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BIODIVERSITÉ
BIODIVERSITÉ

Biodiversité

Quittant les cercles scientifiques, le terme de biodiversité (ou diversité biologique) a fait irruption dans le vocabulaire des médias surtout depuis le Sommet de la Terre, cette conférence internationale tenue à Rio de Janeiro en 1992, où de nombreux États signèrent la Convention sur la diversité biologique. Faut-il voir là l’effet d’une mode, ou l’émergence d’un réel enjeu à l’échelle de la planète? Les vifs débats – notamment entre les pays du Nord et les pays du Sud – donnent à croire que derrière le terme, plutôt abscons, se profilent des luttes d’intérêt alimentées par l’idée que les êtres vivants constituent des ressources potentielles considérables. Il y a l’espoir d’exploiter de plus en plus l’immense diversité des gènes, portée par les millions d’espèces connues et inconnues qui peuplent les forêts tropicales ou les fonds abyssaux; il y a l’espoir que la diversité des écosystèmes (ou systèmes écologiques) formant la trame des paysages devienne un atout économique essentiel avec le développement du tourisme; il y a enfin le désir croissant de protéger une nature mise à mal par l’explosion démographique et l’irresponsabilité économique et politique.

Alors qu’émergent les enjeux économiques, les cercles scientifiques se mobilisent pour étudier la biodiversité. Un programme international prend corps; des systématiciens nord-américains lancent l’idée d’un programme d’urgence pour inventorier les espèces dont une importante proportion serait encore inconnue. Mais pour beaucoup, y compris dans de nombreux milieux scientifiques, la notion même de biodiversité reste floue. La mieux comprendre est indispensable pour évaluer la signification des enjeux qu’elle cristallise.

Les différentes facettes de la biodiversité

Les espèces, richesse de la planète

L’acception la plus ordinaire du concept de biodiversité est celle de la richesse en espèces de la planète, toutes catégories confondues. Mais la réalité n’est pas si simple car la notion d’espèce reste ambiguë. La définition théorique la plus satisfaisante est à fondement biologique: appartiennent à une même espèce les individus qui, par le mécanisme de la fécondation, sont en mesure de combiner des éléments de leurs patrimoines génétiques et de donner ainsi naissance à de nouveaux individus ayant les mêmes propriétés. Au rythme des générations, des individus plus ou moins éphémères partagent ainsi un patrimoine génétique perpétuellement recombiné, qui reste isolé des patrimoines génétiques des autres espèces. Cette approche ne convient évidemment que pour les organismes à reproduction sexuée obligatoire, soit la grande majorité des animaux et nombre de végétaux. Toutefois, chez ces derniers, la multiplication asexuée constitue souvent le mode privilégié de renouvellement des individus. Que dire alors des très nombreux micro-organismes qui se perpétuent seulement par division cellulaire (même s’il existe des mécanismes de transferts interindividuels de matériel génétique), chaque cellule étant ainsi à l’origine d’un clone? Dénombrer la richesse en “espèces” de la planète supposerait donc que l’on sache à coup sûr quelles entités dénombrer, donc distinguer.

L’impossibilité pratique de tester à chaque fois l’appartenance d’organismes à une même “communauté génétique” oblige à conserver des méthodes utilisant de façon critique des tests de ressemblance/différence, les critères le plus souvent utilisés pouvant être aussi bien morphologiques que biochimiques. Mais ils ont leurs limites; les situations ne manquent pas où ils sont mis en défaut. Faute de mieux, ce sont cependant les critères morphologiques qui restent le plus employés pour distinguer des “espèces supposées”.

En 1990, dans un ouvrage consacré aux modalités de la conservation de la diversité biologique mondiale, des scientifiques faisaient état d’un nombre de 1 435 662 espèces décrites. Cette précision apparente ne doit pas cacher le fait que bien des espèces inventoriées ne sont pas pour autant des espèces avérées. Il en est qui ont été décrites indépendamment par des auteurs différents: des recherches ultérieures conduisent à les regrouper en une seule espèce. Inversement, on sait qu’une “espèce” définie morphologiquement peut inclure des espèces biologiquement séparées mais presque impossibles à distinguer (espèces dites “jumelles”). Enfin, on découvre sans arrêt des espèces nouvelles. Les scientifiques en viennent donc à tenter de cerner de façon indirecte le nombre d’espèces qui pourraient effectivement exister actuellement. Par différents procédés, tous contestables du point de vue méthodologique, des estimations fort différentes ont été obtenues, qui s’échelonnent entre 5 millions et plusieurs dizaines de millions.

