POLDER
«Polder» est un mot d’origine néerlandaise (polder : terre endiguée) qui apparaît, pour la première fois, dans une charte de Middelbourg (en Zélande) en 1219; il a été adopté dans un très grand nombre de langues. Le terme désigne une superficie de terrain qui, naturellement recouverte d’eau, est entourée de digues, formant ainsi une dépression fermée artificielle, et qui a son régime hydraulique propre: l’eau de pluie ou celle qui s’est infiltrée à travers les défenses est évacuée par pompage ou, quand les circonstances le permettent, par gravité. Au sens strict, cette appellation est réservée à un territoire conquis sur la mer et situé au-dessous du niveau de celle-ci ou, du moins, au-dessous de celui de la haute mer. Mais on étend généralement le terme à des terrains très humides, endigués, situés le long de fleuves et même, parfois, loin de la mer. Les polders forment des régions dont les caractères spécifiques sont très nettement marqués.
La construction
Les trois types de polders
On distingue trois types: le polder d’endiguement ou d’atterrissements littoraux (en néerlandais, bedijking ), le polder d’assèchement (droogmakerij ) et enfin le Zuiderzee qui est, à la fois, littoral et d’assèchement.
– Le polder d’endiguement résulte de l’endiguement d’un schorre , c’est-à-dire d’une bande littorale qui n’est plus recouverte que par les vives eaux (hautes marées), à la différence de la slikke , recouverte par la marée. L’écoulement de l’eau se fait par gravité, à travers des écluses, à marée basse. Un nouveau schorre peut alors se former qui est endigué à son tour. Le schorre se recouvre d’un tapis herbacé de plantes halophiles: salicornes, spartines (notamment Spartina Townsendi ); on accélère la sédimentation sur le schorre par des semis de ces plantes, par la construction de levées, de fascinages, de rigoles. S’apparentent à cette catégorie les polders bordiers des cours d’eau: une digue submersible délimite le lit mineur; les hautes eaux peuvent occuper le lit majeur; mais le cours d’eau alluvionne entre ses digues, il a tendance à se surélever et il faut draguer (premier moulin à vase vers 1600, première drague à vapeur vers 1850). Ce type de polder a, généralement, une superficie plus petite, et il peut être plus ancien que le type suivant.
– Le polder d’assèchement résulte de l’endiguement d’une surface normalement occupée par de l’eau et asséchée par pompage; il est généralement entouré, outre la digue, par un canal circulaire (ringvaart ); la nécessité du pompage explique que ce type soit apparu plus tard.
– Le polder de type Zuiderzee résulte de l’endiguement d’une surface occupée par la mer et de son assèchement par pompage. Elle est de création récente, et elle suppose une très haute technicité.
Les digues les plus anciennes sont de simples levées de terre faites de matériaux pris sur place. Mais ces matériaux sont rares ou absents, il faut les importer; entre deux remblais d’argile, on coule du sable, les pentes sont protégées par du gazon, des prismes de basalte, des blocs de béton qui s’encastrent, etc.; la dernière brèche est fermée par des caissons coulés; les matériaux sont déposés par des navires conçus spécifiquement pour cet usage mais aussi par téléphériques. Quand les digues sont assez éloignées de la mer, on les détruit parfois (Zélande); les Néerlandais distinguent, si elles subsistent, à l’avant, la gardienne (wachterdijk ), puis la dormeuse (slaperdijk ), enfin la rêveuse (dromerdijk ).
Canaux et moulins
L’eau est évacuée par un réseau hiérarchisé de drains et de canaux. L’assèchement a été rendu possible grâce aux moulins dont les premiers semblent dater du début du XVe siècle; dans les plus anciens modèles, tout le corps tourne et ils n’élèvent l’eau que de 1,50 m; au XVIIe siècle, seule la tête tourne et une vis d’Archimède peut élever l’eau de 4,50 m et déplacer 5 millions de mètres cubes par an. Maintenant les moulins sont presque tous remplacés par des pompes; celles du Noordoostpolder rejettent, en moyenne, un milliard de litres par an.
