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TOXICOLOGIE
TOXICOLOGIE

La toxicologie est la science qui s’occupe des poisons, ou toxiques, s’agissant:

– de leurs origines;

– de leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques;

– de leurs modalités et de leurs mécanismes d’action;

– de leur détection et de leur dosage;

– des moyens de combattre leurs actions nocives soit par la mise en œuvre de moyens thérapeutiques, notamment d’antidotes, soit par l’établissement de mesures de prévention.

Il convient de préciser ce qu’on doit entendre par «poison», ou «toxique».

On dit d’une substance qu’elle est un poison ou un toxique lorsque, après pénétration dans l’organisme, par quelque voie que ce soit – à une dose relativement élevée (en une fois ou en plusieurs fois très rapprochées) ou par petites doses longtemps répétées –, elle provoque, dans l’immédiat ou après une phase de latence plus ou moins prolongée, de façon passagère ou durable, des troubles d’une ou de plusieurs fonctions de l’organisme pouvant aller jusqu’à leur suppression complète et amener la mort.

La connaissance des poisons est fort ancienne car il semble que les premiers toxiques utilisés aient servi à empoisonner des flèches destinées à la chasse ou à la guerre. Le terme de toxique dérive d’ailleurs du mot grec toxon , qui signifie «arc» et cette étymologie rappelle que l’humanité s’est, hélas, toujours fort préoccupée de trouver des moyens de tuer. L’utilisation militaire de toxiques chimiques puis celle de la bombe atomique ne sont certes pas là pour donner un démenti à cette assertion. Il en est de même, à travers les siècles, de l’emploi des poisons dans des buts criminels. Que d’affaires célèbres pourraient être évoquées, qui permettraient de montrer comment, peu à peu, les toxicologues ont affiné leurs techniques de recherche et notablement réduit, par la crainte salutaire inspirée aux criminels de la découverte de leurs forfaits, la fréquence de tels empoisonnements!

1. Voies de pénétration des poisons

La pénétration des poisons dans les organismes vivants peut se faire selon différentes modalités. Chez l’homme et les Mammifères supérieurs, à côté de la voie orale (dite souvent digestive), les poisons peuvent emprunter la voie respiratoire et la voie cutanée.

La voie respiratoire est à considérer non seulement dans le cas des poisons gazeux, mais encore dans celui des substances liquides et même solides possédant une tension de vapeur appréciable ou capables d’être dispersées sous forme de particules de taille suffisamment petite (aérosols, fumées, microbrouillards...) pour pouvoir, n’étant pas arrêtées mécaniquement au niveau des voies aériennes supérieures, pénétrer par les ramifications les plus fines de l’arbre respiratoire jusqu’aux alvéoles pulmonaires et, en dehors des effets locaux qu’elles peuvent y provoquer, traverser l’épithélium pulmonaire et gagner la circulation générale pour accéder ensuite aux organes essentiels.

La pénétration par la peau et les muqueuses peut également revêtir une grande importance dans le cas, notamment, de nombreuses substances susceptibles d’être solubilisées par les lipides cutanés tels que les dérivés nitrés et aminés aromatiques (nitrobenzène, aniline...), les solvants chlorés (tétrachlorure de carbone, trichloréthylène...) et les dérivés organiques du plomb (plomb tétraméthyle et plomb tétraéthyle) ajoutés comme agents dopants aux essences de pétrole utilisées comme carburants. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que des cas d’intoxication par absorption cutanée de poisons soient connus depuis fort longtemps et soient devenus beaucoup plus fréquents avec le développement de l’ère chimique.

Aux trois voies mentionnées (orale, respiratoire et cutanée), il faut ajouter, au moins quand il s’agit de substances à action médicamenteuse, des voies plus exceptionnelles: hypodermique, intramusculaire et intraveineuse...

2. Formes de toxicité

Il existe différentes formes de toxicité. Citons la toxicité aiguë ou subaiguë et la toxicité à long terme résultant de l’absorption répétée de petites doses ou d’une dose unique.