La diversité génétique

Toute espèce est composée à un moment donné d’individus répartis dans un espace géographique – l’aire de l’espèce – dont les limites sont connues avec une précision qui dépend de la densité et de l’étendue des observations de terrain. Au sein de cette aire géographique, les individus se répartissent en populations locales plus ou moins isolées les unes des autres. Mais, d’un point à l’autre de l’aire géographique, l’environnement n’est pas homogène, et les populations locales peuvent être soumises à des conditions de sélection naturelle différentes induisant des divergences entre patrimoines génétiques locaux. Des phénomènes purement aléatoires peuvent aussi contribuer à leur diversification. L’espèce, considérée dans son ensemble, présente ainsi une hétérogénéité spatiale de la composition de son patrimoine génétique. Le degré d’hétérogénéité résulte d’une balance entre les effets des conditions de sélection divergeant d’une partie de l’aire à l’autre et ceux, à tendance homogénéisante, des migrations interpopulationnelles d’individus ou éléments reproducteurs. Toute espèce présente ainsi une certaine diversité génétique liée aux variations spatiales de la composition du patrimoine génétique, qui se surajoute à la diversité, au niveau de chaque population, des patrimoines génétiques individuels.

La diversité biogéographique et la diversité écologique

La diversité biologique ne s’appréhende pas seulement à l’échelle des espèces. Elle se définit également, mais en changeant de signification, aux différents niveaux d’organisation du monde vivant.

Le terme d’écosphère est de plus en plus employé pour désigner la planète en tant que système écologique global régi par un ensemble de processus mettant en jeu et rendant interdépendants les systèmes écologiques locaux, continentaux et marins. La répartition géographique des flores et des faunes exprime à la fois les effets de ce fonctionnement et ceux de l’histoire géologique et biologique de la planète: les espèces sont distribuées selon une logique qui résulte des transformations physiques et chimiques des enveloppes superficielles de la Terre et de la dynamique évolutive conditionnée par ces transformations. Les grandes régions continentales et océaniques définies par les biogéographes sont ainsi caractérisées chacune par une combinaison particulière d’espèces végétales et animales: bien différents ont été, par exemple, les processus de constitution des communautés vivantes de l’Afrique et de l’Amérique du Sud, ou encore de l’Australie. On peut donc parler d’une diversité biogéographique pour rendre compte de ces variations géographiques des flores et des faunes.

Mais l’unité historique de la flore et de la faune d’une région biogéographique – par exemple la région éthiopienne qui englobe l’Afrique subsaharienne – ne peut masquer une diversité écologique souvent très importante, qu’il convient d’analyser à différents niveaux. Une même région biogéographique comprend en effet différents sous-ensembles dominés par un type principal de système écologique, telle catégorie de formation forestière, telle catégorie de formation herbacée par exemple. Il est donc possible d’évoquer la diversité écologique d’un continent. Mais celle-ci doit être aussi analysée à une échelle plus grande. Une zone de savane peut, par exemple, être traversée de cours d’eau bordés de forêts-galeries, être parsemée de formations boisées plus ou moins denses: à l’échelle de ce que l’on appellerait volontiers un paysage, il y a très généralement une mosaïque plus ou moins prononcée de systèmes écologiques différents, diversement imbriqués et liés par des relations fonctionnelles que créent des flux physico-chimiques (air, eaux) et biologiques (cellules reproductrices entraînées par l’air ou l’eau, animaux se déplaçant d’un milieu à un autre, etc.). Ces ensembles d’écosystèmes associés sur un même territoire et fonctionnellement plus ou moins interdépendants, souvent modelés par les activités humaines, sont appelés écocomplexes. La variété des structures écologiques qui les composent constitue leur diversité écologique.

