ÉLÉGIE
ÉLÉGIE
Ce petit genre poétique, d’abord caractérisé uniquement par l’emploi d’une forme métrique, le distique élégiaque, s’est spécialisé chez les Latins dans un «lyrisme modéré et fleuri» faisant «la plus large part aux émotions personnelles du poète» (J. Bayet). On a continué, dans les littératures postérieures, à désigner du nom d’élégies des poèmes exprimant des sentiments tendres et mélancoliques, notamment les joies mais surtout les peines de l’amour. Chez les Grecs, le distique élégiaque (strophe formée d’un hexamètre dactylique suivi d’un pentamètre dactylique, le nombre de distiques qui entrent dans la composition d’une pièce étant indéterminé), loin d’être réservé à la poésie personnelle, était plutôt apprécié pour ses vertus gnomiques: «exhortations» morales et militaires de Callinos et de Tyrtée (\ÉLÉGIE VIIe s.), sentences sociales et politiques de Solon (\ÉLÉGIE VIIe-\ÉLÉGIE VIe s.) et de Théognis (fin du \ÉLÉGIE VIe s.), lyrisme (très général) de Mimnerme (fin du \ÉLÉGIE VIIe s.) et de Simonide (\ÉLÉGIE VIe-\ÉLÉGIE Ve s.). Ce sont les Alexandrins Callimaque et Philétas (début du \ÉLÉGIE IIIe s.) qui s’en servent les premiers pour exprimer la passion amoureuse, mais de façon encore impersonnelle et à grand renfort d’allusions mythologiques. Dans la littérature latine, Catulle reprend, après Ennius, le distique élégiaque non dans les poèmes qu’il adresse à Lesbie, mais dans ses épigrammes (comme plus tard Martial) et dans les pièces où il imite les Alexandrins. C’est à l’époque augustéenne que le genre élégiaque se fixe et donne des œuvres qui figurent parmi ses plus belles réussites, grâce à l’accord privilégié de l’expression de sentiments intimes, souvent caractérisés par des élans et des chutes, et d’un système métrique dont l’effet général (puisque les deux hémistiches du pentamètre sont analogues au premier hémistiche de l’hexamètre) est «celui de la vague qui monte, puis descend inégalement, puis remonte en deux poussées distinctes» (J. Bayet), mais dont les modulations particulières sont extrêmement variées, par l’accord aussi d’une forme d’art avec les tendances de toute une société: à la suite de Gallus en qui on reconnaît le créateur de l’élégie amoureuse, Tibulle chante rêveusement son amour pour Délie et son goût de la vie champêtre; Properce, beaucoup plus marqué par l’alexandrinisme, rend néanmoins de façon extrêmement personnelle les tourments de son amour passionné et jaloux pour Cynthie, mais célèbre aussi, dans le dernier livre de ses Élégies (auquel on donne parfois le nom d’Élégies romaines ), les antiquités nationales; Ovide enfin, après avoir fait de l’élégie amoureuse un pur badinage, pleure, dans les Tristes et les Pontiques , les malheurs de son exil. Ils auront de nombreux épigones parmi les poètes latins du siècle suivant et, plus tard, parmi les poètes néo-latins. Parallèlement, les littératures nationales adopteront, sous une forme nouvelle, l’élégie (Du Bellay conseille dans la Deffence et Illustration de la langue françoyse : «Distile avecques un style coulant [...] ces pitoyables elegies à l’exemple d’un Ovide, d’un Tibulle et d’un Properce»): ainsi en France, après Marot, avant Desportes, Ronsard publie des élégies (on connaît l’élégie contre les bûcherons de la forêt de Gastine, l’une des dernières qu’il ait écrites) et l’on distingue traditionnellement dans les Regrets de Du Bellay (qui se souvient d’Ovide) une partie élégiaque et une partie satirique. «La plaintive élégie, en longs habits de deuil [...] les cheveux épars» (Boileau), «La tendre élégie [...] à la voix gémissante, Au ris mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars» (Chénier) se renouvelle peu en France au XVIIe siècle malgré les tentatives de La Fontaine (Élégie aux nymphes de Vaux ) et les conseils, ou les regrets de Boileau («Il faut que le cœur seul parle dans l’élégie»); elle connaît bien un regain de faveur au XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle (Lebrun, Chénier, Millevoye), mais non d’originalité (alors que le genre semble plus vivace à l’étranger: Nuits de Young, Élégie écrite dans un cimetière de campagne de Gray, Élégies romaines de Goethe). Les Méditations de Lamartine imposeront la forme moderne de lyrisme qui rénovera complètement le genre mais qui (en dépit des Élégies de Verlaine et des Élégies de Duino de R. M. Rilke) abandonnera le plus souvent le mot.
élégie [ eleʒi ] n. f.
• 1500; lat. d'o. gr. elegia
♦ Poème lyrique exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques. Les élégies de Ronsard, de Chénier. « L'élégie vraiment moderne, inaugurée par Lamartine » (Sainte-Beuve). — Par ext. Œuvre poétique dont le thème est la plainte.
● élégie nom féminin (latin elegia, du grec elegeia, chant triste) Chez les Anciens, pièce de vers formée d'hexamètres et de pentamètres alternés. Petit poème lyrique sur un sujet le plus souvent tendre et triste. Toute œuvre qui est dans le ton triste et mélancolique de l'élégie. ● élégie (citations) nom féminin (latin elegia, du grec elegeia, chant triste) Nicolas Boileau, dit Boileau-Despréaux Paris 1636-Paris 1711 La plaintive élégie, en longs habits de deuil, Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil. L'Art poétique ● élégie (homonymes) nom féminin (latin elegia, du grec elegeia, chant triste) élégi nom masculin
élégie
n. f. Poème lyrique d'un ton mélancolique. Les élégies de Ronsard.
