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CASTILLE
CASTILLE

La Castille, c’est le pays de «los castillos», des châteaux qui hérissaient cette région frontière, fréquemment attaquée par les armées musulmanes. Bien que cette étymologie ait été contestée, elle répond au moins au rôle historique joué à ses débuts par la Castille. La Vieille-Castille, formée autour de la haute vallée du Duero, s’étend vers le sud avec la Reconquête, et finit par s’adjoindre, sous le nom de Nouvelle-Castille, la plus grande partie du plateau central de l’Espagne. Le royaume de Castille devient ainsi le principal de la Péninsule et contribue largement à la formation de son unité. Mais si la Castille a joué un rôle décisif dans la formation de l’Espagne, son influence s’est exercée particulièrement dans le domaine des arts.

La Castille se définit par un paysage, celui des hauts plateaux de la Meseta, dont l’économie est traditionnellement fondée sur la culture du blé et l’élevage du mouton. Cependant la barrière de la cordillère centrale, articulation majeure de l’Espagne intérieure, la traverse en son milieu, séparant deux paysages bien caractérisés: au nord, la Vieille-Castille développe ses hautes terres à l’intérieur d’un cercle de montagnes; au sud, la Nouvelle-Castille tempère la rudesse de la Meseta par le déroulement des rivages heureux du Tage et elle s’ouvre plus facilement aux voies de communication.

À ces deux types de paysage correspondent deux moments de l’évolution du pays qui accéda à la direction politique de la péninsule Ibérique. La Vieille-Castille symbolise l’œuvre de la Reconquête, conduite dans une ambiance résolument européenne. Il revint à la Nouvelle-Castille, après les victoires décisives remportées sur les musulmans, de définir le visage de la société castillane du Moyen Âge. Celle-ci comprit, outre l’élément chrétien, un ensemble complexe et original formé d’apports musulmans, mozarabes et juifs.

Cependant, après l’œuvre d’unification réalisée par les Rois Catholiques, la Castille exerça son hégémonie sur la politique, l’économie et la culture de toute la Péninsule. Tolède, qui s’était substituée à Burgos, fut elle-même évincée par Madrid.

Ces conditions géographiques et historiques constituèrent le cadre du développement artistique de la Castille au Moyen Âge et à l’époque moderne.

1. La Castille et la formation de l’unité espagnole

Du comte Rodrigue à Ferdinand Ier

En 800, il est fait pour la première fois mention du territorium Castelle , petite circonscription occupant la haute vallée du rio Trueba, dans le nord de l’actuelle province de Burgos. Vers 850, déjà agrandie, cette circonscription constitue un comté; le comte Rodrigue soutient le roi des Asturies, Alphonse III.

Voisine de la Navarre souvent hostile, située sur la route le plus volontiers suivie par les armées musulmanes, la Castille fut le théâtre de guerres, où s’affirma son originalité. Les nécessités de la défense suscitèrent le développement d’une petite noblesse militaire et d’une vigoureuse paysannerie, libre et propriétaire du sol. Un droit coutumier naquit des sentences des juges, différent du vieux droit wisigothique. Une aspiration à l’indépendance politique se manifesta par une série de rébellions.

Le vrai fondateur de la Castille est sans doute le comte Fernán González (930 env.-970). «Plus astucieux, audacieux et indocile qu’héroïque ou génial» (C. Sánchez Albornoz), il sut, avant tout, profiter des troubles pour élargir sa domination: limitée d’abord au comté de Lara, elle s’étendit à toute la Vieille-Castille, dont l’investit le roi Ramire II. Après les interventions d’al-Man ル r, les descendants de Ramire intervinrent dans les luttes internes de l’Espagne musulmane. Quelque temps, la Castille fut absorbée dans le vaste État de Sanche le Grand, roi de Navarre: à la mort de celui-ci (1035), son fils Ferdinand Ier devint comte de Castille, puis s’empara du royaume de León. Dès lors s’affirme la prédominance de la Castille sur le León: c’est elle que Ferdinand Ier léguera, en 1065, avec le titre royal, à son fils aîné Sanche.

La Nouvelle-Castille

Mettant à profit les quelques années que lui laissèrent ses démêlés avec d’autres souverains chrétiens, Ferdinand Ier avait tracé la voie, libérant la région de Coïmbre, contraignant les rois musulmans de Tolède, de Séville et de Saragosse à payer des tributs qui, même irrégulièrement versés, mirent de très grosses sommes à sa disposition. Son fils cadet Alphonse VI (1065-1109), après avoir triomphé de son frère aîné, accomplit des pas décisifs: il se rendit maître du royaume de Tolède, ce qui lui permit de se parer du titre d’empereur (1085). Ses provocations jetèrent les rois des taifas dans les bras des Almoravides, et, contre ceux-ci, Alphonse ne sut pas s’assurer assez d’appuis – celui du Cid, en particulier, lui manqua. Quoique plusieurs fois vaincu, il garda le royaume de Tolède jusqu’à la frontière du Tage, et sa politique de tolérance lui concilia les musulmans placés sous sa domination.

Après sa mort (1109), la longue minorité de son petit-fils Alphonse VII fut pour la Castille une véritable période de crise de croissance: la Reconquête avait enrichi une indocile noblesse; le Portugal s’émancipait; un royaume de León se reconstituait; l’Aragon prenait son essor. Alphonse VII se fit couronner empereur en 1137, mais dut dispenser de l’hommage le roi d’Aragon. Quelques succès momentanés sur les Almoravides (occupation de Cordoue en 1144, d’Almería en 1147) eurent surtout pour résultat de préparer les voies aux Almohades. La crise reprit lorsque la mort prématurée de Sanche III plaça sur le trône un roi de trois ans, Alphonse VIII (1158-1214). Mais celui-ci renforça sa position au cours des durs conflits qui l’opposèrent à d’autres rois chrétiens d’Espagne, intervenus à l’appel de factions. À l’occasion de ces luttes, les Basques de Cantabrie se donnèrent à la Castille: l’expansion de la Navarre était stoppée; la Castille acquérait une précieuse façade maritime. Face aux Almohades, la frontière fut maintenue grâce aux ordres militaires. Cependant la défaite d’Alarcos (1195), puis la chute de Calatrava donnèrent l’alerte. Jiménez de Rada, archevêque de Tolède, rétablit la paix entre les rois chrétiens, et fit prêcher la croisade: cet effort aboutit à la victoire décisive de Las Navas de Tolosa (1212). Alphonse VIII maria ses filles aux rois de León, de Portugal, d’Aragon et de France (c’est la célèbre Blanche de Castille); lorsqu’il mourut, la Castille avait retrouvé la première place en Espagne.

Les grandes conquêtes du XIIIe siècle (Cordoue, 1236; Séville, 1248), réduisant l’Espagne musulmane au royaume de Grenade, firent passer la Reconquête au second plan. Les rois de Castille sont alors de très grands personnages: Ferdinand III, mort en 1252, cousin et émule de Saint Louis, et, comme lui, canonisé; Alphonse X le Sage (1252-1284), homme de lettres et savant, qui composa des poésies lyriques, fit traduire de nombreux ouvrages en castillan, compiler une chronique générale d’Espagne et le traité juridique des Siete Partidas . Remarquable activité, qui place la cour de Castille au premier rang en Europe; elle s’explique par la puissance considérable du royaume, qui ne doit cependant pas dissimuler certaines faiblesses.