La diversité spécifique et la diversité fonctionnelle

Chaque écosystème est lui-même plus ou moins riche en espèces de toutes sortes, et l’on pourrait donc comparer différents écosystèmes en fonction de leur plus ou moins grande diversité spécifique. Mais il est bien évident qu’il n’est guère signifiant de mélanger, pour de telles comparaisons, espèces microbiennes, végétales et animales. C’est pourquoi les spécialistes préfèrent comparer, entre écosystèmes, la diversité spécifique de sous-ensembles d’espèces définis selon des critères précis. Ceux-ci peuvent être d’ordre taxinomique: on pourra ainsi comparer deux écosystèmes herbacés en considérant les nombres d’espèces de graminées, ou encore ceux des insectes coléoptères, ou, parmi ces derniers, les nombres des espèces appartenant à la seule famille des scarabéidés. Mais il n’est pas rare qu’au sein d’un groupe taxinomique, même restreint, les espèces aient des caractéristiques écologiques différentes, jouant de ce fait des rôles peu comparables dans l’écosystème. Il est donc plus intéressant de comparer, d’un écosystème à l’autre, les nombres d’espèces accomplissant une même fonction, par exemple la consommation des feuilles vivantes de telle espèce d’arbre, la prédation sur les petits rongeurs, la consommation des particules organiques d’une certaine classe de diamètre dans un cours d’eau, etc. On appelle “groupe fonctionnel” un ensemble de populations d’espèces différentes, phylogénétiquement apparentées ou non, qui, dans un écosystème, accomplissent une même fonction.

Cette notion de groupe fonctionnel est particulièrement délicate à saisir, car porteuse d’un certain nombre d’ambiguïtés; mais elle est au cœur de discussions parmi les plus importantes à propos de la biodiversité. Dans un écosystème, les individus d’une même espèce développent des activités qui leur sont propres et qui se traduisent par des interactions particulières tant avec l’environnement physico-chimique qu’avec les individus d’autres espèces. Ces interactions se manifestent par exemple par des modifications locales de caractéristiques du milieu, par des transferts de matière et d’énergie, par des effets sur la dynamique des populations des espèces avec lesquelles il y a interférence. Chaque population est ainsi multifonctionnelle, en ce sens qu’elle contribue à divers processus intégrés dans le fonctionnement de l’écosystème. Naturellement, les populations de deux espèces différentes coexistant dans l’écosystème ne remplissent théoriquement jamais un même ensemble de fonctions. Néanmoins, il est clair que certaines espèces peuvent avoir en commun une même fonction parmi toutes celles qu’elles accomplissent. On peut dire que, vis-à-vis de cette fonction particulière, ces espèces sont redondantes. Dans un écosystème donné, les populations des espèces qui sont redondantes vis-à-vis d’une fonction déterminée forment un groupe fonctionnel. Évidemment, cela ne signifie pas que les espèces en question sont redondantes pour toutes les fonctions qu’elles accomplissent; inversement, chaque espèce peut appartenir à plusieurs groupes fonctionnels s’il existe des espèces redondantes vis-à-vis des autres fonctions qu’elle assure.

Le nombre d’espèces formant un groupe fonctionnel déterminé permet d’en définir la diversité spécifique. On conçoit qu’un groupe fonctionnel comprenant plusieurs espèces puisse être moins fragile qu’un groupe à faible diversité, voire constitué par une seule espèce. Dans ces conditions, la diversité spécifique serait en quelque sorte une mesure de la robustesse d’un groupe fonctionnel.

