de la barre. Ce n’est qu’après plusieurs cycles de marée, si le même temps se maintient, que l’équilibre nouveau sera atteint sur tout le profil.
À marée descendante, si les vagues restent constructives en permanence, elles tendent à construire successivement, l’une contre l’autre, une multitude de flancs aval de barres, qui aboutiront à élever toute la surface du haut de plage, aux dépens chaque fois de la partie de la plage qui se trouve sous le déferlement. La dépression située sous celui-ci migre donc vers le bas de plage, où elle formera trappe à sédiments et attirera les sables de l’avant-côte. Lorsque, après plusieurs répétitions de ce processus, il ne restera plus de sables fins en bas de plage, apparaîtront les matériaux plus grossiers sous-jacents, dont la pente est très faible, parce qu’ils ne sont remaniés, eux, que lors des très grosses tempêtes au cours desquelles tous les éléments fins ont fui vers l’avant-côte. Une partie des cas où la plage est concave est due à l’exhumation, tout en bas, de ces témoins des tempêtes décennales ou centennales.
Les barres de haute mer construites à chaque marée sont échelonnées sur l’estran en période de déchet (diminution du marnage entre la vive-eau et la morte-eau) et les couples barre-bâche rendent le profil d’ensemble assez irrégulier. En période de revif (augmentation du marnage entre morte-eau et vive-eau), au contraire, les barres anciennes sont repoussées et, au terme de la période, à la vive-eau, toute la masse des barres construites pendant la quinzaine précédente peut être rassemblée en une seule accumulation, en haut d’estran (fig. 4).
La construction et la migration des barres exigent toutefois, non pas une mer calme, mais des houles constructives assez développées. Si la mer s’accalmit après la construction d’une barre, celle-ci peut rester en place longtemps. Elle se dégrade alors lentement et le profil réel qui résulte de la coexistence de deux pentes différentes séparées par une barre dégradée n’a rien d’un profil d’équilibre, même s’il se maintient longtemps. Il arrive aussi qu’une barre soit trop volumineuse pour que la mer montante puisse la repousser tout entière; elle est alors submergée, son profil est surbaissé par les houles d’oscillation de l’avant-côte et, à la marée suivante, elle forme un obstacle à la montée de la barre du jour, qui vient s’ajouter à elle. Ce processus cumulatif peut conduire à la formation de barres considérables, presque immobilisées sur l’estran, qui ne cheminent que très lentement vers le haut de plage (fig. 5).
Mécanisme du démaigrissement
Si, après une période où la plage a pris une pente assez forte par engraissements successifs, les caractéristiques de la houle et du vent deviennent telles que la nappe de retrait retrouve la prépondérance, les vagues destructives engendrent un régime de sable descendant . À l’étale – et dans les mers sans marée –, la nappe de retrait érode longtemps au même niveau. L’abaissement du niveau du sable affecte la partie du versant qui est battue par les vagues, alors que le haut du versant, hors de leur portée, reste intact: au contact des deux zones se forme une microfalaise plus ou moins escarpée.
À marée montante, l’ensemble du système se propage vers le haut du versant: la microfalaise recule aussi vite que monte le niveau de la mer, mais les vagues ne sont pas forcément capables d’évacuer vers la partie submergée du versant (plus précisément vers la barre d’avant-côte qui est un peu au large du déferlement et monte avec lui) tout le sable qui est fourni par cette érosion. Aussi la pente d’équilibre qui correspond aux houles du moment n’est que rarement atteinte sur toute la longueur du profil dès la première marée qui suit le changement de temps, car la capacité de transport de la nappe de retrait est généralement insuffisante (sauf dans le cas où la nouvelle pente diffère peu de l’ancienne) pour assurer l’évacuation de telles masses de sable. La première marée se borne donc, le plus souvent, à dégrader le profil antérieur en enlevant une couche de sable sur toute la hauteur de la plage.
À marée descendante, il se forme successivement une infinité de petites falaises entaillées dans la pente qui résultait du début d’évolution antérieur. Le lieu de ces falaises successives est une pente à peu près régulière, plus forte que l’ancienne. En contrebas, la nappe de retrait accentue encore peu à peu, par coups de rabot successifs, la pente du sédiment, tandis que l’altitude à laquelle s’effectue le déferlement s’abaisse progressivement, reportant la barre d’avant-côte de plus en plus bas. En bas d’estran, le sable en provenance du haut vient recouvrir le platier rocheux ou les sédiments grossiers que l’engraissement antérieur avait découverts. La pente façonnée dans les sédiments meubles se raccorde avec ce bas d’estran en très faible pente par un escarpement construit, dont la pente est celle de l’écroulement sous l’eau des matériaux de la plage (fig. 6).