La grande Castille

Après la réunion définitive du León (1230), la Castille est, de loin, l’État le plus vaste de la Péninsule – environ trois fois plus que la couronne d’Aragon. Sa population est alors de l’ordre de 4 à 5 millions. Les sujets musulmans, ou mudejares , ne sont plus que 300 000 environ après 1263, année où beaucoup d’entre eux furent expulsés. Il doit y avoir de 200 000 à 300 000 juifs. Une assez nette opposition se dessine entre Vieille-Castille, aux campagnes relativement peuplées, aux villes modestes (autour de 10 000 habitants à Burgos), et Nouvelle-Castille et Andalousie, dont les villes, importantes pour l’époque (de 70 000 à 80 000 habitants à Séville, de 30 000 à 40 000 à Cordoue), font contraste avec les campagnes relativement vides. Les liens entre régions se nouent par l’élevage transhumant du mouton, qui se développe surtout à partir du XIIIe siècle, quand s’organise la Meseta. Au XIVe siècle, l’importation de moutons mérinos d’Afrique du Nord et leur croisement avec les espèces locales permettent de produire une excellente laine, inférieure seulement aux laines anglaises, exportée dans toute l’Europe. Le minerai de fer représente une autre exportation de valeur.

La société s’organise en fonction de la Reconquête. Dans la Manche et l’Andalousie, de grands domaines sont concédés à la noblesse, sous des formes qui n’entraînent pas les mêmes strictes obligations que dans le cas d’un fief. Cette noblesse jouit de nombreux privilèges, comme l’exemption d’impôts. À partir du règne d’Alphonse X (1252-1284), on la voit constituer des majorats, patrimoines familiaux groupés en faveur de l’aîné, inaliénables et indivisibles. Les ricos hombre , les «hommes puissants», mettent ainsi leurs fabuleuses fortunes à l’abri des partages successoraux. Conseillers du roi, couverts de titres honorifiques, ils s’attachent la noblesse moyenne des infanzones ou hidalgos , et les simples caballeros , voués au métier des armes. Les cadets de ces grandes familles sont en grand nombre dans le clergé et dans les ordres militaires, qui disposent aussi d’immenses domaines: les uns et les autres sont les grands bénéficiaires de la prospérité. Souvent aussi, les nobles tiennent les postes principaux dans l’administration urbaine; ils augmentent les charges de la paysannerie: paysans des behetrías , dans le Nord, dont ils limitent le droit de rompre le contrat, peones du Sud qu’ils accablent d’obligations.

La nature composite de la monarchie castillane apparaît bien dans la titulature du monarque, «par la grâce de Dieu, roi de Castille, de Tolède, de León, de Galice, de Séville, de Cordoue, de Murcie, de Jaén et de l’Algarve». L’administration est rudimentaire et mal centralisée: à la chancellerie, sous la présidence honorifique de l’archevêque de Tolède, quatre notaires représentent la Castille, le León, Tolède et l’Andalousie; les ricos hombres prédominent au Conseil royal, et fournissent les deux plus hauts officiers: le majordome, par les mains de qui tout passe, et l’alférez , ou porte-étendard, dont le rôle est surtout militaire et judiciaire. Il n’existe pas de véritable administration en matière de justice ni de finances. Les adelantados , représentant le roi dans les provinces, les merinos , chargés d’administrer son domaine, sont des nobles peu sûrs. Le roi, qui ne peut guère s’appuyer sur les villes, doit compter avec les Cortes. Il ne dispose d’aucune armée permanente, alors que les forces des ordres militaires sont mobilisées en permanence.

Aussi, depuis la fin du XIIIe siècle, malgré une brillante façade, la Castille connaît-elle une série de troubles qui la mettent au bord de l’anarchie.

Les troubles du Moyen Âge

Le règne d’Alphonse X fait transition: ce remarquable humaniste est un homme d’État discutable; il laisse subsister le royaume de Grenade, constante menace, mais s’engage dans une aventureuse politique européenne, qui lui fait briguer le titre impérial, coûte cher au royaume et mécontente les ricos hombres. Après sa mort devaient se déchaîner des luttes dynastiques qui, jusqu’après le milieu du XVe siècle, paralysent la monarchie castillane: une véritable guerre s’ouvre pour sa succession; puis deux longues minorités donnent à la noblesse l’occasion d’accroître sa fortune et son pouvoir. Pour maintenir l’ordre et lutter aussi contre le brigandage, des hermandades , ou fraternités, se forment, associations de défense mutuelle, comme on en voit se créer entre villes dès le XIIIe siècle. La plus fameuse est conclue aux Cortes de Burgos en 1315, entre chevaliers hidalgos et prud’hommes des villes de Castille, León, Tolède et Estramadure. Tantôt encouragées, tantôt interdites par les rois, ces hermandades se maintiennent pendant toute cette période.

Pour triompher de tant de difficultés, les rois de Castille avaient coutume de compter sur la traditionnelle alliance française. C’est Pierre Ier le Cruel (1350-1369) qui, en la rompant, devait entraîner la chute de la dynastie. Contre lui, Charles V, roi de France, soutient la révolte de son frère bâtard Henri, comte de Trastamare, qui l’emporte (1369).

Les cinq rois de la dynastie des Trastamare, qui se succèdent de 1369 à 1474, ne sont pas tous dénués de qualités, mais tous sont comme perdus au milieu des agitations intestines, des conflits avec les autres États, des remous de la guerre de Cent Ans. Les prétentions à la couronne, émises par le duc de Lancastre, gendre de Pierre Ier, furent réduites à néant par le mariage de sa fille avec un petit-fils de Henri II (1388), lequel reçut le titre de prince des Asturies, porté désormais par l’héritier de la couronne. Une tentative de réaction antinobiliaire fut menée sous le roi Jean II (1407-1454) par son ami et connétable D. Álvarez de Luna, sorte de «Richelieu castillan». Énergique et souple à la fois, il sut, devenu maître de l’ordre de Santiago, grouper de nombreux partisans; il l’emporta à Olmedo (1445) et en profita pour frapper les magnats les plus indociles. Mal soutenu par le roi, victime des intrigues de la reine Isabelle de Portugal, il fut exécuté en 1453.

Le règne de Henri IV dit l’Impuissant (1454-1474) représente une sombre période: les factions se forment pour ou contre sa fille Jeanne, surnommée la Beltraneja, car la rumeur publique lui attribuait pour père D. Beltrán de la Cueva. En 1465, sous les murs d’Ávila, un mannequin figurant le roi fut solennellement découronné par l’archevêque de Tolède, puis piétiné par les seigneurs: la «farce d’Ávila».

Les règnes de Jean II et Henri IV ne se caractérisent cependant pas par ces épisodes tragiques ou grotesques. Alors commencent les explorations atlantiques. Un brillant essor littéraire et artistique préfigure la Renaissance. Le peuple ne cesse de considérer le roi comme son protecteur naturel. Ces facteurs mêmes contribueront à la grandeur des Rois Catholiques: Isabelle (1474-1504), sœur de Henri IV, qui avant de mourir la reconnaît pour successeur, et son époux Ferdinand d’Aragon (1479-1516). Avec eux, la Castille retrouve sa vocation d’unificatrice de l’Espagne.

De Charles Quint à Franco

À l’heure où l’Espagne s’unifie sous Charles Quint (1516-1558) et où naissent les premières colonies d’Occident, dont quelques-unes sont significativement nommées Indes de Castille, Nouvelle-Castille..., le soulèvement castillan populaire, dit des Commidades (1520-1521), n’est pas dirigé contre l’unité du pays, mais signifie au contraire que la Castille se sent responsable de cette unité en face d’un roi prestigieux, mais étranger et absent, qui substitue des préoccupations dynastiques et coloniales au soin des affaires proprement ibériques.

La création, à partir des années 1560, de la ville de Madrid, adoptée pour capitale, ainsi que l’érection de l’Escorial, dans des paysages à peu près désertiques, sont certes l’expression du volontarisme de Philippe II, mais traduisent aussi l’importance maintenant accordée à la position centrale dans un pays, en dehors de tout lien avec des foyers économiques traditionnels (Tolède, Valladolid, Burgos).