Tout écosystème est nécessairement formé d’un ensemble de groupes fonctionnels interdépendants, qui assurent les transferts d’énergie et la circulation de la matière: des molécules chimiques entrent, circulent au sein du système et en sortent, mais en flux d’importance variable selon les molécules considérées et selon les écosystèmes. Ces flux concernent tous les éléments chimiques. L’étude comparée du fonctionnement de nombreux écosystèmes conduit à penser qu’au cours de l’évolution les écosystèmes tendent à acquérir des mécanismes optimisant le recyclage interne de certains éléments; en d’autres termes, cela signifie que les organismes sont notamment sélectionnés en fonction de leurs capacités à assurer plus efficacement les transferts entre groupes fonctionnels et, en même temps, en fonction de leurs capacités à stocker les éléments chimiques de façon complémentaire dans le temps et dans l’espace. Dans des écosystèmes forestiers, par exemple, il est possible de classer les végétaux ligneux en groupes fonctionnels différant par leurs capacités de stockage de divers éléments chimiques, par les périodes où ils mobilisent ces éléments dans le sol et par celles auxquelles ils les restituent (chute et décomposition plus ou moins rapide des feuilles, des bois morts, etc.). Il est alors intéressant de comparer la diversité fonctionnelle de ces écosystèmes, celle-ci pouvant être une indication sur leur plus ou moins grande efficacité à retenir des éléments chimiques. De façon générale, la diversité fonctionnelle constitue une caractéristique importante pour comparer des écosystèmes en fonction de leur histoire évolutive et de leur degré de transformation par les activités humaines.

La dynamique de la biodiversité

Les processus de reproduction engendrent des modifications du matériel génétique, les événements élémentaires consistant en des modifications ponctuelles des molécules porteuses de l’information génétique. Peuvent s’y surajouter des modifications structurales de plus grande ampleur. Au cours des phénomènes intracellulaires liés aux différentes étapes de la reproduction sexuée, depuis l’élaboration des gamètes jusqu’à la fécondation, mutations ponctuelles et structurales, processus de recombinaison et réassortiments aléatoires des chromosomes d’origines paternelle et maternelle sont à l’origine d’une diversification génétique incessante des individus. Ainsi, chaque individu est porteur d’un patrimoine génétique qui certes contient l’essentiel de l’information génétique propre à l’espèce, mais qui, par quelques traits, est forcément original.

De ce fait, dans un contexte environnemental donné, les divers individus d’une même espèce n’ont pas nécessairement la même capacité d’adaptation. Les différences peuvent être telles que certains d’entre eux n’ont qu’une très faible probabilité de pouvoir atteindre la maturité sexuelle ou, s’ils l’atteignent, de se reproduire effectivement. Évidemment, des phénomènes aléatoires peuvent éliminer certains individus dans une population. Mais, sinon, tout individu est en quelque sorte testé en permanence au travers des interactions qui l’insèrent dans son environnement physico-chimique et biologique. Il en résulte un “tri” des individus qui n’accèdent pas tous à la reproduction et ne participent pas tous à la transmission du patrimoine génétique d’une génération à l’autre: tel est le mécanisme de base de la sélection naturelle. Ce phénomène est vraisemblablement celui qui est le plus impliqué dans les processus de spéciation, donc d’accroissement du nombre des espèces.

Un des processus de spéciation les plus fréquents résulte de la fragmentation d’une espèce en groupes de populations géographiquement isolés au point que des échanges d’individus soient impossibles. Si ces groupes sont soumis à des conditions de sélection naturelle différentes, des divergences s’instaurent progressivement qui peuvent à terme conduire à des espèces différentes. Selon certaines théories, les divergences pourraient aussi s’établir très rapidement, les espèces qui en résultent restant ensuite stables pendant de longues durées. Les phénomènes qui conduisent à la fragmentation d’espèces en isolats sont de nature diverse, que l’on considère les échelles de temps ou les échelles spatiales. Cela va de la lente séparation de plaques continentales au morcellement rapide des écosystèmes par les activités humaines. Le premier phénomène s’est accompagné de modifications profondes des faunes et des flores se déroulant à l’échelle de millions d’années. Le second, significatif seulement depuis quelques milliers – sinon centaines – d’années, ne manque pas d’inquiéter, car la réduction d’écosystèmes continus en petits fragments isolés induit à coup sûr, localement, la disparition de certaines espèces. Les populations qui se maintiennent dans ces fragments sont souvent fragilisées du fait de leurs effectifs restreints; elles peuvent aussi diverger génétiquement les unes des autres, lorsque les contextes environnementaux sont différents. Ces conséquences sont vraisemblables, mais les fragmentations d’écosystèmes provoquées par les hommes se produisent depuis trop peu de temps pour qu’en résultent des effets évolutifs sensibles. Toutefois, c’est bien là le problème qui sous-tend les débats concernant les fragmentations d’aires d’espèces provoquées par exemple par les grandes et larges infrastructures linéaires comme les autoroutes.

