POLYTHÉISME
Naguère, le bruit courait que les monothéismes avaient inventé le polythéisme, le mot et la chose, qui serait né de la dégénérescence d’une révélation primordiale. Aujourd’hui, on pense plus volontiers que la croyance en un seul dieu est un choix révolutionnaire et que c’est une affirmation en rupture avec une société dont les dieux multiples doivent être exclus afin de poser la plénitude et la souveraineté d’un seul.
Les idéologies contemporaines ne manquent pas de raisons ni de motivations pour faire l’apologie d’un système contre l’autre. Mais, à l’écart de ces débats riches en affects, la recherche s’est engagée sereinement dans plusieurs directions, d’une part, vers l’analyse interne du polythéisme comme système de classification de puissances (délimitation des savoirs et des pouvoirs; définition des modes d’action qui spécifient les principales divinités d’un panthéon), d’autre part, vers l’étude des pratiques sociales des systèmes polythéistes (modes d’organisation de l’espace; pouvoir et autorité conférés par l’exercice des sacerdoces ou de certaines fonctions rituelles; rapports entre les types de société, les modèles de pouvoir politique et les formes d’organisation des puissances divines).
Le revers du monothéisme
Le polythéisme est à la mode. Des psychologues diligents y découvrent une dynamique des fonctions psychiques, dont les vertus thérapeutiques sont disponibles pour nos sociétés pluralistes et compétitives. Des psychanalystes, de plus en plus entreprenants, se tournent vers les dieux des religions polythéistes en leur demandant, non plus des modèles heuristiques, mais des fantasmes exemplaires qui viennent enrichir et illuminer le répertoire des faits cliniques. Dans le même temps, de grands débats idéologiques voient s’affronter Athènes et Jérusalem. Les uns affirmant que le monothéisme, seul, a fondé les droits de la conscience individuelle, qu’il a refusé avec le sacré les tentations de l’idolâtrie, de la passion des idoles, d’où naissent les grands égarements et les totalitarismes de la modernité. D’autres, en retour, entreprennent l’éloge des polythéismes allègres et de leur privilège de produire, avec la tolérance, un athéisme pratique, efficace et discret, où la pluralité des dieux fonctionne comme un instrument de socialité, un mode exemplaire des relations avec les autres.
Dans ces débats, il serait hâtif de lire un autre symptôme du «retour du religieux», alors que s’y affirme, de manière explicite, une réflexion épistémologique sur la nature du religieux et sur les limites du domaine propre à la religion. Mais s’y perçoit encore l’écho d’anciens conflits, si vifs, entre Grecs polythéistes et chrétiens ou juifs monothéistes, depuis que Celse, en 180 après J.-C., a dénoncé, dans la secte qui se donne un dieu aberrant – créateur à partir du néant! –, l’orgueil inouï de qui se croit élu, mais se conduit en athée quand il refuse de rendre aux dieux le culte ancestral et se réclame d’une seule puissance divine avec l’intolérance de prétendre à la Vraie Religion. Déjà, il est visible que les chrétiens monothéistes forment «un autre corps de patrie» (Origène, Contre Celse , VIII, 75) et qu’ils annoncent la montée d’une culture déniant celle des dieux pluriels. Déni si profond que, seize siècles plus tard, la question du polythéisme ne réapparaît qu’en donnant à celui-ci la forme d’un objet exotique, exhibé prudemment par la philosophie des Lumières. On redécouvre la pluralité des puissances divines à travers les habitants sauvages de la Nigritie, appelés par le président De Brosses à témoigner de l’idolâtrie et du fétichisme des origines, en attendant que l’anthropologie du XIXe siècle ne transforme les mêmes Pygmées en avant-courriers d’un Être suprême, créateur du ciel et de la terre, et d’une moralité irréprochable. Question désormais prioritaire, sinon obsessive, de l’histoire des religions, le problème de la formation du monothéisme, de son rapport avec les systèmes polythéistes et idolâtres, grandit et se formule à l’intérieur du catholicisme devenu cette culture commune, forte de ses mille moyens conspirants et permanents. Et, jusque dans les années quarante du XXe siècle, la doctrine chrétienne, plaçant aux origines un premier couple humain, monothéiste et promis au péché, semblait assigner au polythéisme de dire l’oubli d’une révélation primitive dans la profusion de ses dieux immoraux.
