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PÉTRA
PÉTRA

À quatre-vingts kilomètres au sud de la mer Morte, à cent kilomètres au nord d’Akaba, petit port au fond du golfe de ce nom, Pétra était installé en un emplacement à la fois sinistre et grandiose, dans un chaos de rochers. Ceux-ci lui avaient donné son nom, en hébreu, Séla (pierre, roche), en grec, Pétra , traduction scrupuleuse. De tous les sites historiques du Moyen-Orient, Pétra est l’un des plus spectaculaires. Cachée au milieu des falaises, la ville avait pendant des siècles échappé à la curiosité des hommes, puisque son nom était effacé de leur mémoire. Sa découverte au début du XIXe siècle tient du roman d’aventures. Depuis, les problèmes qu’elle pose sont loin d’être tous résolus, mais, avec elle, le passé historique et artistique de l’humanité s’est enrichi d’un chapitre aussi considérable qu’éblouissant.

Géographie et histoire

Le choix de l’implantation, pour ceux qui s’y fixèrent les premiers, fut commandé par des raisons profondes: sécurité qui semblait assurée, existence de l’eau, contrôle des grandes voies du transport caravanier. Pétra était, en effet, au croisement de deux pistes: nord-sud (Syrie-mer Rouge), est-ouest (Indes, golfe Persique, Méditerranée). Pistes par où transitaient les marchandises les plus diverses; or, argent, pierres précieuses, bois, animaux rares ou inconnus en Asie occidentale (singes et paons), aromates, épices et encens.

De Pétra à Gaza, au bord de la Méditerranée, ou à Jérusalem, il y avait plus de deux cents kilomètres à vol d’oiseau, mais l’itinéraire était beaucoup plus long. Il était indispensable d’avoir des relais et des emporia . Pétra fut un de ceux-là, aux mains de commerçants mais contrôlés par des dynasties locales. Royautés indigènes: édomites d’abord (jusqu’au IVe s.), nabatéennes ensuite (du IIIe s. av. J.-C. au début du IIe s. apr. J.-C.) à l’heure où Rome fonde la province d’Arabie (106 apr. J.-C.) dont Bosra devient la capitale et Pétra une des métropoles importantes. En 130, l’empereur Hadrien la visite solennellement. Plus tard, on y trouvera des chrétiens et même des croisés qui construisirent un château, visible encore aujourd’hui.

La documentation épigraphique ou littéraire se rapportant à Pétra ne cesse d’augmenter. En 1964 fut découverte, à la faveur de travaux effectués à l’entrée du Siq, une épitaphe avec la mention de Raqmu qui serait le plus ancien nom sémitique de la ville. Quant à la localisation de la Séla biblique, elle n’est pas absolument établie. La plupart des spécialistes proposaient naguère Umm el-Biyara , falaise qui domine la ville à l’ouest. Depuis les fouilles de C.-M. Bennett, on songe plutôt maintenant à la région de Buseira, à 50 kilomètres au nord de Pétra. C’est là qu’il faudrait situer les épisodes dramatiques rapportés dans plusieurs passages de l’Ancien Testament (II Rois, XIV, 7; II Chroniques, XXV, 11-12) et qui expliquent la haine qu’Israélites et Édomites éprouvèrent les uns pour les autres, tout au long de leur histoire (Psaumes, CXXXVII, 7-9).

Aux Édomites succédèrent les Nabatéens, avec des rois entreprenants, où la famille des Arétas occupe une place prépondérante. Le premier de la lignée, Arétas Ier, porte fièrement le titre de «tyran des Arabes». La dynastie ne manquait ni d’ambition ni d’audace. Arétas III Philhellène était devenu roi à Damas à la mort d’Antiochus XII. Au règne d’Arétas IV appartient l’ethnarque qui avait voulu, à Damas, s’emparer de la personne de saint Paul (II Corinthiens, XI, 32-33), lequel s’échappa de justesse, grâce au concours d’amis qui le firent descendre du haut du rempart dans une corbeille. Notation précise qui, semble-t-il, doit être prise à la lettre, avec un épisode à situer en 40-41 après J.-C. Après Arétas IV et Malichos II (41-70), on arrive au dernier roi nabatéen, Rabbel II (71-106) et à la fin de l’indépendance. Cornelius Palma, gouverneur de Syrie, s’empare de Bosra et de Pétra. Loin d’être vouée à la disparition ou à la décadence, la ville devait encore connaître une période de grandeur. C’est probablement de l’époque des Antonins (IIe s. apr. J.-C.) que datent ses plus beaux monuments, une des plus extraordinaires visions que l’Orient réservait à J. L Burckhardt qui découvrit le site en 1812 et qu’elle réserve encore à tous ses visiteurs.

Découvertes

En 1812, le Suisse Burckhardt, converti à l’islam, se proposait d’aller à La Mecque sous le nom de Cheikh Ibrahim. Sur la route de la cité sainte, il entendit parler de ruines étranges au lieu dit Ouadi Moussa (le torrent de Moïse), non loin du village d’El-Dji. Il voulut vérifier les dires de ses guides. Malheureusement il était très surveillé et dut observer avec discrétion ce monde fantastique qui lui apparaissait. «Je regrette, écrivait-il plus tard, de ne pouvoir donner un rapport complet des antiquités du Sikh [c’est le nom du défilé par lequel on accède à la ville], mais je connaissais bien le caractère des populations qui m’entouraient. J’étais sans protection au milieu du désert où aucun voyageur n’avait encore passé [...]. Les voyageurs de l’avenir pourront visiter la place sous la protection d’une force armée. Les habitants s’habitueront aux enquêtes des étrangers et alors les antiquités d’Ouadi Moussa seront reconnues comme dignes de figurer parmi les plus curieux restes de l’art antique.»