La première à considérer est la toxicité aiguë ou subaiguë, c’est-à-dire celle qui résulte, dans l’immédiat, de l’absorption par la bouche, par la voie pulmonaire ou par pénétration à travers la peau, en une seule fois ou en plusieurs fois très rapprochées, d’une dose suffisamment importante. Il en est ainsi, par exemple, à la suite de l’ingestion de nombreux produits ou de l’inhalation de gaz ou de vapeurs tels que l’oxyde de carbone, le chlore ou l’acide cyanhydrique. Les manifestations de cette forme de toxicité sont spectaculaires, puisqu’elles peuvent même se traduire par une mort rapide. C’est la raison pour laquelle une opinion très répandue tend à considérer les poisons comme des substances qui tuent violemment. Sur le plan expérimental, d’ailleurs, l’estimation de la toxicité aiguë d’une substance donnée s’effectue couramment au laboratoire en déterminant les doses létales, et particulièrement la dose létale 50 (D.L. 50), c’est-à-dire celle qui entraîne la mort de 50 p. 100 des animaux soumis à l’administration de la substance. Cette dose peut varier dans de très larges limites en fonction de l’espèce animale expérimentée, ainsi que de divers facteurs, notamment de la voie d’administration.

La seconde forme est la toxicité à long terme. On ne saurait trop souligner que les effets toxiques ne résultent pas seulement de l’absorption, en un court espace de temps, de doses relativement fortes, mais aussi très souvent de l’absorption de doses même très minimes, en tout cas beaucoup trop faibles pour entraîner des effets de toxicité aiguë, dont la répétition finit par provoquer des intoxications beaucoup plus insidieuses, car elles apparaissent en général sans aucun signe d’alarme. Tel est le cas des poisons dits cumulatifs, parmi lesquels on mentionnera, entre autres, l’alcool méthylique, les hétérosides de la digitale, les dérivés minéraux de l’arsenic et du fluor, les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium, thallium). Ces poisons sont retenus dans l’organisme à la faveur d’affinités de nature physique (solubilité dans les lipides beaucoup plus élevée que dans les liquides aqueux, adsorption), ou chimique (fixation sur tel ou tel constituant cellulaire), ou encore par suite de leur action nocive sur le filtre rénal qui entrave leur élimination (métaux lourds). L’absorption de ces petites doses, qui, si elles s’éliminaient normalement, serait sans conséquences discernables, provoque, au bout d’un certain temps, des troubles dont la symptomatologie est très variée: par exemple, action sur la croissance, le comportement général, la composition chimique des humeurs, la structure histologique et les fonctions des différents organes (foie, reins, centres nerveux, moelle osseuse, glandes endocrines), la formule sanguine, l’aptitude à la reproduction, la durée de vie. On donne, en général, à ces formes d’intoxications le nom d’intoxications chroniques. C’est une mauvaise dénomination, car il n’est pas impossible qu’une lésion irréversible, et par conséquent chronique, puisse être la conséquence d’un phénomène initial de toxicité aiguë. C’est pourquoi il est préférable de parler de toxicité à long terme.

Un exemple de ce type de toxicité est fourni par les dérivés minéraux du fluor. Si on considère, par exemple, le flœrure de sodium, alors qu’une dose dépassant largement le gramme est nécessaire pour provoquer, chez l’homme adulte, une intoxication aiguë grave, il suffit, lorsqu’elles sont répétées jour après jour, de doses de quelques centigrammes pour provoquer une intoxication à long terme, dite fluorose , caractérisée par des lésions dentaires et osseuses et des phénomènes sévères de cachexie. C’est la raison pour laquelle la concentration d’ions fluor dans les eaux d’alimentation ne doit pas dépasser 1,5 mg/l. On citera également l’exemple de l’insecticide D.D.T., dont la D.L. 50 per os chez le rat se situe aux environs de 250 mg/kg. Or l’administration au même animal pendant sept ou huit mois d’un régime renfermant seulement 5 mg/kg de l’insecticide, soit une absorption journalière ne dépassant pas 0,1 mg, provoque l’apparition de lésions hépatiques. De même, P. Kastli (1955) a observé une inhibition nette de la croissance et des accidents nerveux graves chez des veaux allaités par des vaches nourries avec des fourrages souillés de petites quantités de D.D.T.

