SPARTE
Thucydide prédisait déjà à la fin du Ve siècle qu’il ne resterait rien de Sparte: «Supposons que Sparte soit dévastée et qu’il subsiste seulement les temples avec les fondations des édifices: après un long espace de temps, sa puissance soulèverait, je crois, par rapport à son renom, des doutes sérieux chez les générations futures [...]. Comme les Lacédémoniens ont une ville qui n’est pas centralisée, qui n’a pas de temples ni d’édifices somptueux, mais qui se compose de bourgades, comme c’était autrefois l’usage en Grèce, leur puissance apparaîtrait inférieure» (I, 10). De fait, à part les vestiges des temples d’Artémis Orthia et d’Athéna Chalcioicos, du théâtre et de quelques stèles ou ex-voto, il ne reste rien d’une ville qui a longtemps dominé la Grèce. C’est qu’elle n’a jamais possédé de monuments importants et n’a jamais participé à cette émulation qui entraînait les cités à se parer de riches édifices pour rivaliser entre elles.
La place de Sparte dans l’histoire de la Grèce antique est autre. Pour les Grecs, Sparte représente le modèle de la cité aristocratique, une cité donc où un corps civique particulièrement restreint domine une masse d’inférieurs et de dépendants. En fait, il s’agit plus d’une oligarchie que d’une aristocratie, puisque les citoyens portent le nom d’Égaux, ce qui n’exclut ni l’existence d’une aristocratie primitive antérieure à la constitution de ce corps d’Égaux, ni des survivances ultérieures de privilèges aristocratiques. Dans l’ensemble, cependant, un farouche esprit égalitaire règne dans la communauté, inculqué dès l’enfance, perpétué en période de paix au travers des pratiques toujours vivantes de la vie en commun, en temps de guerre par la rude discipline de l’hoplite qui impose à chacun d’avancer du même pas que ses compagnons d’armes, sans rechercher l’exploit individuel. Ce qui caractérise d’abord Sparte, c’est donc la disproportion entre le nombre restreint (au reste toujours décroissant) des citoyens et la masse opprimée et exploitée par eux. D’où l’opposition sans cesse établie par les penseurs grecs entre une Sparte championne de l’oligarchie et une Athènes parangon de la démocratie, opposition qui se concrétise dans l’immense conflit où elles s’affrontent lors de la guerre du Péloponnèse.
Sparte se définit en outre par sa puissance d’expansion. Cette cité terrienne (une des rares cités grecques importantes sises loin de la mer) n’a guère cherché à s’enrichir par les échanges, sauf en de brèves périodes, et ce trait fondamental l’oppose également à une Athènes maritime entièrement tournée vers le négoce. Son corps de citoyens est aussi un corps de soldats, de soldats d’active, si l’on peut dire, et qui n’ont le droit de se livrer à aucune autre activité que le métier militaire. Dans un premier temps, Sparte réussit à asservir ses voisins les plus immédiats et à dominer la quasi-totalité du Péloponnèse. Puis elle s’enhardit, à la suite et à l’imitation d’Athènes, à se créer un vaste empire et à tenter de soumettre la Grèce entière. Même déchue après sa défaite de Leuctres, elle ne cesse de réagir contre son déclin, de ranimer ses énergies défaillantes, et seule Rome sera capable de la briser définitivement.
Sparte offre enfin un immense intérêt sur le plan des comportements et des mentalités. Cette cité de guerriers s’est vouée à l’austérité, à la frugalité, à la discipline; elle a créé un idéal de dévouement absolu de l’individu à la chose publique; à la rhétorique elle a préféré le laconisme et l’apophtegme.
Ainsi s’explique son originalité au milieu des autres cités grecques, ainsi le mirage spartiate, qui a fait envier à certains penseurs athéniens (et non des moindres: Xénophon, Platon) les institutions et le style de vie d’une Lacédémone pure et dure.