Burckhardt avait ouvert la voie, suivi rapidement par beaucoup d’autres voyageurs: en 1818, deux officiers de marine, les Anglais Irby et Manglesi; en 1828, les Français L. de Laborde et M. A. Linant de Bellefonds. Dès lors, l’exploration scientifique n’allait plus cesser: R. et C. Rowley (1836), le duc de Luynes (1864), les dominicains de l’école biblique de Jérusalem (1897), R. E. Brünnow et A. von Domaszewski (1896-1897), G. Dalman (1908-1912), T. Wiegand, W. Bachmann et C. Watzinger (1916). Après G. et A. Horsfield, W. F. Albright (1934), Nelson Glueck (1933), les derniers en date sont Peter Parr (1954), L. Harding (1954), W. H. Morton (1955), P. C. Hammond (1957), C.-M. Bennett (1960), D. Kirkbride (1960) avec les travaux de la British School of Archaeology of Jerusalem, de l’American School of Oriental Research et enfin de l’École biblique (J. Starcky).

Les monuments

Après avoir quitté le village d’Ouadi Moussa appelé aussi El-Dji, on passe devant trois monuments funéraires, puis on aperçoit le Tombeau aux obélisques; il s’agit en réalité de quatre monuments du type nefesh (cippe funéraire, représentant la personne du défunt) qui dominent une façade sépulcrale plus récente. La gorge du Siq n’est pas loin. Longue de quelque deux kilomètres, elle s’enfonce au milieu des falaises qui la serrent au point que parfois deux chevaux n’y peuvent marcher de front; dans ce défilé, vingt-trois pèlerins furent emportés en 1963 par une crue subite de l’oued, à la suite d’un violent orage; aux deux tiers du chemin apparaît le plus beau des monuments de Pétra, le Khazné Firaoun ; l’édifice est certainement un tombeau royal, peut-être celui d’Arétas IV; sa façade, taillée dans le grès rose, est ornée de colonnes, de chapiteaux, de reliefs et d’une urne au sommet, sur laquelle des Bédouins déchargeaient autrefois leurs fusils. Le Khazné ne marque pas l’entrée de la ville, et le défilé se poursuit, mais beaucoup moins étroit. À quelque six cents mètres, à main gauche, un théâtre d’époque romaine, lui aussi taillé dans le roc: trente-quatre rangées de gradins où trois mille spectateurs pouvaient prendre place. Deux cents mètres plus loin, on est définitivement sorti de la gorge. On débouche dans la plaine intérieure qu’enveloppent de toutes parts les falaises; la plus haute (1 260 m), Umm el-Biyara (la «mère des citernes»), semble décrite par les auteurs bibliques (Abdias, I, 3-4; Jérémie, XLIX, 16). Au pied, le Qasr bint Firaoun («château de la fille du Pharaon»), temple du Ier siècle, dont le porche est formé par deux antes et quatre colonnes doriques; un arc de triomphe à trois baies; un nymphée, un palais, une voie dallée qui se dirige vers l’est où les tombeaux s’ajoutent aux tombeaux: tombeau de Sextus Florentinus, gouverneur de la province d’Arabie; tombeau à trois étages; tombeau corinthien; tombeau dorique à urne (transformé en cathédrale au Ve s. apr. J.-C.); tombeau d’Onaishu, etc. Il faut mentionner encore le monument d’ed-Deir (le «couvent»), situé à l’écart de la ville, excavé dans la falaise (47 m de développement, 45 m de hauteur, urne de 9 m) et qui fut, sans doute, comme le Khazné qu’il rappelle sur bien des points, une tombe royale, peut-être celle de Rabbel II, le dernier souverain nabatéen.

Il faut monter aussi au Zibb Atouf , haut lieu qui domine la ville de deux cents mètres. Le sentier actuel suit l’escalier antique, dont les marches avaient été taillées dans la falaise. Avant d’arriver au sommet, on passe devant deux obélisques, hauts de six à sept mètres, inspirés des bétyles antiques, complètement évidés du rocher. Au-delà, le haut lieu, intact. Dans une cour rectangulaire (14 m sur 6 m), une table d’offrandes. Presque en face, un cube comportant sur le devant un escalier. À main gauche, un deuxième autel, avec une cuvette pour recueillir le sang des sacrifices et une auge rectangulaire. Aucune inscription ne permet de dire la divinité qui fut ici adorée. Peut-être Dushara, le grand dieu des Nabatéens. Pas davantage ne peut-on donner une date pour l’aménagement de ce haut lieu, un des plus impressionnants que nous ait légués l’Antiquité orientale.

De la hauteur, on aperçoit au loin l’Araba, on devine le désert de Qadesh, région qu’occupèrent avec Moïse les Israélites sortis d’Égypte. Il ne semble pas qu’ils soient passés à Pétra, même si l’onomastique repose sur des souvenirs bibliques: Ouadi-Moussa , Djebel-Haroun («mont d’Aaron»). Même si des anachorètes chrétiens s’y fixèrent, creusant leurs gîtes au voisinage de tombeaux. Ce qui demeure à Pétra, c’est cet extraordinaire défi lancé à la nature par une ville installée dans une telle solitude, c’est la splendeur de ses monuments: le Khazné , ed-Deir . Défi que la vie jetait à la face de la mort.

Pétra
(auj. Al-Batrâ', en Jordanie) anc. v. d'Arabie, entre la mer Morte et la mer Rouge. Cap. des Nabatéens (VIe s. av. J.-C. - IIe s. apr. J.-C.), elle devint cité romaine sous Trajan (106 apr. J.-C.).
Importantes ruines de temples funéraires taillés dans le roc.

Encyclopédie Universelle. 2012.