Il faut bien souligner que, très souvent, il n’existe pas de relation prévisible entre la toxicité aiguë et la toxicité à long terme. Un exemple très signifiatif est celui des isomères d’un autre insecticide, l’hexachlorocyclohexane. Si, en effet, du point de vue de la toxicité aiguë, l’isomère 塚 (lindane) est de beaucoup le plus toxique (D.L. 50 per os chez le rat de l’ordre de 125 mg/kg), c’est, en revanche, l’isomère 廓 qui tient de loin la tête du point de vue de la toxicité à long terme, par suite de sa rétention dans le rein, le cerveau, le foie et les réserves lipidiques. Alors qu’il est pratiquement impossible de tuer un rat en lui administrant une dose unique de cet isomère (D.L. 50 de l’ordre de 6 000 mg/kg), il suffit de soumettre pendant huit à neuf mois le même animal à un régime n’en renfermant que 10 mg/kg pour provoquer une intoxication grave, caractérisée, entre autres, par une atteinte sévère du foie (dégénérescence graisseuse, foyers de nécrose, altérations cytologiques diverses).

Les substances douées d’action cancérogène apparaissent encore plus dangereuses. D’après les résultats obtenus par H. Druckrey et H. Kupfmuller (1949) chez le rat avec le paradiméthylaminoazobenzène (jaune de beurre : colorant azoïque producteur d’hépatomes, autrefois employé, au moins dans certains pays, pour la coloration des margarines), il semble qu’il faille admettre cette notion, a priori paradoxale, que les effets de chaque dose isolée s’ajoutent pendant toute la vie des animaux d’expérience, quel que soit le jeu des éliminations et des dégradations métaboliques. Il y aurait cumulation d’effets, et non plus cumulation de doses. Les substances cancérogènes occuperaient ainsi une place à part parmi les agents de toxicité à long terme, car, dans leur cas, on ne pourrait fixer de doses seuils, puisque, du fait de la persistance de l’effet, après élimination du produit, aucune dose, si minime soit-elle, ne serait sans danger si elle est répétée et si un temps suffisamment long s’écoule pour lui permettre de manifester son activité. Il s’agit là d’un problème très important donnant toujours lieu à des discussions d’un grand intérêt à l’échelle internationale et à des recherches activement poursuivies sur les relations entre les doses et les effets dans le cas des agents cancérogènes, qu’ils soient physiques, comme les rayons X et les radiations émises par les éléments radioactifs, ou chimiques. Certaines observations dans le domaine de la biologie moléculaire conduisent, en effet, à admettre la possibilité d’une réparation des lésions au niveau des macromolécules nucléiques qui conditionnent le développement de la prolifération maligne [cf. RADIOBIOLOGIE].

Il faut, enfin, envisager la possibilité d’effets cumulatifs à travers plusieurs générations. C’est la raison pour laquelle, dans les essais de toxicité à long terme, il est souhaitable, au moins dans les cas des espèces à vie courte (par exemple, rat, souris), de prolonger l’expérimentation pendant toute la vie d’au moins deux générations d’animaux.

Ces notions ont une grande importance en raison du nombre d’agents chimiques auxquels l’homme peut se trouver exposé dans les conditions de la vie moderne. À cet égard, une attention toute particulière doit être accordée à deux facteurs auxquels il est fatalement soumis dès sa naissance et dont l’action se continue pendant toute la vie: l’air et l’alimentation.