Entre les lents processus évolutifs associés à la dynamique géologique de la croûte terrestre et les transformations extraordinairement rapides provoquées par l’expansion des populations humaines se situent d’autres phénomènes, ignorés il y a une trentaine d’années, qui paraissent aujourd’hui avoir joué un rôle majeur dans la diversification des espèces. Il s’agit des variations plus ou moins périodiques des climats induites par des processus de nature cosmique de périodicités variées (de quelques dizaines de milliers à quelques centaines de milliers d’années). Ces variations, bien connues en ce qui concerne le Quaternaire avec les alternances de périodes glaciaires et interglaciaires, existent depuis beaucoup plus longtemps et ont affecté toutes les régions, provoquant de façon alternée la régression et l’extension des écosystèmes selon leur adaptation aux conditions climatiques régnant temporairement. Les forêts tropicales humides, par exemple, ont régressé lors de phases de sécheresse, ne subsistant que par massifs isolés. Ces fragmentations, répétées à chaque cycle climatique, ont vraisemblablement induit, chez certaines espèces, des divergences évolutives entre populations isolées aboutissant le cas échéant à des spéciations. En même temps, elles pouvaient provoquer des extinctions, soit partielles, soit totales, de nombreuses espèces. Des recherches, menées en particulier en Amérique du Sud, apportent aujourd’hui de nombreux arguments en faveur de cette séduisante théorie.

Les enjeux

La biodiversité: un héritage en danger?

La trame de la vie est faite de phénomènes de grande ampleur et de petits riens qui entretiennent la dynamique évolutive, mêlée d’extinctions naturelles et d’apparitions de nouvelles espèces. La biodiversité observable aujourd’hui est l’héritage de cette histoire commencée il y a plus de 3 milliards d’années. Elle en est la mémoire, mémoire certes incomplète mais unique. Cette biodiversité d’aujourd’hui constitue en même temps le potentiel d’évolution disponible pour l’avenir, en dépit des espérances (qui sont tout autant des craintes) que fait naître le développement du génie génétique, développement qui s’accompagne de difficiles débats sur l’appropriation du matériel génétique.

La composante de la diversité biologique élaborée par les hommes avec l’organisation de nouveaux écosystèmes associée à la diversification des cultivars et des animaux domestiques n’est pas négligeable. Mais elle est sans commune mesure avec l’“érosion” de la biodiversité naturelle provoquée corrélativement par l’extension des espaces pâturés, cultivés et construits (induisant la disparition d’écosystèmes originels), par l’exploitation excessive de certaines espèces (aboutissant à leur éradication), par l’introduction dans certaines régions d’espèces sauvages ou domestiques éliminant des espèces indigènes, par l’empoisonnement progressif des milieux et des chaînes alimentaires. En très peu de siècles, l’écosphère a perdu des espèces à un rythme sans commune mesure avec celui des extinctions naturelles, même en considérant les “crises évolutives” les plus marquantes. Le seul décompte des espèces dont la disparition due aux hommes est avérée est éloquent. Mais l’inquiétude porte au-delà: les déforestations massives, dans les régions tropicales, pourraient être la cause de pertes de biodiversité bien plus considérables, car bien des espèces, notamment parmi les végétaux et les invertébrés, semblent étroitement localisées. On manque toutefois d’informations précises, d’autant que des quantités considérables d’espèces n’ont pas encore été répertoriées: des espèces disparaissent certainement aujourd’hui, du fait des activités humaines, avant même d’avoir été découvertes et décrites par les scientifiques.

