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TRINIDAD ET TOBAGO
TRINIDAD ET TOBAGO

Les îles Trinidad (4 828 km2, y compris plusieurs îlots situés au large du Venezuela) et Tobago (300 km2), réunies depuis 1889 sous une même administration coloniale obtinrent l’indépendance en 1962 au sein du Commonwealth. Peuplé de manière cosmopolite (1 273 000 hab. selon les estimations de 1994), cet État des Caraïbes – capitale Port of Spain – a fondé sa prospérité économique sur sa production pétrolière et ses réserves de gaz naturel.

1. Le peuplement amérindien

Les investigations géophysiques, archéologiques et linguistiques commencent, depuis une décennie, à répondre aux questions que soulèvent la préhistoire et la protohistoire de Trinidad et de Tobago. On a longtemps débattu – sans arguments décisifs – sur la complexité du panorama ethno-historique de la Trinidad des aborigènes dont l’insularité remonte à 漣 8 000 et qui a été soudée jusqu’à 漣 11 000 au continent sud-américain. Que ce soit à propos du peuplement, des migrations, de la structure sociale, démographique, culturelle et religieuse, de l’agriculture, de la guerre et de la répartition ethnique, les thèses s’affrontent et se contredisent. La découverte de quatre sites d’occupation appartenant à la période dite archaïque (Banwari I et II, Saint John I et II), dont l’un remonte à 漣 5 000, permet d’éclairer les débuts du peuplement de Trinidad. On a trouvé dans l’un de ces sites un squelette en parfait état, daté de 漣 3 400 (le plus ancien de l’aire des Caraïbes) et l’étude comparative prouve l’existence de liaisons économiques et sociales avec plusieurs foyers sud-américains: les Andes, l’Orénoque, les Guyanes, l’Amazonie et le Brésil du Nord-Est. Plusieurs ethnies amérindiennes appartenant au groupe linguistique des Caraïbes (Yao, Nepuyo, Carinepagoto) ou des Arawaks (Lokono, Warao, Shebayo ou Salvaio) s’étaient établies à Trinidad et à Tobago. La population globale de Trinidad comptait entre 50 000 et 100 000 individus. On recensait en 1593 plus de 35 000 de ces Amérindiens, dont environ 7 000 adultes. Toutes ces ethnies pratiquaient une agriculture à base de manioc et de racines et complétaient leur alimentation par les produits de la pêche. Elles avaient hérité une expérience agraire de leurs correspondants ethniques des Guyanes et étaient parvenues à une parfaite maîtrise des vents et des courants, à une grande pratique de la navigation océanique. Trinidad et Tobago ont été marquées de façon indélébile par la permanence amérindienne.

2. La colonisation espagnole

L’histoire complexe de l’exploitation européenne commence avec l’arrivée de Christophe Colomb qui débarqua à l’île de Iere, baptisée Trinidad lors de son troisième voyage, le 31 juillet 1498. Quoique jouissant d’une position stratégique exceptionnelle au voisinage des célèbres salines d’Araya et des îles perlières de Margarita Cubagua, devant l’embouchure de l’Orénoque, Trinidad et Tobago, placées sous la juridiction fictive de Porto Rico, n’attirèrent guère l’attention des autorités espagnoles jusqu’en 1595. Relais possibles pour les convois qui se dirigeaient vers la côte de terre ferme, manquant d’or et de métaux précieux, les îles furent des lieux de résistance des indigènes aux raids des Espagnols qui venaient les capturer. Deux cents captifs Caribs furent transportés à Porto Rico et à Santo Domingo en 1520 pour y servir d’esclaves. En représailles, les tentatives de pénétration de 1521, 1530, 1569 et 1571 furent durement contrées par les guerriers amérindiens qui détruisirent les forces du premier gouverneur don Antonio Sedeno, nommé par le roi en 1530, ainsi que deux groupes de missionnaires envoyés pour les évangéliser. Le gouverneur Antonio de Berrio, qui visait à utiliser Trinidad comme base d’exploration vers l’El Dorado et les «très riches provinces de Guyane», chargea en 1592 Domingo de Vera de conquérir l’île. Attirée par des promesses utopiques, une nuée d’aventuriers, y compris les Anglais Robert Dudley et Walter Raleigh en 1595, s’abattit sur l’île, à la recherche de l’or. C’est dans cet environnement dominé par la contrebande que se développa, au tournant du siècle, le commerce du tabac et, plus tard, du cacao, ainsi que la traite négrière pour l’approvisionnement en main-d’œuvre des plantations qui s’établissaient.