La vallée de l’Eurotas, ou Laconie, avait été à l’époque mycénienne le siège d’un royaume important, dont Ménélas est le roi dans les épopées homériques: c’est «la creuse Lacédémone» d’Homère. Les envahisseurs doriens s’y installent au prix de luttes sévères contre les Achéens, avec qui ils doivent parfois composer, comme c’est le cas pour les occupants d’Amyclées. Sur un site encore vierge, ils fondent des villages: le synœcisme de ceux-ci forme la cité qui porte le nom énigmatique de Sparte (peut-être «la ville aux genêts»), tout en gardant celui de Lacédémone.
L’archaïsme
Toute l’histoire de la Sparte primitive est dominée par la figure de Lycurgue, un roi à qui l’on attribue l’institution d’une Constitution, la Rhètra , et le partage des terres en lots égaux (klèroi , littéralement: «lots tirés au sort»). Mais ce roi réformateur, autour duquel les Anciens ont beaucoup fabulé, reste, comme ses réformes, entouré du plus grand mystère.
Égaux, périèques et hilotes
La société apparaît divisée en trois classes: les citoyens, les périèques et les hilotes. Les citoyens, ou Égaux, sont dotés chacun d’un klèros mis à leur disposition par l’État (qui reste propriétaire de la terre): il ne leur est pas permis de s’adonner à l’agriculture, pas plus qu’à l’artisanat ou au commerce. Ils vivent du revenu fixe (apophora ) de leur terre, qui leur est fourni en nature par les hilotes chargés de la cultiver pour eux. Le nom d’Égaux (homoioi ) qu’ils portent dénote une société égalitaire, mais ses origines restent l’objet des plus vives discussions: l’égalité est-elle originelle, liée au partage de la terre consécutif aux invasions doriennes, ou bien est-elle le résultat de la réforme démocratique de Lycurgue? On penche plutôt pour la seconde hypothèse qui implique l’existence primitive d’une aristocratie de grands propriétaires fonciers à Sparte comme dans les autres cités de l’archaïsme grec, aristocratie dont les droits auraient été limités postérieurement par la distribution à tous les citoyens des terres de la vallée de l’Eurotas (dite désormais «terre politique», c’est-à-dire terre des citoyens). La véritable occupation des Égaux est la défense de la patrie. À cette fin, ils reçoivent une éducation appropriée, l’agôgè (dressage), comportant essentiellement la gymnastique et le maniement d’armes, qui fait d’eux les robustes hoplites parfaitement disciplinés qui vont peu à peu imposer leur loi à tout le Péloponnèse. Ils mènent une vie communautaire, vivant en caserne jusqu’à trente ans, et demeurent astreints à la pratique quotidienne des repas pris en commun (sissyties).
Les périèques sont des hommes libres qui cultivent les terres moins fertiles de la périphérie et se livrent à l’artisanat et au commerce. Ils administrent eux-mêmes leurs bourgades, sans jouir d’aucun droit politique dans la cité de Lacédémone.
Les hilotes sont des serfs attachés aux klèroi. Leur condition matérielle est sans doute supportable, puisque, une fois la redevance payée au maître, ils peuvent disposer des surplus. Mais ils sont privés de tous droits, méprisés, bafoués, voire massacrés dans les expéditions secrètes (crypties) qui servent à endurcir les jeunes gens.
Une société si rigoureusement divisée est apparemment l’héritage de la conquête dorienne. L’opposition des Égaux et des hilotes est celle des vainqueurs et des vaincus, des Doriens et des Achéens, à cette réserve près que certains Achéens, au prix de luttes farouches, ont réussi à entrer dans la communauté des citoyens. Les périèques, dans cette vue, doivent représenter des Doriens moins doués ou tard venus, qui n’ont pas réussi à s’imposer et ne jouissent que de droits limités.
Une hiérarchie sociale aussi marquée fait l’originalité de Sparte parmi les autres États grecs. Elle autorise l’existence d’un corps de soldats-citoyens, véritables professionnels de la guerre. Mais elle représente aussi une menace constante pour la cité, sur qui les hilotes font peser la crainte d’une révolte généralisée.
La Constitution
La Rhètra est la première Constitution d’une cité grecque que nous connaissions: bien que sa date soit très contestée, il paraît raisonnable de la placer assez tôt, vers le milieu du VIIIe siècle avant J.-C. Des amendements sont venus plus tard la compléter et, enfin, un rouage nouveau, l’éphorat, y a été ajouté.
