BIVALVES
Les Bivalves (au sens large) sont des Mollusques au corps comprimé latéralement et enveloppé dans un repli tégumentaire, le manteau, doublé extérieurement d’une coquille comportant deux valves, l’une droite, l’autre gauche, dont la présence justifie le nom de Bivalvia donné par Linné à cette classe et préféré à l’heure actuelle à celui de Lamellibranches. En effet, si les branchies qui caractérisent l’adaptation rigoureuse de ces Mollusques à la vie aquatique sont souvent lamelleuses, cela n’est pas le cas général. Ces branchies baignent dans l’eau qui a pénétré à l’intérieur de la coquille, ou plus exactement d’une cavité dite palléale car elle est formée par un repli du manteau. Une telle disposition permet aux branchies d’ajouter à leur rôle respiratoire un rôle de captation, par filtrage, des particules nutritives contenues dans l’eau; l’importance de cette fonction est évidente puisque l’animal est dépourvu de tête, comme le soulignait Cuvier lorsqu’il baptisait Acephala ces Mollusques.
En rapport avec cette physiologie de «filtreurs», l’anatomie des Lamellibranches s’oppose à celle des autres Mollusques par l’absence de l’appareil radulaire qui permet l’attaque de plantes ou d’animaux de dimensions relativement élevées. L’extraordinaire plasticité de ce groupe a permis un foisonnement de formes, lié à une importante évolution différentielle, dont témoignent les coquilles fossiles. Les impressions qu’ont laissées certains muscles sur celles-ci permettent la reconstitution des éléments anatomiques. La charnière reliant les valves est un élément indispensable à la détermination et à l’étude de l’évolution du groupe.
Caractères généraux
Les deux valves de la coquille s’articulent dorsalement (charnière) et sont rendues mobiles l’une par rapport à l’autre par un ligament élastique (formé d’une scléroprotéine, la conchyoline) jouant un rôle d’abduction; la fermeture des valves intervient sous l’action de muscles travaillant en antagonisme avec le ligament, les muscles adducteurs.
Le corps forme une masse viscérale globuleuse, sans tête, mais s’ouvrant en avant par une bouche antérieure dépourvue de radula (ou râpe pharyngienne). Elle est encadrée de palpes labiaux qui conduisent la nourriture vers elle. Le tube digestif comporte ensuite un estomac renfermant un «stylet cristallin» qui facilite la digestion des hydrates de carbone, puis il se contourne en intestin, aboutissant à un anus postérieur. Renfermant encore un cœur, des reins, un foie, les gonades et un système nerveux constitué de trois paires de ganglions reliés par des connectifs, le corps est enveloppé dans le manteau, épithélium associé à des fibres musculaires, qui délimite la cavité palléale où s’épanouissent, à droite et à gauche de la masse viscérale, les branchies ou cténidies (fig. 1).
Ce manteau, attaché marginalement à la coquille par des faisceaux musculaires, constitue généralement deux lobes unis dorsalement par un isthme, mais pouvant aussi être soudés ventralement jusqu’à former une sorte de tube ouvert à ses deux extrémités. À l’arrière, des ouvertures font alors communiquer la cavité palléale avec l’extérieur, et il s’organise un courant inhalant et un courant exhalant, empruntant des expansions tubulaires du manteau, les siphons. À l’avant, sort le pied, rarement adapté à la marche (sa forme en hache ayant justifié le nom de Pélécypodes), il est souvent fouisseur et fréquemment assorti d’une glande byssogène, sécrétant les filaments du byssus qui attachent l’animal au substratum. Des muscles fixés à la coquille permettent la rétraction ou la protrusion du pied.
Les récepteurs sensoriels des Bivalves sont essentiellement localisés en bordure du manteau. Il s’agit de récepteurs tactiles et visuels. Chez les Pectinacés et les Cardiacés, dont les lobes palléaux ne sont pas soudés, la bordure du manteau dans son ensemble possède des terminaisons tactiles et oculaires. Chez les Limidés, il y a de véritables tentacules sensoriels. Chez les Bivalves pourvus de siphons postérieurs, c’est à l’orifice de ceux-ci que sont situés les récepteurs tactiles.
