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VIENNE
VIENNE

Deux facteurs ont favorisé la croissance de Vienne et son robuste destin. L’un, géographique, le Danube, qui coule ici dans une plaine où aboutit l’une des routes naturelles des Alpes par le col du Semmering; l’autre, politique, la résidence de l’empereur du Saint Empire, à partir de 1617, et surtout la constitution de la monarchie des Habsbourg, maîtresse d’un vaste ensemble d’États qui joignait à des duchés alpins le royaume de Bohême et celui de Hongrie. Non pas en droit, mais en fait, Vienne devint une capitale commune. Pourtant, ni l’un ni l’autre de ces facteurs n’était, à l’origine, absolument déterminant. Le Semmering, à 985 mètres d’altitude, ne présentait pas la voie la plus facile aux communications entre le monde méditerranéen et l’Europe transalpine. Un peu excentrique dans les limites du Saint Empire, Vienne n’avait pas tenu le rôle principal dans le développement de l’Allemagne médiévale. Elle était déjà un marché important à l’époque de la Renaissance, lorsque la menace turque la mit en danger, et le dernier assaut de l’invasion ottomane s’est brisé devant ses murs, lors du siège héroïque de 1683. Ensuite, la monarchie des Habsbourg a garanti l’essor de Vienne et de sa civilisation délicate, profondément imprégnée de latinité. Elle est devenue alors, du XVIIe au XIXe siècle, l’une des plus belles villes d’Europe, riche en monuments, originale par son culte de la musique, attrayante par son art de vivre. Vienna gloriosa , a-t-on dit. Centre d’affaires et de production industrielle, elle a vu tous les peuples de la monarchie contribuer à sa croissance démographique. Son caractère particulier s’est affirmé dans un esprit qu’on a trop vite taxé de légèreté, parce que, n’en voyant que les aspects aimables, on méconnaissait les ressources de courage et de persévérance. Depuis l’éclatement de la double monarchie, on aurait pu croire Vienne condamnée au déclin. Elle ne s’est relevée alors que grâce aux secours extérieurs, qui lui ont été indispensables également après 1945. Mais la nation autrichienne a montré ses propres capacités de redressement, et, dans l’actuelle république fédérale d’Autriche (7 965 000 habitants en 1994), les progrès de Vienne, métropole de 1 539 848 habitants en 1991, attestent l’ingéniosité et le labeur de sa population.

Vienne romaine et médiévale

Depuis au moins l’âge du bronze, les générations se sont succédé dans le site actuel de Vienne jusqu’à la formation d’un royaume celte de Norique, soumis pacifiquement par les Romains, peu avant les débuts de l’ère chrétienne. La Vindobona romaine, au nom celtique, était le siège d’une légion. Marc Aurèle y mourut en 181. Le culte de Mithra, puis le christianisme y furent accueillis. Mais on ne saurait apprécier ce qui en subsistait, lorsqu’elle fut submergée par les Barbares et disparut de l’histoire pendant quatre siècles (493-881). Il n’est pas certain que Charlemagne y soit venu et y ait fondé l’église Saint-Pierre. L’essor de la Vienne médiévale ne reprend qu’au XIIe siècle avec les Babenberg (surtout Henri II Jasomirgott, 1156-1177): les relations sont alors soutenues avec l’Orient byzantin et l’Occident. Les croisés y font étape, le commerce et la culture de la vigne se développent, des églises s’élèvent, la littérature des Minnesänger contribue à la renommée de la Cour. L’art roman persista à Vienne plus longtemps qu’en Europe occidentale. À l’église Saint-Étienne, d’abord paroissiale dépendant de Passau, le beau portail roman, dit Riesentor, date du XIIIe siècle. Après les Babenberg, et à la suite de diverses péripéties, vinrent les Habsbourg. L’un d’eux, Rodolphe IV le Fondateur, obtint que Saint-Étienne fût collégiale indépendante. Dans sa ville, entourée d’une plus large enceinte, il voulut une belle église gothique et une université, comme il en existait à Prague. La flèche de la tour Sud, terminée en 1433, devient alors, pour des siècles, le trait majeur du paysage urbain, comme, à l’intérieur, l’effet des pures arcades de la nef et de la voûte continue à l’emporter sur celui de la statuaire et de la décoration, rendues surabondantes au cours des âges, mais sans nuire à l’impression de recueillement et de paix procurée par tout l’ensemble. La ville elle-même, traversée par une voie venant de Carinthie (Kärntnertor) pour conduire au Danube et, au-delà des ponts, vers la Bohême, était un marché important, fréquenté par les négociants italiens et juifs. Les maisons se pressaient autour des hautes nefs gothiques de Sainte-Marie am Gestade, des Franciscains, des Minorites, de Saint-Michel et de Saint-Augustin. Dès 1237, Vienne avait reçu de l’empereur le statut privilégié de ville immédiate d’empire.