Il faut remarquer ici que, en dehors des effets de toxicité aiguë ou subaiguë dans l’immédiat et des effets de toxicité à plus ou moins long terme pouvant résulter de l’absorption répétée de petites doses, il existe des effets également à plus ou moins long terme pouvant résulter de l’absorption d’une dose unique . À cet égard, on a fourni ces dernières années divers exemples de produits susceptibles de faire apparaître, dans ces conditions, des effets graves après une phase de latence plus ou moins prolongée et alors qu’ils ont disparu de l’organisme. Il en est ainsi, par exemple, d’un herbicide dérivé du bipyridinium qui, plusieurs semaines après l’ingestion d’une certaine dose n’ayant entraîné que des troubles gastro-intestinaux mineurs, provoque une prolifération des cellules de l’épithélium pulmonaire pouvant causer la mort par inhibition de la diffusion de l’oxygène. Il en est ainsi également de certains insecticides organo-phosphorés doués d’une action neurotoxique retardée, se traduisant par des phénomènes de dégénérescence des axones des neurones du système nerveux central avec démyélinisation conduisant à des paralysies. Ce sont là, comme les a si bien dénommés J. M. Barnes, des «poisons qui frappent et s’en vont» (poisons that hit and run ). Des recherches sont actuellement poursuivies pour essayer de découvrir les lésions biochimiques causales. Dans certains cas, les effets d’une dose unique peuvent se manifester à très long terme. Il en va de la sorte avec des cancérogènes comme les nitrosamines et substances apparentées (nitrosamides). C’est ainsi que l’administration à une rate gravide, au milieu de la période de gestation, de méthylnitroso-urée, à une dose qui ne provoque aucun phénomène de toxicité apparent chez cet animal, provoque chez les descendants, lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte, des cancers du cerveau (cancérogenèse transplacentaire).

3. Toxicologie et thérapeutique

Les rapports de la toxicologie avec la thérapeutique sont étroits, car la distinction entre poison et médicament est en réalité subtile. Il faut bien savoir que, si, à doses convenables, les médicaments peuvent exercer des effets salutaires, ils peuvent, au contraire, provoquer des actions nocives lorsque les doses administrées sont trop fortes, la marge entre les doses thérapeutiques et les doses toxiques étant parfois d’autant plus faible que, en dehors du médicament, de ses modalités d’administration et de son association éventuelle avec d’autres produits, interviennent des facteurs nombreux et complexes, tenant, entre autres, au terrain physique et psychique du patient, à ses conditions de vie et même à la nature et à l’évolution de sa maladie. Cette notion classique des rapports étroits entre l’action médicamenteuse et l’action toxique, si bien soulignée, après Paracelse, par Claude Bernard dans ses leçons au Collège de France, est connue depuis des temps très anciens; ainsi, les Grecs désignaient par le même terme, pharmacon , le poison et le médicament. Son importance s’est accrue avec la découverte des multiples effets secondaires indésirables que peuvent exercer les substances médicamenteuses à côté de leurs effets bénéfiques. Il en est résulté l’existence d’une pathologie thérapeutique s’extériorisant par de véritables maladies médicamenteuses. Il suffit de rappeler à cet égard les effets tératogènes exercés par certains produits médicamenteux, dont la thalidomide constitue un exemple spectaculaire. La consommation par la femme enceinte d’un tel médicament, par ailleurs dépourvu de nocivité aux doses d’emploi préconisées comme hypnotique et tranquillisant, mais dont la consommation à une certaine période de la gravidité (celle de la formation des ébauches embryonnaires: du 23e au 40e jour) provoque des anomalies très graves chez le fœtus, se traduit par la naissance de véritables monstres [cf. TÉRATOLOGIE ANIMALE].

Ces remarques expliquent la fréquence relative des accidents causés par les substances médicamenteuses et même, parfois de façon dramatique, en raison du jeu capricieux et imprévisible des intolérances innées ou acquises, par certaines substances que des esprits non avertis tendraient à considérer comme absolument anodines. L’extraordinaire accroissement du nombre des corps synthétiques mis par l’industrie chimique à la disposition des thérapeutes, dans les buts les plus divers, n’a fait que multiplier ces risques que vient encore aggraver l’extrême diversité des agressions exogènes concourant à l’installation de réactions d’allergie.