Des surfaces d’eau (boezem ) servent de tampon pour les périodes pendant lesquelles on ne peut éliminer l’eau (un douzième de la surface pour les anciens polders). Les techniques actuelles permettent l’évacuation en tout temps et cependant ces surfaces d’eau douce jouent un rôle grandissant, au point de devenir plus utiles que le polder: elles permettent de lutter contre une menace, la salinisation, et aussi d’irriguer les terres en été; dans les polders de l’IJselmeer, des lacs bordiers empêchent le soutirage de la nappe du vieux pays; enfin, cette eau douce est de plus en plus précieuse pour l’industrie et les plans d’eau sont plus rentables car ils deviennent de hauts lieux touristiques.
Le sol d’un polder est très rapidement dessalé; le Zuiderzee est vite devenu un lac d’eau douce et le sol des nouveaux polders est dessalé. Si besoin est, on utilise de la chaux. La structure du sol peut être améliorée par des labours ou par des plantes à racine pivotante; il est nécessaire, au début, d’ensemencer en bactéries.
Les polders ne sont pas à l’abri d’un retour de l’eau: des catastrophes jalonnent l’histoire des pays de polders, telle l’inondation de la Sainte-Élisabeth, en Hollande, en 1421, ou encore le «raz de marée» du 1er février 1953, qui toucha les pays de la mer du Nord, submergea 135 000 hectares et fit plus de deux mille morts. Mais il arrive aussi qu’on soit amené à provoquer des inondations en temps de guerre pour opposer une barrière d’eau à l’ennemi.
L’exemple néerlandais
La poldérisation était connue des Sumériens et des Étrusques avant que les Néerlandais ne deviennent les maîtres de cet art.
Les premières digues ont probablement été élevées en Frise et en Flandre ainsi qu’en Zélande dès avant le IXe siècle. Entre ces deux régions, la Hollande ne commence la poldérisation que vers le XIIe siècle; dès le XIIIe siècle, elle vient au premier rang des pays qui conquièrent sur la mer; mais les grandes conquêtes datent du XVIe et du XVIIe siècle (Siècle d’or); au XVIe siècle, ce furent surtout des polders d’endiguement avec Andries Vierlingh, dijkmeester (maître de digue) de Guillaume le Taciturne; au XVIIe siècle, ce furent les polders d’assèchement avec le technicien des moulins, Jan Adriaensz von Leeghwater.
La poldérisation reprend au XIXe siècle, illustrée par l’assèchement du Haarlemmeer, en 1852, grâce à la pompe à vapeur, et surtout au XXe siècle, avec le Zuiderzee. Conçus par Cornelius Lely, les travaux commencent en 1919 et la digue de fermeture est terminée le 28 mai 1932; le Wieringermeerpolder a été asséché en 1932 (20 000 ha), puis le Noordoostpolder (48 000 ha), en 1942; le Flevoland oriental (54 000 ha) est mis à sec en 1957 et son aménagement agricole est mené à bien dans les années 1970; le Flevoland méridional a émergé en 1968. Au total, les Néerlandais ont conquis 750 000 hectares. Actuellement, la priorité est donnée aux travaux du plan Delta où, désormais, les plans d’eau demeurent et ne sont plus poldérisés.
Les autres pays européens font souvent appel aux Néerlandais, qui poldérisent les rivages de la mer du Nord et de la Baltique, en Allemagne, au Danemark, en Russie. En Angleterre, les Fens ont une longue histoire et ne furent asséchés qu’au milieu du XVIIe siècle. De la même manière, en France, une lutte fut menée pour la conquête du Marais de Dol, du Marais breton, du Marais de Luçon; le Marais-Vernier ne fut aménagé qu’en 1947; dans le Nord, les Moëres, asséchées par Cobergher en 1617, furent aussitôt réinondées pour des raisons militaires et asséchées à nouveau seulement en 1826. En Italie, les Marais pontins ont dû attendre la «bonification intégrale» du régime mussolinien.