Sparte reste une monarchie, fait rare parmi les cités archaïques. Elle a deux rois, appartenant à deux dynasties, dont l’une serait d’origine achéenne. Mais ces rois, largement dotés de privilèges, ne sont guère que des prêtres et des chefs militaires. Ils doivent chaque mois prêter le serment de rester fidèles aux lois.
L’ensemble des Égaux forme l’assemblée du peuple, ou apella , qui élit les gérontes et les éphores et délibère sur les affaires publiques, mais elle ne fait guère qu’entériner les mesures qu’on lui propose. Le rouage essentiel est en fait le conseil des anciens, ou gérousia , composé des deux rois et de vingt-huit gérontes élus parmi les citoyens âgés de soixante ans au moins.
Les cinq éphores sont des magistrats annuels chargés d’assurer le respect des lois et de surveiller l’éducation des enfants et la conduite des rois. Dotés d’immenses pouvoirs occultes, ils veillent strictement au maintien de la Constitution traditionnelle. En outre, ils ne cessent, surtout au VIe siècle, d’accroître leurs pouvoirs au détriment des rois.
Cette Constitution permet aux éléments traditionnels de s’imposer dans une cité où l’éducation tend à modeler uniformément tous les citoyens. La gérousia favorise la stabilité, objectif normal d’une gérontocratie. Les éphores exercent un pouvoir absolu pour assurer le respect des lois. Il ne faut pas en déduire que Sparte n’a pas évolué: ces institutions égalitaires représentent certainement un grand progrès par rapport à celles des sociétés aristocratiques nées de la conquête dorienne, et il faut noter que ce progrès a été plus précoce que dans d’autres cités, vraisemblablement parce que la menace des hilotes imposait une organisation communautaire forte qui, tout en laissant sans doute aux aristocrates leurs privilèges, donnait le pouvoir à la masse des Égaux. Mais Sparte s’est ensuite figée dans l’immobilisme, à l’intérieur de ces structures sociales et politiques très rigides.
On voit bien l’ambiguïté de la définition de Sparte comme une aristocratie, donnée par les Grecs eux-mêmes. C’est en fait un État égalitaire où le pouvoir n’est pas réservé aux nobles au détriment des autres citoyens. Mais le corps civique est particulièrement restreint, constitué par une minorité de citoyens qui oppriment une population asservie très nombreuse (on estime qu’il y avait environ dix hilotes pour un citoyen).
L’expansion dans le Péloponnèse
Tout au long de la période archaïque, Sparte développe un impérialisme puissant, qui prend d’abord la forme de la conquête. La Messénie voisine, peuplée elle aussi de migrateurs doriens, est soumise et ses habitants réduits à la condition d’hilotes. Ce traitement indigne entraîne leur révolte, durement matée dans la seconde guerre de Messénie: leur condition ne changera plus jusqu’à leur affranchissement par Épaminondas au IVe siècle avant J.-C. D’incessantes rivalités opposent en outre Sparte à ses autres voisins, notamment aux Arcadiens et aux Argiens.
Ce n’est que vers le milieu du VIe siècle qu’un nouvel équilibre s’établit: Sparte renonce à l’expansion territoriale directe et se contente de grouper autour d’elle le plus grand nombre de cités, liées par des traités. Cette «ligue péloponnésienne » s’étend à tout le Péloponnèse, à l’exception d’Argos et de l’Achaïe: les cités qu’elle réunit ne versent pas de tributs, mais en temps de conflit elles doivent fournir des contingents à Sparte. À cette nouvelle organisation, dont on attribuait la conception à l’éphore Chilon, Sparte devra une force et un prestige sans rivaux.