Il resterait beaucoup à dire sur la toxicologie des produits médicamenteux, et en particulier à envisager l’étude des substances génératrices de toxicomanies qui conduisent à la déchéance physique et morale de l’individu. C’est tout le problème du fléau social que constitue la drogue.

Il est bien évident que l’étude des moyens thérapeutiques de lutte contre l’action nocive des poisons est capitale en toxicologie. Y contribuent puissamment, dans le cas de l’homme, les spécialistes de la toxicologie clinique, notamment au niveau des centres antipoisons. Mais les spécialistes de la toxicologie expérimentale peuvent souvent, par leurs investigations, apporter des bases fondamentales pour la découverte d’antidotes. Il en a été ainsi, parmi beaucoup d’autres exemples, dans le cas du dimercapto-2, 3 propanol (ou BAL), très actif vis-à-vis des intoxications par des éléments thioloprives comme l’arsenic ou le mercure, ainsi que dans celui des réactivateurs des cholinestérases de la série de la pralidoxime, efficaces contre la plupart des insecticides organophosphorés anticholinestérasiques.

4. La toxicologie moderne

Un des chapitres de la toxicologie moderne est l’étude des risques de nocivité pouvant résulter de la pollution chimique de l’air des villes. On concevra qu’il s’agisse d’un problème extrêmement sérieux, si l’on songe que l’air est l’«aliment» le plus fondamental de l’homme qui, chaque jour, en absorbe un peu plus de 15 kilogrammes.

Le développement croissant de l’industrie nucléaire, joint aux applications sans cesse plus nombreuses des radio-isotopes, n’est pas pour diminuer les craintes. Particulièrement redoutables sont, en effet, les risques pouvant résulter pour la santé de l’exposition prolongée, à des doses même minimes, de produits radioactifs dont certains, comme le strontium 90, ont une vie très longue et sont solidement retenus dans les tissus. Il est bon de préciser qu’ils sont capables de pénétrer dans l’organisme non seulement par voie respiratoire, mais encore et surtout par voie digestive, par suite de contaminations éventuelles de la chaîne alimentaire, y compris les eaux.

Un autre chapitre de la toxicologie s’est ouvert depuis que, pour lutter contre les nombreux parasites et ravageurs de cultures, parmi lesquels il faut surtout citer les insectes, les moisissures et les rongeurs, ont été mis en œuvre des agents chimiques, qualifiés de pesticides, dont le nombre s’est progressivement accru [cf. PESTICIDES]. Leur emploi comporte, dès lors, des risques de nocivité pour les manipulateurs chargés de leur application et, par suite de leur persistance sous forme de résidus, pour les consommateurs des produits végétaux traités [cf. ÉCOTOXICOLOGIE].

D’autres ramifications de la toxicologie dans le domaine alimentaire sont à envisager. Les intoxications alimentaires ont des origines très diverses: méprises, fraudes, contaminations chimiques ou bactériennes au cours de la préparation, de la conservation ou de la distribution. Il faut y ajouter les risques de nocivité résultant de l’addition volontaire aux aliments d’agents chimiques les plus divers et, en particulier, de conservateurs ou de colorants, dont certains, tel le paradiméthylaminoazobenzène, ont été reconnus cancérogènes.

La diffusion d’emploi des produits chimiques sur le plan ménager, par exemple, comme produits d’entretien, comme insecticides ou même comme produits de toilette ou de beauté, pose aussi des problèmes toxicologiques exigeant une vigilance continue pour la protection des populations. Les effets neurotoxiques graves provoqués chez les nourrissons par l’usage inconsidéré de préparations contenant de trop fortes doses de l’antiseptique hexachlorophène constituent, à cet égard, un exemple spectaculaire.

Une science, dont l’objectif est l’étude des toxiques, doit se préoccuper tout d’abord de leur origine. Il faut savoir, en effet, s’ils sont fabriqués par l’homme ou s’ils existent dans la nature, élaborés par les animaux, comme les ptomaïnes ou les venins, par les végétaux, comme les alcaloïdes, par les bactéries, comme les nitrites, ou par les moisissures, comme les mycotoxines, dont certaines, notamment les aflatoxines, hautement cancérogènes pour le foie, sont des toxiques terriblement actifs. Cette connaissance est un élément fondamental pour l’orientation des efforts en vue de soustraire les populations à leur influence.