Dès lors, la Castille possédera en Madrid le bastion héroïque de la conscience nationale. Le «2 de mayo» (le 2 mai 1808), c’est le peuple de Madrid qui donne le signal de l’insurrection contre les troupes napoléoniennes et de toute la guerre d’Indépendance. Le 28 mars 1939, les communistes madrilènes commandés par Barcelo sont les derniers républicains à se rendre aux franquistes.

Malgré la croissance de la capitale, essentiellement artificielle, et la mise en valeur traditionnelle de quelques régions plus riches, la Castille a de nombreux problèmes économiques à résoudre : irrigation du campo de Valladolid, industrialisation décisive, etc., faute de quoi son infériorité par rapport aux régions étroites, mais possédant une façade maritime, persistera indéfiniment.

2. L’art castillan

L’art roman

C’est vers le milieu du Xe siècle, sous la direction du comte Fernán González, que la Castille commence à définir son caractère propre. Un siècle plus tard, elle s’affirme comme l’élément le plus puissant et le plus dynamique de l’Espagne chrétienne. Le roi Ferdinand Ier (1035-1065) établit sa prépondérance sur l’ensemble de la Meseta, libérée de la domination musulmane, et notamment sur le royaume de León qui avait lui-même succédé à la monarchie asturienne.

Dans le vaste processus de transformation qui affecte alors l’Espagne chrétienne, l’art roman apparaît comme l’une des manifestations les plus significatives des liens nouveaux qui se tissent entre la péninsule Ibérique et l’Occident.

La route de Compostelle

À l’aube de l’époque romane, le royaume de Castille est uni aux sources vives de la culture occidentale par cette sorte de cordon ombilical que constitue la route du pèlerinage de Compostelle ou Camino francés . Aux principales étapes de ce chemin de la prière, on voit naître, vers la fin du XIe siècle, un art roman très brillant, qui s’apparente étroitement à celui qui se développe de l’autre côté de la chaîne des Pyrénées et notamment en Languedoc.

À l’extrémité de la route, Compostelle accueille les pèlerins dans une vaste cathédrale qui fut l’une des réalisations les plus parfaites du type de la grande église romane vouée au culte des reliques. Avec sa nef et son vaste transept dotés de collatéraux et de tribunes, son chevet à déambulatoire entouré d’une ceinture de chapelles rayonnantes, cet édifice constitue l’aboutissement des recherches poursuivies dans les sanctuaires français apparentés: Sainte-Foy de Conques, Saint-Martial de Limoges, Saint-Martin de Tours et Saint-Sernin de Toulouse.

À León, l’église Saint-Isidore, reconstruite par Ferdinand Ier pour abriter les tombeaux royaux, est au contraire un édifice complexe dont les divers éléments, la chapelle funéraire, dite Panthéon des rois, la nef à collatéraux et le transept, représentent les étapes successives d’une construction dans la seconde moitié du XIe siècle et la première du XIIe.

De toute manière, l’intérêt des sculptures décorant ces monuments le dispute à la qualité de l’architecture.

L’un des tout premiers, le centre de León parvint à définir sa manière propre dans l’ensemble roman hispano-languedocien. À l’occasion d’un remaniement de la chapelle des Rois, survenu quelque temps après une consécration de l’église de Saint-Isidore, datée de 1063, on vit apparaître, aussi bien sous le porche que dans la tribune qui le surmonte, et dans les deux galeries qui l’entourent, une remarquable série de chapiteaux plus ou moins inspirés du corinthien. Des motifs iconographiques, empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament, voisinent avec des feuillages stylisés, des palmettes et des fleurons, des animaux fantastiques et des scènes énigmatiques demeurées inexpliquées.

L’église développe largement ce style sur les supports de ses nefs et complète son décor par deux portails à tympans sculptés. Celui de la nef, désigné sous le nom de portail de l’Agneau, est le plus important. L’auteur du second, au croisillon méridional du transept, a connu la porte Miégeville de Toulouse, mais il interprète et complète son modèle avec cette manière ample et pleine qui caractérise toutes les sculptures sorties de l’atelier léonais.

Le cas de Compostelle est plus complexe. On a regroupé sur la façade méridionale du transept, autour du célèbre portail des Orfèvres, quelques éléments provenant du portail septentrional et d’un premier portail occidental. C’est ainsi que se manifeste, dans un certain désordre iconographique, une étonnante diversité de style. On doit admettre que des artistes d’origines diverses se rencontrèrent à proximité du tombeau de l’apôtre. Certains venaient d’Auvergne, ou plutôt de Conques, d’autres de Toulouse, d’autres enfin de León.

On peut joindre à ces importants ensembles celui de San Martin de Frómista. Malheureusement, l’église a subi une restauration trop radicale à la fin du XIXe siècle et certains de ses chapiteaux ont été remplacés par des copies.

Enracinements

Le XIIe siècle a vu en Castille, comme dans les autres provinces d’Espagne, l’art roman s’enraciner en prenant des caractères particuliers, régionaux et parfois même locaux.

C’est le cas de la haute vallée du Duero, où Soria se pare de monuments reflétant les influences les plus diverses. Des apports occidentaux doivent être mis en relation avec la faveur accordée à la ville par le roi Alphonse VIII, qui se trouvait être le gendre d’Henry II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine. On observe une connaissance de l’art de l’ouest de la France dans l’église de Santo Domingo. De même le décor très classique de San Juan de Rabanera ne peut s’expliquer que par l’existence de modèles français ou italiens de même nature. Mais on note parallèlement la pénétration d’éléments architecturaux d’origine musulmane ou mozarabe, notamment à San Juan de Duero.

À Burgos, nous ignorons dans quelle mesure la cathédrale romane, commencée en 1074, et dont les travaux étaient assez avancés en 1088 pour permettre l’installation d’un siège épiscopal dans la ville a pu agir sur le développement de l’art roman ultérieur. Le monument du XIe siècle a en effet été remplacé par la magnifique cathédrale gothique.

En revanche, dans le célèbre monastère de Santo Domingo de Silos, l’une des plus parfaites créations de l’art roman, on discerne aisément le sens de l’évolution. Les sculptures prolongent, à l’époque de Souillac, la grandeur du style de Moissac avec une rigidité un peu provinciale, mais également avec une sorte de mystère au charme prenant. L’origine doit en être cherchée dans la puissance de suggestion exercée sur les artistes du XIIe siècle par les ivoires hispaniques musulmans ou mozarabes, dont l’abbaye possédait quelques beaux exemplaires, ou peut-être par des pièces importées d’Orient et dont les sculpteurs romans auraient eu connaissance.

Dans le royaume de León, les leçons fournies par les grands chantiers de la route du pèlerinage de Compostelle sont complétées par des enseignements nouveaux venus d’Aquitaine. Il s’y ajoute parfois des influences musulmanes, discernables notamment aux origines des magnifiques tours-lanternes ou cimborios , élevés à la croisée du transept. L’ensemble de ces caractères, ou parfois seulement quelques-uns d’entre eux, apparaissent dans l’église de Santa Marta de Tera et à San Vicente de Avila et surtout dans les cathédrales de Zamora, Salamanque et Ciudad Rodrigo, dans la collégiale de Toro et l’abbatiale de San Martin de Castañeda.

Créations tardives

On sait que l’un des aspects les plus originaux de l’art roman espagnol consiste dans sa très longue survie à une époque où, depuis longtemps, le style gothique avait gagné la plupart des régions de l’Europe occidentale. Ces fruits d’arrière-saison mûrissent dans un climat d’influences diverses qui contribuèrent à en définir la saveur.

La plupart des innovations proviennent de l’art gothique, aussi bien la pénétration de la voûte d’ogives que la transformation de la sculpture dans le sens d’une plus grande liberté.