Une Sparte ouverte, puis fermée sur le monde extérieur
Jusque vers 550 s’épanouit à Sparte une civilisation très brillante, qui lui permet de rivaliser avec les cités grecques les plus florissantes. Elle honore Artémis Orthia dans le sanctuaire du marais (Limnaion), où l’on a retrouvé d’innombrables ex-voto en l’honneur de cette Terre Mère qui veille spécialement sur les rites de passage des adolescents, et Athéna Chalcioicos dans un temple décoré de reliefs de bronze qui donnent à la déesse son épithète («à la demeure de bronze»). Les fêtes y revêtent un éclat particulier. De grands poètes étrangers y séjournent ou s’y installent, tels le Lydien Alcman et l’Athénien Tyrtée, qui chantent, le premier les souriantes vierges de la cité, le second la mâle vaillance des hoplites qui ne reculent pas. L’artisanat d’art est extrêmement développé: ex-voto d’ivoire et de plomb, petits bronzes, céramique (en particulier ces coupes profondes, dites coupes laconiennes, qui portent en figures noires des scènes fort pittoresques, mythologiques ou réalistes); il exporte ses produits en Orient, à Cyrène, en Occident et même jusqu’à Marseille. C’est dire que Sparte, malgré sa situation à l’intérieur des terres, participe assez largement aux courants du grand commerce méditerranéen archaïque.
Vers 550-540, ces exportations cessent. L’archéologie confirme donc ce repli de Sparte sur elle-même, cette fermeture bien illustrée par la tradition et que l’on attribuait à Chilon: l’art, le luxe disparaissent; les étrangers ne sont plus autorisés à séjourner, ni les Égaux à voyager. Cette réaction de puritanisme a été diversement interprétée: contemporaine, en gros, de la constitution de la ligue péloponnésienne, elle nous paraît témoigner d’une prudence cauteleuse, d’une méfiance exacerbée devant les dangers que pourraient faire courir les contacts avec l’extérieur à une cité dont les lois et les usages étaient si spécifiques. À l’origine, Sparte avait évolué plus vite que d’autres cités, avec les réformes de Lycurgue qui avaient institué une sorte de démocratie égalitaire très restreinte; mais son évolution ultérieure avait été fort modeste (et quasi réduite à la création de l’éphorat pour lutter contre la puissance des rois). Pour ne pas être victime du retard ainsi pris, pour rester la première dans le Péloponnèse malgré ses antagonismes sociaux outranciers, elle ne trouvait d’autre solution que de se fermer farouchement sur elle-même.
La période classique
Le Ve siècle
Le repliement de Sparte apparaît de manière décisive dans la crise des guerres médiques: dans la première, les Spartiates sont absents à Marathon; dans la seconde, ils montrent bien leur égoïsme en n’engageant aux Thermopyles (480 av. J.-C.) que de faibles contingents pour la défense de la Grèce centrale et de l’Attique et en gardant leurs troupes pour sauvegarder le Péloponnèse; ce sont désormais les Athéniens qui ont l’initiative, et même la participation importante et courageuse des hoplites spartiates à Platées (479) ne suffit pas à restaurer leur prestige. Ces années cruciales accusent un changement dans l’équilibre des cités: Sparte, qui était la plus forte, a peu contribué au salut commun des Grecs menacés dans leur liberté par le Barbare. Après la victoire, elle accentue encore son retrait, tandis qu’Athènes déplace vers l’Asie le centre de gravité de la lutte.
Les «cinquante ans» de la grandeur d’Athènes, au cours desquels celle-ci constitue un vaste empire maritime, contrepoids à la ligue péloponnésienne, voient Sparte assez désemparée. Sous l’influence de Thémistocle, des mouvements démocratiques agitent le Péloponnèse, non seulement à Argos, l’ennemie traditionnelle, mais aussi en Arcadie et en Élide. Pis encore: les hilotes profitent du tremblement de terre de 464, qui détruit presque entièrement la ville, pour se révolter; une guerre très dure s’ensuit en Messénie où Sparte, impuissante à maîtriser les rebelles, doit faire appel à Athènes, puis renvoie ses contingents, ce qui accroît la tension entre les deux cités. Il en résulte un conflit, dit parfois «première guerre du Péloponnèse », où le sort des armes est d’abord incertain: Athènes est finalement obligée de traiter (446) et une paix de trente ans est conclue.