Présupposés très chrétiens
En matière de paganisme et de polythéisme, la référence à la Grèce est souvent contraignante: celle-ci n’est-elle pas le lieu privilégié où la raison bénéficie du désistement de la mythologie et où, dans le même temps, la religion, portée par l’exigence morale, se sépare du déraisonnable et du scandaleux de la fable? Si bien que, face à ces dieux païens si contigus à la culture chrétienne, deux attitudes se font concurrence: ou bien déclarer que les dieux de la cité sont absolument inaptes à répondre aux questions que tout homme réfléchi se pose sur le sens de la destinée humaine; ou bien montrer dans les manifestations de la religion individuelle comment l’idéal religieux des Grecs a préparé le message évangélique. Positions, si peu exclusives l’une de l’autre qu’elles se renforcent mutuellement dans le projet intellectuel d’André J. Festugière (1898-1982), dominicain et titulaire d’une chaire de religion grecque à l’École pratique des hautes études (Sorbonne). L’auteur de L’Idéal religieux des Grecs et l’Évangile (1932; réédité en 1981) exprime la conviction que l’âme grecque ressentait le besoin de la lumière et de la force qu’elle devait trouver dans l’Évangile, tandis que, dans ses études sur les institutions et les cultes de la cité, le même historien découvre, dans l’interférence du politique et du religieux, un mode d’organisation sociale analogue à l’Église, mais habité par des dieux obstinément sourds à ce qu’il appelle «les questions éternelles de la conscience religieuse». Il justifiait ainsi, par sa position d’expert, l’entreprise de Walter F. Otto, historien païen des dieux de la Grèce, qui dénonçait avec tant de vigueur les a priori enfouis par la culture chrétienne dans l’idée commune de «religion». Ces préjugés se trouvent noués dans un faisceau trinitaire: que tout sentiment religieux naît d’un besoin de salut, aussi nécessaire que le recours à la transcendance; que la finalité du divin est de délivrer les hommes de ce monde et de les arracher à une nature dont ils sont eux-mêmes radicalement disjoints; que la religion est indissociable d’une relation personnelle avec la divinité et que le commerce avec le divin s’opère à travers un sujet individuel, un moi qui appréhende le sacré par la médiation de l’âme immortelle. Autant de traits qui composent le faciès d’une religion dont le christianisme est le paradigme solitaire et radicalement étranger aux systèmes symboliques de tant de sociétés vouées au polythéisme. Réciproquement, rien n’est plus incongru aux pratiques spirituelles des sociétés riches en dieux que la relation spirituelle entre une âme dotée d’immortalité et un dieu unique et personnel.
Les structures élémentaires des panthéons
Des ensembles polythéistes, en général, on peut dire, d’une part, qu’ils constituent des systèmes de classification de puissances et de pouvoirs; de l’autre, que ce sont des modes de pensée étroitement intriqués dans l’organisation et le fonctionnement du social et du politique. L’hypothèse initiale est qu’un panthéon n’est ni une troupe confuse, ni la juxtaposition artificielle de personnalités dont chacune pourrait revendiquer une essence propre. C’est Georges Dumézil, l’analyste des dieux du monde indo-européen, qui s’est montré le plus attentif aux données immédiates du polythéisme. Un polythéisme dont l’armature est la tripartition, avec les trois «fonctions» de souveraineté magique et juridique, d’action guerrière et de fécondité: principe de classification qui sous-tend aussi bien la mythologie, la littérature sacrée que les modèles sur lesquels se règle la vie collective et même individuelle, mais en même temps structure qui affleure au niveau théologique dans une série de données factuelles telles que les groupements des divinités, les énoncés des hiérarchies, les mises en scène de symétries, d’antagonismes ou d’affinités. Certes, tous les panthéons ne sont pas pourvus d’une charpente aussi puissante que la structure idéale des trois grands types d’activité des Indo-Européens. Dans le monde