⇒ÉLÉGIE, subst. fém.
A.— LITTÉRATURE
1. POÉSIE GRÉCO-LATINE. Poème aux sujets variés mais le plus souvent mélancoliques, composé de distiques élégiaques (cf. élégiaque A 1). Élégie latine. Les élégies de Tibulle, de Properce. Un ami de Rabelais consacra à cet enfant (...) toute une flore latine d'élégies, de distiques (FRANCE, Rabelais, 1924, p. 118) :
• 1. Les anciens, qui ne faisaient aucun usage de la rime, avaient inventé des vers de différentes mesures, comme l'hexamètre et le pentamètre, qu'ils employaient d'ordinaire dans les sujets tendres et mélancoliques, tels que l'élégie, les épitaphes, l'ode, etc.; ...
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, p. 338.
2. Usuel. Poème lyrique de facture libre, écrit dans un style simple qui chante les plaintes et les douleurs de l'homme, les amours contrariés, la séparation, la mort. Elégie amoureuse, plaintive, tendre, triste; les élégies de Ronsard, de Chénier. À quel talent nourri de larmes devrons-nous un jour la plus émouvante élégie (BALZAC, Lys, 1836, p. 5). Seule la poésie — l'élégie — peut par la magie du verbe purifier le lamento du corps (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 422) :
• 2. Peut-être n'écoutant qu'une jeune manie,
J'eusse aux rayons d'Homère allumé mon génie;
Et d'un essor nouveau, jusqu'à lui m'élevant,
Volé de bouche en bouche heureux et triomphant.
Mais la tendre élégie et sa grâce touchante
M'ont séduit : l'élégie à la voix gémissante,
Au ris mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars;
Belle, levant au ciel ses humides regards.
CHÉNIER, Élégies, 1794, p. 128.
— P. ext. Toute œuvre d'inspiration tendre et mélancolique, où l'amour tient en général une large part. La tragédie de Corneille, Tite et Bérénice, fut représentée. Elle tomba. La belle élégie de Racine fut mieux accueillie (FRANCE, Génie latin, 1909, p. 151).
♦ Spéc., MUS. Morceau écrit généralement sur le mode mineur pour exprimer la tristesse. Mon jeune Dalmate exécuta une élégie en la mineur d'une expression déchirante (FEUILLET, Scènes et comédies, 1854, p. 124).
B.— Au fig., iron. ou fam.
1. Plainte chagrine, lamentation, situation de désespoir généralement provoquée par un chagrin d'amour, une séparation. Quelques élégies furent alors versées dans le cœur du Procureur du roi (BALZAC, Muse départ., 1844, p. 79). Je vivais ces jours-ci la plus plaintive des élégies (GIDE, Corresp. [avec Valéry], 1892, p. 175).
2. P. métaph. (personnification). Personne, généralement jeune femme dont l'allure, la physionomie, le caractère sont empreints de tristesse, de mélancolie, à l'image des personnages des élégies :
• 3. Certes, il avait revu des paysages entiers, ou respiré le parfum des forêts. Il était, vivante et sublime élégie, toujours silencieux, résigné; toujours souffrant sans pouvoir dire : je souffre! cet aigle, qui voulait le monde pour pâture, se trouvait entre quatre murailles étroites et sales...
BALZAC, Louis Lambert, 1832, p. 63.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1500 (J. D'AUTHON, Chron. de Louis XII, t. 1, 155, éd. de Maulde; Elegyes, tiltres et epitaphes ds DELB. Rec.). Empr. au lat. elegia (du gr. ) « élégie ». Fréq. abs. littér. :255. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 692, b) 301; XXe s. : a) 240, b) 187. Bbg. SCOLLEN (C. M.). The Birth of the elegy in France. 1500-1550. Genève, 1967.
élégie [eleʒi] n. f.
ÉTYM. 1500; lat. elegia, grec elegeia, de elegos « chant de deuil ».
❖
1 Dans la poésie gréco-latine, Poème lyrique exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques, composé de distiques élégiaques. ⇒ Élégiaque. || Les élégies de Catulle, de Properce, de Tibulle. || Élégies de l'Arioste. || Élégies de Ronsard, de Chénier. || Élégie aux nymphes de Vaux, poème de La Fontaine. || Élégies romaines, de Goethe. || Élégies de Duino, de R.-M. Rilke. — Élégie plaintive, tendre. || Élégie fade (→ Assoupissant, cit. 1).
1 La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amants la joie et la tristesse;
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien expliquer ses caprices heureux,
C'est peu d'être poète, il faut être amoureux.
Boileau, l'Art poétique, II.
2 Mais la tendre élégie et sa grâce touchante
M'ont séduit : l'élégie à la voix gémissante,
Au ris mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars;
Belle, levant au ciel ses humides regards (…)
André Chénier, Élégies, « À Le Brun ».
3 (…) l'Élégie vraiment moderne, inaugurée par Lamartine (…)
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 4 sept. 1854, t. X, p. 452.
2 Par ext. Œuvre poétique dont le thème est la plainte. || La « Bérénice » de Racine est une admirable élégie.
♦ Mus. Morceau composé sur le mode mineur (pour exprimer la tristesse).
3 Au plur. Fig. Vx. Plaintes, lamentations répétées. || Il nous fatigue avec ses perpétuelles élégies.
Encyclopédie Universelle. 2012.