Jalouse et inquiète, Sparte manque de dynamisme, alors qu’Athènes développe un impérialisme de plus en plus intransigeant. Les envoyés corinthiens le disent nettement à la veille du grand conflit où Sparte va s’affirmer à nouveau: «Les Lacédémoniens vivent sur des principes surannés; tout esprit d’entreprise leur fait défaut en face de rivaux qui ne songent qu’à entreprendre. Le contraste est complet avec les Athéniens et tourne au désavantage des Spartiates, si l’on envisage non la moralité politique, mais les résultats acquis» (Thucydide, I, 69). De fait, ce sont les Corinthiens, principales victimes de l’expansion politique et économique d’Athènes, qui doivent pousser Sparte à réagir, pendant qu’il est encore temps. En 431 éclate à nouveau un conflit entre Sparte et ses alliés d’une part, Athènes et ses sujets de l’autre.
La guerre du Péloponnèse (431-404) est l’affrontement d’une Sparte terrienne et de l’empire maritime d’Athènes. Dans sa première phase, elle est marquée par les incursions des Péloponnésiens qui ravagent l’Attique et par les victoires du Spartiate Brasidas en Thrace. Mais les Athéniens ne sont pas sans remporter eux aussi des succès, et les belligérants, épuisés, concluent la paix en 421. La guerre reprend en 415 avec l’expédition athénienne en Sicile, où Sparte se porte au secours de Syracuse assiégée par sa rivale. Les subsides du Grand Roi à Sparte, épisode particulièrement honteux de l’histoire de la cité, et le génie militaire du navarque spartiate Lysandre lui donnent finalement la victoire (Aigos Potamos, 405). En 404, Lysandre impose à Athènes une paix humiliante.
Le IVe siècle
Sparte, qui avait soulevé les alliés d’Athènes au nom de l’autonomie des cités, inaugure en fait un impérialisme aussi sauvage: elle installe partout des garnisons et perçoit des tributs. «La Grèce doit boire, après le doux vin de la liberté, la piquette que lui servent les cabaretiers de Lacédémone» (Plutarque, Lysandre , 13). Elle se croit assez forte pour renoncer à l’alliance du Grand Roi et envoie des expéditions en Asie sous la conduite d’un souverain brillant et énergique, Agésilas III.
Mais la dureté de Sparte suscite vite contre elle une coalition qui rassemble presque toutes les cités grecques, notamment Thèbes et Athènes. Une guerre confuse s’ensuit, à laquelle met fin en 386 la honteuse «paix du Roi»: Sparte s’est réconciliée avec la Perse pour dicter sa loi. Cette mauvaise action ne lui profite guère: le Grand Roi mène une politique de bascule; les Athéniens font échouer un coup de force dirigé contre eux et, en 371, Thèbes triomphe à Leuctres de l’armée lacédémonienne. Sparte y perd le quart de ses citoyens et l’immense prestige qu’elle tirait d’être invaincue. C’est aussi la ruine de la confédération péloponnésienne: Épaminondas affranchit la Messénie, serve depuis près de quatre siècles, dépouillant ainsi Sparte du tiers de son territoire; il consolide la confédération arcadienne en lui donnant une nouvelle capitale, Mégalopolis. Sparte est ainsi encerclée de toutes parts.
De fait, ce qui mine Sparte, c’est son refus d’adapter ses structures, malgré l’évolution profonde qu’elle subit. En 397, la conspiration de Cinadon réunit tous les opprimés, hilotes, périèques, citoyens déchus. Car, du fait de l’ouverture sur le monde extérieur entraînée par la guerre du Péloponnèse et par la constitution d’un empire spartiate, l’inégalité s’est introduite partout dans la cité des Égaux. La loi d’Épitadeus permet, sinon d’aliéner le klèros , tout au moins de l’hypothéquer. Certains citoyens cumulent ainsi les lots, tandis que d’autres n’en ont plus et sont par là même éliminés du corps civique et réduits à la condition d’inférieurs. Les femmes, qui ne sont pas exclues de la propriété foncière, accumulent d’immenses richesses. La diminution du nombre des citoyens de plein droit se conjugue avec le ralentissement de la natalité pour restreindre dangereusement le nombre des citoyens, partant des soldats: Sparte, qui pouvait aligner cinq mille hoplites à Platées, n’en a plus que mille au temps d’Aristote.