Le gouverneur de Santa Fé résuma la situation dans une lettre adressée au roi le 20 janvier 1608 quand, après avoir souligné la faiblesse de la colonie de Trinidad et stigmatisé le comportement des Espagnols, lancés dans une recherche chimérique (El Dorado), il concluait en ces termes: «On ne doit rien attendre de ce lieu où affluent des criminels, des prêtres corrompus, des frères apostats et, en général, un séminaire de racailles, à part quelque scandale séditieux lorsqu’ils seront fatigués ou qu’ils désespéreront de trouver ce qu’ils recherchent.» Les gouverneurs successifs ne reçurent aucune aide, aucun renfort de Madrid malgré leurs réclamations et les requêtes du cabildo de Trinidad. Pourtant, la colonie ne possédait pour se défendre contre les Caraïbes et les corsaires étrangers que 70 hommes valides en 1593, 24 colons sans armes en 1625, une milice de 80 colons et 25 Amérindiens «domestiqués» en 1671. Le cabildo en 1700, arguant de la forte mortalité parmi les colons, réclama 25 soldats qui auraient pu être transférés de Guyane. Cet appel resta sans réponse. Une telle faiblesse du système défensif attira les corsaires et le commerce «au bout de la pique».

Ce fut d’abord la menace anglaise qui se précisa sur le papier après 1620 par plusieurs donations des îles Caribbees qui englobaient Trinidad et Tobago. En 1637, les Hollandais attaquèrent et incendièrent la capitale, San Josef de Oruna – fondée en 1592 – et rançonnèrent les colons. Les Amérindiens, qui constituaient un stock où l’on puisait la main-d’œuvre, se révoltèrent plusieurs fois contre le système esclavagiste qui s’organisait à leurs dépens. Le 1er décembre 1699, les Amérindiens regroupés dans la mission de San Francisco de los Arenales se révoltèrent, tuèrent les frères capucins et brûlèrent la mission avant de dresser une embuscade meurtrière au gouverneur.

Placée à l’écart des routes maritimes les plus fréquentées, Trinidad s’étiola dans l’indifférence complète de Madrid jusqu’en 1777. San Josef, la capitale, symbolisa cette négligence, ne comptant en 1772 que 326 Espagnols et 417 Amérindiens vivant tous dans des cases de terre battue aux toits de palme. Après avoir accepté les propositions d’un planteur français établi à la Grenade, Philippe-Rose Roume de Saint-Laurent, qui visita l’île en mai 1777, le gouvernement espagnol promulgua le 24 novembre 1783 une cédule ouvrant l’île aux colons étrangers, essentiellement français. Un gouverneur, don José María Chacón, fut chargé de réorganiser l’administration de l’île et de construire une économie fondée sur la production sucrière. En outre, Chacón s’attaqua au problème des latifundia, accordant trois mois aux colons pour justifier leur occupation des terres, promulgua un Code noir (cédule de 1789) et partagea l’île en trois divisions administratives. Un recensement de Trinidad en 1797 faisait état de 17 718 habitants dont 2 151 Blancs, 4 476 gens de couleur, 1 082 Amérindiens et 10 009 Nègres. La production sucrière s’élevait alors à 7 800 barriques pour 159 plantations, tandis que 130 caféières produisaient 330 000 livres de café, 60 plantations de cacao fournissaient 96 000 livres et 103 plantations de coton produisaient 224 000 livres. L’arrivée de colons français accompagnés de leurs esclaves et de leurs capitaux entre 1777 et 1797 eut une influence décisive sur la société et l’économie de Trinidad. Pourtant, après 1790, la domination britannique se fit durement sentir dans cette partie de la mer des Caraïbes et, le 17 février 1797, le gouverneur Chacón dut capituler devant des forces britanniques commandées par sir Ralph Abercromby. Trinidad devint anglaise après trois cents ans de colonisation espagnole. C’est vers 1790 qu’un petit village de pêcheurs, Port of Spain, commença à prendre de l’importance, rassemblant 632 habitants en 1777, 3 025 en 1784 et 4 525 en 1797, devenant le siège du cabildo et un centre commercial réputé.

