CASBAH
CASBAH
Le terme casbah (al-kasaba en arabe) désigna à l’origine, dans l’Occident musulman, le cœur d’un pays ou d’une ville. Il survit jusqu’à nos jours en Espagne sous la forme alcazaba et au Portugal sous celle d’alcaçova et rentre dans la composition d’un grand nombre de toponymes. Le mot a été francisé depuis près d’un siècle et demi sous la forme casbah généralement acceptée par les dictionnaires. Très tôt il est utilisé pour un «château fortifié», résidence d’un pouvoir au centre d’une région ou d’une cité. La casbah est d’abord une citadelle reliée à l’enceinte d’une ville fortifiée, dont elle reste suffisamment indépendante pour constituer un réduit de défense capable de poursuivre la résistance ou pour servir de refuge au gouvernement, qui, le plus souvent, au Moyen Âge siégea à la citadelle. Le mot s’applique aussi à la partie la plus ancienne d’une ville (Fès, Taza, Rabat) par rapport au développement urbain postérieur. La vieille ville ceinte d’une muraille a fini par être considérée comme la ville par excellence; on eut la casbah à côté de la madîna .
Un dernier stade de cette évolution est représenté par l’époque coloniale quand ce terme désigna l’ensemble de la ville autochtone par opposition à celle des Européens, notamment à Alger. Au Xe siècle, d’après le géographe al-Muqaddasî, la casbah désigne le centre administratif de n’importe quelle entité administrative ou géographique. «Le terme se réfère à une fonction générale et non à une situation précise», note André Miquel. À cette époque, le mot peut renvoyer au quartier central d’une ville comme Palmyre, installé dans les ruines du temple de Bel, dont le mur extérieur constitue une enceinte fortifiée. Quelquefois la position de la casbah se confond avec celle d’un établissement militaire plus ancien; souvent elle domine la ville ou la plaine du haut d’une position élevée; elle peut aussi s’appuyer sur un cours d’eau comme la casbah Boulaouane, une falaise comme à Agadir, ou un front de mer comme la casbah Oualidiya au nord-est du cap Cantin (Maroc).
En Espagne musulmane, le terme désigne, dans une agglomération urbaine, l’emplacement des organes d’administration. Une porte unique à coude simple ou double relie la casbah à la ville qu’elle défend ou dont elle s’isole. Les grandes portes comme Bâb Aguenaou, à Marrakech, et Bâb al-Oudaya, à Rabat, comptent parmi les plus beaux monuments de l’art médiéval. Il existe souvent une poterne qui permet de communiquer directement avec la campagne et de recevoir ainsi ravitaillement et renforts. Tel est le type des casbahs que les califes de Cordoue élevèrent dans la péninsule Ibérique et de celles que les Almoravides édifièrent au Maghreb et notamment à Marrakech pour défendre leur empire.
À partir du XIIIe siècle sous les Mérinides de Fès, les Abd al-Wadides de Tlemcen et les Hafsides de Tunis, le sens s’élargit, les textes arabes insistent sur l’équivalence de la casbah (kasaba ) avec la qal’a orientale. Le terme s’applique à un ensemble fortifié de caractère urbain qui comprend à l’intérieur de sa muraille le palais du souverain ou de son représentant, les demeures des proches et des clients, ainsi que des mosquées, des bains, la caserne des gardes du corps, les services du Trésor, des magasins et un marché, sans oublier la prison. À l’intérieur de cet ensemble, un vaste espace était réservé à l’accueil de la population lors des cérémonies et des fêtes; il servait aussi aux exercices équestres du prince et de son entourage. Il y eut, dans certains cas comme à Marrakech, des jardins (Aguedal) et une nécropole (tombeaux des chérifs saadiens).
À partir du XVIe siècle, le mot désigne aussi les petites forteresses qui sont construites à travers le pays pour assurer la sécurité sur le territoire chérifien. Selon les matériaux de construction dont dispose la région où elle est implantée, la casbah est en pierre de taille, en moellons ou en pisé. Lorsque les murs sont en pisé, ils sont flanqués de saillants la plupart du temps rectangulaires ou carrés. En plaine, le plan est généralement un quadrilatère assez régulier, tandis qu’en montagne il épouse les possibilités de défense offertes par le relief. Ce sont des postes indépendants de tout centre préexistant et qui présentent une certaine analogie de plan avec les fortins byzantins d’Afrique.
Au XVIIIe siècle, Moulay Ism ‘il déploie une grande activité; il fait bâtir soixante-seize casbahs et en restaure un grand nombre; il constitue ainsi des lignes de défense face aux tribus rebelles et organise un système de protection des ponts et des points de passage le long des principaux itinéraires. Certaines casbahs ont alors deux enceintes, comme celle du Tadla dans l’Atlas ou la casbah Hamidouche sur la rive droite du Tensift au Maroc, dont la plus petite, flanquée de tours carrées, occupe un angle. Certaines enceintes fortifiées, à l’intérieur desquelles résidaient les esclaves noirs ou cantonnaient les contingents des tribus redevables du service militaire, furent appelées casbahs, ainsi la casbah Guendoua à Salé au Maroc.