De plus, il faut connaître les propriétés physiques et chimiques des produits toxiques pour comprendre comment ils peuvent pénétrer dans les organismes vivants, y circuler, s’y transformer, en être éliminés ou s’y accumuler.

De façon primordiale, il s’impose de révéler les récepteurs, morphologiques ou biochimiques, sensibles à leurs effets biologiques néfastes. Le premier stade des études, de nature descriptive, consiste à découvrir les symptômes qu’ils provoquent. Il doit être suivi d’investigations en profondeur pour tenter d’établir les mécanismes de production de ces symptômes, d’en expliquer le pourquoi, qu’il s’agisse d’altérations histologiques ou de lésions biochimiques. À cet égard, il faut souligner que la toxicologie est typiquement une discipline scientifique pluridisciplinaire, située au carrefour de toute une série de disciplines fondamentales, physico-chimiques ou biologiques. Elle doit, de ce fait, emprunter leurs méthodes et, tenant compte de leurs progrès, appliquer leurs acquisitions à l’étude des problèmes qui lui sont propres. Sur le plan biologique que constitue la révélation des risques, elle doit mettre en œuvre, entre autres, les méthodes de la physiologie, de la pharmacodynamie, de la pathologie expérimentale, de l’anatomie pathologique, de l’histologie, de la cytochimie, de la biochimie, et même de la biologie moléculaire, de l’immunologie, de la génétique et de la biophysique.

Pour prendre un seul exemple, celui des approches biochimiques, un intérêt majeur s’attache à l’étude des transformations métaboliques subies par les poisons dans les organismes animaux ou végétaux, étude qu’est venue faciliter l’introduction de l’emploi de traceurs, et particulièrement des traceurs radioactifs, pour marquer les molécules (cf. RADIOÉLÉMENTS ET RAYONNEMENTS IONISANTS, chap. 5). Cette étude, que complète celle des inductions enzymatiques, est capitale non seulement du point de vue analytique – les déterminations qualitatives et quantitatives dans les milieux biologiques devant nécessairement porter sur les dérivés auxquels les produits absorbés donnent naissance – mais encore du point de vue biologique, car la nature et l’intensité des actions toxiques, notamment celles à long terme, sont le plus souvent conditionnées par les transformations subies, qui sont loin d’être toujours, comme on l’a longtemps cru, des processus de détoxification. C’est ainsi que la transformation du benzène, par oxydation nucléaire, en composés phénoliques antimitotiques paraît bien rendre compte de la différence considérable d’agressivité vis-à-vis de la moelle osseuse existant entre cet hydrocarbure aromatique et ses homologues supérieurs, en particulier le toluène, ou méthylbenzène, qui, subissant une oxydation dans la chaîne latérale, conduit à la production d’acide benzoïque, composé ne possédant pas les propriétés antimitotiques des phénols. C’est là une base précieuse de la prophylaxie du benzénisme.

D’une importance primordiale sont également les recherches ayant pour but de révéler les anomalies biochimiques causales et d’obtenir ainsi, en même temps que l’explication de la nature des symptômes d’intoxication, des bases vraiment rationnelles pour combattre la nocivité des poisons en tentant de supprimer ou de compenser les lésions biochimiques qu’ils provoquent. Pour illustrer la fécondité de cette voie de recherche, dont on peut attendre encore la compréhension des phénomènes de toxicité sélective vis-à-vis de catégories définies d’êtres vivants, ou même, au sein d’une espèce déterminée, vis-à-vis de certains tissus normaux ou pathologiques, quelques exemples très classiques peuvent être utilement mentionnés: le blocage de l’hémoglobine par l’oxyde de carbone, celui de la cytochrome-oxydase par l’acide cyanhydrique, celui des groupements thiols des protéines par de nombreux toxiques.