3. Une colonie expérimentale de la Couronne

Un nouveau système esclavagiste (1797-1833)

Après une période d’occupation militaire marquée par le pouvoir dictatorial de Thomas Picton, un officier de l’état-major de Abercromby, un gouvernement civil s’établit en 1801 sous sa férule. Cependant, le second gouverneur Thomas Hislop, envoyé en 1804, dut faire face aux deux questions qui se posaient à la colonie: le choix d’un régime constitutionnel et le développement socio-économique. Pour comprendre les hésitations et la décision finale de Londres de soumettre la colonie aux ordres du Colonial Office plutôt que de permettre l’établissement d’un système législatif autour d’une assemblée élue comme dans les autres colonies, il faut noter la présence de colons très divisés. Planteurs français, espagnols et anglais – au nombre de 2 261 en 1802 – s’opposaient en effet par leurs cultures et leurs pratiques coloniales. Mais, surtout, le gouverneur britannique craignit de voir une assemblée contrôlée par les gens de couleur libres, plus nombreux que les Blancs (5 275 en 1802). En outre, il fallait compter avec la menace permanente que faisaient peser sur la colonie les Nègres esclaves dont le nombre augmentait avec la traite: ils étaient 19 709 en 1802, 25 717 en 1813. L’abolition de la traite en 1807 donna au pouvoir central un autre sujet de crainte: des assemblées de colons auraient cherché des moyens illégaux pour importer des esclaves. Finalement, le gouverneur assisté d’un conseil à caractère uniquement délibératif administra l’île comme en Guyane selon le système de la Crown Colony , qui devait s’imposer partout pendant le dernier tiers du XIXe siècle.

Le peuplement et le développement de la colonie entraînèrent l’adoption de mesures gouvernementales portant sur le recrutement de la force de travail à l’étranger, sur le traitement des esclaves à Trinidad et sur la production sucrière. Les gouverneurs favorisèrent une immigration de colons blancs venant de Grande-Bretagne et d’Allemands qui commencèrent à s’établir à Arouca Savannah. Après avoir fondé des espoirs sur l’importation de Chinois qui arrivèrent de 1806 à 1814 et sur les Amérindiens du continent, le pouvoir central finit par retenir le projet soumis par le gouverneur Ralph Woodford le 3 octobre 1814 au secrétariat d’État aux Colonies de faire venir de paisibles cultivateurs hindoustans. L’accroissement du nombre des esclaves se fit surtout par un moyen détourné: attirés par la fertilité du sol de Trinidad, des planteurs quittèrent les îles à faible productivité et arrivèrent avec leurs esclaves. Malgré la prohibition de janvier 1825, un trafic illégal d’importation de travailleurs venus des Caraïbes se poursuivit jusqu’en 1832 avec la connivence des autorités locales permettant aux planteurs accompagnés de leurs «domestiques» d’entrer dans la colonie. C’est la proclamation du gouverneur sir Lewis Grant, nommé en 1829, qui mit fin à cette traite des Caraïbes en 1832 en menaçant de confisquer les esclaves importés illégalement et d’engager de sévères poursuites contre leurs propriétaires. Le pouvoir central choisit d’expérimenter d’abord à Trinidad – où l’esclavage passait pour avoir été moins rude qu’ailleurs – des mesures tendant à aménager le contrôle et la condition des esclaves. Le Slave Registration Bill de 1816 établit à Trinidad un bureau d’enregistrement pour comptabiliser les esclaves et empêcher les importations clandestines. Le décret-loi de mars 1824 (Amelioration Order) prévoyait la nomination d’un «protecteur des esclaves», la suppression des marchés et du travail le dimanche, la diminution des peines de fouet, l’encouragement des mariages et l’émancipation des esclaves.

Le système de Crown Colony se fondait politiquement sur un conseil législatif de douze membres nommés par le gouverneur, présidé par lui, établi en 1831, qui pouvait promulguer des ordonnances avec l’accord du Colonial Office. Malgré quelques corrections mineures en 1862, 1886 et 1898 (le nombre des membres fut porté à 21), ce Conseil de gouvernement dura jusqu’en 1924 et put par ordonnance en 1917 autoriser la levée d’une contribution de 100 000 livres versée au roi pour les dépenses de la Grande Guerre en cours. Sur le plan économique, le nombre des sucreries passa de 159 en 1797 à 193 en 1801, exportant 8,4 millions de livres en 1799 et 14,2 millions en 1802. L’abolition de la traite en 1807 fut mal accueillie par les 739 planteurs, qui employaient alors 18 302 esclaves. 68,7 p. 100 du total des terres étaient cultivés en canne à sucre et produisaient un total de 2 595 millions de livres, dont 1 292 millions dans 92 sucreries anglaises et 1 194 millions dans 143 sucreries françaises.