Pour ce renouvellement, un homme a joué un rôle capital dans l’Espagne du Nord-Ouest. Il s’agit de Maître Mathieu, qui substitua au premier portail occidental de la cathédrale de Compostelle, datant probablement des environs de 1120, le majestueux porche de la Gloire. Son rayonnement ne se limita pas à la Galice, puisqu’il est perceptible à Oviedo, dans la chapelle supérieure de la Cámara Santa, agrandie et transformée dans le dernier quart du XIIe siècle, de même qu’à Saint-Vincent d’Ávila, à Carrión de los Condes, importante étape sur la route de Compostelle, et même dans le cloître de Silos, sur le beau relief de l’Annonciation. Des caractères assez voisins apparaissent sur plusieurs sculptures de Ségovie, une ville où se développe simultanément l’usage des galeries à portiques sur les flancs des églises.

La peinture romane

Les décors romans peints sont assez peu nombreux en Castille, mais ils constituent généralement des ensembles importants et de qualité. De même que l’architecture et la peinture contemporaine, cette nouvelle technique doit beaucoup à l’Occident; cependant une influence de l’Isl m a pu être signalée dans des cas très limités.

On rattache à l’école catalane les fresques de la chapelle de la Vraie-Croix de Maderuelo, qui ont été déposées et transportées au musée du Prado à Madrid, de même que la majeure partie de l’ornementation peinte de l’église mozarabe de San Baudelio de Berlanga (partagée entre des collections américaines et le musée du Prado). Plus précisément, José Gudiol et Walter W. S. Cook ont reconnu dans les deux édifices la main du peintre ayant décoré l’abside de Sainte-Marie de Tahull.

À San Baudelio de Berlanga, l’artiste eut pour collaborateur un connaisseur de la miniature mozarabe, au pinceau singulièrement leste. Ce second personnage se plut à évoquer, en dehors de toute préoccupation religieuse, des scènes de chasse et des animaux exotiques.

Les images de la vie du Christ tracées sur les voûtes de la chapelle des Rois à Saint-Isidore de León paraissent accuser une influence des écoles de l’ouest de la France. Du moins est-ce la meilleure explication du raffinement du style, de la douceur expressive des visages et de plusieurs particularités iconographiques. On assigne à ce chef-d’œuvre une date voisine de 1164, année du mariage du roi Ferdinand II de León avec la princesse Urraca de Portugal. Les deux époux sont, en effet, représentés au pied d’une Crucifixion qui semble marquer l’achèvement du décor.

On a découvert dans l’abside et le chœur de l’église Saint-Just de Ségovie plusieurs cycles de peintures qui s’échelonnent du XIIe au début du XIIIe siècle. Si les œuvres les plus anciennes montrent quelques traces de mozarabisme, les plus récentes sont purement occidentales et paraissent en relation avec Saint-Isidore de León.

L’art à l’époque gothique

C’est d’abord comme un art étranger que le gothique s’introduisit en Castille et il n’y trouva jamais la faveur générale dont avait joui le style roman.

Influences françaises

On considère assez communément les Cisterciens comme les fourriers de l’architecture nouvelle. Cette famille religieuse jouit en Espagne d’un très grand prestige dans la seconde moitié du XIIe et au début du XIIIe siècle. Elle bénéficia notamment de l’appui d’Alphonse VII l’Empereur, qui réunit à nouveau sous son autorité les royaumes de Castille et de León, entre 1126 et 1157, ainsi que de son successeur en Castille Alphonse VIII (1158-1214). Mais, en fait, les Cisterciens n’utilisèrent la croisée d’ogives qu’assez tardivement en Espagne, et, si ce procédé de construction joua un certain rôle dans de grandes églises monastiques, comme celle de Moreruela non loin de Zamora, il ne suffit pas à transformer le style.

L’introduction de l’architecture gothique fut, en réalité, l’œuvre de grands prélats, qui firent appel à des artistes français. Le plus célèbre d’entre eux fut l’archevêque de Tolède, Rodrigo Jiménez de Rada, dont la personnalité domina durant une longue période l’histoire religieuse et artistique de l’Espagne.

Les maîtres d’œuvre, venus d’au-delà les Pyrénées, formèrent sur leurs chantiers des architectes espagnols, qui poursuivirent leur tâche après eux, mais en donnant aux travaux une empreinte nationale de plus en plus nette.

Dans le premier quart du XIIIe siècle, un style originaire de la France du Nord apparut dans la cathédrale de Sigüenza, ainsi que dans l’abbaye de Santa Maria de Huerta. Il caractérise aussi le monastère de moniales cisterciennes de Las Huelgas, une fondation d’Alphonse VIII, qui exerça son autorité sur tous les monastères de femmes relevant de Cîteaux dans le royaume de Castille. Il faut ajouter à ces œuvres la cathédrale de Cuenca, bâtie dans un site magnifique sur un âpre promontoire entre les gorges du Júcar et du Huécar.

Cependant les trois monuments gothiques le plus accomplis des États de Castille et de León, à nouveau unifiés à partir de 1230, sous l’autorité unique de Ferdinand III, sont les cathédrales de Tolède, de Burgos et de León.

À Tolède, l’archevêque Rodriguo Jiménez de Rada, que ses études et ses voyages avaient mis en rapport avec divers milieux européens, désira posséder une cathédrale de type français et il obtint du pape les moyens nécessaires au financement des travaux. En 1226, alors que le chantier était déjà ouvert depuis quelques années, il procéda avec le roi Ferdinand III à la pose symbolique de la première pierre. L’architecte, qui paraît avoir été un certain Maître Martin, emprunta à Bourges le parti général de son chevet, avec, notamment, l’étagement des deux déambulatoires. Cependant on ne trouve pas le mouvement ascensionnel du modèle dans les parties hautes de l’édifice, où se manifeste une forte influence mauresque.

La cathédrale de Burgos, dont la première pierre fut posée en 1221 ou 1222 par l’archevêque Maurice, un autre afrancesado , est un pur produit d’importation en dehors des éléments décoratifs de son triforium et de remaniements ultérieurs. Enfin à León, un architecte, probablement formé sur le chantier de Reims et qui avait également travaillé à Burgos, reproduisit en modèle réduit à partir de 1255 environ la cathédrale du sacre des rois de France.

Que ces architectes étrangers se soient également adonnés à la taille de la pierre, ce qui est probable, ou qu’ils aient été accompagnés de sculpteurs professionnels – cette hypothèse n’exclut pas la première –, il reste que l’ouverture des chantiers de ces cathédrales espagnoles inaugura aussi l’apparition du véritable style gothique en sculpture. Dans ce domaine, Burgos, qui était devenue la capitale de la Castille, montra la voie en offrant un ensemble digne des cathédrales prestigieuses d’au-delà les Pyrénées.

Un grand portail sculpté existe encore à chacune des façades du transept; trois autres, aujourd’hui presque entièrement détruits, s’ouvraient à la façade principale; un monde de statues peuplait les parties hautes du monument, ainsi que le cloître. On commença ces travaux par le portail du croisillon méridional, dit du Sarmental , où F. B. Deknatel a retrouvé un style empreint de classicisme et directement issu d’Amiens. Un maître, peut-être formé par ce premier atelier, mais à l’idéal plus naturaliste, commença le portail septentrional dit de la Coronería . Un peu plus tard, et toujours dans le même esprit, on sculpta les très belles figures ornant le portail qui conduit de l’intérieur du transept au cloître. Enfin, dans un style narratif, on exécuta, pour le cloître, les effigies du roi Alphonse X le Sage (1252-1284) et de son épouse Yolande, en train d’échanger leurs promesses matrimoniales.

De Burgos, le style gothique passa à la cathédrale de León, qui surpasse actuellement la première en richesse sculptée, car elle a su conserver la décoration de sa façade occidentale. Au total, il n’existe pas moins ici de six portails sculptés. Quelques œuvres, comme La Vierge blanche du trumeau du portail principal, sont justement célèbres.