Caractères originaux des régions poldériennes
Une œuvre collective
La poldérisation exige une entente entre les propriétaires d’un même polder et, comme les eaux d’un polder ne peuvent être indépendantes de celles du polder voisin, il faut aussi une entente entre polders, d’où la nécessité de l’intervention des autorités administratives et de l’État dès l’élaboration d’un projet. Actuellement, les polders offrent de bons exemples de planification. Il y a généralement une corrélation étroite entre poldérisation et haut niveau de civilisation.
En Hollande, le polder était dirigé par un waterschap , association de polders dont les membres étaient élus et qui avait à sa tête un dijkgraaf (intendant des digues); les waterschappen se fédéraient souvent; il fallut l’occupation française pour vaincre les particularismes néerlandais et pour créer le Waterstaat (service des Eaux de l’État) qui est devenu un puissant organisme d’État, surtout après l’échec de la mise en valeur privée du Haarlemmeer. Dans les polders de l’IJselmeer (lac d’IJsel), l’État reste propriétaire des terres, il les exploite pendant les premières années, il sélectionne avec rigueur les candidats, les encadre techniquement et décide de tous les aménagements.
En France, ce sont les abbayes qui poldérisent dans le Nord: Philippe d’Alsace crée, en 1184, les Wateringues, ou groupement de propriétaires; supprimées au moment de la Révolution française, elles sont rétablies dès 1801; la Plaine maritime est actuellement divisée en dix sections de Wateringues, plus la Grande et la Petite Moëre. En Italie, c’est le gouvernement et les lois de bonification qui vinrent à bout des Marais pontins.
Le paysage et les structures agraires
Le paysage est coupé par les digues mais surtout par les lignes géométriques des canaux: les haies sont inutiles. Les parcelles sont d’autant plus vastes et régulières que le polder est plus récent.
Les polders se composent de grandes exploitations (plus de 34 ha en moyenne dans le Flevoland oriental) qui sont parfois la propriété de l’État lui-même. Le paysage est net, rehaussé par la richesse des cultures et remarquable par la régularité de l’habitat: dans la plupart des cas, les fermes sont dispersées mais en ligne, tandis que les autres maisons sont groupées en bourgs; phénomène courant dans l’Europe du Nord-Ouest mais surprenant dans les Marais pontins.
L’agriculture des polders est souvent plus riche et plus savante que celle des régions bordières: ainsi dans le Flevoland, plus de la moitié des exploitants ont reçu une instruction du niveau du baccalauréat. Les cultures sont souvent préférées à l’élevage: blé et betteraves à sucre en Plaine maritime comme dans les Marais pontins; dans le Flevoland, un dixième seulement des fermes ont des bêtes, et il n’y aura pas d’élevage dans le Flevoland méridional.
Les villes sont généralement bordières. Certaines, anciens ports au destin aussi divers que Brouage ou Bruges, sont situées à l’intérieur, sur le rivage primitif. D’autres, de construction plus récente, à caractère portuaire ou touristique, sont édifiées sur le rivage actuel, en bord de mer. Parfois la planification a voulu créer une ville nouvelle au centre du polder, par exemple Emmeloord, Lelystad dans les IJselmeerpolders, Latina dans les Marais pontins.