Effets de la répartition saisonnière des houles
Les types de houle ne sont pas répartis dans le temps de façon aléatoire: sous la plupart des climats, il existe une saison où dominent les vagues constructives, une autre où dominent les vagues destructives, de sorte que les variations du profil des plages sont plus ou moins étroitement liées aux saisons. Sous les climats tempérés de l’Europe occidentale, ce lien n’est pas très rigoureux, à cause de l’irrégularité des vents. Les démaigrissements hivernaux des plages, qui atteignent souvent leur maximum en janvier et février, sont donc entrecoupés de phases plus ou moins longues d’engraissement, qui ont pour effet d’empêcher ces démaigrissements d’atteindre les profils d’équilibre nettement surbaissés vers lesquels ils tendent. Le surbaissement du profil, quand il atteint son parfait développement, a pour résultat un recul frontal du haut de plage tel qu’avec des marnages du type de ceux qui affectent les côtes de la Manche la côte devrait, là où elle ne s’adosse pas à une falaise, reculer en hiver de plusieurs dizaines de mètres si les vagues destructives se produisaient tout au long de l’hiver. Il n’en est généralement rien, parce que les périodes de mauvais temps ne sont pas assez soutenues. Ailleurs, sur les côtes américaines du Pacifique, par exemple, le recul frontal annuel est un fait constant – et souvent important – qui n’entraîne d’ailleurs que peu de dégâts, parce qu’il est prévu.
En été, normalement, il y a au contraire engraissement de la plage, accrétion frontale, les diverses barres venant tour à tour rejoindre le haut de plage et y construire une berme . Dans les mers à faible marée, les barres successives qui s’accolent ainsi atteignent des altitudes très voisines, et la berme est à peu près horizontale. Dans les mers à forte marée, les barres sont d’inégales hauteurs et la berme est irrégulière.
La constatation de ce rythme saisonnier habituel a conduit à parler d’un cycle annuel du profil d’équilibre des plages. Il est vrai que, dans certaines régions aux saisons nettement contrastées, ce cycle a une réalité. Mais, dans les pays tempérés d’Europe occidentale, un tel cycle n’existe que si l’on considère les moyennes d’un grand nombre d’années: dans le détail, il n’y a pratiquement aucune année où l’hiver ait constamment démaigri, puis l’été constamment engraissé. On peut voir des démaigrissements catastrophiques se produire en juin et durer tout l’été, des engraissements importants survenir en février ou mars. De plus, les phases d’engraissement et de démaigrissement ne sont pas concomitantes entre plages, même voisines, parce que les vents locaux jouent un grand rôle dans le caractère constructif ou destructif des houles; sur un littoral découpé, un même vent peut avoir des effets opposés en deux endroits voisins.
Il résulte de l’extrême variabilité des conditions climatiques locales, d’une année sur l’autre et d’un lieu sur l’autre, que toute prévision précise des modifications du profil est impossible aux latitudes moyennes. Ce qu’il est possible de dire, par contre, c’est que, si à l’occasion de telle marée de vive-eau on observe simultanément une houle longue et vigoureuse de telle direction et des vents locaux qui la forcent vers la côte, un démaigrissement considérable se produira certainement dans telle partie de telle plage. On peut aussi, statistiquement, prévoir qu’à la suite de telle modification du milieu la conséquence sera, à un terme qui ne peut être défini (mais dépend de la répartition des houles décennales, centennales, etc.), la destruction de tel élément du paysage naturel ou artificiel.
3. Structures et formes accessoires des plages
Structures internes
La masse entière d’une plage est faite d’éléments qui ont été mis en place en surface à un moment quelconque, puis inhumés sous d’autres éléments. Autrement dit, toute l’épaisseur de la plage est ainsi formée de lits sédimentaires superposés, dont la pente, la texture et la structure varient plus ou moins vite selon le degré de stabilité de l’état de la mer. De même qu’il peut exister en surface des contre-pentes au revers des barres d’estran, de même il en existe dans les laminations enfouies, et l’ensemble, vu en coupe, présente donc souvent ce qu’il est convenu d’appeler une stratification entrecroisée , qu’une étude attentive permet d’ailleurs de distinguer de celles qui existent dans les dunes ou dans les alluvions fluviales. Chaque lit individuel est composé de particules ayant le même «rayon équivalent hydraulique», c’est-à-dire auxquelles leur taille et leur forme donnent les mêmes réactions qu’une particule sphérique de ce rayon: coexistent ainsi des grains de quartz de faible diamètre et des coquilles brisées de bien plus grande largeur, mais de forme aplatie, des grains de densité usuelle et des minéraux lourds de plus petite taille. À cette règle générale du mélange des éléments de même rayon équivalent hydraulique, il existe des exceptions: d’une part, les couches qui étaient en surface lors d’un changement d’état de la mer comportent souvent un mélange d’éléments de diverses tailles, dont les uns étaient en équilibre avec l’état antérieur, les autres avec le nouvel état; d’autre part, la réaction de particules de même rayon équivalent hydraulique à l’écoulement turbulent du jet de rive et à l’écoulement laminaire de la nappe de retrait n’est pas toujours identique; elle varie avec leur forme et leur densité; en particulier, le moindre frottement subi par les minéraux lourds fait que le jet de rive tend à les projeter un peu plus loin (un peu à la façon dont il projette les galets, dont le rapport masse-frottement est élevé et qui, de ce fait, vont plus loin, une fois mis en route, que le fluide qui les a mus), alors que la nappe de retrait a plus de mal à les mettre en route. Aussi trouve-t-on souvent des concentrations de minéraux lourds là où s’est arrêtée la langue extrême du jet de rive; leur couleur fréquemment plus sombre rend aisée l’observation de ces ségrégations.