Il est intéressant de mentionner encore, de façon plus générale, les lésions biochimiques provoquées par des substances auxquelles leur configuration moléculaire permet de se substituer à des métabolites ayant normalement un rôle physiologique important et de bloquer ainsi certains des grands cycles de dégradation et de synthèse biochimiques.

Un bel exemple, s’ajoutant aux exemples classiques des sulfamides, des antivitamines, des antipuriques et des antipyrimidiques, en est fourni par l’acide monofluoracétique, qui se comporte en quelque sorte comme l’acide acétique dans le métabolisme. S’engageant dans les réactions du cycle tricarboxylique, il est finalement transformé en un acide fluorocitrique qui, en inhibant l’aconitase, bloque la dégradation oxydative du métabolite intermédiaire que constitue l’acide citrique et, par suite, le cycle tricarboxylique tout entier (cf. MÉTABOLISME, fig. 2). On conçoit qu’un tel blocage puisse entraîner de graves conséquences pour les centres nerveux, dont le fonctionnement normal dépend principalement de l’énergie fournie par le glucose apporté par la circulation sanguine. On explique ainsi, de façon logique, les effets convulsivants intenses de l’acide monoflluoracétique et de ses dérivés, dépendant de leur transformation en un acide fluorocitrique, que R. Peters a appelée fort justement une synthèse létale . Il est opportun de préciser que l’enzyme aconitase, dont l’inhibition est à la base de cette synthèse, est localisée, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, dans les mitochondries.

Cette remarque permet de souligner l’immense intérêt qui s’attache à la considération dans les recherches toxicologiques des organites intracellulaires isolés (noyau, mitochondries, microsomes, par exemple), qui peuvent être le support d’activités enzymatiques très différentes. Jusqu’ici, la majorité des études de localisation et de métabolisme des toxiques a porté sur des organes entiers. Mais il ne faut pas oublier que, au sein même d’un tissu déterminé, ou plus exactement au sein des cellules qui le constituent, la répartition d’un toxique est certainement loin d’être uniforme. Il se pourrait, dans ces conditions, que l’accumulation éventuelle d’un toxique au niveau de tel ou tel organite intracellulaire puisse conditionner la réalisation de concentrations très supérieures à celles que révèle l’analyse du tissu in toto , et, en tout cas, suffisantes pour qu’il puisse en résulter des inhibitions sélectives de systèmes enzymatiques fondamentaux. C’est là le vaste domaine de la toxicologie cellulaire .

Il faut également envisager l’éventualité d’induction, au niveau de molécules biologiques hautement polymérisées telles que les acides nucléiques, d’altérations structurales, y imprimant, en quelque sorte, des messages toxiques dont la matérialisation n’apparaîtrait qu’à longue échéance sous forme, par exemple, d’effets cancérogènes ou de mutations génératrices de monstruosités biologiques. Il existerait ainsi des intoxications d’origine moléculaire , de même qu’il existe, comme l’a bien démontré L. C. Pauling, des maladies moléculaires [cf. MALADIES MOLÉCULAIRES].

Ce sont là quelques horizons, combien passionnants et prometteurs, de la toxicologie moderne.

toxicologie [ tɔksikɔlɔʒi ] n. f.
• 1803; de toxico- et -logie
Didact. Science qui étudie les poisons (détection, effets, remèdes). Toxicologie appliquée à la criminologie. Traité de toxicologie. Adj. TOXICOLOGIQUE .

toxicologie nom féminin Science traitant des substances toxiques, de leurs effets sur l'organisme et de leur identification.

toxicologie
n. f. MED Science qui étudie les toxiques et les remèdes à leur opposer.