Vienne renaissante et baroque

Au XVe siècle, l’esprit de la Renaissance allemande et italienne pénètre à Vienne, ce qui se traduit par la diffusion de l’humanisme et le renouvellement de l’architecture (améliorations à la résidence du prince, la vieille Hofburg fortifiée, édification de palais à l’italienne, comme le palais Porcia). Toutefois, à partir de 1526, les Turcs occupèrent la plus grande partie de la Hongrie, et, de 1529, date d’un premier siège, à 1683, celle du dernier et plus terrible assaut contre ses murs, Vienne demeura dans une situation précaire, comme le dernier bastion de la chrétienté face à l’islam. C’est pourtant au cours de cette période difficile que la ville prit définitivement son caractère de capitale impériale et de foyer de la civilisation baroque.

En 1617, les Habsbourg, qui jusqu’à la fin du Saint Empire ne devaient plus perdre la couronne impériale (sauf de 1742 à 1745), fixèrent leur résidence à Vienne. Ils ramenèrent dans l’obédience catholique la cité souvent récalcitrante – Ferdinand Ier lui avait imposé un nouveau statut en 1526 – et largement gagnée à la réforme protestante. Ferdinand II (1617-1637) confia l’Université aux Jésuites, qui bâtirent une église à la façade monumentale, dans le style de la Contre-Réforme (1627-1631, intérieur remanié en 1702-1705 par le père Pozzo). Les édifices religieux se multiplièrent (Ursulines, Dominicains, Paulistes). Il est vrai que la guerre de Trente Ans épargna Vienne. Malgré les difficultés de son long règne, l’empereur Léopold (1654-1705), excellent musicien, fit appel à des artistes italiens: architectes, décorateurs, peintres et musiciens. Dans la Hofburg agrandie (aile Léopoldine, théâtre), il donna des fêtes de cour et fit représenter des opéras, inspirés de Venise. Des colonnes votives s’élevèrent sur les places. Mais ce fut surtout après les épreuves de la peste (1679) et du siège (1683) que la civilisation baroque se déploya largement avec des caractères nouveaux, émancipée en partie des modèles italiens. Bien que personnellement de mœurs simples et économe, Léopold demanda à l’architecte Johann Bernhard Fischer von Erlach (1656-1723) des plans pour faire de Schönbrunn un Versailles autrichien. La noblesse se montra plus résolue encore dans ses entreprises (palais Lobkowitz, Liechtenstein, Caprara, Daun-Kinsky), et, au début du XVIIIe siècle, le prince Eugène de Savoie, fastueux mécène, fit construire par Lukas von Hildebrandt son palais de ville et l’incomparable résidence du Belvédère, avec ses deux palais et, les unissant, des jardins en terrasse.

Au temps de l’empereur Charles VI (1711-1740), le baroque prit un aspect plus monumental et somptueux, notamment à la Hofburg, dans l’aile de la chancellerie d’Empire, et surtout à l’église Saint-Charles Borromée, dont la magnificence s’affirme dans sa coupole ovale et ses colonnes rostrales autour du portique, œuvre de J. B. Fischer von Erlach. Continuant l’œuvre paternelle, Josef Emmanuel Fischer von Erlach réalisa l’union délicate de l’élégance et de la majesté à la façade de la bibliothèque de la Cour (1720). Dès 1705, une Académie des arts avait été fondée à Vienne par Peter Strudel, élève du Vénitien Loth. Des peintres fresquistes y révélèrent leur grand talent (Gran, 1694-1757, qui décora le plafond de la Bibliothèque; Troger, 1698-1762). À cette époque se trouvaient rassemblées à Vienne les collections d’une extrême richesse qui provenaient de l’héritage de princes artistes, l’empereur Rodolphe II (mort en 1611) et l’archiduc Léopold-Guillaume. Les chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie, de l’art de la médaille, des peintres flamands et italiens pouvaient se prêter à l’étude et à la formation des artistes. Plus qu’un centre de vie intellectuelle (ce que constataient les voyageurs, Montesquieu ou Leibniz), Vienne était devenue un foyer de la vie artistique sous toutes ses formes: sculpture, peinture et musique. Dans ce dernier domaine, si la tradition italienne prédominait avec l’œuvre de J. J. Fux (1660-1741), la production était d’une telle intensité et d’une telle liberté qu’on s’explique mieux l’éclosion des génies qui allaient renouveler l’art musical après de longs séjours à Vienne: Haydn et Gluck. C’est que l’aristocratie n’était pas seule à en tirer bénéfice pour son plaisir, le peuple y gagnait en finesse et en délicatesse de goût, apportant dans toutes ses démarches une note d’ironie et de gentillesse.