À Tolède, la sculpture gothique fit une entrée plus tardive et moins réussie. Son développement se heurta d’ailleurs à la résistance de fortes traditions locales musulmanes et mudéjares.

L’art mudéjar

Lorsqu’il était entré à Tolède, en 1085, Alphonse VI de Castille avait pris le titre d’emperador de las dos religiones , manifestant de cette manière sa volonté d’unir sous son autorité, dans une coexistence pacifique, aussi bien les musulmans que les chrétiens. Ses successeurs, pendant le Moyen Âge, n’agirent pas différemment. C’est ainsi qu’on vit se développer dans les terres conquises par les chrétiens un art musulman que l’on désigne du terme de mudéjar .

Il reflète parfois les meilleures créations des cours musulmanes et on peut alors en attribuer l’origine à des artistes venus de l’extérieur. Ainsi en va-t-il de la chapelle de Las Claustrillas dans le cloître de Las Huelgas à Burgos, et du palais de Tordesillas sur les rives du Duero. La première, qui servit peut-être de sépulture à Ferdinand, le fils d’Alphonse VIII, mort en 1211, présente, aussi bien dans le dessin de ses voûtes que dans les formes capricieuses de ses arcs polylobés, un bel échantillonnage du répertoire décoratif almohade. Le second, commencé entre 1340 et 1344 par le roi Alphonse XI, annonce les importants travaux mauresques de l’Alcázar de Séville.

On doit joindre à ces œuvres de grand style les deux belles synagogues de Tolède, qui comptent parmi les plus remarquables monuments mudéjars. La situation privilégiée dont jouirent les juifs d’Espagne jusqu’à l’arrivée au trône des «rois nouveaux» (1369) explique la qualité rare de Santa Maria la Blanca et de la synagogue du Tránsito , devenue en 1964 musée séphardite.

Cependant, dans l’immense majorité des cas, les monuments mudéjars sont des productions liées à des techniques populaires dont les musulmans gardaient le monopole quasi absolu, et notamment la construction en brique et le décor mural en plâtre sculpté ou en mosaïques de terre émaillée (azulejos ).

Déjà, durant la seconde moitié du XIIe siècle, les prémices de cet art étaient apparues dans les églises romanes de Castille et du pays de León. Un premier foyer se forma à Sahagún et le style se répandit ensuite à Toro, Cuéllar, Olmedo et Arévalo.

Mais l’architecture mudéjare se développa surtout à Tolède où elle donna naissance à un grand nombre d’églises monastiques et paroissiales. Leur caractère le plus constant réside dans la décoration extérieure du chevet, à base de rangées d’arcatures. En outre, les clochers sont de véritables minarets, bâtis sur plan carré, avec un escalier se développant autour d’un noyau central. Le décor de leurs quatre faces est également fait de panneaux d’arcatures ou d’entrelacs.

Les techniques mudéjares jouèrent aussi un rôle important dans l’architecture militaire du temps, lorsque l’avènement des «rois nouveaux» ouvrit une période de troubles et d’anarchie. Le chef-d’œuvre dans ce domaine est constitué par le château de Coca, aux environs de Ségovie.

Sous les Rois Catholiques

Après une longue période d’atonie, éclairée seulement par le faste ostentatoire de quelques chapelles funéraires monumentales, comme celles du cardinal Gil de Albornoz († 1364) et du connétable Álvaro de Luna († 1453) à la cathédrale de Tolède, l’architecture gothique connut un splendide renouveau dans le dernier quart du XVe siècle, à l’époque des Rois Catholiques.

Les cités castillanes, Burgos et Tolède, Ávila et Ségovie, ou encore Salamanque, bénéficièrent les premières du dynamisme créateur de l’époque. Cependant la sève gothique, déjà enrichie d’apports germaniques, se mêla dans des proportions diverses à des apports hispano-mauresques pour répondre aux commandes pressantes de la Cour, des grands prélats et de puissants seigneurs.

Cette architecture est essentiellement religieuse et, si l’on s’en tient à la structure des églises alors construites, on n’observe que peu de changements par rapport au passé. Ce sont en général de larges édifices à nef unique, épaulés par des contreforts entre lesquels sont aménagées des chapelles, et pourvus d’un transept à peine saillant. En bref, il s’agit d’un type d’architecture qu’avaient répandu en Espagne les ordres mendiants à l’époque gothique. Dans le dernier quart du XVe siècle, il inspira à Ávila l’église du couvent dominicain de Santo Tomás et à Ségovie l’imposante abbatiale du «Parral».

L’originalité de l’art des Rois Catholiques provient de l’ornementation d’une extraordinaire exubérance et d’une complexité déconcertante qui accompagne généralement ces structures architecturales. Apparu pour la première fois dans la chartreuse de Miraflores près de Burgos, ce type de décor atteint sa perfection dans l’église monastique de San Juan de Los Reyes à Tolède, qui était destinée à l’origine à recevoir la sépulture des Rois Catholiques. Le monument est aussi le chef-d’œuvre de l’architecte Juan Guas, qui domine l’art de son temps. Peut-être doit-on lui attribuer l’idée féconde de traiter les portails à la manière de retables monumentaux. Une très belle composition de cette sorte fut notamment réalisée pour le collège de San Gregorio à Valladolid, qui est également célèbre par son cloître aux arcades festonnées.

Le style flamand en peinture

Les débuts de la peinture gothique en Castille avaient été difficiles. La décoration murale de la chapelle Saint-Martin de la cathédrale romane de Salamanque – datant peut-être de 1300 – se révèle encore à demi romane. Par la suite, au XIVe siècle, la Castille se mit à l’école de l’Italie, comme une bonne partie de la péninsule Ibérique. Le Florentin Gerardo Starnina fit notamment un séjour à Tolède à la fin du siècle. On peut considérer comme l’ultime manifestation de l’influence italienne une œuvre exceptionnelle, l’immense retable peint par Nicolás Florentino, vers 1445, pour l’abside centrale de la vieille cathédrale de Salamanque, avec la fresque du Jugement dernier qui le couronne. Vers la même époque, Nicolás Francés – dont probablement le nom indique la nationalité – représentait dignement le style international à León.

Cependant la peinture castillane du Moyen Âge trouva sa véritable voie en réalisant une sorte de symbiose avec l’art flamand. Si la composition et les fonds de paysages sont empruntés à la Flandre, l’action du milieu local provoque la raideur des attitudes et une sorte de tension qui brise violemment les étoffes.

La plupart des représentants de cette école hispano-flamande demeurent anonymes. On connaît pourtant la personnalité artistique de Jorge Inglés, qui exécuta, vers 1455, un retable de la Vierge pour l’hôpital de Buitrago. Cette œuvre est surtout connue grâce au portrait du donateur, le marquis de Santillana, l’illustre poète (aujourd’hui dans la collection du duc de l’Infantado).

À la tête de l’école se détache la figure de Fernando Gallego, artiste fécond, dont l’action rayonna à partir de Salamanque où était installé son atelier. On a pu le comparer à Dierick Bouts, mais à un Dierick Bouts dont la réserve aurait évolué vers une dureté glacée. Ses personnages gesticulent, ignorant le véritable mouvement.

Vers la fin du siècle, une certaine détente vient tempérer le réalisme gothique et en adoucit la violence. Juan de Flandes, qui connut peut-être le Maître de Moulins, peignit avec l’Esthonien Michel Sittow le retable de la reine Isabelle la Catholique, dont les nombreux panneaux sont dispersés à travers le monde. Pedro Berruguete travailla au décor du studiolo de Frédéric de Montefeltre à Urbino et il fit profiter sa patrie – à commencer par son sillage natal de Paredes de Nava, dans la Tierra de Campos – de ses expériences italiennes. Son sens de l’espace et la vérité de ses figures appartiennent déjà à la Renaissance.