La disposition individuelle des particules a été peu observée pour les sables; elle est mieux connue pour les galets. Ceux-ci, en régime d’engraissement du cordon, s’adossent les uns aux autres, chacun étant disposé selon une pente propre supérieure à celle de l’accumulation (fig. 7). En régime de démaigrissement, les galets qui descendent se disposent au contraire à la façon des tuiles d’un toit. Enfin, les galets projetés par le jet de rive sur la berme ou sur le revers se disposent de façon anarchique, chacun restant plus ou moins dans la position aléatoire qu’il avait prise au terme de son trajet aérien.
Formes mineures
Parmi les accidents superficiels du versant, certains, quoique traités par beaucoup d’auteurs comme des formes mineures, sont pourtant des formes importantes parce que c’est par elles que la plage évolue: barres d’estran et bâches, bermes du haut de plage, gradins construits le long de la berme par l’accrétion successive des barres d’estran, ou taillés par le démantèlement partiel de la berme, existent nécessairement à certains stades du passage d’un type de profil à un autre.
D’autres formes, dont l’existence est en quelque sorte facultative, méritent mieux le nom de formes mineures. Ce sont des irrégularités du profil transversal et du profil longitudinal, comme les croissants de plage et les rides.
Les croissants de plage et les lobes de plage résultent d’interférences (soit entre houle directe et houle réfléchie, soit entre jet de rive et nappe de retrait d’une même houle) qui font que le jet de rive monte plus haut sur le versant en certains points qu’en d’autres et que chaque langue ainsi individualisée donne naissance à une nappe de retrait divergente. Sur chacun de ses flancs, la nappe issue d’une langue déterminée rencontre les nappes issues des langues voisines, et elles se mêlent en un écoulement concentré qui ravine l’estran et te prolonge sous l’eau en qualité de «courant d’arrachement» (rip-current ). Le ravin provoque une réfraction du jet de rive de la vague suivante, dont les langues se dirigeront vers les mêmes endroits que précédemment; la fixité des points où se concentre l’apport et de ceux où se concentre le départ des particules fait que la dénivellation s’accentue et que de moins en moins de vagues s’égareront hors des trajets communs. Lorsque le phénomène se produit à marée haute, il dure assez longtemps au même niveau pour pouvoir créer des dénivellations de plusieurs décimètres. En plan, lorsque la houle est d’un type destructif, les structures périodiques produites sont des croissants de plage , composés de promontoires étroits aux flancs raides, dominant des amphithéâtres évasés à fond plat ouverts vers le large. Les croissants de plage se forment dans tous les types de matériaux, mais sont particulièrement spectaculaires dans les galets, où leur longueur d’onde peut dépasser 30 m (fig. 8). Dans les sables, les croissants sont surtout apparents lorsque coexistent plusieurs tailles de matériaux, parce qu’ils sont le lieu de ségrégations, les éléments grossiers subsistant seuls sur les cornes. Lorsque de telles indentations existent à un niveau du versant, elles tendent à se propager plus haut et plus bas, parce qu’elles influent sur la circulation du jet de rive et de la nappe de retrait. À marée basse, la plage entière peut donc parfois être striée de ravinements qui en sont issus. La longueur d’onde des croissants de plage est liée à celle des houles qui les ont provoquées par des lois complexes, et, si la houle change, les structures périodiques tendent à disparaître ou à se modifier. Mais les grands croissants du sommet des cordons de galets peuvent avoir une extrême longévité.
Si la houle est constructive, les formes sont moins vigoureuses et ne se rencontrent guère que dans des matériaux fins. Ce sont les lobes de plage , larges dos de sable, de plan semi-circulaire, convexes vers le large, séparés par des sillons assez étroits et relativement encaissés.