La coquille contient des carbonates de calcium, le plus souvent la calcite, associés à une proportion variable de conchyoline, qui forme la totalité de la couche externe des valves. Au-dessous, la première couche calcaire est composée de prismes de calcite soit perpendiculaires à la surface (Pinna , Inoceramus ), soit obliques à celle-ci (Mytilus ); ils constituent les éléments ornementaux que sont les lamelles d’accroissement, dont la sécrétion est liée à la succession des jours et des nuits (accroissement nycthéméral). Cette première couche est revêtue intérieurement de dépôts plus ou moins parallèles à la surface; la calcite ou l’aragonite s’y associent étroitement à un réseau de conchyoline dont les mailles dessinent des modèles caractéristiques des divers genres.
À l’intérieur de la coquille, les insertions des muscles laissent des empreintes qui permettent de reconstituer d’après une coquille vide ou son moulage une partie de l’anatomie des parties molles (fig. 2). Ces données, ainsi que les caractères de la charnière, facilitent la détermination paléontologique.
Écologie
Sauf exceptions (Nucula , Pecten , Lima ), les Bivalves sont peu mobiles et même fixés. Certains peuplent les substrats durs de la zone néritique où ils se fixent, tandis que d’autres s’enfouissent dans les sédiments meubles, au sein desquels ils se rangent en plusieurs étages selon la profondeur où ils pénètrent.
La plupart des Bivalves sont des filtreurs, c’est-à-dire qu’ils reçoivent une nourriture composée de fines particules triées par les cténidies. Sauf les Protobranches, plus actifs, qui font exception à cette règle, leur niche écologique correspond donc, en général, à des biotopes riches en phytoplancton. Les plus favorables à ce point de vue se situent dans la partie haute de la zone littorale, dans les récifs coralliens, dans les herbiers, dans les zones deltaïques. Ils sont assez fréquents également dans les eaux saumâtres et douces.
Le développement de la coquille calcaire fait des Lamellibranches d’authentiques édificateurs de biohermes: c’est aujourd’hui le cas des huîtres dans l’embouchure de certains fleuves. Ce fut celui de nombreux types fossiles tels que les Rudistes du Jurassique supérieur-Crétacé (Diceras , Hippurites ), qui s’enracinent dès le Silurien XV dans les Mégalodontioïdes, caractérisés par une coquille épaisse. Leurs formes étranges, associées à des textures complexes, ont été décrites dans l’article CRÉTACÉ.
Il existe aussi des Bivalves perforants: les lithophages, voisins des moules, creusent les rochers dans la zone tidale. Les pholades, proches des Desmodontes, perforent les pierres les plus dures, tandis que les tarets sont de redoutables destructeurs des bois flottés et de ceux qui sont utilisés pour la construction des navires et des appontements.
Évolution et classification
Les Bivalves sont connus depuis le Cambrien inférieur par une très petite coquille, Fordilla , à test phosphaté. La dernière reconstitution de ce genre le rapproche des Nucules: crochets opisthogyres, deux cténidies petites, tube digestif bien développé. Du Trémadoc IX à l’Ordovicien XI, Babinka présente dans chaque valve une musculature symétrique (homomyaire), composée de deux muscles adducteurs entre lesquels se placent huit muscles pédieux et vingt-cinq muscles suspenseurs des cténidies: cette disposition suggère une étroite parenté avec des Mollusques univalves, les Monoplacophores. Elle se retrouve chez certains Protobranches anciens, aux stades précoces du développement.