Il faut en tout cas dénoncer une idée reçue sur laquelle beaucoup fondent leur bonne conscience. Dans nos pays européens, il est indéniable que de nombreuses mosaïques rurales traditionnelles sont porteuses d’une biodiversité élevée; la création, autrefois, de nombreux étangs a également contribué, localement, à l’accroissement de la biodiversité. Indiscutablement, les hommes ont pu organiser l’espace en y concentrant une importante biodiversité et parfois en créant des systèmes écologiques; mais ils ont seulement réorganisé une biodiversité héritée, dont toutes les espèces existaient avant leurs interventions, et ils n’ont pu les assembler en systèmes écologiques nouveaux que pour autant que la plasticité adaptative de ces espèces le permettait. Les forêts européennes elles-mêmes qui, notamment en France, symbolisent la nature aux yeux de beaucoup ne sont que des systèmes écologiques fortement simplifiés, dont la biodiversité est considérablement réduite par rapport à celle de forêts naturelles qui, dans nos régions, n’existent presque plus.

La mobilisation de la recherche

Avant même que la communauté politique internationale ne se responsabilise vis-à-vis du devenir de la biodiversité, les milieux scientifiques, qui ont mis en avant ce concept, ont souligné la nécessité de développer la recherche dans ce domaine complexe. C’est ainsi que s’est mis en place, en 1992, sous l’égide de l’Union internationale des sciences biologiques (I.U.B.S.), du Comité scientifique sur les problèmes d’environnement (S.C.O.P.E.) et de l’U.N.E.S.C.O., le programme international Diversitas, qui a défini trois thèmes de recherche:

– le rôle de la diversité biologique dans le fonctionnement des écosystèmes;

– l’origine, le maintien et l’érosion de la biodiversité;

– l’inventaire et le suivi de la biodiversité.

Ces orientations sont reprises dans des programmes nationaux. Ainsi, en France, le programme Dynamique de la biodiversité et environnement aborde les thèmes définis sur le plan international et développe des orientations originales, en particulier une approche interdisciplinaire des usages de la biodiversité.

Le problème des inventaires est évidemment d’importance majeure. Aux États-Unis, un consortium de systématiciens a lancé le projet Systematics Agenda 2000, avec trois objectifs:

– découvrir, décrire et inventorier la totalité des espèces;

– analyser et synthétiser l’information ainsi recueillie pour construire une classification des espèces reflétant l’histoire de la vie;

– organiser cette information en banques de données utilisables pour les besoins de la science et, plus largement, de la société.

Il s’agit d’un projet d’une portée considérable, d’une durée de vingt-cinq ans, avec un investissement annuel de l’ordre de 3 milliards de dollars. Rien ne dit que ce projet sera mis en œuvre avec de tels moyens, mais les scientifiques qui l’ont élaboré soulignent qu’avec des financements annuels du même ordre qu’aujourd’hui il faudrait cent cinquante ans pour aboutir. Que sera-t-il advenu de la biodiversité entre-temps?

Depuis Carl von Linné, les systématiciens au total plus nombreux que ceux qui subsistent aujourd’hui ont décrit moins de 2 millions d’espèces; il pourrait en exister plus de 10 millions, certains chercheurs avançant même des nombres beaucoup plus élevés. Inventorier en urgence les millions d’espèces inconnues implique la mobilisation d’une communauté internationale de spécialistes qui a moins que jamais les forces nécessaires pour mener cette tâche à bien. En effet, l’évolution récente de la biologie s’est accompagnée d’un mépris pour les sciences naturelles, et tout spécialement pour la systématique. Les systématiciens ont eu de moins en moins la possibilité de former des élèves, et leur nombre n’a cessé de diminuer. Une réflexion s’impose donc, dans les milieux responsables, pour mener une politique cohérente de reconstruction d’une communauté internationale apte à relever le défi de l’exploration de la biodiversité. On prend conscience aujourd’hui qu’une part majeure de la biodiversité globale est représentée par les micro-organismes, qui forment un monde largement inconnu dont l’exploration exige des méthodes bien différentes de celles qui sont applicables aux organismes macroscopiques.

Les principaux acteurs de ces recherches sont évidemment les muséums d’histoire naturelle. Les grands et anciens muséums nationaux, riches des principales collections de référence, ont une responsabilité particulière, qu’il s’agisse de la formation de nouvelles générations de systématiciens ou de la participation aux missions de prospection, aux travaux de description et à la constitution des collections et des banques de données. L’étendue des problèmes relatifs à la biodiversité doit faire prendre conscience du potentiel que représentent encore – mais pour combien de temps? – les muséums, dont la mission sociale se trouve ainsi à nouveau légitimée, s’il en était besoin.