africain, où prolifèrent les constructions polythéistes, rares sont les sociétés où les figures du panthéon sont liées entre elles dans un cadre narratif, où les concepts et les puissances religieuses sont rassemblés et mobilisés dans un système relationnel global. C’est alors la vie quotidienne avec ses gestes et ses pratiques coutumières qui forme le tissu d’une mise en relation entre des puissances de rang et d’efficacité distincts. Mais il n’est pas de panthéon si démuni de discours théologique qu’il ne livre, à fleur de pratiques et dans sa plus simple inscription sur le sol, quelques autels conjoints ou l’épiphanie hiérarchisée de puissances rassemblées par une occasion fugitive. Il s’ensuit que la définition d’un dieu dans les systèmes où il y en a plusieurs, et parfois des centaines, est nécessairement différentielle et classificatoire. Un dieu ne saurait se définir en termes statiques, mais à travers l’ensemble des positions qu’il peut occuper. Sur ce terrain s’est développée une méthode d’analyse structurale, originale par son goût du concret et sa défiance envers les modèles combinatoires. Les données immédiates du polythéisme sont déjà des structures, des éléments agencés, des couples constitués de puissances ou des triades récurrentes: comme des faits élémentaires à dégager avec soin, et qui autorisent l’inventaire des structures cachées, modèles à construire depuis ceux «qui sont faits à la maison», indigènes et natifs. Ainsi, à propos de la dualité des dieux souverains du védisme, Mitra et Varuna, où d’aucuns lisaient le souvenir mythologique d’une dépossession inachevée d’un ancien grand dieu, Mitra, par un autre plus récent, G. Dumézil reconnaît un couple original de puissances antithétiques et complémentaires. Chaque aspect de Mitra implique un aspect contrasté de Varuna, aussi nécessairement que la droite suppose la gauche: et la bienveillance de l’un répond à la violence de l’autre, comme le droit à la magie et ce monde-ci à l’autre monde.
Plutôt que de découvrir l’étymologie singulière d’un dieu dans une histoire généalogique ou d’assigner à chacun une sphère de l’existence humaine qui serait le substitut d’une essence, le polythéisme impose d’analyser les puissances divines les unes par rapport aux autres, de relever leurs groupements habituels d’après l’ordre d’énumération et les formes de hiérarchie, de dessiner les limites de leurs domaines respectifs à l’aide de tous les repères explicites. Il est déjà vraisemblable que les dieux se définissent moins par les décors où ils paraissent et par les territoires sur lesquels ils semblent régner que par la nature de leurs interventions et, comme Dumézil l’a suggéré, par l’intention et par les moyens d’action qui leur sont attribués. Alors que les points d’application d’une puissance divine se multiplient dès qu’il s’agit d’une divinité importante et populaire, le mode d’action, lui, reste constant et spécifique. Par exemple, le dieu Mars, dont la vocation guerrière n’est pas douteuse, intervient à plusieurs reprises dans le domaine de la vie agricole: singulièrement pour le sacrifice d’un cheval au Champ de Mars, le 15 octobre. Mais le rituel précise que la victime est spécifiée comme cheval de guerre et qu’elle est sacrifiée d’un coup de lance. Preuve que le dieu y apparaît non en puissance de fécondité, mais en divinité dont le mode d’action est toujours de nature guerrière. Autre exemple, grec cette fois: Poséidon et Athéna reçoivent sur des autels voisins un culte qui les désigne comme des puissances du cheval. Divinités complices, qualifiées de Hippios , au point de paraître identiques. Mais tout le contexte narratif met en scène la relation contrastée de dieux complémentaires: Athéna agit par le mors, elle intervient dans le domaine du cheval par l’instrument technique qui confère la maîtrise; tandis que Poséidon se manifeste par la fougue, par la violence, par la puissance inquiétante et incontrôlable de l’animal. Deux puissances du cheval, mais dont l’une est chevaline, dirions-nous, et l’autre, plutôt équestre.