Le premier but poursuivi par la poldérisation fut le gain de nouvelles terres cultivables; le second, celui de la défense contre la mer, fut de plus en plus aussi important que le premier. Actuellement, le gain de terres agricoles n’est plus rentable: elles occupent encore 87 p. 100 de la surface du Noordoostpolder, elles ne constitueront plus que 50 p. 100 du Flevoland méridional; par contre, l’espace bâti occupera 18 p. 100 contre 1 p. 100 et les espaces récréatifs, 25 p. 100 contre 5 p. 100. Enfin, la surface d’eau douce devenant plus intéressante que la terre, la poldérisation, du moins dans les pays riches, va vraisemblablement connaître une certaine stagnation.
polder [ pɔldɛr ] n. m.
• 1824; polre XIIIe; poldre 1643; mot néerl.
♦ Marais littoral endigué, asséché et mis en valeur (d'abord en parlant des Pays-Bas). Drainage d'un polder. Polders du Zuiderzee, de la baie du Mont-Saint-Michel.
● polder nom masculin (néerlandais polder) Région entourée de digues, afin d'éviter l'inondation par les eaux marines ou fluviales, puis drainée et mise en valeur. ● polder (expressions) nom masculin (néerlandais polder) Sol de polder, sol des milieux tourbeux littoraux, gagnés sur la mer par endiguement. (Initialement salins, riches en sulfures, ils deviennent fertiles par drainage, puis lavage.)
polder
n. m. GEOGR Terre située au-dessous du niveau de la mer, endiguée et asséchée de manière à permettre sa mise en valeur.
⇒POLDER, subst. masc.
GÉOGR. Vaste étendue endiguée et asséchée, conquise sur la mer, sur les marais littoraux ou sur des lacs, située à une cote inférieure au niveau maximal du plan d'eau. Drainage d'un polder; polders du Zuyderzée. Nous courons à toute vitesse à travers les polders, c'est-à-dire à travers les terrains conquis sur l'océan. Ici, c'est une terre limoneuse et légère, et alors je la vois régulièrement taillée par le soc des charrues et parfois couverte des beaux légumes qui reluisent à l'oeil (DU CAMP, Hollande, 1859, p.2). Il vénérait Verhaeren. Il en connaissait de longs passages hallucinants. Il aimait, dans ces polders et cette terre du Nord, en retrouver à tout instant les larges visions tragiques: le moulin, dont les bras,... comme des bras de plainte. Se sont tendus, et sont tombés (VAN DER MEERSCH, Empreinte Dieu, 1936, p.141).
REM. 1. Poldérisation, subst. fém. Action de poldériser. La poldérisation du sud de la baie [du mont Saint-Michel] (l'Express, 2 févr. 1980, p.74, col. 1). 2. Poldériser, verbe trans. Transformer en polder. Les autres pays européens font souvent appel aux Néerlandais, qui poldérisent les rivages de la mer du Nord et de la Baltique, en Allemagne, au Danemark, en Russie (Encyclop. univ. t.13 1972, p.219).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1835. Plur. des polders. Étymol. et Hist.1. 1267 [et non 1269] polre (doc. ds TAILLIAR, Rec. d'actes des XIIe et XIIIes., p.302); 2. 1805 poldre (Décret, 1er germinal an XIII ds LITTRÉ Suppl.); 1823 polders plur. (BOISTE); 1824 polder (RAYMOND). Empr., une re fois au m. néerl. polre, polder (1), puis au néerl. polder (2), FEW t.16, p.644a. Fréq. abs. littér.:16. Bbg. BOULAN 1934, p.149.
polder [pɔldɛʀ] n. m.
ÉTYM. 1823; polre en flamand, XIIIe; poldre, 1805; mot néerlandais.
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♦ Géogr. Marais littoral endigué et asséché (d'abord en parlant des Pays-Bas). || Drainage d'un polder. || Polders du Zuyderzée, de la baie du Mont-Saint-Michel…
0 En bas les huttes tutélaires, qui contiennent la rivière comme un polder flamand, étendent sous vos pieds et avec tristesse leur chaume pourri (…)
Nerval, Notes de voyage, Lettres d'Allemagne, II.
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DÉR. Poldériser.
Encyclopédie Universelle. 2012.