La connaissance de la biodiversité ne se limite pas au problème de l’inventaire exhaustif des espèces. Il est aussi urgent de développer les recherches écologiques visant à mieux en comprendre la signification fonctionnelle. La question de la redondance fonctionnelle comme facteur possible de robustesse des écosystèmes est particulièrement importante. Comme le souligne un des promoteurs du programme international Diversitas, Otto Solbrig, selon l’interprétation que l’on pourra donner de cette redondance, si elle existe effectivement, on évaluera les risques d’érosion de la diversité spécifique de façon très différente: il n’en va pas de même, en effet, si des espèces peuvent facilement relayer celles qui disparaissent et assurer ainsi la permanence des écosystèmes, ou si chaque espèce ayant un rôle unique, la disparition de certaines d’entre elles pourrait avoir des conséquences désastreuses.

L’utilisation et la conservation durables de la biodiversité

Les multiples enjeux qui émergent à propos de la biodiversité ne prennent sens que si l’on considère la diversité des rapports des différentes composantes de la biodiversité avec les sociétés humaines, elles-mêmes diverses dans leurs représentations et leurs usages des espèces et des systèmes écologiques. Des recherches interdisciplinaires s’imposent donc. Mais il faut s’interroger, dans une perspective pleinement politique, sur la ou les stratégies qu’il conviendrait d’adopter vis-à-vis de la biodiversité, source d’aliments, de substances naturelles d’intérêt pharmaceutique, de matières premières ou, tout simplement, de satisfactions esthétiques.

Dans cette perspective, on peut déjà mettre en avant l’intérêt d’assurer la durabilité des composantes de la biodiversité qui constituent des ressources effectivement utilisées actuellement. Cette durabilité est liée – mais on ignore jusqu’à quel point – à la non-altération des processus écologiques qui assurent spontanément le renouvellement de ces composantes, d’où l’importance de mieux comprendre les fonctionnements par des recherches fondamentales. Poussé à l’extrême, ce point de vue aboutirait à l’obligation d’une préservation intégrale des écosystèmes, car chaque composante y jouerait un rôle unique et nécessaire. On le voit, la question devient véritablement celle de la compatibilité – ou de la non-compatibilité – d’une utilisation et d’une conservation de la biodiversité, l’une et l’autre durables.

La notion de conservation des composantes naturelles de l’environnement ne date pas d’aujourd’hui. Une concertation internationale s’est fait jour au début du XXe siècle et s’est concrétisée en 1923 avec la tenue, au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, du premier Congrès international pour la protection de la nature. Plus tard, en 1948, la France accueillait à Fontainebleau les fondateurs de ce qui est devenu l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (U.I.C.N.), créée notamment à l’initiative de l’U.N.E.S.C.O. Ce vaste mouvement de conservation de la nature a convergé avec les préoccupations plus larges provoquées par la dégradation globale de l’environnement, puis avec le souci d’un développement plus juste, plus équilibré: le Sommet de Rio est l’illustration de cette rencontre, où se sont cristallisées les difficultés des rapports Nord-Sud. En effet, une très grande partie de la biodiversité se trouve dans les pays tropicaux “du Sud”. Les pays du Nord exploitent ou souhaiteraient exploiter cette biodiversité, en laquelle les pays du Sud voient des ressources susceptibles d’aider à leur développement, ressources dont ils souhaiteraient par conséquent avoir la maîtrise. Dans le même temps, c’est surtout dans les pays du Nord que des voix s’élèvent pour conserver la biodiversité “chez les autres”. Les pays du Sud ont alors beau jeu de souligner le rôle des pays du Nord dans l’érosion de la biodiversité, au Nord comme au Sud.