Du temps de l’impératrice Marie-Thérèse (1740-1780), la civilisation viennoise glissa de la grandeur baroque aux expressions plus souriantes du rococo. À l’architecte Pacassi (1716-1790) revint l’achèvement harmonieux de Schönbrunn – remanié ensuite avec moins de bonheur – comme on dut aux préférences de la souveraine le décor intérieur, avec ses bois précieux, ses lignes souples et légères. L’architecte Jadot de La Ville-Issey prêta l’élégance recherchée du classicisme français à la Nouvelle Université. Parmi les peintres, Guglielmi et le génial Maulbertsch (1724-1796), avec la fraîcheur de ses coloris et l’allure frémissante de ses compositions, avaient une autre puissance que les portraitistes, même le plus robuste d’entre eux, Kupetzky (1667-1740). À partir de 1750, un nouvel intérêt pour l’antique infléchit le goût vers plus de régularité dans les volumes et de rigueur dans l’ornementation, et conduit au néo-classicisme.

L’industrie s’était développée (manufacture de porcelaine); l’opinion publique prenait plus d’intérêt aux événements; on lisait les gazettes dans les cafés. Vienne devenait une grande cité européenne, celle où les chefs-d’oeuvre étaient déjà révélés à un large public (La Flûte enchantée de Mozart, en 1791; La Création de Haydn, au Burgtheater, en 1799), cependant que la noblesse y poursuivait son mécénat (Eroica dirigée par Beethoven dans le palais du prince de Lobkowitz).

Vienne du XIXe siècle: Biedermeier et époque François-Joseph

Dans la première moitié du XIXe siècle se succédèrent à Vienne des événements tragiques (la ville fut deux fois occupée par les armées de Napoléon) ou lourds de conséquences générales (congrès de 1814) et la détente, au moins apparente, d’une période où la bourgeoisie se plaisait à un romantisme attendri, le Biedermeier. Ce fut le temps des succès de Schubert, des paysages de Waldmüller, du mobilier en bois clairs, incrustés d’ébène, dans les demeures privées.

L’empire d’Autriche (1804) était gouverné par un souverain populaire, Franz Ier (mort en 1835), mais le régime policier, au service de la lutte de Metternich contre les idées révolutionnaires, devenait insupportable à la jeunesse, et le prolétariat (27 000 personnes à Vienne vers 1820) vivait d’une existence misérable. D’où le soulèvement de mars 1848 et la lourde répression des émeutes par l’armée. Une fois la révolution matée, une autre époque s’ouvrit, qui coïncida avec le règne de François-Joseph (1848-1916).

Capitale politique de tout l’empire (1848-1867) puis, après le compromis avec la Hongrie, de la seule Cisleithanie, Vienne accomplit un énorme progrès démographique, passant de 898 855 habitants en 1869 (contre 175 000 en 1754) à 1 162 196 en 1880 et à 2 083 497 en 1910. La prospérité générale est attestée par l’essor de l’industrie (textile, métallurgie, chimie) et de la banque. Le décor urbain connaît la plus grande transformation de son histoire par la substitution aux anciens remparts d’un large boulevard circulaire, le Ring (1863), centre d’une cité qui annexe ses anciens faubourgs. Le long du Ring se suivent les monuments publics (Opéra, hôtel de ville, Parlement, Université, musées, bâtiments nouveaux de la Hofburg, Burgtheater) et les somptueux immeubles de la noblesse ou de la riche bourgeoisie. L’architecture est moins soucieuse de création originale que de recours délibéré au pastiche des grands styles: le gothique civil ou religieux (la Votivkirche), l’antiquité hellénique, la Renaissance. Cependant la présence de grands jardins allège l’ensemble et, malgré la solennité de chaque édifice, une grâce générale y maintient l’agrément. Des fêtes brillantes s’y déroulent (cortège du décorateur Makart, 1879; corso du Prater), la vie intellectuelle est des plus fécondes (Académie des sciences fondée en 1847; à l’Université, renommée des maîtres de la médecine, de la philosophie et des sciences naturelles; parmi les écrivains, Grillparzer – mort en 1872 – est toujours apprécié comme un classique). À la fin du XIXe siècle, un art nouveau s’oppose à l’éclectisme du Ring comme à toute forme d’académisme (revue Ver Sacrum , peinture symboliste de Gustav Klimt, palais de la Sécession), et l’architecture plus rigoureuse d’Otto Wagner et d’Adolf Loos devient modèle pour l’Europe. Une évolution musicale était déjà annoncée par Anton Bruckner, Mahler, directeur de l’Opéra, Richard Strauss, mais Arnold Schönberg préparait une véritable mutation de la musique (atonalité). Vienne, accueillante, semblait conduire sa vie quotidienne au rythme des valses de Strauss et se complaire à l’opérette. Si le tragique et la grâce se côtoyaient ainsi, c’est qu’elle ressentait l’angoisse de son propre destin, lié à celui de l’Empire (lutte des nationalités, scènes de violence au Parlement et dans la rue) et cherchait à l’oublier.