Répartition des savoirs et limitation des pouvoirs
Termes différentiels d’un système complexe, les puissances divines sont nécessairement limitées. Il n’est pas de polythéisme qui n’implique une limitation de pouvoirs en même temps que de compétences. Le pouvoir de chacun reçoit sa frontière et sa délimitation des autres; et tout savoir n’existe que d’affronter les compétences adverses. Modèle si prégnant dans la pensée grecque que les dieux sont appelés «les puissants» (kreittones ); ils ont la force et la puissance, davantage que les mortels. Entre eux et avec les hommes, ils établissent des rapports de force, des relations de puissance du même type que celles qui ont cours entre mortels et dans les cités. Car kratos désigne le pouvoir, au sens politique. Chacun des dieux possède son territoire qui coïncide plus ou moins avec sa fonction et qui balise le champ de sa compétence. Dans les polythéismes savants, qui cultivent les discours théologiques, la répartition des honneurs et des pouvoirs est explicitement théorisée; elle se déroule dans des temps et selon des modes multiples. Il y a tirage au sort entre les trois fils de Cronos: Zeus, Hadès, et Poséidon. À l’un, le Ciel; au second, les Enfers; au troisième, la Mer; mais la Terre restera en commun. Tantôt les dieux semblent se distribuer entre eux les privilèges et les compétences; tantôt c’est le détenteur de la souveraineté qui, après sa victoire sur les Titans et leur démesure, répartit les honneurs, les timai , entre tous les dieux: donnant à ceux qui n’ont rien et confirmant les pouvoirs des autres. Enfin, à un autre niveau encore, celui de la civilisation urbaine, les dieux éprouvent le désir nouveau d’avoir chacun une cité dans laquelle ils goûteraient le plaisir des honneurs privés que reçoivent les puissances poliades. Chaque cité devient un microcosme où la divinité régnante réorganise le panthéon à l’échelle locale, mais au terme de rivalités avec une ou plusieurs puissances prétendant à la souveraineté sur le même territoire.
À ce modèle en clair de la répartition des pouvoirs répond la figure inverse et en creux de la puissance oubliée et de la divinité négligée ou méconnue: quand le roi du pays refuse de sacrifier à la divinité du territoire, comme Oineus, roi de Calydon, au moment d’offrir les prémices de la récolte, ou bien, quand, au milieu d’un mariage dont Aphrodite a réglé les détails et voulu, elle-même, l’accomplissement, tous les dieux reçoivent encens, honneurs et victimes, sauf celle qui préside de droit à l’union des époux, en l’occurrence Atalante et Hippomène. Chacun de ces oublis est un faisceau de lumière vive concentré sur le pouvoir d’une divinité: inévitablement, la colère et les représailles déclenchées constituent le révélateur le plus sûr de la place occupée dans le panthéon et des modes d’action qui la singularisent. Pour se venger de Pélias, roi de Thessalie, qui méprise ses autels, Héra mobilise les destins croisés de Jason et de Médée, et entraîne les Argonautes à la conquête de la Toison d’or. Mais, entre eux, les dieux sont moins imprudents: une fois le partage accompli, jamais ils ne se contestent mutuellement leurs droits.
D’autres éléments interviennent dans la définition d’un dieu. Et d’abord, le nom et la forme. Nommer les dieux, c’est leur donner une forme singulière. Et, au nom propre, la statue confère la puissance évocatrice d’une présence visible, si efficace que les insignes et les emblèmes des dieux grecs ont traversé le Moyen Âge et la Renaissance. Mais, en même temps, les puissances divines sont marquées par l’alternance du singulier et du pluriel, en un jeu dont la règle la plus simple est énoncée dans l’Iliade (II, 400): «Tous sacrifient aux dieux, mais chacun à un dieu différent». Le singulier ne dit pas la personne, mais renvoie à la société organisée, où il privilégie un acteur. Et le dieu le plus individualisé peut toujours se différencier dans les pratiques rituelles en figures diverses, ajustées à ses positions successives, aussi communément que peuvent cohabiter sur le même autel, ou dans l’enceinte d’un sanctuaire partagé, des couples, des triades et jusqu’à ces «Douze Dieux» dont le décompte, toujours variable, n’exclut jamais le reste du panthéon. Un seul geste au cours du rituel sacrificiel suffit à définir la même puissance, tantôt comme olympienne ou infernale, tantôt comme de rang divin ou de condition héroïque.