⇒TOXICOLOGIE, subst. fém.
A. — MÉD., PHARMACOL. Ensemble des connaissances concernant les poisons, leurs effets sur l'organisme, les moyens de les déceler et les procédés thérapeutiques destinés à les combattre. Traité, manuel de toxicologie; professeur de toxicologie. Examinez, messieurs, dit Corentin, et cherchez s'il n'y a pas dans la toxicologie des poisons qui produisent le même effet (BALZAC, Splend. et mis., 1844, p. 331). Laurent avait rencontré, quelques semaines auparavant, un de ses anciens camarades de collège, alors préparateur chez un chimiste célèbre qui s'occupait beaucoup de toxicologie (ZOLA, Th. Raquin, 1867, p. 225).
P. plaisant. Science de l'empoisonnement. Voici la racine de l'atropa mandagora et le fruit du solanum sodomeum, la Pomme du Diable, comme disent ces iroquois d'Arabes, deux narcotiques puissants dont vous avez pu, comme moi, apprécier les effets. Je ne connais pas de savants plus forts en toxicologie qu'un musulman (DU CAMP, Mém. suic., 1853, p. 198).
B. — Partie de la pharmacologie qui étudie et analyse expérimentalement la toxicité des produits. Mais, hormis le poison, cette arme des faibles, que l'existence des laboratoires modernes de toxicologie rend si aléatoire maintenant, quelle occasion pourrais-je saisir ou provoquer qui pût faire croire à la mort naturelle? (H. BAZIN, Vipère, 1948, p. 188).
REM. Toxicologiquement, adv., méd., pharmacol. Du point de vue de la toxicologie, sur le plan toxicologique. Facella vous propose une ligne complète de 22 produits [de soins et de maquillage] tous testés bactériologiquement et toxicologiquement (Elle, 12 janv. 1981, p. 93, col. 1). « Toxicologiquement » parlant (...) nous n'avons pratiquement aucun souci à nous faire: les polluants présents [dans nos aliments] ne le sont qu'à des doses inférieures aux doses considérées (par l'Organisation mondiale de la Santé) comme acceptables (Le Nouvel Observateur, 28 août 1982, p. 51, col. 3).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1803 « science des toxiques; traité sur les toxiques » (Manuel de « Toxicologie », de Frank ds BRUNOT t. 9, 2, p. 1224). Formé de toxico- (tox(i)-) et de -logie. Fréq. abs. littér.:10.
DÉR. 1. Toxicologique, adj., méd., pharmacol. Qui appartient à la toxicologie. Analyse, examen toxicologique. L'expérimentation a reproduit des glycosuries toxiques par administration aux animaux de poisons auxquels la clinique toxicologique a fait reconnaître le pouvoir d'amener la glycosurie (LE GENDRE ds Nouv. Traité Méd. fasc. 7 1924, p. 441). []. 1re attest. 1832 (RAYMOND); de toxicologie, suff. -ique. 2. Toxicologiste, toxicologue, subst., méd., pharmacol. Spécialiste en toxicologie. Rien n'était plus lamentable que sa figure de crucifiement et d'envie, se tournant, ce soir, vers notre conversation avec le fameux et charmant toxicologiste Claude Bernard, pendant qu'elle était assommée à causer avec deux diseuses de riens (GONCOURT, Journal, 1865, p. 123). P. anal. Décidément, j'ôte mon chapeau devant Hilaire Mardi, maître dans l'emploi indirect des venins, toxicologue hors rang (ARNOUX, Crimes innoc., 1952, p. 151). En compos. Le docteur Henri Pradal a un peu plus de quarante ans. Pharmaco-toxicologue, sa carrière dans l'industrie pharmaceutique française et internationale a été interrompue après la publication de cet ouvrage (Réalités, janv. 1976, p. 74, col. 4). [], [-log]. 1res attest. 1842 toxicologue (Ac. Compl.), 1865 toxicologiste (GONCOURT, loc. cit.); de toxicologie, suff. -logue, -iste.

toxicologie [tɔksikɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1803; de toxico-, et suff. -logie.
Didactique.
1 Étude scientifique des poisons et de leurs effets (empoisonnements criminels, toxicomanies, intoxications diverses, toxines). || Toxicologie appliquée à la criminologie. || Laboratoire de toxicologie.
tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
2 Traité de toxicologie. || La toxicologie générale, d'Orfila (1813-1815).
DÉR. Toxicologique, toxicologue.

Encyclopédie Universelle. 2012.