Au moment de l’abolition de l’esclavage en 1833, après trente-six ans de domination coloniale britannique, Trinidad comptait une population esclave de 20 657 individus qui donnaient droit à une indemnité de 1 033 992 livres à leurs propriétaires.

Destruction du système esclavagiste

C’est entre 1860 et 1900 que s’intensifia la pénétration des capitaux britanniques dans l’industrie sucrière. Des groupes britanniques tels que Colonial Co., Tennant Co. et Gregor Turnbull Co. et des capitalistes particuliers (la famille Lamont) investirent dans la construction d’usines sucrières dites «grandes centrales»; la première, Sainte-Madeleine, fut construite en 1872 et coûta plus de 180 000 livres, mais elle réduisit les coûts de production de près de 50 p. 100 entre 1884 et 1894. Vers 1895, ces groupes financiers possédaient 34 des 59 plantations de Trinidad tandis que 20 appartenaient à des résidents anglais et trois seulement à des créoles français. Après la crise de l’industrie sucrière en 1880-1900 et l’effondrement des cours sur le marché de Londres, les exportations reprirent vers le Canada et les États-Unis en 1900-1920. La croissance assez modérée de la production de cacao de 1840 à 1866 se transforma en boum entre 1866 et 1920 et, dépassant le sucre en valeur, elle devint la principale denrée d’exportation de la colonie. Mais alors que la production sucrière s’était capitalisée, celle du cacao resta entre les mains des producteurs locaux.

Le problème majeur vers 1850 était celui de la main-d’œuvre qui impliquait pour les planteurs une importante immigration. Les Chinois, arrivés entre 1853 et 1866, devenus boutiquiers, jardiniers et bouchers, mariés à des femmes créoles, ne donnèrent pas satisfaction aux planteurs qui demandaient des ouvriers agricoles dociles. L’Inde, avec sa réserve inépuisable d’hommes, parut être la solution la plus adéquate. Le Colonial Office fit payer le financement de l’immigration par les planteurs, qui durent verser des taxes sur chaque engagé et sur les exportations, et par les contribuables.

Tobago, une île convoitée

Après avoir été longtemps disputée par la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies, l’île de Tobago (Niew Walcheren) finit par échoir aux Britanniques en 1763. Un conseil particulier de douze membres fut établi en juin 1768 et une assemblée de treize députés élus en juillet 1768 dut faire face à plusieurs révoltes d’esclaves (1770, 1771, 1772 et 1774). L’île conserva cette spécificité législative malgré une histoire troublée: conquise par les Français en 1781 – acquisition confirmée par le traité de Versailles en 1783 –, reprise par les Anglais en 1793, elle redevint française en 1802 (traité d’Amiens) puis définitivement colonie britannique en 1814. Au cours de cette époque, le développement de Tobago s’effectua autour du sucre et sa population passa de 5 084 habitants en 1771 à 15 020 habitants en 1791. L’île comptait 4 716 esclaves en 1771 et 14 170 en 1790, mais il ne restait plus que 24 Caribs en 1786. La production était de 2 401 639 livres de sucre, 1 374 336 livres de coton en 1790, 20 580 livres d’indigo en 1780, 10 300 livres de gingembre en 1782. Tobago avait alors 37 sucreries, 99 plantations de coton, 4 caféières. En 1834, l’indemnité, qui se chiffrait à 233 875 livres, concernait 11 589 esclaves émancipés.

Après l’arrivée de Nègres de Barbade en 1846, d’Africains en 1851 et 1862, le recensement d’avril 1861 enregistrait un total de 15 410 habitants. Malgré l’établissement du système de métairie de 1848 à 1884, le manque de travailleurs et surtout la banqueroute de la firme anglaise des frères Gillespie en 1884 qui finançait plus de la moitié des plantations sucrières, freinèrent la croissance économique. Placée avec la Grenade et Saint-Vincent sous la tutelle de la Barbade en 1833, Tobago vit son système législatif de deux chambres (Conseil et Assemblée) supprimé en 1874 et remplacé par un conseil législatif de 14 membres. Les planteurs pourtant opposés à cette suppression acceptèrent pour l’île un statut de Crown Colony le 6 juin 1867 et, le 6 avril 1889, Tobago passa sous la même administration que Trinidad. L’Acte Union de 1899 fit des deux îles une seule colonie.