À quoi s’ajoute que les dieux, en qualité de non-mortels, ne connaissent ni la mort, ni le vieil âge, à l’opposé des humains, voués à croître et à dépérir comme les feuilles des arbres. Mais ni le nectar ni l’ambroisie ne les empêchent d’éprouver la fragilité de la naissance, ni la faiblesse du parjure, ni les crimes et le châtiment du long sommeil ou les servitudes infamantes. Grandeur et misère des dieux ignorants de la transcendance.
La pratique des dieux: autour du politico-religieux
Système de classification de puissances et de pouvoirs, les polythéismes mettent en place des modèles d’action qui sont étroitement articulés au fonctionnement de la société et aux formes d’organisation politique. Sans être jamais le reflet des structures sociales dominantes, les sociétés divines varient profondément d’un continent à un autre, des sociétés anciennes aux civilisations archaïques. Dans le monde africain, mis à part les dieux Orisa et Vodun dans la région du golfe du Bénin, les puissances divines semblent dispersées parmi les gestes de la vie quotidienne, au milieu des interdits claniques et des gloses qui en font l’exégèse, mais sans être rassemblés dans une narration continue ou mis en relation dans un discours théologique. Dieux furtifs, disséminés par des sociétés souvent veuves de centre politique. En revanche, dans le plus modeste village de l’Inde, les panthéons locaux portent l’empreinte du système des castes et de sa hiérarchie. Et, dans le Proche-Orient ancien, la centralisation des États s’accompagne d’un procès d’unification des panthéons urbains qui, en retour, dans leurs nouvelles structures, renforcent l’efficacité du pouvoir royal. Ainsi, dans le monde hittite, après les troubles du XIVe siècle et la reconquête militaire d’un roi fort, Tudhaliya IV réorganise les sanctuaires tombés en déshérence, restaure les cultes si profondément que la nature des dieux en est transformée. Au lieu des anciennes idoles, pierres dressées ou stèles à peine travaillées, surgissent des statues anthropormorphes de fer revêtues de métaux précieux. Désormais, les images des dieux sont domiciliées dans des sanctuaires, des temples eux aussi édifiés avec des matériaux à l’abri du temps, tandis qu’un personnel spécialisé est chargé d’entretenir le corps des dieux et de préserver l’intégrité des formes nouvelles données aux dieux. Car la statue d’une divinité est son essence, et c’est seulement en elle et par elle qu’existe une divinité.
Le remembrement du panthéon se fait au nom d’un pouvoir central qui décide des dieux communs à tous, choisit les puissances homogènes et redistribue la multiplicité des figures en grandes divinités: puissances de l’orage, dieux de la guerre, déesses de la fécondité. Des divinités aux traits bien dessinés effacent des puissances provinciales, éclipsent des puissances locales, naguère souveraines incontestées d’une source ou d’un plissement de terrain. Cette réforme est rendue possible par une administration formée dans les «maisons des tablettes», et mise en œuvre depuis le palais royal qui a levé la carte des dieux et des sanctuaires.
Dans la société grecque, au niveau de chaque cité, le religieux est étroitement intriqué dans le politique. Fonder une cité ou la colonie d’une cité, c’est, en premier lieu, offrir un sacrifice aux dieux du pays ou de la métropole. C’est entreprendre d’inscrire les marques des puissances divines sur le territoire de la nouvelle cité. Autels, statues et sanctuaires sont inséparables de l’invention de l’espace politique. Ces dieux, en configurations adéquates, sont mobilisés par chacune des pratiques de la vie sociale. Le fait est si constant que ce type de société se définit explicitement par la conjonction formulaire des «affaires des dieux et affaires des hommes», non par le sacré et le profane – évoqué par ce qui est appelé hiera et hosia –, mais par le domaine des puissances divines et ce qui est autorisé par les puissances divines, tout en étant destiné aux humains. Parallèlement, au cœur d’une société où chacun, citoyen ou magistrat, peut exercer librement les fonctions de prêtre – la prêtrise étant le plus souvent une magistrature –, un personnage appelé l’archonte-roi administre, au nom de la cité, la totalité des cultes et des rituels pratiqués par la communauté. Chaque fois qu’il s’agit d’ouvrir une assemblée, de déclarer la guerre, de conclure un traité ou de célébrer une fête, les puissances divines interviennent selon des modalités régulières et en fonction de leurs compétences.