Au XXe siècle, les Européens élargirent encore le sens du terme. En effet, ils donnèrent le nom de casbah aux «immenses demeures féodales, mi-civiles mi-militaires, des caïds importants» qui, plantées sur une position haute, matérialisaient le pouvoir acquis par certains chefs aux dépens des communautés berbères. À noter enfin que la même appellation fut étendue aux tighremt , constructions de forme carrée avec quatre corps de bâtiments à deux étages, ou trois corps et un mur, encadrant une cour intérieure ayant une seule porte et dont les tours aux angles faisaient saillie sur les murs de logis.
casbah [ kazba ] n. f.
• 1830; casouba 1813; ar. qaçaba, qaçba « citadelle »
1 ♦ Citadelle d'un souverain, dans les pays arabes. Des casbahs.
2 ♦ Par ext. La Casbah d'Alger : la vieille ville qui s'étend autour de la casbah.
● casbah ou kasbah nom féminin (arabe qaṣaba, forteresse) En Afrique du Nord, citadelle et palais d'un souverain, parties hautes et fortifiées d'une ville. (L'un des plus beaux exemples est la casbah des Udaya à Rabat dont la porte du même nom est ornée d'un magistral décor sculpté.) Dans les villes d'Afrique du Nord, quartier d'architecture arabe enserré entre des quartiers modernes. Populaire. Maison.
casbah ou kasba
n. f.
d1./d (Maghreb) Ville fortifiée.
d2./d Agglomération entourant une ville fortifiée.
d3./d Arg. Maison.
⇒CASBAH, subst. fém.
A.— [En Afrique du Nord] Palais et citadelle du souverain. Les trésors de la casbah; la casbah d'Alger fut prise en 1830 par les Français.
— P. ext. Parties hautes et fortifiées d'une ville arabe. Quartiers qui les environnent; spéc., quartier arabe dans une ville européenne d'Afrique du Nord. La casbah d'Alger (cf. A. DAUDET, Tartarin de Tarascon, 1872, p. 59); ... sa haute casbah crénelée [de Tanger], et ses minarets plaqués de vieilles faïences. (LOTI, Au Maroc, 1889, p. 2).
— P. anal. [La casbah représentant une enceinte réservée aux musulmans et interdite aux infidèles, particulièrement aux chrétiens] L'Angoulême noble cria contre l'introduction d'un giaour dans la casbah, car le salon de Madame De Bargeton était le cénacle d'une société pure de tout alliage (BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, p. 52).
B.— Pop. Maison, baraque :
• Quand la Bioque était entrée au château, elle avait fait rondement son affaire de toutes les choses. « Qu'est-ce que c'est que cette casbah? » avait-elle dit, ...
GIONO, L'Eau vive, 1943, p. 222.
Rem. En arg. (vieilli) casbah désigne la chambre où se tenaient les filles d'une maison close en attendant le client (cf. J. GALTIER-BOISSIÈRE, P. DEVAUX, Dict. hist., étymol. et anecdotique d'arg., 1939, p. 28; ESN. 1966).
Prononc. et Orth. :[kazba] ou [kas-]. [z] ds Pt ROB. et Lar. Lang. fr.; Duc DE CARAMAN, Relation contenant le détail [...] de la première expédition de Constantine, Toulouse-Paris, p. 19 ds QUEM.); 2. 1872 p. ext. (A. DAUDET, Tartarin de Tarascon, p. 59 : le prince monténégrin [...] lui nommait les différents quartiers de la ville [Alger], la casbah, la ville haute, la rue Bab-Azoun); 3. 1890 pop. « maison » (G. MACÉ, Mon musée criminel, p. 140). Empr. à l'ar. [s]i-11231-1.jpg" /> « forteresse », du verbe « couper, retrancher » (FEW t. 19, p. 89; LOK., n° 1108). Avec agglutination de l'art. ar. al-, la forme fr. alcassabe (cf. esp. alcazaba « id. »). Le mot s'est définitivement implanté au moment de la conquête de l'Algérie. La réf. donnée par DAUZAT 1973 (1813, MOZIN [casauba]) semble erronée. Bbg. LAMMENS 1890, p. 79.
casbah [kazba] n. f.
ÉTYM. 1830, date de la prise d'Alger; casouba, 1813; arabe maghrébin qǎṣbǎh, arabe class. qǎsǎbǎh « forteresse ».
➪ tableau Mots français d'origine arabe.
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1 Citadelle d'un souverain, dans les pays arabes. — Par ext. Partie haute et fortifiée d'une ville arabe. || La casbah de Tanger.
♦ Anciennt. Quartier musulman dans une ville d'Afrique du Nord. || La casbah d'Alger : le quartier arabe qui s'étend autour de la casbah.
1 C'est pendant les soirs de Ramadan qu'il faut visiter la Casbah. Sous cette dénomination de Casbah, qui signifie citadelle, on a fini par désigner la ville arabe tout entière.
Maupassant, Au soleil, Province d'Alger, p. 83.
REM. On écrit aussi kasbah. → Perpendiculaire, cit. 1.
2 (…) le bruit déchirant des obus qui éclataient dans la Kasbah d'Agadir a retenti sur toute la vallée du fleuve Souss.
J.-M. G. Le Clézio, Désert, p. 405.
2 Argot. Maison, logement. ⇒ Crèche, gourbi, piaule, taule, turne.
Encyclopédie Universelle. 2012.