4. De l’autonomie à l’indépendance

Population et politique

Trinidad reçut d’Asie environ 145 000 Indiens de 1838 à 1917, ainsi que des Africains. Cette immigration, pratiquée pour des raisons politiques et économiques jusqu’en 1921, fit progresser le nombre des habitants qui s’élevait à 73 000 en 1844, 273 900 en 1899 et à 412 783 en 1931. La population de l’île (1 184 106 hab. au recensement de 1990) se répartit très inégalement sur un territoire compris entre la capitale Port of Spain (50 878 hab. en 1990) ou Chaguanas (56 601 hab.) et la pointe Icacos au sud-ouest de l’île. 85 p. 100 de la population totale vivent ainsi sur 38 p. 100 du territoire, le reste se répartissant dans de petites villes: San Fernando (30 092), Point Fortin (20 025), La Brea, Sangre Grande, Couva, Río Claro, Siparia. Tobago (50 292 hab. en 1990) est située à 30,7 kilomètres au nord-est de Trinidad; sa ville principale est Scarborough (3 000 hab.). La composition ethnique des deux îles était la suivante en 1990: Indiens (asiatiques) 40,3 p. 100, Noirs 39,6 p. 100, Métis 18,4 p. 100, Blancs 0,6 p. 100, Chinois 0,4 p. 100, autres 0,7 p. 100. Cette complexité ethnique a des répercussions sur le plan confessionnel où se distinguent catholiques romains (29,4 p. 100), hindous (23,8 p. 100), anglicans (10,9 p. 100), musulmans (5,8 p. 100), autres chrétiens et autres (30,1 p. 100).

Le système de Crown Colony fortement contesté après la Première Guerre mondiale fut aménagé par Londres. Une commission dirigée par le sous-secrétaire d’État aux Colonies, le major E. F. L. Wood, en visite aux Caraïbes en 1921-1922, fut chargée de proposer des réformes. Elle se heurta à l’opposition de la Chambre de commerce et à la Société d’agriculture, hostiles à tout changement constitutionnel, ainsi qu’à la division des Indiens mais obtint l’aide de la Trinidad Working Men’s Association (T.W.A.) fondée en 1897. Un nouveau Conseil législatif de 26 membres – dont 7 élus parmi des propriétaires terriens anglophones – fut établi après les élections du 7 février 1925, les premières après 128 ans de colonialisme britannique. Seulement 6 p. 100 de la population (6 832 personnes sur 244 551) purent voter. Le capitaine Arthur Andrew Cipriani (1875-1945), alors président depuis 1923 de la T.W.A., entra au Conseil. D’origine corse, cet ancien officier du British West Indian Regiment, qui avait défendu des soldats antillais victimes du racisme, devint une figure marquante du syndicalisme et créa le Trinidad Labour Party en 1934, sur une base socialiste.

La crise économique de 1929 eut des répercussions sociales pendant la décennie 1930-1940. Grèves et émeutes se succédèrent, exacerbées par les penseurs du panafricanisme (Marcus Garvey, George Padmore) et l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie en 1935. Des personnalités syndicales et politiques telles que Tubal Uriah «Buzz» Butler – arrêté après les troubles de juin 1937 –, Adrian Cola Rienzi, Timothy Roodal, Jim Headley, Dudley Mahon et Elma François émergèrent sur le plan syndical et politique.