La pratique du polythéisme est plus explicite encore dans certaines institutions, socialement très fortes, telles que l’intégration des jeunes Athéniens de dix-huit ans accomplis dans la société des citoyens en armes. Au moment où se termine leur service militaire, les éphèbes jurent de se battre pour la défense du territoire et pour les dieux de la cité autant que pour leurs concitoyens. Ils ont alors accompli la tournée des sanctuaires, parcourant le pays, en allant de chapelles en sanctuaires, prenant ainsi connaissance de la topographie du panthéon attique et découvrant, de libations en sacrifices, les pouvoirs et les savoirs des dieux. Expérimentation des dieux de la cité, qui se fortifie de la participation à une longue série de fêtes et de rituels, depuis le sacrifice inaugural offert sur le Foyer Public, au Prytanée, dans le centre politico-religieux de la cité, jusqu’à la cérémonie conclusive sur l’Acropole, les éphèbes parcourent, au rythme temporel du calendrier religieux, l’espace entier des fêtes, des processions et des rituels de la société politique. Apprentissage du politico-religieux dans une de ces sociétés riches en dieux où les rapports sociaux paraissent inséparables d’une dimension symbolique, structurée par le système polythéiste.
polythéisme [ pɔliteism ] n. m.
• 1580; gr. polutheos, de theos « dieu »
♦ Doctrine qui admet l'existence de plusieurs dieux. Le polythéisme égyptien, grec. Polythéisme et mythologie. « Au fond du polythéisme est le sentiment de la nature vivante, immortelle, créatrice » (Taine).
⊗ CONTR. Monothéisme.
● polythéisme nom masculin (grec polutheos, qui adore plusieurs dieux) Conception philosophique ou religieuse qui admet une pluralité d'êtres divins. ● polythéisme (synonymes) nom masculin (grec polutheos, qui adore plusieurs dieux) Conception philosophique ou religieuse qui admet une pluralité d'êtres divins.
Contraires :
- monothéisme
polythéisme
n. m. Religion qui admet l'existence de plusieurs dieux. Le polythéisme grec.
⇒POLYTHÉISME, subst. masc.
Doctrine religieuse ou système philosophique qui admet l'existence de plusieurs dieux. Anton. monothéisme. Polythéisme égyptien, grec. Le polythéisme méditerranéen a reparu en Italie en infligeant de merveilleux visages à toutes les passions moroses dont l'exploitation mystique avait brisé le monde ancien (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 249). Je crois plus facilement aux dieux grecs qu'au bon Dieu. Mais ce polythéisme, je suis bien forcé de le reconnaître tout poétique. Il équivaut à un athéisme foncier (GIDE, Nouv. Nourr., 1930, p. 278).
Prononc. et Orth. :[]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1580 (J. BODIN, Demon., f° 28 v° ds GDF. Compl.). Formé du gr. « qui adore de nombreux dieux (de « nombreux », v. poly- et « dieu ») » et du suff. -isme. Fréq. abs. littér. :194.
polythéisme [pɔliteism] n. m.
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♦ Doctrine religieuse ou philosophique qui admet l'existence de plusieurs dieux. ⇒ Religion; dieu (cit. 11 et 16). || Les dieux, les divinités d'un polythéisme. ⇒ Panthéon. || Le polythéisme égyptien, grec. || Polythéisme fétichiste, idolâtre… (⇒ Fétichisme, idolâtrie), sabéiste (⇒ Sabéisme). || Le polythéisme, qualifié de paganisme par les chrétiens. || Polythéisme et mythologie. || Certains polythéismes recouvrent un panthéisme diffus.
1 Au fond du polythéisme est le sentiment de la nature vivante, immortelle, créatrice (…)
Taine, Philosophie de l'art, t. II, p. 203.
♦ Par extension :
2 Le christianisme, à force de saints, est un polythéisme.
Hugo, Post-scriptum de ma vie, Promontorium somnii, III.
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CONTR. Monothéisme.
DÉR. Polythéiste.
Encyclopédie Universelle. 2012.