La disposition des branchies et les mécanismes de la nutrition sont les principaux fils conducteurs des classifications: chez les Poromyacés carnivores, les cténidies réduites (Septibranches) n’ont aucun rôle dans la collecte de la nourriture. Il en est de même chez les Lédidés et aussi chez les Nuculacés, qui sont des Protobranches dont le pied est utilisé pour la locomotion grâce à la présence d’une surface plantaire; l’intestin, à fonction digestive importante, renferme des gouttières ciliées; les cténidies, portant deux rangs de filaments, toujours incapables de capter la nourriture, ont acquis un rôle respiratoire important. La charnière des Nuculacés, à nombreuses petites dents, est dite taxodonte. Toutes ces formes constituent l’ensemble des Oligosyringia , qui paraît être le plus primitif.
Dans un autre groupe, les Polysyringia , il y a hypertélie des cténidies qui captent et filtrent les particules nutritives, ainsi que des palpes labiaux qui complètent le système. Chaque individu possède un axe cténidial auquel sont suspendues deux cténidies en forme de V, l’ensemble ayant donc une section en W (fig. 3). Chez les Lucinacés, fouisseurs profonds, le pied est très allongé et associé à un tube inhalant antérieur ainsi qu’à des «branchies palléales» (au niveau du muscle antérieur) servant au calibrage des particules nutritives. Il est possible que Babinka soit un Lucinacé.
Les Filibranches correspondent à un stade pourvu de cténidies formées de filaments parallèles (fig. 3); ils sont généralement fixés par leur byssus. Ils comptent les Arcacés, homomyaires et à charnière taxodonte (fig. 3), pourvus d’un large ligament externe en chevrons; les Trigoniacés homomyaires à dents crénelées et pied sauteur, non fixés; et probablement d’autres groupes archaïques, comme les Modiolopsidés du Paléozoïque font-ils partie des Filibranches.
Les Lamellibranches proprement dits (Eu-Lamellibranches), dont les filaments cténidiaux sont unis par des jonctions vasculaires, correspondent à un stade plus complexe, issu des Filibranches dans plusieurs lignées. Ainsi les Aviculopectinidés ont-ils donné naissance aux Ostréidés, aux Limidés et aux Pinnidés, tandis que les Modiolopsidés aboutissaient aux Carditacés. Tous les autres groupes d’Hétérodontes, ainsi que les Desmodontes cités ci-dessus, font partie de cet ensemble.
Une seconde tendance évolutive fondamentale concerne le rôle indiscutable de la fixation dans le modelage de la forme des Bivalves (fig. 4). Chez les Ptériomorphes (Arcacés, Modiolopsidés), le byssus se développe, l’adducteur antérieur et le pied se réduisent, ainsi que les dents cardinales. On aboutit aux Dysodontes anisomyaires (Mytilacés, Ptériacés, Aviculopectinidés) et enfin, dès le Carbonifère, aux Monomyaires (Pectinidés et Ostréidés) où l’adducteur antérieur a disparu. Chez les Cardiacés et les Tridacnes (Bénitiers), la réduction de l’adducteur antérieur et de la région correspondante du corps a eu lieu pendant l’ère tertiaire.
La vie fouisseuse se marque par la tendance au développement des siphons. Les Bivalves restent alors homomyaires, tandis que les faisceaux de fibres musculaires fixant le manteau à l’intérieur de la coquille dessinent une ligne palléale formant un large golfe à l’arrière, c’est-à-dire au niveau des siphons, qui ne sont plus rétractables. La charnière se modifie au bénéfice du ligament élastique dont l’insertion soulève une véritable apophyse calcaire. Les Myacés constituent le type de ces Desmodontes. Les Térédinidés ont franchi une dernière étape, du fait de la réduction des valves de la coquille, qui restent bâillantes et ankylosées (le ligament disparaît), et de la sécrétion d’un tube siphonal protégeant les siphons. Chez ces animaux morphologiquement vermiformes, la coquille acquiert des pièces accessoires, capables de limer le bois ou la pierre. Depuis 1972, une classe de «pseudobivalves», les Rostroconchia, a été créée pour les Conocardioïdes et les Ribeirioïdes à coquille initialement univalve, et dépourvus de ligament et de muscles adducteurs (Runnegar, 1978).
Encyclopédie Universelle. 2012.