Un processus de décolonisation, stimulé par les efforts culturels d’une pléiade d’écrivains, d’artistes et d’universitaires (C. L. R. James, Alfredo Mendes, Eric Williams) s’instaura avec les élections au suffrage universel de 1946 et de 1950. Un nouveau parti nationaliste se constitua autour des classes moyennes créoles en 1956 et parvint à surmonter l’atomisation du champ politique. Le P.N.M. (People’s National Movement) dirigé par l’historien Eric Williams, qui se démarqua des syndicats, des partis traditionnels et du socialisme, remporta les élections du 24 septembre 1956 et celles du 4 décembre 1961. Ce parti put s’orienter, malgré l’opposition du Trinidad Democratic Labour Party (D.L.P.), vers l’indépendance accordée en 1962, après l’expérience avortée d’une fédération des West Indies (1958-1962). La Constitution de 1961 établissait un Sénat de 19 membres et une Chambre de 30 membres élus pour cinq ans (ce nombre sera porté plus tard à 36). Eric Williams, Premier ministre de 1959 à 1981, dut subir les assauts d’une opposition indienne, ceux du «pouvoir noir» de Stokeley Carmichael, les grèves et les émeutes de février 1970 surmontées grâce à l’appui discret de la marine américaine, et les troubles sociaux de 1975 (Bloody Tuesday March ). Il avait pourtant remporté les élections législatives six fois consécutives, jusqu’à sa mort brutale le 29 mars 1981. Le 11 novembre 1981, le P.N.M. obtint 26 des 36 sièges de la Chambre, battant l’Organisation pour la reconstruction nationale (U.R.N.), une coalition de trois partis progressistes et le Comité pour une action nationale conjointe. George C. Chambers, son successeur à la tête du P.N.M., devint Premier ministre.

Structures économiques

Les industries pétrolières

Le gisement d’asphalte naturel de La Brea – lac de près de 50 ha – découvert en 1866 fut exploité commercialement dès 1907. La production, de 320 000 m3 vers 1915, 3 500 000 m3 en 1942, passa à 6 000 000 m3 en 1960 et à 13 300 000 m3 en 1977-1978 quand furent ouverts les gisements off shore en 1954. La production terrestre a représenté environ 20 p. 100 de la production totale de 1978 à 1983. Six consortiums, dont Amaco qui produit 55 p. 100 du pétrole brut, traitent les hydrocarbures. Il existe deux raffineries: Trintoc, contrôlée par l’État, ayant une capacité de 85 000 barils par jour et Texaco à Pointe-à-Pierre au sud du complexe industriel de Point Lisas (350 000 barils par jour). En 1981, 57,3 p. 100 du pétrole brut, raffiné à Trinidad, venaient d’Arabie Saoudite, 21,8 p. 100 de Trinidad même, 20,6 p. 100 d’Indonésie, 0,2 p. 100 du Mexique et 0,1 p. 100 d’Afrique de l’Ouest. La crise mondiale et l’effondrement des cours ont obligé les deux raffineries à réduire considérablement leur capacité de transformation. Texaco a démantelé plusieurs unités de distillation pour réduire sa capacité à 130 000 barils en mars 1982. Trintoc, qui enregistre de grosses pertes financières, traitait en 1981 une moyenne de 38 000 barils. La découverte en 1967 d’une immense réserve de gaz sur le littoral permet au pays de soutenir l’effort d’industrialisation et de stabiliser les revenus. La production croissante depuis 1975 a atteint 198 000 000 de mètres cubes en 1981. Le projet présenté par le président Ronald Reagan en 1982, le Caribbean Basin Initiative, intéresse le développement économique de Trinidad et Tobago.

Le secteur agricole

La production agricole a beaucoup souffert de la transformation économique due à l’augmentation des revenus pétroliers. Les travaux agricoles dépréciés, l’exode rural s’accélérant, la consommation de produits venant de l’étranger s’intensifiant – en particulier en provenance de l’ancienne puissance coloniale –, le Premier ministre, Eric Williams, dut lancer un appel en 1975 «afin de renverser la tendance croissante parmi la population qui prend en aversion les travaux agricoles». Les dépenses publiques en faveur du secteur agricole entre 1975 et 1981 s’élevèrent au total de 2 095,8 millions de dollars TT. George Chambers, alors Premier ministre, a déclaré en 1982 que, «malgré ces investissements substantiels, la performance du secteur agricole a été encore plus basse que prévu». L’industrie sucrière en crise ne produit plus que 93 000 tonnes de sucre brut en 1981 contre 250 000 tonnes en 1965. Les raffineries, au nombre de cinquante vers 1895, n’étaient plus que cinq en 1982. Le volume des exportations passait de 158 000 tonnes en 1976 à 64 000 tonnes en 1980. La chute de la production imposa une augmentation des importations: à la fin de novembre 1981, près de 18 000 tonnes de sucre non raffiné venaient des États-Unis.

