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XIAOSHUO
XIAOSHUO

En chinois moderne, le terme «xiaoshuo », comme celui de sh 拏setsu en japonais, tend à devenir l’équivalent de la notion occidentale de roman, conte ou nouvelle. Mais, dans son acception originelle, le terme est beaucoup plus général. L’expression semble être née autour du début de l’ère chrétienne pour désigner les écrits «mineurs» par leur dimension, leur conception et leur contenu. Ce genre sans contour défini a connu un développement littéraire marginal considérable. Dès le IXe siècle, on relève la qualification de xiaoshuo appliquée à des conteurs professionnels; ceux-ci ont perfectionné dans les grandes villes leur art qui a largement contribué, grâce au développement de l’imprimerie, à la naissance des genres romanesques en vernaculaire diffusés par le livre populaire.

On peut distinguer trois sens particuliers de xiaoshuo : notes et anecdotes en langue écrite, conte oral d’un genre particulier et fiction en langue vulgaire, incluant aussi bien le théâtre dans la mesure où il peut être lecture et non spectacle. Toutes ces acceptions sont liées par la fonction de divertissement et par le caractère imaginaire ou l’authenticité douteuse du xiaoshuo au sens large.

Notes et anecdotes

On trouve dans le Zhuangzi (IIIe s. av. J.-C.) les mots xiao shuo , mais leur signification, plutôt que celle du mot composé signifiant «roman», serait plutôt: «le dit de [leurs] médiocres [exploits]». Jusqu’au IIe siècle de notre ère, il semble que le terme courant ait été duanshu , «livre court», peut-être parce que les écrits «majeurs» étaient au contraire couchés sur des lattes de bois longues. Dans le traité bibliographique de l’Histoire des Han , inspiré d’un classement établi un siècle plus tôt, Ban Gu (32-92) ajoute aux neuf «écoles philosophiques» la catégorie du xiaoshuo pour y inclure les ouvrages indignes d’être lus, mais cependant à conserver. Encore qu’ils soient tous perdus, ces écrits paraissent bien mal répondre à la définition que l’historien donne du xiaoshuo , «menus propos des routes et des venelles recueillis par des préposés appelés baiguan » (bai , espèce sauvage de millet, impliquant l’insignifiance, et peut-être aussi le caractère officieux de leurs fonctions).

Toujours est-il que la catégorie du xiaoshuo ne disparaîtra plus des bibliographies, officielles ou non. Elle ne cessera de s’enrichir comme un commode fourre-tout pour ce qu’on avait lieu de désapprouver peu ou prou. À partir du IIIe siècle fleurissent les mirabilia , les histoires drôles et les memorabilia d’individus excentriques, tout cela dans un style libre truffé de vulgarismes. Dès la fin du VIIe siècle apparaissent des récits développés dans une prose châtiée. Les chuan qi , «relations de faits extraordinaires», en pur «style antique», exploitent des thèmes érotiques et sentimentaux, peut-être sous l’influence populaire du milieu des courtisanes. La nouvelle en langue écrite y compte des chefs-d’œuvre longtemps méconnus. le genre des notes ou essais sur les sujets les plus variés acquiert une certaine renommée avec le Bi ji de Song Qi (998-1061). Les expressions biji et xiaoshuo serviront à désigner l’ensemble de la littérature anecdotique en langue écrite. La vogue de ces écrits à bâtons rompus, leur compilation sous forme de sommes encyclopédiques sans considération de style entraînent alors la quasi-disparition de la nouvelle classique, qui connaîtra une brève mais brillante renaissance grâce à Qu You (1341-1427), plus apprécié au Japon qu’en Chine. L’essor des genres romanesques en vernaculaire attire bientôt l’attention des lettrés les plus curieux et les plus originaux. Il faudra attendre le déclin du conte en langue vulgaire pour qu’apparaisse, au XVIIIe siècle, le Liao zhai yi , chef-d’œuvre où Pu Songling (1640-1715) a su combiner la concision des mirabilia des III-VIe siècles au fini de la nouvelle des Tang sans perdre la saveur et le mordant des traditions populaires, réussite à laquelle ne parviendra aucun de ses nombreux émules qui s’adresseront au public lettré jusqu’au début du XXe siècle.

Un genre oral de la littérature populaire

Duan Chengshi (mort en 863) rapporte le savoir étonnant d’un conteur de xiaoshuo de la ville (ou du marché) qu’il avait écouté vers 830. À Kaifeng, capitale des Song du Nord (960-1126), les xiaoshuo faisaient concurrence aux jiangshi , les narrateurs de récits historiques, et, tout au moins après le repli de la capitale à Hangzhou, aux conteurs bouddhisants.