Lorsque la nappe de retrait n’est pas concentrée de cette façon et qu’elle s’écoule avec la même vigueur le long des lignes de plus grande pente, il arrive qu’elle crée des rides qui sont transversales à sa direction, c’est-à-dire qui suivent à peu près les courbes de niveau. Ces rides d’écoulement , qui sont en quelque sorte des dunes hydrauliques, sont des bombements de quelques centimètres de commandement, dont la longueur d’onde varie du double décimètre au mètre. La ride, très largement bombée, est faite de sable minéral, alors que le sillon, en forme de V, est tapissé de débris coquilliers. Ces rides n’existent que lorsque le jet de rive monte suffisamment haut pour que la nappe de retrait ait un parcours assez long pour y développer des mouvements ondulatoires.
D’autres rides, appelées ripple-marks , se développent dans les bâches ou sur les parties les moins en pente de l’estran. Elles se forment sous l’eau, par suite des ondulations de la surface par le vent, et sont une réponse au va-et-vient de l’eau au ras du fond; de telles rides se forment partout pendant la submersion, mais elles sont généralement arasées par le jet de rive lors du jusant. Elles ne sont conservées dans les bâches et sur les estrans très plats que parce que le jet de rive y est à peu près inexistant.
Enfin les rides croisées , dites rhomboïdales, naissent du croisement de multiples incisions en V, la pointe vers le haut de l’estran, dont chacune est due à la division que subit la nappe de retrait quand elle se heurte à une particule plus grosse que la moyenne et saillant à la surface, une coquille par exemple.
4. Types régionaux de plages
Les plages des mers sans marée (ou à faible marnage) sont plus difficiles à analyser que celles des mers à fort marnage, parce que les phénomènes que l’on distingue aisément les uns des autres sur ces dernières sont entremêlés et confondus sur les premières. En général, la dénivellation totale de la plage est beaucoup moindre, ainsi que la largeur. Les profils d’équilibre sont beaucoup moins réguliers, faute de lissage par la marée, mais ils sont plus vite atteints, parce que c’est toujours au même niveau que s’applique l’énergie des houles.
D’autre part, les plages des mers à faible marnage sont beaucoup plus sensibles aux variations, saisonnières ou accidentelles, du niveau moyen de la mer. C’est ainsi que des bermes imposantes sont construites par les hauts niveaux saisonniers, en automne par exemple, sur les rives méridionales du golfe du Mexique.
Dans chacune des grandes zones climatiques, les plages ont des particularités liées d’une part aux différents types d’apports de matériaux (apports éoliens, fourniture de matériaux gélifractés), d’autre part à la répartition saisonnière des houles.
C’est ainsi que des plages intertropicales, comme celles du golfe de Guinée, sont façonnées essentiellement par des houles très longues venant d’un front polaire, que le vent local ne force guère vers la côte, et accessoirement par les cyclones saisonniers. La constance remarquable des agents de façonnement fait qu’elles atteignent rapidement leurs profils d’équilibre saisonniers et s’y tiennent.
Les plages subtropicales, comme celles de Mauritanie ou de Californie, connaissent une alternance saisonnière bien tranchée, entre de fortes houles d’hiver dues aux perturbations du front polaire, qui arrivent toujours de la même direction, et des calmes estivaux. C’est là que l’on observe les plus grands reculs frontaux saisonniers en hiver, les plus considérables accrétions en bermes en été.
Les plages tempérées, pour lesquelles la répartition saisonnière est infiniment moins rigoureuse et qui, placées sous les ondulations du front polaire, reçoivent des tempêtes venant de directions variées, ont une évolution très entrecoupée, qui fait que rarement les profils atteignent leur parfait développement (et qui fait aussi que, lorsqu’ils l’atteignent, cette évolution naturelle prend des aspects de catastrophe, parce qu’inhabituelle).
Les plages des pays froids, arctiques ou antarctiques, sont en grande partie façonnées par la glace: modelage par le pied de glace, gélifraction des éléments grossiers, exportation des sédiments, mais aussi atténuation des houles par les glaces flottantes.
Enfin, le cadre maritime régional influe sur la disposition des plages: dans les mers fermées, ou peu ouvertes, l’influence des houles longues est nulle et ce sont essentiellement les vents locaux qui expliquent la répartition des houles et leur caractère constructif ou destructif. De même, la disposition du plateau continental rend compte de la répartition et de l’importance des plages: plages rares, étroites, faites de galets, des côtes sans plateau continental (Provence); plages sableuses, mais discontinues, logées dans les anfractuosités du littoral, des côtes disposées obliquement par rapport aux houles longues qui balayent le plateau continental (Bretagne méridionale); immenses plages de sable des côtes qui reçoivent de plein fouet les houles longues qui viennent de balayer un large plateau continental (Landes de Gascogne, côte orientale des États-Unis).
Par leur extraordinaire variété, comme par la rapidité et la complexité de leur évolution, les plages apparaissent donc comme l’un des domaines privilégiés de la réflexion géomorphologique.
Encyclopédie Universelle. 2012.