Les mentalités traditionnelles ne peuvent résister à ces bouleversements. Avec les conquêtes, l’or et l’argent affluent; les accusations de vénalité se multiplient; les grands se disputent les postes d’harmostes (gouverneurs des cités soumises) qui permettent d’accumuler d’immenses profits. L’austérité n’est plus qu’une fallacieuse façade dans la cité de Lycurgue.
Les derniers soubresauts
Sparte est assez insensée pour ne pas participer avec les autres Grecs à la lutte contre Philippe II de Macédoine. Elle n’en est pas épargnée pour autant: le roi dévaste la Laconie, la réduit à la vallée de l’Eurotas et morcelle le Péloponnèse pour la ruiner définitivement. Sous Alexandre, elle se rebelle vainement.
L’époque hellénistique voit s’accroître son déclin. L’orgueilleuse cité qui ne comptait pour son salut que sur la bravoure de ses soldats doit, en 317, se ceindre de remparts, qu’elle ne cessera de renforcer. Ses ennemis d’antan, les Arcadiens et Argos, montrent une grande énergie contre elle. Elle s’acharne en vain à susciter des coalitions contre une Macédoine dont les forces sont sans proportion avec les siennes.
Parallèlement, la crise interne s’amplifie. Malgré le maintien apparent de ses institutions, Sparte n’est guère différente des autres cités de Grèce: le nombre de ses citoyens diminue au détriment de sa puissance militaire, tandis qu’augmente celui des inférieurs misérablement endettés; la terre se concentre en quelques mains; d’immenses fortunes voisinent avec la plus extrême pauvreté.
Cependant, le poids d’un passé si glorieux suscite de grandes ambitions chez des rois qui vont se poser en réformateurs. Agis IV annule les dettes et médite un plus vaste programme social, mais il périt assassiné. Cléomènès III va plus loin: il abolit les dettes, partage la terre en quatre mille lots, fait entrer des inférieurs et des périèques dans le corps civique, autorise des hilotes à racheter leur liberté. Il reconstitue la puissance militaire de Sparte et remporte de grands succès dans le Péloponnèse; mais il est vaincu à la bataille de Sellasie (222) où il s’oppose à la coalition de la ligue achéenne et de la Macédoine. Son œuvre est reprise dans un sens plus radical encore par le tyran Nabis; mais Sparte n’a plus la force de lutter contre ses ennemis, auxquels Rome apporte un soutien décisif: le meurtre du roi par les Étoliens met un terme à ces tentatives de réforme, inspirées au moins partiellement par la doctrine stoïcienne, et qui trouvèrent un vif appui dans l’élément populaire. Le triomphe de Rome, bientôt définitif, est aussi celui des nantis contre les revendications des déshérités. Au reste, c’est la fin de Sparte et, même si elle occupe une situation exceptionnelle dans la Grèce conquise, puisqu’elle conserve en théorie sa liberté et son autonomie, elle ne vit plus que de ses souvenirs sous la dure tutelle des vainqueurs.
sparte ou spart [ spart ] n. m.
• 1845, -1532; lat. spartum, gr. sparton
♦ Bot. Genêt d'Espagne dont les fibres sont utilisées en sparterie. Natte en sparte tressé. ⇒ sparterie.
● spart ou sparte nom masculin (latin spartum, du grec sparton) Nom commun aux espèces de graminées dont les feuilles peuvent être employées dans la sparterie.
Sparte
v. de Grèce, ch.-l. du nome de Laconie (S.-E. du Péloponnèse); 14 000 hab.