Vienne contemporaine

La défaite militaire, la dislocation de l’Empire, la famine, l’inflation firent peser sur Vienne des épreuves plus cruelles qu’on n’avait pu les imaginer: elles furent peu à peu surmontées. La vie désormais reprit une apparence normale, avec le secours que le théâtre et la musique apportaient au désarroi des âmes, reflété dans une littérature de haute tenue (Arthur Schnitzler, Hofmannsthal) ou la quête d’un nouveau style musical (Alban Berg, Webern). Ces valeurs de la Vienne de l’entre-deux-guerres disparaissent après l’Anschluss , l’absorption de l’Autriche par l’Allemagne nazie, avec la dispersion des élites (Freud, Stefan Zweig, Robert Musil, et combien d’autres réduits à l’exil, déportés et exterminés), les pertes en vies humaines à la guerre et dans les bombardements et les incendies de 1944-1945.

Capitale fédérale de la République, rendue à l’indépendance en 1955, Vienne restaurée, où se juxtaposent la richesse du passé et les hardiesses créatrices de tous genres (architecture de Donaustadt, église de la Machstrasse, équipement urbain), demeure une ville accueillante au tourisme, aux congrès et aux échanges internationaux.

Vienne
(cercle de) école néo-positiviste, fondée à Vienne v. 1920, qui regroupa des philosophes et des logiciens (Carnap, notam.). Elle s'inspira de la logique mathématique.
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Vienne
(congrès de) congrès qui se tint à Vienne du 1er nov. 1814 au 9 juin 1815 après la défaite napoléonienne. Les puissances victorieuses, représentées par Metternich (Autriche), Hardenberg (Prusse), Castlereagh et Wellington (Angleterre), Nesselrode (Russie), se partagèrent l'Europe, où elles rétablirent l'absolutisme, semant le germe de conflits. La France (Talleyrand) put s'y associer. Celle-ci perdait tous les territoires conquis sous la Révolution et l'Empire. L'acte final du Congrès agrandit l'Autriche, qui notam. accroissait ses possessions italiennes, mais cédait les Pays-Bas autrichiens (la Belgique et le Luxembourg actuels) au royaume des Pays-Bas; la Prusse, qui notam. acquérait la Poméranie et d'import. territoires en Allemagne; la Russie, qui désormais possédait la plus grande partie de la Pologne; la Suède, qui recevait la Norvège. Le duc de Savoie (roi de Piémont-Sardaigne en 1718) reçut notam. le comté de Nice, Monaco, Gênes. L'Angleterre accrut ses colonies: Le Cap, Ceylan, nombr. îles des Antilles, l'île Maurice (jusqu'alors Isle de France). On reconnut la neutralité perpétuelle de la Confédération suisse, à laquelle adhérèrent les cant. de Genève, de Neuchâtel, et le Valais, ce qui donna à la Suisse sa configuration actuelle.
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Vienne
(en all. Wien) cap. de l'Autriche, sur le Danube; 1 533 170 hab. (la ville constitue le Land de Vienne, 415 km²). Métropole culturelle, comm., fin. et industr. de l'Autriche (20% de la pop.).
Archevêché. Université. Nombr. édifices baroques (chât. du Belvédère, 1714-1723; bibliothèque de la Hofburg, 1723) et néo-gothiques (XIXe s.). Cathédrale St-Étienne (XIVe-XVIe s.). égl. des Capucins (déb. XVIIe s.). égl. St-Charles-Borromée (déb. XVIIIe s.). Nombr. musées (dont l'Albertina). Dans les env., chât. de Schönbrunn.
Poste avancé des Romains, la ville se développa quand les Habsbourg en firent leur résidence (XVIe s.) et que le péril turc (sièges de 1529 et de 1683) disparut. Elle fut la plus grande ville germanique jusqu' en 1900 et un centre artistique (musique, peinture, littérature). En avril 1945, l'armée Rouge l'enleva après des combats qui l'endommagèrent; jusqu' en 1955, chacun des Alliés occupa un quart de la ville.
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Vienne
(la) rivière de France (372 km), affl. de la Loire (r. g.).
Vienne, départ.: 6 985 km²; 379 977 hab.; chef-lieu Poitiers . V. Poitou-Charentes (Rég.).
Haute-Vienne, dép.: 5 513 km²; 353 593 hab.; ch.-l. Limoges . V. Limousin (Rég.).

Encyclopédie Universelle. 2012.