Aux XII-XIIIe siècles, les conteurs professionnels se divisaient théoriquement en quatre classes, dont l’une relevait du xiaoshuo , à l’origine qualifié de yinzi’er , «flûte damasquinée d’argent», probablement parce que cette catégorie de conteurs attirait la clientèle au moyen de cet instrument au son langoureux, introduit semble-t-il vers le VIIe siècle. Il y a donc lieu de supposer que le répertoire le plus ancien mêlait l’érotisme au surnaturel et au sentimental. Les «cas judiciaires» (gong’an ) ne s’y seraient ajoutés que sous les Song du Nord aux Xe-XIe siècles; à Hangzhou, au XIIe siècle, des récits de bataille y auraient été introduits, pour répondre à la demande des soldats de la garnison. Les conteurs de xiaoshuo auraient été ainsi amenés à empiéter sur le domaine des narrateurs de récits historiques. De ces derniers ils se distinguaient par la brièveté de leur narration, expédiée en une seule séance, par le style lyrique de la récitation coupée de parties chantées, peut-être accompagnées de musique, et par le contenu plus imaginaire de leurs histoires. Cette forme, qui rappelle la chantefable d’Occident, paraît attribuable à l’influence du bian wen , genre bouddhique issu du prêche en langue vulgaire. Il semble que, jusqu’au XVIIe siècle, le terme de xiaoshuo ait été conservé pour désigner les textes courts en langue vulgaire, quelle qu’en soit l’origine, par opposition aux romans longs, appelés pinghua ou cihua selon le genre, historique ou lyrique, dont ils relevaient. Le passage à l’écrit a bientôt rendu confuse une terminologie dont les distinctions devenaient sans objet.

La littérature d’imagination en langue vulgaire

L’imprimerie, répandue dès le XIe siècle, s’est emparée des matériaux élaborés par les conteurs pour répondre aux besoins d’une clientèle populaire, à laquelle ce genre littéraire apportait dans une langue «claire» des histoires attachantes adaptées à son milieu et à sa mentalité. Le roman chinois ne se débarrassera jamais complètement des conventions de la narration orale: déroulement chronologique, enchaînement épisodique, passages versifiés, point de vue impersonnel du conteur s’interposant entre l’auteur, ses personnages et le lecteur. La littérature d’imagination en langue vulgaire pénètre les milieux lettrés, d’abord sans doute par les femmes et les jeunes gens, mais en conservant de nombreux traits dus à ses origines populaires: toute-puissance du destin, inéluctabilité de la rétribution karmique, révolte et résignation. Cependant, elle se fait affirmation de soi dans l’exaltation de l’amour naguère dépeint comme une obscure force destructrice. L’anticonformisme du XVIIe siècle y voit l’une des expressions les plus valables de l’époque. Dès la fin du XVIe siècle, des lettrés se penchent sur le problème suscité par la popularité et l’attrait de cette littérature: ils découvrent la vérité de la fiction et l’utilité du divertissement. Les traditionalistes réagissent, assimilent le faux à l’imaginaire qu’ils rejettent avec tout ce qui relève de la langue vulgaire. Ji Yun (1714-1805), éditeur en chef du grand Catalogue impérial , n’y admet que le xiaoshuo de langue écrite, et à titre de matériaux utiles à l’histoire ou aux belles-lettres. Qian Daxin (1728-1804), érudit célèbre, dénonce dans le roman une «doctrine» qui, depuis les Ming, s’acharne à conduire au mal le plus grand nombre. Gouverneur du Jiangsu, Ding Richang (1823-1882) proscrit de façon quasi générale le roman, ce qui n’est pas sans rappeler la mesure analogue prise par la monarchie française au XVIIIe siècle. De plus en plus contestataire, le roman devient une arme de choix aux mains des modernistes de la fin du XIXe siècle. Liu E (1857-1909), dans ses Récits de voyage d’un vieux rebut traduits dans la collection «Connaissance de l’Orient» sous le titre Odyssée de Lao Can , est ainsi un polémiste qui part en guerre contre l’impéritie des fonctionnaires. Liang Qichao (1873-1929) appelle de ses vœux un nouveau roman pour rénover la Chine, tandis que Lin Shu (1852-1924) adapte au goût lettré le roman occidental dans ses innombrables traductions en langue classique, qui n’avait jusqu’alors jamais été employée dans les œuvres romanesques longues.

Encyclopédie Universelle. 2012.