— La ville de Sparte, dite aussi Lacédémone dans l'Antiquité, fut fondée par les Doriens au IXe s. av. J.-C., mais l'état spartiate, constitué après les conquêtes en Laconie et en Messénie (VIIe s. av. J.-C.), ne prit sa forme définitive que v. 550 av. J.-C., quand les réformes du magistrat Chilon consacrèrent la domination des privilégiés, les citoyens, sur les cultivateurs des terres les moins fertiles et sur les ilotes, serfs de l'état. Dès le VIIe s. av. J.-C., les deux rois (l'un représentant la dynastie des Agides, l'autre celle des Eurypontides, et tous deux membres d'un Conseil des Anciens) avaient peu à peu cédé la place à cinq magistrats nommés pour un an. Les citoyens, peu nombreux face à la masse des ilotes, formèrent une caste militaire rigide: sévère éducation guerrière du Spartiate, prise en charge par l'état dès l'âge de sept ans, absence d'art et de littérature. Au Ve s. av. J.-C., Sparte dominait presque tout le Péloponnèse, mais son engagement militaire contre la Perse fut modeste (à l'opposé d'Athènes, qui s'assura l'hégémonie grâce à son empire maritime). Remportant contre Athènes la guerre du Péloponnèse (431-404), Sparte parvint à son tour à l'hégémonie, mais sa politique despotique suscita la coalition de plusieurs cités, dont Athènes. Après avoir infligé à Sparte la défaite de Leuctres (371 av. J.-C.), Thèbes, avec épaminondas, rendit à la Messénie son indépendance. Peu après, Philippe II de Macédoine réduisit le territoire de Sparte à la Laconie. En 146 av. J.-C., Sparte fut définitivement soumise par Rome. Les Wisigoths la dévastèrent au IVe s. apr. J.-C. La ville actuelle a été construite sur le site au XIXe s.
BOT. Graminée dont certaines variétés (genêt à balai(s), alfa) poussent en Espagne, en Algérie et dans le Midi de la France, et dont les feuilles après rouissage sont utilisées en sparterie. J'aime à me figurer notre globe couvert des seules graminées (...). Ici, les vents font ondoyer (...) les amourettes tremblantes sur les flancs des montagnes, et les spartes sur leurs sommets arides (BERN. DE ST.-P., Harm. nat., 1814, p. 59). Le canevas, constitué par tissage des fibres tirées des feuilles de spart (graminée d'Espagne), est doublé d'une mousseline de coton amidonnée (J. COULON, Technol. gén. modiste, 1951, p. 7).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. dep. 1798: sparte. BESCH. 1845, LITTRÉ, ROB. ont une forme spart. Étymol. et Hist. 1. 1532 sparte « plante monocotylédone » (A. FABRE, Extraict ou rec. des isles nouvellement trouvées en la grand mer Oceane..., p. 6); 2. 1533 spart « cordes en sparte » (Fr. ALVAREZ, Description de l'Éthiopie, ap. Leon l'Africain, éd. Temporal, t. III, 1830, p. 199 ds GAY t. 2); 1780 cabats de spar (BERNARD, Provence, 69 dsQUEM. DDL t. 25). Empr. au lat. spartum « id. », gr. « id. ».
DÉR. Spartéine, subst. fém., méd., pharmacol. Alcaloïde extrait du genêt à balai(s) et d'autres graminées, utilisé en particulier pour ses propriétés tonicardiaques et comme stimulant des contractions utérines. Le Dr Élie Faure (...) hasarde encore de temps à autre une piqûre de spartéine ou d'huile camphrée (GIDE, Journal, 1909, p. 279). — []. — 1re attest. 1863 (MILLS, B. de la Sté chim., p. 381); de spart(e), suff. -ine; déjà en angl. en 1851 (J. STENHOUSE in Chem. gaz., IX, 117 ds NED).
ÉTYM. 1532, sparte; lat. spartum, grec sparton « corde de genêt » (spartos).
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♦ Botanique.
1 Plante monocotylédone (Graminacées), appelée scientifiquement lygeum spartum. || Le spart (ou sparte) sert à faire des cordages, des nattes, des semelles d'espadrilles, à fabriquer du papier, des tissus (⇒ Sparterie).
2 Alfa (stipa tenacissima). — Genêt d'Espagne utilisé en sparterie.
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DÉR. Spartéine, sparterie, spartex.
Encyclopédie Universelle. 2012.