On comprend qu’une organisation internationale comme l’U.N.E.S.C.O., promotrice depuis les années 1970 du programme L’Homme et la biosphère, se soit tôt préoccupée de la compatibilité de la conservation des écosystèmes avec les activités des populations concernées. Dans un esprit comparable, l’U.I.C.N., en association avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (P.N.U.E.) et le Fonds mondial pour la nature, avait publié dès 1980 une Stratégie mondiale pour la conservation ayant pour sous-titre: Conserver les ressources vivantes pour un développement durable . Apparu plus tardivement, le concept de biodiversité s’est révélé fournir un objectif synthétique susceptible de fédérer toutes ces démarches: en 1992, l’U.I.C.N., le P.N.U.E. et le World Resources Institute (W.R.I.), en collaboration avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (F.A.O.) et l’U.N.E.S.C.O., publiaient une Stratégie mondiale de la biodiversité .

La biodiversité devient ainsi, localement comme à l’échelle planétaire, un enjeu social. Enjeu multiple d’autant plus ambigu que le concept de biodiversité, d’un point de vue scientifique, est particulièrement complexe. Cet enjeu s’inscrit aujourd’hui dans la perspective du développement durable (ou “soutenable”), notion précisée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Selon celle-ci, “le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs”. Mais les besoins du présent ne sont pas les mêmes pour tous, et les générations du futur peuvent être imaginées de plusieurs manières. Toutefois, une idée majeure s’impose: ne pas compromettre les capacités des générations futures à satisfaire leurs besoins, c’est préserver aujourd’hui la biodiversité et assurer sa conservation; c’est aussi ne pas restreindre les possibilités d’évolution du monde vivant. Le développement durable de la société humaine et la conservation durable de la biodiversité ne devraient donc pas être incompatibles.

D’un point de vue technique, la conservation durable de la biodiversité comprend deux objectifs complémentaires. Il s’agit tout d’abord de garantir aux systèmes écologiques la durabilité de leurs processus fonctionnels puis de conserver des potentialités maximales d’évolution, ce qui implique d’assurer, pour un maximum d’espèces, le plus possible de diversité génétique. Il faut pour cela entretenir la plus grande diversité possible de conditions abiotiques et biotiques d’existence, en favorisant notamment la diversité des interactions biotiques, condition nécessaire à la diversification des processus coévolutifs. On voit là toute l’importance, entre autres moyens, de la constitution de réseaux diversifiés de conservatoires du patrimoine naturel.

À ces deux objectifs s’en ajoute un troisième, dont la signification n’est pas nécessairement technique. Il concerne le problème, difficile, des espèces en risque d’extinction. En effet, d’aucuns diront peut-être que l’extinction étant somme toute un phénomène normal, il n’y a qu’à laisser faire, d’autant, pensent-ils sans doute, que ces espèces sont “inutiles” en termes d’optimisation des fonctionnements écologiques et de potentialités d’évolution. Mais ne faut-il pas voir que ces espèces, mémoires de l’évolution irremplaçables, ont à ce seul titre une valeur culturelle absolue?

Se trouve ainsi soulignée l’existence d’au moins deux regards sur la biodiversité: le regard utilitaire (si la biodiversité est utile, comment faire, techniquement, pour la conserver?), et le regard culturel. Il faut donner à ce dernier son sens le plus riche: la biodiversité, par le jeu des multiples rapports tissés entre les hommes et leurs environnements, est constitutive de leurs cultures; la biodiversité, mémoire de l’évolution de la vie dont les hommes sont une des composantes, est mémoire pour l’homme lui-même.

Finalement, aucune réflexion sur le devenir de la biodiversité ne peut s’abstraire d’une réflexion sur le devenir des hommes. La dimension éthique est à l’horizon, mais un horizon très immédiat.

biodiversité [ bjodivɛrsite ] n. f.
• v. 1985; de bio- et diversité
Diversité des espèces (micro-organismes, végétaux, animaux) présentes dans un milieu.

biodiversité nom féminin Diversité des espèces vivantes et de leurs caractères génétiques.

biodiversité [bjodivɛʀsite] n. f.
ÉTYM. V. 1985; de bio-, et diversité.
Diversité des espèces (micro-organismes, espèces végétales et animales) présentes dans un milieu. || Protection de la biodiversité. || « La biodiversité, c'est la variété du monde autour de nous : les arbres (…), les poissons (…) les microbes, les prions » (le Monde, 11 janv. 2000).

Encyclopédie Universelle. 2012.