L’époque de la Renaissance

La Renaissance, qui a pris dans l’Europe entière l’allure d’une conquête italienne, s’est trouvée confrontée en Castille à un art d’une extrême vitalité et d’une tumultueuse variété. Elle ne s’imposa que progressivement, grâce notamment à l’action de la Cour, dont les horizons s’élargissaient à l’échelle du monde.

Le style plateresque

C’est dans le domaine de l’architecture que l’originalité de la Castille fut la plus grande. Jusqu’à l’ouverture du chantier de l’Escorial, le génie local y fit preuve d’une étonnante vigueur.

Alors que, dans la construction religieuse, le style gothique allait se maintenir, durant une bonne partie du XVIe siècle, sur des chantiers aussi importants que ceux des cathédrales de Salamanque et de Ségovie, la Renaissance, dès le début du siècle, transformait l’architecture civile.

Pour le palais du duc de l’Infantado à Quadalajara, Juan Guas utilisa le premier en Espagne le plan ramassé des palais italiens. Cependant l’introduction des formes italiennes fut surtout réalisée par l’œuvre d’un artiste dont on suppose, pour des raisons stylistiques, qu’il avait été formé à Bologne: Lorenzo Vásquez, originaire de Ségovie, architecte de la puissante et prolifique famille de Mendoza issue du marquis de Santillana. Pour Pedro González de Mendoza, archevêque de Tolède, le «grand cardinal d’Espagne», il termina le collège universitaire de Santa Cruz à Valladolid. On lui attribue également le palais des ducs de Medinaceli à Cogolludo (Guadalajara).

Les éléments du style de la Renaissance, introduits en Espagne sous l’influence des classes dirigeantes, alimentèrent l’activité de l’esprit ibérique. Celui-ci s’en empara et transforma selon son génie propre cette source d’inspiration. On a qualifié de plateresque l’art dont l’ornementation, italienne par son origine, mais très espagnole dans son exécution, demeura longtemps associée à des structures architecturales encore plus ou moins gothiques. La Castille fut, avec l’Andalousie, une de ses provinces d’élection, grâce à la présence d’une pléiade d’artistes.

Egas, l’architecte des Rois Catholiques, est le plus archaïque. Pour Tolède, il construisit, de 1504 à 1514, l’hôpital de Santa Cruz, inspiré de l’Ospedale Maggiore de Milan. Mais les parties les plus ornées, la façade et le célèbre escalier, reviennent en partie à son gendre Alonso de Covarrubias.

À l’époque du cardinal Cisneros, ancien secrétaire et successeur du «grand cardinal d’Espagne», Tolède devint le centre d’une forme particulière de la première Renaissance espagnole tout imprégnée d’influences musulmanes. On a pu parler d’un «style Cisneros», dont le monument le mieux conservé, la salle capitulaire de la cathédrale, fut construit entre 1504 et 1512 par Egas et Pedro Gumiel.

Réformateur et esprit humaniste, Cisneros décida de fonder un établissement universitaire qui dispenserait un enseignement ecclésiastique complet et où serait formée l’élite de l’Église d’Espagne. Ce fut le Colegio de San Ildefonso, qui s’éleva dans la ville d’Alcalá de Henares. Les parties les plus anciennes, la chapelle et surtout le paraninfo , œuvre de Pedro Gumiel, l’architecte favori de l’archevêque, appartiennent au meilleur style Cisneros.

Un autre architecte, Juan de Álava, formé sur les chantiers gothiques, apporta dans le maniement de pratiques désormais périmées une ouverture d’esprit qui lui permit de les dépasser. Il donna toute sa mesure dans le beau couvent dominicain de San Esteban de Salamanque.

Enfin, l’ensemble des conquêtes du premier art plateresque trouva sa synthèse dans l’œuvre de Diego Siloé. Celui-ci devait s’illustrer à Grenade; mais, sa formation s’étant faite à Burgos, c’est dans cette ville qu’on trouvera sa première création importante: le noble escalier du croisillon nord du transept de la cathédrale, daté de 1523.

Après Siloé, les principes de la Renaissance ont gagné la partie. Aux procédés empiriques de la composition médiévale, les architectes substituent les règles d’une beauté faite de mesure et de proportion. L’imitation de l’Italie ne se limite plus à un répertoire ornemental, elle conduit à une réflexion érudite sur les principes même de l’art.

Le passage à cette seconde étape du style plateresque est illustré par Rodrigo Gil de Hantañón. Il succéda à son père Juan Gil sur les chantiers des cathédrales de Salamanque et de Ségovie et il réalisa deux remarquables monuments d’architecture civile: le palais Monterrey à Salamanque et la façade de l’université d’Alcalá de Henares.

Des caractères semblables se retrouvent dans l’œuvre d’Alonso de Covarrubias (1488-1570). Après avoir bâti le palais des archevêques de Tolède à Alcalá de Henares, il fut appelé à la direction des châteaux de la Couronne et, à ce titre, entreprit de reconstruire l’alcázar de Tolède. L’Italie, et notamment Serlio, inspira également son contemporain Bartolomé Bustamante dessinant l’hôpital de Afuera (c’est-à-dire de l’extérieur, des faubourgs) de Tolède, commandé par le cardinal Tavera.

Le pas décisif vers la stricte soumission aux règles de la composition classique et le respect des proportions en architecture fut toutefois accompli à l’occasion de la construction du palais de l’Escorial. Philippe II le conçut comme une nécropole royale sur laquelle devait veiller une communauté de hiéronymites, venue de Quadalupe. À proximité il voulut avoir son palais. Enfin, on adjoignit à l’ensemble un centre d’études au service de la réforme catholique, dans l’esprit du concile de Trente. On doit à Juan Bautista de Toledo, qui avait dirigé en Italie les constructions des vice-rois de Naples, le plan quadrillé de l’ensemble. Mais sa mort prématurée, en 1567, laissa la direction de l’œuvre à Juan de Herrera, qui lui imprima la marque de son génie. La masse de granit rude et sévère s’inscrit dans le contexte européen du classicisme, mais elle pousse à ses conséquences extrêmes les principes d’un art essentiellement cérébral.

Dans la suite de sa carrière, Herrera demeura fidèle à l’esprit de l’Escorial, mais varia ses procédés d’expression en fonction des buts poursuivis. Le crédit dont il jouissait auprès de Philippe II en fit une sorte de surintendant des bâtiments, au centre de toutes les entreprises architecturales de quelque envergure, telles la façade méridionale de l’alcázar de Tolède et la cathédrale de Valladolid. Ce dernier monument, qui aurait pu devenir le sanctuaire de la Contre-Réforme, comme l’Escorial en est le palais, demeura inachevé. Après la mort de Herrera en 1597, suivie de peu par celle de Philippe II, la construction en fut interrompue.

Influences italiennes en sculpture

Comme l’architecture, la sculpture espagnole connut, au XVIe siècle, des réussites exceptionnelles, notamment en Castille, où se trouvaient les milieux dirigeants de la politique et de l’Église.

C’est à Burgos, qui avait été le grand centre de la sculpture gothique, que la Renaissance trouva l’un de ses domaines d’élection. Le terrain fut préparé par un artiste français, originaire de Langres, Felipe Vigarny, dont l’activité fut extraordinaire et qui étonne par la facilité avec laquelle il adopta les styles de l’époque. Cependant les deux principaux sculpteurs de Vieille-Castille, qui furent aussi deux «aigles» de la Renaissance espagnole, Bartolomé Ordóñez et Diego de Siloé, développèrent l’essentiel de leur activité en dehors de leur province natale: le premier en Italie et à Barcelone, le second en Andalousie.

Un élève de Michel-Ange, Alonso Berruguete, le fils du peintre de Paredes de Navas, enleva à Burgos, au profit de Valladolid, le rôle de capitale de la sculpture espagnole. Il sut trouver dans le maniérisme une manière pathétique d’exprimer la profondeur de son sentiment religieux. L’émotion et le mouvement caractérisent encore l’autre grand atelier de Valladolid, celui que dirigeait le Français Juan de Juni.