L’agriculture d’exportation fondée sur le cacao, le café et les agrumes enregistre une baisse de production. Le cacao, dont la production atteignait de 25 000 à 30 000 tonnes entre 1900 et 1930 (10 p. 100 de la production mondiale en 1920) après une baisse rapide, se stabilise à 3 000 tonnes environ depuis 1976 grâce aux soins du département Cocoa Research Unit de l’université des West Indies.

Un effort est entrepris par le gouvernement pour diminuer la facture des importations alimentaires: céréales, viande et produits dérivés, fruits, légumes et produits laitiers. Le pays produit environ de 18 à 20 millions de livres de poisson, ce qui correspond à la moitié de ses besoins. Il doit importer l’autre moitié. Un projet d’exploitation de la forêt (teck et pins des Caraïbes) est associé à un effort de promotion des produits locaux. Après les États-Unis, la Communauté européenne (C.E.E.) est alors le deuxième fournisseur et le deuxième client de Trinidad et Tobago. Le pays importe une gamme de produits allant d’engins mécanisés aux objets d’art de collection et il exporte des dérivés du pétrole, du sucre pour raffinage (quota de 69 000 tonnes prévu par le Protocole sucrier), des produits chimiques, du cacao, du rhum, du café. La balance commerciale Trinidad et Tobago-C.E.E. accusait un déficit constant de 1970 à 1979. La tendance s’est légèrement redressée en 1980. La C.E.E. participe à plusieurs projets, en particulier au reboisement des deux îles, à l’adduction d’eau et à la production de grumes.

En dehors d’un effort orienté vers le tourisme, le gouvernement de Trinidad et Tobago cherche à poser, dans le cadre d’une coopération culturelle, «le problème des objets artistiques et culturels emportés ... [qui] se trouvent maintenant en Europe» (interview de James O’Neil Lewis, ambassadeur de Trinidad et Tobago, in Le Courrier ACP , no 78, mars-avr. 1983).

Protectionnisme et ouverture

Après la disparition d’Eric Williams, l’économie du pays a été caractérisée par une forte tendance au protectionnisme, une diversification et une consolidation des activités industrielles de Trinidad. Il s’agissait, pour le plus riche des membres du Caricom, de faire face à l’effondrement des prix du pétrole et à la diminution de ses réserves. Cela entraîna une sensible réduction des relations commerciales inter-Caraïbes.

La Trinidad and Tobago Manufacturers’ Association a demandé au gouvernement de ne pas modifier les restrictions aux importations, le niveau des exportations ne faisant que stagner dans le cadre du Caricom. L’objectif gouvernemental était d’encourager les entreprises locales, la création d’industries nouvelles et les investissements extérieurs pour modifier les termes de la dépendance du pays à l’égard du pétrole, qui représenta longtemps 90 p. 100 des exportations.

La Banque centrale de Trinidad indiquait dans son rapport annuel de 1985 une diminution de 7,4 p. 100 du produit intérieur brut. Le déficit de la balance des paiements atteignait alors 1,7 billion de dollars TT (1 dollar US = 3,6 dollars TT).

Les autorités de Port of Spain avaient négligé le secteur agricole au profit de la production pétrolière. Des subventions ont dû être allouées pour le soutien de l’industrie sucrière. L’abandon de la culture de la canne à sucre dans plusieurs régions de l’île vise une diversification de la production agricole et un ajustement de la production aux besoins de la consommation locale.

Le Premier ministre, George Chambers, dévalua le dollar TT de 33,8 p. 100 en décembre 1985. Un programme de développement des industries lourdes – pétrochimiques notamment – fut confirmé en 1986, ainsi que l’appel à des capitaux du Moyen-Orient.

Les élections législatives de décembre 1986 ont mis un terme à trente ans de pouvoir du People’s National Movement (P.N.M.). Elles se soldèrent en effet par la victoire de l’Alliance nationale pour la reconstruction (National Alliance for Reconstruction, N.A.R.) qui remporta 33 sièges sur les 36 à pourvoir. La N.A.R., créée en 1985, regroupait plusieurs partis d’opposition au P.N.M. Son leader, l’avocat Arthur Robinson, fut alors élu Premier ministre.

La sécession de la composante indienne de la N.A.R. en 1989 et la tentative de coup d’État du groupe musulman Jamaat al-Muslimeen, le 27 juillet 1990, redonnent le pouvoir au P.N.M. (21 des 36 sièges du Parlement), lors des élections du 16 décembre 1991 et, le 17, Patrick Mauning devient Premier ministre.

Encyclopédie Universelle. 2012.