L’influence de Michel-Ange se maintint jusqu’à la troisième génération des sculpteurs espagnols du XVIe siècle. Alors, cependant, la véhémence du sentiment fit place à une dignité solennelle et surhumaine. L’évolution vers le classicisme des formes est parallèle à celle qui s’observe en architecture. Cet art d’une froide perfection se développa dans l’entourage de la Cour, à Madrid et à l’Escorial. Ses meilleurs représentants furent deux sculpteurs originaires d’Arezzo, León et Pompeyo Leoni.

Retard de la peinture

Le parallélisme observé dans le développement de l’architecture et de la sculpture ne se poursuit pas dans le domaine de la peinture. Un très bel ensemble de fresques, réalisé dans la salle capitulaire de Tolède par Juan de Borgoña dans le style du Quattrocento finissant, aurait pu constituer au début du siècle l’heureux départ de la Renaissance. En fait, il demeura pratiquement sans suite jusqu’au retour de la Cour en Castille, en 1559.

Dans l’entourage du souverain se constitua alors une tradition d’excellents portraitistes, inaugurée par le Hollandais Anthonys Mor, Antonio Moro pour les Espagnols (1517 env.-1576), et continuée par Alonso Sánchez Coello (1531-1588) et Juan Pantoja de la Cruz (1553-1608). Mais surtout une occasion exceptionnelle fut offerte aux peintres avec la décoration de l’Escorial.

Philippe II fit d’abord appel à Juan Fernández de Navarrete (1526-1579), dont il appréciait le style sobre et robuste. Après sa mort, le roi et les moines de l’Escorial donnèrent sa chance à un peintre crétois depuis peu arrivé à Tolède, Domenikos Theotokopoulos, El Greco. Le tableau qu’il exécuta en 1580, un Martyre de saint Maurice , ne plut pas. Greco, dédaigné par l’Escorial, épousa Tolède. C’est dans l’ancienne capitale, encore riche de talents, de science et de noblesse, que s’épanouira son étrange génie. Quant à l’Escorial, il sera livré à des décorateurs italiens incapables d’en comprendre la grandeur.

Le XVIIe siècle

L’appauvrissement et le déclin de l’Espagne au XVIIe siècle, accompagnant la décadence de l’État et la ruine des finances publiques, paralysèrent l’activité architecturale. Cependant, par un étrange paradoxe, la peinture, dont nous avons constaté la relative médiocrité à l’époque précédente, connut alors son âge d’or.

L’architecture et la sculpture baroques

Dans un fléchissement général de l’activité, la Castille conserve une situation relativement privilégiée grâce au mécénat de la Cour et de quelques grands seigneurs. En outre, l’Église ouvre un certain nombre de chantiers pour satisfaire les besoins religieux de Madrid, la nouvelle capitale.

Sur le plan stylistique, la sévérité classique de l’Escorial fait place progressivement au baroque. Cette libération des contraintes antérieures s’observe aussitôt après la disparition de Juan de Herrera, dans l’œuvre du principal de ses élèves: Francisco de Mora. Celui-ci dessina pour le tout-puissant ministre de Philippe III, le duc de Lerma, la cité très pittoresque qui porte son nom sur les bords de l’Arlanza. La détente s’accentue avec le neveu et l’élève de Francisco de Mora, Juan Gómez de Mora, devenu maître des œuvres royales en 1611. Ses fonctions officielles le conduisirent à terminer la Plaza Mayor de Madrid. Il est aussi le créateur d’un type de façade qui connut un grand succès durant tout le siècle (église de la Encarnación à Madrid).

La réaction contre les rigueurs de l’Escorial se manifesta dans le choix des plans. C’est ainsi que l’ovale apparaît dans le dessin de l’église des Bernardas d’Alcalá de Henares (1617-1626). L’intérêt se porta aussi vers le compartimentage de l’espace au moyen de l’échelonnement de chapelles indépendantes. Apparu dès la fin du XVIe siècle au chevet de la cathédrale de Tolède, avec l’ensemble de chapelles dénommé «petit Escorial», ce goût pour les volumes complexes assura le succès des sagrarios .

L’effort essentiel porta cependant sur la décoration intérieure des églises à l’aide de boiseries, d’ouvrages en stuc et de retables monumentaux. Toute l’activité de la sculpture – généralement en bois – est monopolisée par ces exigences. Mais au fur et à mesure que s’extériorisent les sentiments religieux dans ces œuvres éminemment populaires, les problèmes formels passent au second plan. Le niveau artistique s’en ressent d’autant plus qu’au cours du XVIIe siècle la Castille perd, au profit de l’Andalousie, le rôle directeur qui avait été le sien au siècle précédent.

La peinture du Siècle d’or

Ces déficiences ne rendent que plus digne d’admiration l’épanouissement de la peinture, encore que, dans ce domaine aussi, l’Andalousie fasse preuve d’une plus grande fécondité. À l’exception de Fray Juan Rizi, le peintre de l’ordre bénédictin, les talents sont monopolisés par la Cour, lorsqu’ils ne se consacrent pas à la décoration des églises de la capitale.

L’époque de Philippe IV est dominée par la forte personnalité de Velázquez. Il vint de Séville et, avant de conquérir le roi lui-même, il dut sa faveur au comte-duc d’Olivares. Peintre officiel, il renouvela le genre du portrait de Cour, comme il fut aussi un maître de la peinture pure, soucieux avant tout de formes et de couleurs.

Velázquez meurt en 1660 et Philippe IV disparaît cinq ans plus tard. La fin du siècle est occupée par le règne malheureux de Charles II. On perçoit la tristesse de l’époque à travers les portraits peints par le successeur de Velázquez au palais: Juan Carreño de Miranda. Cependant la peinture devait briller d’un dernier éclat avec Claudio Coello, qui a laissé de grands tableaux d’autel et d’excellents portraits.

Le XVIIIe siècle

Un désir de renouveau, sensible dès le début du siècle, s’exprime dans l’architecture espagnole par l’adoption d’un décor linéaire pittoresque, à base de courbes et de contre-courbes.

Le rococo espagnol

Ce style, où l’on a reconnu une manifestation péninsulaire du rococo international, caractérise l’œuvre de Pedro de Ribera, l’architecte de la ville de Madrid, qui contribua à donner à la cité un air de véritable capitale. Il s’agit notamment du parc de la Virgen del Puerto, vaste esplanade en bordure du Manzanares, du pont de Tolède, au dessin très élaboré, et surtout de l’hospice de San Fernando, aujourd’hui musée municipal. Les deux églises de Pedro de Ribera, celle de Montserrat, appartenant aux Bénédictins et celle de San Cayetano, chapelle des Théatins, demeurèrent inachevées.

Une emphase comparable à celle que les néo-classiques reprochèrent à Pedro de Ribera apparaît chez Narciso Tomé, l’auteur du Transparente de la cathédrale de Tolède (1721-1732), l’œuvre la plus étonnante du rococo espagnol. Quant aux frères Churriguera, très actifs à Salamanque, ils symbolisent, souvent à tort, le baroque dans son esprit le plus outrancier.

L’architecture de Cour

Cependant, en marge de cet art national, se développe, dans la première moitié du XVIIIe siècle, une architecture propre à la Cour et non exempte d’intentions politiques. Les Bourbons, qui ont à cœur d’opérer la rénovation de l’Espagne, veulent aussi renouveler le cadre de leur vie officielle, afin de renforcer le prestige monarchique.

Après le mariage de Philippe V et d’Élisabeth Farnèse, on fit délibérément appel à des architectes italiens pour imprimer aux constructions royales de Madrid et des environs la marque du «grand art» international. À la Granja de San Ildefonso, Andrea Procaccini unit avec habileté l’esprit du baroque romain à la sévérité castillane. Un incendie survenu le soir de Noël 1734 donna l’occasion de reconstruire le vieil alcázar de la capitale. La mission fut confiée à G. B. Sacchetti, qui acheva également la Granja. Durant la longue période où le palais de Madrid demeura en chantier, les autres résidences royales prirent une importance nouvelle et furent aussi modernisées ou refaites. Giacomo Bonavia donna son allure à Aranjuez, tandis que Francisco Sabatini agrandissait le Prado et qu’un autre Italien élevait pour Élisabeth Farnèse, devenue veuve, le palais de Riofrío.

Il restait à faire pénétrer dans le pays le grand style développé par les constructions royales. Ce fut la mission de la Real Academia de nobles artes de San Fernando créée à Madrid en novembre 1744, et dont la compétence embrassait tous les domaines de l’art.

Le style néo-classique

L’enseignement donné sous les auspices de l’Académie imposa le respect des règles classiques. Pendant un temps les artistes surent maintenir une certaine fantaisie dans leurs créations. Ce fut notamment le cas de Ventura Rodríguez (1717-1785), qui, venu du rococo, en arriva à pratiquer une architecture fonctionnelle dans l’esprit du Français J.-F. Blondel. Mais l’esprit néo-classique finit par triompher avec Juan de Villanueva (1739-1811), le constructeur du musée du Prado.

L’évolution est semblable dans le domaine de la peinture. On assiste d’abord à une direction étrangère s’exerçant à partir du chantier de grand renom que représentait le palais royal de Madrid en cours d’aménagement. Sous le règne de Ferdinand VI, on fit appel au Napolitain Corrado Giaquinto. Puis, à l’époque de Charles III, les peintres officiels furent le Vénitien Tiepolo et l’israélite tchèque Mengs. Les uns et les autres devaient former des élèves espagnols et notamment la triade d’origine aragonaise: les deux frères Bayeu et José del Castillo. Goya, appelé à son tour à Madrid par son beau-frère Francisco Bayeu, s’astreignit tout d’abord à travailler dans le style à la mode au palais, mais ce génie devait réussir à imposer son propre style.

L’exemple de Goya demeura unique. Sous le magistère de l’Académie, l’art espagnol se coupa entièrement de ses traditions ancestrales. Son étude ne peut plus être menée dans le cadre des provinces, mais dans celui des grands courants stylistiques d’origine et de portée internationales.

Castille
région et ancien royaume du centre de l'Espagne, aujourd'hui divisée en deux communautés autonomes qui sont aussi deux régions de la C.E.: Castille-Léon (formée des prov. d'ávila, Burgos, Léon, Palencia, Salamanque, Ségovie, Soria, Valladolid et Zamora; 94 193 km²; 2 610 270 hab.; cap. Valladolid) et Castille-la Manche (formée des prov. d'Albacete, Ciudad Real, Cuenca, Guadalajara et Tolède; 79 230 km²; 1 695 140 hab.; cap. Tolède). Les sierras de Gredos et de Guadarrama (alt. max. 2 592 m) coupent le plateau central (Meseta): au N., la Vieille-Castille, drainée par le Douro; au S., la Nouvelle-Castille, drainée par le Tage et le Guadiana. Le climat méditerranéen, chaud et sec en été, est continental en hiver. La céréaliculture, les oliveraies, la vigne, l'élevage ovin dominent. Le tourisme est important. La métropole écon. est Madrid, entité administrative autonome par rapport aux deux régions.
La Castille, comté au IXe s., royaume à partir du Xe s., fut rattachée à la Navarre (XIe s.) puis, en 1230, au Léon. La Reconquista l'agrandit de la Nouvelle-Castille. Le mariage d'Isabelle de Castille avec Ferdinand d'Aragon, en 1469, aboutit à l'union définitive de ces royaumes (1479).

I.
⇒CASTILLE1, subst. fém.
Vx et littér. [Dans un tournoi au Moy. Âge] Combat qui simulait l'attaque et la défense d'une imitation de tour, de château-fort :
1. Tout-à-coup les fanfares sonnent, les barrières s'abaissent, les combattants se mêlent et les jeux commencent : (...); Lusignan, animé d'une ardeur sans égale, lutte dans les pas d'armes, les castilles et les joûtes, et lutte victorieusement.
Mme COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 151.
P. métaph. Petite dispute pour des vétilles, petite querelle sans gravité entre deux personnes. Ils sont toujours en castille (Ac. 1798-1878). Il a seulement parlé d'une castille qu'ils ont eue ensemble (J. DE LA VARENDE, Le Troisième jour, 1947, p. 158) :
2. C'est alors, s'il me souvient bien, qu'éclata la castille du hêtre-à-feuille-de-persil. Mlle Verdure et l'abbé vivaient en état de guerre. Les combats n'étaient pas bien sérieux et l'abbé ne faisait qu'en rire; ...
GIDE, Isabelle, 1911, p. 650.
Loc. fam. Avoir, chercher castille. Chercher noise à quelqu'un. Son frère, qui lui avait cherché castille dans la semaine (G. SAND, La Petite Fadette, 1849, p. 58).
Rem. Se castiller, verbe pronom. réciproque. Se disputer. Nous ne sommes pas ici pour nous castiller (HUYSMANS, Les Sœurs Vatard, 1879, p. 190).
Prononc. et Orth. :[kastij]. Ds Ac. 1694-1878. Étymol. et Hist. 1456-67 « querelle » (Cent nouvelles nouvelles, éd. F.-P. Sweetser, p. 151 : je vous livreray castille), qualifié de ,,vx`` dep. Ac. 1694. Prob. empr. à l'esp. castillo « château » (dep. 972 d'apr. COR. t. 1; v. château); l'hyp. de LITTRÉ reprise par le FEW (t. 2, p. 471a) selon laquelle castille aurait d'abord désigné des châteaux en bois utilisés dans les joutes médiévales se heurte à des difficultés chronol. : le sens de « château » ne semble pas s'imposer dans le Mistere St Adrien, éd. E. Picot, v. 3447 : vous pouez guerre Faire contre tour et castillecastille pourrait tout aussi bien être synon. de guerre que de tour et n'est attesté qu'en 1546 et 1606 d'apr. Encyclop. t. 17, p. 761. L'hyp. de EWFS2 (castille est un déverbal de castiller « irriter », empr. au prov. castiar « châtier ») ne convient pas, castiller, très rare, étant prob. dér. de castille. Fréq. abs. littér. :9. Bbg. RUPP. 1915, p. 53. — SAIN. Sources t. 1 1972 [1925], p. 329. — TOURNEMILLE (J.). avoir castille. Vie Lang. 1959, p. 633.
II.
⇒CASTILLE2, subst. fém.
Région., BOT. Fruit du groseillier à grappes. Ces groseilles à grappes qu'il aimait d'autant plus que dans le peuple, on les nomme des « castilles » (J. DE LA VARENDE, Dans le goût espagnol, 1946, p. 182).
Prononc. :[kastij]. Étymol. et Hist. 1648 (Les Dépenses de Pierre Botherel, éd. Parfouru, p. 83 ds IGLF Techn.). Terme des dial. du Nord-Ouest et de l'Ouest (v. FEW t. 2, p. 242), prob. contraction de cassetille, dér. de casse2 « fruit du cassier », suff. dimin. -(t)ille, peut-être sur le modèle de myrtille.

castille [kastij] n. f.
ÉTYM. 1456; probablt esp. castillo « château ».
1 Hist. Combat simulant l'attaque d'un château, dans un tournoi.
2 Vx. Petite dispute. || Chercher castille à quelqu'un, chercher querelle (G. Sand, la Petite Fadette).REM. Ce sens se trouve encore chez Gide, la Varende.
DÉR. Castiller (se).

Encyclopédie Universelle. 2012.